Libération, 6/8/2007: 

Le nucléaire se fait courant alternatif

La lutte contre le réchauffement climatique et le prix du pétrole incitent un nombre croissant d'Etats à se tourner vers l'atome. [Lire: Nucléaire: L'escroquerie du discours sur l'effet de serre]

C'est incroyable, mais c'est ainsi : le nucléaire est redevenu tendance. Mieux (ou pire) même, certains n'hésitent plus à ranger l'atome parmi les énergies «vertes», voire «renouvelables», ce qui fait rire jaune les Verts de tous horizons, notamment en Allemagne où les Grünen avaient, à la fin des années 90, réussi le tour de force, accident de Tchernobyl aidant, de pousser le pays à se désengager du nucléaire.

Deux raisons à ce renversement de tendance : la guerre planétaire lancée contre le réchauffement climatique, qui donne soudain au nucléaire cette vertu incontestable de ne pas produire de gaz à effet de serre [ce qui est faux !], et la hausse des cours du pétrole, qui pousse les Occidentaux à chercher une alternative aux énergies fossiles.

Boum. C'est ainsi que la Grande-Bretagne, qui s'est faite le héraut de la lutte contre le réchauffement et voit avec angoisse s'amenuiser les réserves de pétrole et de gaz de la mer du Nord, envisage d'investir dans de nouvelles centrales nucléaires. Tout comme les Etats-Unis, qui n'en ont pas construit depuis trente ans et comptent bien rattraper leur retard. Le Brésil a décidé, lui, de relancer son programme nucléaire, gelé depuis plus de vingt ans ( «C'est une énergie propre, qui n'émet pas de CO2», s'est emballé le président Lula). Israël a déclaré, la semaine dernière, examiner la construction d'une centrale pour réduire sa dépendance au pétrole et au charbon. [lire: Le nucléaire se porte commercialement très bien]

Quant aux nouveaux pays de l'Union européenne (Lituanie, Slovaquie, Roumanie, Bulgarie.), ils plébiscitent carrément l'atome afin d'éviter toute dépendance énergétique envers la Russie. Jusqu'aux Allemands, dont la coalition est en train de se lézarder sur la question. A l'heure de la lutte contre le CO2, un récent rapport gouvernemental rappelait que le maintien du nucléaire serait le moyen le plus économique d'atteindre les objectifs fixés dans ce domaine par Angela Merkel. La France n'est pas en reste, qui vient d'autoriser la construction d'un réacteur [dit] de troisième génération, l'EPR, déjà vendu en Finlande et bientôt en Chine où le recours à l'atome est considéré comme vital pour soutenir le boum économique.

Bref, plus encore qu'une tendance, c'est une vraie lame de fond. Qui inquiète bon nombre d'experts. Car, à être obsédé par le réchauffement et la pénurie de pétrole, on en oublie un peu vite les risques inhérents à l'utilisation de l'atome : les accidents (Tchernobyl est un cas extrême, mais, depuis quelques mois, le Japon et la Suède sont empêtrés dans des incidents en cascade dans leurs centrales) ; la prolifération (faut-il laisser l'Algérie, la Libye, le Pakistan. se doter de centrales ?) [Lire: Soixante ans de prolifération] ; et surtout l'avenir des déchets. Autant de questions qui, pour l'heure, n'ont pas ou peu de réponses.

Réserves. Autre incertitude, l'ampleur des réserves d'uranium, ce métal nécessaire à l'alimentation des centrales. Selon qu'ils sont plutôt pro ou antinucléaires, les spécialistes varient, les plus pessimistes évoquant 70 à 80 ans de réserves, les autres pariant sur deux siècles. D'ailleurs, depuis la fin de l'année dernière, le prix de l'uranium s'est envolé (il est passé de moins de 10 dollars la livre en 2002 pour atteindre jusqu'à 135 dollars cette année), et une guerre s'est déclenchée entre puissances nucléaires pour mettre la main sur les réserves de la planète.

Depuis des années, les mines ne fournissent que quelque 40 000 des 60 000 tonnes de combustible annuelles nécessaires pour les centrales. Un déficit compensé par les réserves, principalement issues des stocks militaires russes et américains. Or, ceux-ci sont en cours d'épuisement. D'où la bataille d'Areva au Niger pour tenter de préserver ses gisements ou l'acharnement que le groupe a mis à conclure, la semaine dernière, l'achat du producteur canadien d'uranium UraMin.