Les accidents graves commencent par une suite de "petits pépins"

Arrêt d'urgence d'un bloc de la centrale nucléaire de Sosnovy Bor
11/10/04 -
Le bloc numéro un de la centrale nucléaire russe de Saint-Pétersbourg (nord-ouest) a été arrêté dimanche soir par une procédure automatique d'urgence pour des problèmes techniques encore non précisés, a rapporté lundi l'antenne locale du ministère des situations d'urgence. L'appareillage de la centrale a enregistré une chute de puissance et le bloc a été arrêté automatiquement, a précisé la même source, en ajoutant qu'une commission spéciale travaille sur place. Toujours selon la même source, le niveau de radioactivité est resté normal dans la région. (normal, donc haut ???)

L'Est Républicain, 12/10/2004 : 

Nucléaire : la menace russe

L'arrêt d'urgence dimanche soir d'un réacteur de la centrale Sosnovy Bor, près de Saint-Petersbourg, illustre l'état de délabrement du parc nucléaire civil de l'ex-URSS. Le fantôme de Tchernobyl a la dent dure. Alors que chaque année en avril on commémore le sinistre anniversaire de la catastrophe de la centrale ukrainienne, la fiabilité et la sécurité des autres installations toujours en service dans l'ex-bloc de l'Est continuent de se détériorer, laissant planer la menace d'un nouveau drame. Malgré la pression internationale et l'inquiétude des spécialistes qui connaissent les risques que font courir à la planète 26 réacteurs nucléaires issus de la « technologie soviétique » des années 1960-70, Moscou fait toujours la sourde oreille ou s'en tient à des promesses jamais concrétisées sur le terrain. Sur ces 26 réacteurs, 15 sont des copies conformes de Tchernobyl, des unités de type RBMK à eau bouillante et graphite. Les 11 autres répartis dans des centrales installées en Slovaquie, Bulgarie et Russie sont des modèles VVER-230 à eau sous pression. Cette double famille remonte à l'âge de pierre de l'atome : dans le cas des VVER, « les cuves qui renferment le coeur du réacteur sont construites dans des matériaux qui résistent mal aux radiations et présentent des dangers de rupture au niveau des soudures ! », s'insurge Roland Desborde, président de la Crii-Rad, un laboratoire français indépendant. « Autant dire qu'ils sont irrécupérables, mais ils fonctionnent toujours ».

30 ans d'âge
L'incident qui s'est produit dans le bloc Nème1 de Sosnovy Bor, une centrale de quatre RBMK située au nord-ouest de Saint-Petersbourg, concerne l'autre classe de réacteurs « irrécupérables » eux-aussi. « Ils souffrent de défauts génériques liés à leur conception, à leur qualité et à leur sûreté en exploitation », soulignait déjà l'Institut français de protection et de sûreté nucléaire (Ipsn) dans un rapport qui date de 1996. Rien de nouveau donc sous le soleil si ce n'est l'émotion légitime que suscite immédiatement le moindre coup dur. Au Réseau sortir du nucléaire, on suit la vie quotidienne de ces centrales « potentiellement dangereuses » à la loupe, en dépit des difficultés d'obtenir des informations. « Dès qu'un pépin arrive, les Russes mettent une chape de plomb. Plus rien ne filtre », déplore Pascal Braud, de l'association. Le militant a toutefois consulté hier ses archives : « A Sosnovy Bor, on sait que le plus vieux réacteur a été mis en activité en 1975. Des témoignages d'anciens employés précisent aussi que la maintenance est effectuée par des ouvriers incompétents. Il y a eu d'ailleurs récemment des accidents mortels au travail. On sait enfin que le bloc nème1 a déjà été arrêté en urgence en septembre dernier à cause de la pluie qui aurait provoqué un court circuit sur un câble. Là, il s'agirait d'une chute brutale de puissance. Visiblement, les Russes tentent de faire marcher ce réacteur coûte que coûte, malgré sa vétusté ».

Gestion obsolète
Faute de moyens pour engager une campagne de démantèlement, contraintes aussi de satisfaire à leurs besoins énergétiques, les autorités russes tardent à prendre le taureau par les cornes. « L'ennui, c'est que ce genre de panne peut se reproduire souvent, ajoute Roland Desborde, tout dépend ensuite de l'intervention pour la résoudre. On l'a vu avec l'engrenage de Tchernobyl, là-bas, l'erreur est plus souvent humaine que technique. Des instances comme l'Agence internationale de l'énergie atomique (AEIA) sont allées plusieurs fois visiter le parc nucléaire civil de l'Est. Elles connaissent la situation. Mais je n'ai jamais entendu de discours cohérents sur ce grave problème, car les avis changent au gré des conjonctures politiques ou économiques.
Avant Tchernobyl, tous les rapports des autorités internationales indiquaient que ces centrales étaient parfaitement gérées, à l'image d'un pays capable de rivaliser avec les Etats-Unis en envoyant des fusées et des hommes dans l'espace. C'était alors l'argument avancé pour masquer la grande misère du parc. Après la catastrophe, leurs avis ont changé à 180ème. Où est la réalité dans tout ça ? ».

