Le Monde, 20/10/2009: 

Des réacteurs de type "Tchernobyl" prolongés de quinze ans en Russie

Arpenter la ville de Kourtchatov, non loin de Koursk, c'est un peu voyager vers le Tchernobyl d'avant l'explosion. Avant que la ville voisine de Pripiat ne soit désertée par les hommes, envahie par les herbes folles et les arbres grêles, rongée par la radioactivité.

Comme sa soeur jumelle d'Ukraine, la centrale de Koursk dispose de quatre réacteurs de type RBMK, mais ceux-ci tournent à plein régime. Ce symbole de modernité a aussi poussé au milieu des plaines, tranchant avec les masures des paysans. L'opulence de cette cité (voitures de marque, supermarché bien approvisionné, confort des grands immeubles) fait écho à celle, défunte, de Pripiat. La statue d'Igor Kourtchatov (1903-1960), le père de l'atome soviétique, est fleurie.
Mais n'allez pas faire un parallèle entre les réacteurs de Koursk - et les sept autres encore en fonctionnement en Russie, à Sosnovy Bor et Smolensk - et ceux de Tchernobyl. "Il est incorrect de comparer les RBMK actuels à celui qui a explosé là-bas, assure Nicolaï Sorokine, le directeur de la centrale. Nous avons dépensé entre 200 et 250 millions de dollars par tranche pour les améliorer." Le système de pilotage de ce type de réacteur, capricieux par sa conception, a été totalement modifié.

Une visite dans les lieux, au détour de couloirs à la peinture trop fraîche, doit en convaincre : voici la salle de commandes, aux écrans aussi modernes qu'en France. Les barres qui stoppent la réaction en chaîne peuvent y être actionnées en 2,5 à 7 secondes, contre 12 à 18 auparavant.

Tout cela est-il suffisant pour assurer la sûreté ? Michel Chouha, de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire français, a conduit une expertise internationale sur le réacteur n° 1. Rendues en 2004, "certaines recommandations ont été prises en compte", note-t-il. Mais, faute de suivi, il ignore si toutes l'ont été, et si elles ont bénéficié à tout le parc. Les deux premiers réacteurs de Koursk viennent d'être autorisés pour quinze ans de plus. Les nos 3 et 4 devraient suivre. La tranche 5, jamais achevée après l'accident de Tchernobyl, pourrait l'être en trois ans. Mais le budget manque.

Un seul RBMK fonctionne encore hors de Russie, en Lituanie. Tout juste rénové, il doit fermer le 31 décembre : c'était la condition imposée à Vilnius pour entrer dans l'Union européenne.

 


En Russie, une centrale de type Tchernobyl veut démarrer un réacteur de plus

18/9/2009 - La centrale nucléaire de Koursk, dans le sud de la Russie, attend d'ici décembre le feu vert des autorités pour achever la construction d'un 5ème réacteur du même type que ceux de Tchernobyl, dont aucun n'a été mis en service depuis plus de 20 ans. La construction de ce réacteur avait été entamée en 1986, puis suspendue suite au plus grave accident nucléaire de l'histoire.

Pour la centrale de Koursk, "la décision doit être prise en décembre. J'espère que vos reportages seront honnêtes et objectifs pour aider à une prise de décision positive pour la construction", a déclaré Victor Korsakov, ingénieur en chef de la deuxième tranche de la centrale, à l'occasion d'une visite sur place d'un groupe de journalistes français.

"Les leçons ont été tirées" et du point de vue de la sûreté "les réacteurs RBMK d'aujourd'hui n'ont plus rien à voir avec ceux de 1986", assure Nikolaï Sorokine, le directeur de cette centrale qui, avec quatre réacteurs de 1.000 mégawatts chacun, assure l'approvisonnement en électricité de la Russie centrale.

Les réacteurs RBMK n'ont pas d'enceinte de confinement, ce qui a eu pour conséquence un très fort dégagement de radioactivité dans l'atmosphère lors de l'explosion du réacteur numéro 4 de Tchernobyl. Mais d'importantes améliorations de sûreté ont été apportées depuis sur les RBMK, comme sur les autres réacteurs de l'époque soviétique. A Koursk, "le système de contrôle-commande a été complètement remplacé" et "le fonctionnement des systèmes de sécurité amélioré", assure M. Sorokine qui a estimé le coût de la modernisation à quelque 200 ou 250 millions de dollars par réacteur.

Le temps d'introduction de barres de contrôles, qui permettent de ralentir ou d'arrêter les fissions d'atomes dans le coeur du réacteur, a notamment été ramené de 7 à 2,5 secondes pour les situations d'urgence, et de 18 à 7 secondes en mode de fonctionnement normal, a détaillé M. Korsakov lors d'une visite de la salle de commande du réacteur numéro 4 qui vient d'être modernisé.

Les deux autres centrales russes de type RBMK sont celle de Leningrad, près de Saint-Pétersbourg (nord), et celle de Smolensk (ouest). Hors de la Russie, le seul RBMK encore en fonctionnement est le numéro 2 de la centrale d'Ignalina en Lituanie, qui doit être arrêté le 31 décembre 2009 au plus tard, après avoir été modernisé pour 300 millions d'euros. Il avait été mis en service en décembre 1986, huit mois après l'accident de Tchernobyl.

Plus moderne que les quatre premiers, le réacteur numéro 5 de Koursk permettrait une meilleure utilisation de l'uranium. "Nous pourrons utiliser le combustible usé des autres tranches en le mélangeant à du combustible frais" [???], a fait valoir M. Sorokine. Construit à 80%, son achèvement nécessiterait encore trois ans et demi de travaux, a ajouté le directeur de la centrale. Le projet a déjà reçu le feu vert de l'autorité de sûreté nucléaire russe. Mais "la crise économique mondiale nous touche directement et complique beaucoup la recherche d'une source de financement", tempère M. Sorokine.

Décider de mettre en service un nouveau RBMK serait aussi "un signal à contresens au moment où l'industrie électro-nucléaire met de plus en plus l'accent sur la sûreté", selon Michel Chouha, expert sur les RBMK à l'Institut français de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN). [Rappel: L'industrie nucléaire soviétique vue par nos experts (avant Tchernobyl)] De plus, ce type de réacteur n'offre aucune garantie sur le plan de la non-prolifération, car il se prête très bien à la fabrication de plutonium à usage militaire, précise M. Chouha.

 

A propos de RBMK...

Au moment de l'accident de Tchernobyl, le parc des RBMK comptait 16 réacteurs en fonctionnement :
- 11 en Russie, de puissance 1000 MWe chacun, répartis sur trois centrales :
Leningrad (4 réacteurs), Koursk (4 réacteurs) et Smolensk (3 réacteurs)
- 4 en Ukraine (Centrale de Tchernobyl), 1000 MWe chacun
- 1 en Lituanie (
Centrale d'Ignalina), 1500 MWe.
(Le second réacteur d'Ignalina, 1500 MWe, n'était pas encore en fonctionnement au moment de l'accident de Tchernobyl. Il a été mis en service en décembre 1986).

Depuis, tous les réacteurs de Tchernobyl ont été mis à l'arrêt définitif, ainsi que le réacteur n° 1 de la centrale d'Ignalina (Lithuanie). Il reste donc, à ce jour, 12 réacteurs RBMK en exploitation : 11 en Russie et 1 en Lituanie.

Le réacteur n° 2 de la centrale d'Ignalina est appelé à être mis à l'arrêt définitif vers 2009, sur la base des accords conclus lors des discussions d'adhésion de la Lituanie à l'union européenne. L'exploitation des 11 réacteurs russes sera très vraisemblablement poursuivie.

www.irsn.org

 

Extrait de "Tchernobyl : Contrainte majeure de la Perestroïka" par Yves Lenoir, 9 juin 1989:

Par ailleurs, le réacteur détruit de Tchernobyl appartenait à la plus ancienne des filières productrices d'électricité exploitées en URSS. Dans un article de synthèse publié en 1983 dans le bulletin n° 2, volume 25 de l'AIEA, B.A. Sémionov, alors chef du Département de Sûreté Nucléaire, expliquait la confiance en laquelle l'énergie nucléaire et notamment la filière RBMK étaient tenue en URSS:
"Un autre facteur important, à savoir le fait que l'énergie nucléaire soir moins dommageable à l'environnement que les énergies conventionnelles, a conduit l'Union Soviétique à favoriser l'énergie nucléaire comme une source d'énergie principale."
"Le développement des réacteurs RBMK commença avec la mise en service de la première centrale nucléaire à Obninsk en 1954..."
"De nombreux facteurs plaidant en faveur des RBMK ont été considérés durant les travaux de conception et de développement. Ils ont été pleinement confirmés lors des phases de construction et d'exploitation:
...le principe structurel consistant à avoir plus de 1000 circuits primaires individuels augmente la sûreté de ce type de réacteur -
un grave accident de perte de réfrigérant est notamment pratiquement impossible."

Mises à part les questions de qualité de construction et de gestion des centrales, soulevées dans la presse soviétique avant l'accident mais passées inaperçues à l'Ouest, l'impression de sûreté était à première vue fondée, et justifiée par trente deux ans d'expérience. D'ailleurs, lorsque les spécialistes se sont penchés sans parti pris sur la sûreté des RBMK 1000, après l'accident, ils ont reconnus que les dispositifs mis en place étaient dans leur principe équivalents, pour le risque majeur normalement pris en compte dans le dimensionnement des installations - la perte de réfrigérant -, à ceux dont sont pourvus les filières développées en Occident. Le physicien Victor Gilinsky, qui était l'un des cinq commissaires de la NRC au moment de l'accident de TMI en 1979, déclara notamment à ce sujet que "les résultats d'une comparaison détaillée peuvent être extrêmement favorables à nos réacteurs, mais ils peuvent aussi être très défavorables." (Int. Herald Tribune, May 20, 1986). Analysant l'ensemble de l'installation après que la cause de la catastrophe eut été révélée, une explosion nucléaire, le physicien suisse André Gsponer pouvait ajouter que "la puissance de l'explosion du réacteur n°4 de Tchernobyl a été si considérable que même si ce réacteur avait été entouré par une enceinte de confinement supplémentaire de type "PWR", cette enceinte n'aurait résistée. De surcroît, dans le cas particulier, un tel confinement aurait probablement entravé l'ascension des gaz chauds et la formation du "champignon atomique" qui a rapidement entrainé la plus grande partie de la radioactivité dans la haute atmosphère. L'accident de Tchernobyl est donc comparable à un accident de PWR avec perte totale de confinement, mais dont les effets ont été considérablement réduits par des circonstances et une météorologie favorables ."