Patrice COSTA


The Saint Petersbourg Times, 08/10/04 :

Report Says Renovation of Chernobyl-Type Reactor Rushed

A series of mishaps has occurred during the renovation of reactor No.1 at the Leningrad Nuclear Power Plant, or LAES, in Sosnovy Bor outside St. Petersburg because basic safety regulations were ignored, according to a new report.
Reactor No. 1 is the oldest of four reactors at the plant and its official working life has expired, but the Federal Nuclear Power Agency is seeking to extend it. It is an RBMK-1000 reactor, the same type that caused the Chernobyl disaster in 1986, and LAES management plan to restart it this fall.
Sergei Kharitonov, a former employee of the plant and now an environmental campaigner, wrote in the report that the safety systems for the reactors were installed in a rush, in some cases by unqualified workers, breaching standards on how the work should be done, the report said.
As a result, two workers died in the spring, including a 32-year-old construction worker who fell from the wall of bloc No.1 in April and a 42-year-old fitter was crushed while working on bloc No.2 in May. "[The management] paid most of its attention to [staff] training for the launch of bloc No.1," Kharitonov quoted LAES management as saying in a statement on July 16. "The lectures were poorly attended ... Two lectures remain to be conducted. Such a situation is unacceptable, when the bloc [No.1] is about to launched, but employees are not ready for it." Forty-nine staff got only one week's training in March. Another 39 failed to be approved as having appropriate skills to work on the renovation project, the report said.
LAES spokesman Sergei Averyanov said that LAES management received permission from the Federal Nuclear Supervision Service on Sept. 30 to launch reactor No.1. Although no specific date for the launch of the bloc has been determined yet, it will happen sometime this month, he said Wednesday in a telephone interview.
Kharitonov worked at the plant for 27 years and battled LAES management in court when they fired him after he publicized some of the plants failings. He last worked there in 1999.
He said that rushed renovations seemed to be frequent and that LAES had used fast work on other plants as examples to be followed. "An outstanding level of training to renovate bloc No.1 of Volgodonskaya Nuclear Power Plant and detailed organization of the work allowed the project to be completed in 55 days, while the standard period for a renovation should be 90 days," Kharitonov quoted a LAES statement as saying.
In an article "The Most Effective Will Survive" in an official LAES document in December 2002, the plant management urged employees to work faster by writing "earn more and get more benefits."
The document gave the example of the Kaliningrad Nuclear Power Plant, which raised its energy output and wages were raised shortly afterward using the proceeds from selling electricity.
The fire service at LAES is also in a worrying condition, according to Mayak, the weekly Sosnovy Bor newspaper, which in November last year reported that "the 72 firefighters providing safety at the nuclear plant commit from 1,700 to 1,800 violations annually," according to Kharitonov's report. "How does he know what's going on at the plant if he hasn't been working there for such a long time?" LAES' Averyanov said. "If he is citing materials from [LAES's official documents] that discuss all the spectrum of internal problems of the LAES staff, it would be wrong to make judgments based on such articles," he said.
Kharitonov said encouraging renovations to be done quickly could in the long run lead to dangerous developments comparable in their scale to the Chernobyl disaster. "An ongoing and dangerous experiment is being carried out at LAES," Kharitonov said. "They are always working in a rush. There is always some sort of defect that is being fixed on the way."
Important parts of the new equipment to maintain the safety of bloc No.1 are being stolen, including the switches on a security system that can in emergency bring the reactor to a halt, Kharitonov said. "Even crucial things like that are fixed in a rush," Kharitonov said.
One of the latest minor accidents mentioned in Kharitonov's report was an emergency shutdown of a reactor's operations last month after rainwater fell through the roof onto a 20-kilowatt cable causing a short circuit. "As a result of the event, head engineer O. G. Chernikov directed most of the [management's] attention to the necessity of renovating and maintaining the roofs of buildings and to boost measures to protect premises and equipment from rain," Kharitonov quoted a management statement as saying Sept. 3. By mid year there had been five emergency shutdowns of different reactors at the plant. Management said that "this way LAES has the biggest number of such shutdowns among all [nuclear power] plants," according to a statement on July 2.

Vladimir Kovalev



Comment l'information nucléaire est trafiquée, l'exemple de Sosnovy Bor:

A propos de Sosnovy Bor

(D'après les communiqués de presse)

I- La gravité de l'accident

(Lorsqu'aucune date n'est mentionnée il s'agira d'un communiqué du 24 mars 1992, l'accident ayant eu lieu à 0h37, heure française).

"Bien que des gaz inertes radioactifs et de l'iodine (sic) se soient échappés dans l'atmosphère par les filtres de la centrale, le niveau de radiation n'a pas excédé les normes autorisées dans ce type d'installation ont indiqué à l'agence des responsables du ministère russe de l'Industrie" (AP, 8h57)

Si les normes autorisées n'ont pas été dépassées on devait en déduire qu'il s'agissait d'un événement sans gravité.
Quelques instants plus tard un communiqué précisait :
"Selon un responsable russe, il s'agit d'un accident "grave", qui s'est produit dans une centrale du même type que celle de Tchernobyl.
"Le degré de l'incident est grave avec des conséquences possibles sur l'environnement et la population" a affirmé Iouri Rogojine porte-parole des services d'inspection nucléaire, le Gosatomnadzor.
De l'iode radioactif s'est échappé de la centrale "Léningrad" à Sosnovy Bor, à une centaine de kilomètres de Saint Pétersbourg, et les autorités s'employaient à mesurer la gravité des radiations dégagées.
Selon Rogojine, la centrale nucléaire a été fermée mais il n'a pas été en mesure de dire si des radiations fuyaient toujours dans l'atmosphère. Il s'attendait à ce que des centres de contrôle situés en Finlande enregistrent les radiations car les vents dominants soufflent en direction de ce pays. "
(REUTER, 9h22)

La fuite de gaz radioactifs devait être suffisamment importante pour que ce responsable s'attende à les voir arriver en Finlande. Les territoires au voisinage du site n'ont pas pu échapper aux rejets radioactifs. Dans le même communiqué on trouvait une première évaluation :
"Selon des données préliminaires, les fuites radioactives correspondent à des niveaux de 1 000 à 3 000 curies, alors que le niveau normal est de 500 curies."
A peu près au même instant, d'après AFP :
"Des gaz inertes radioactifs ont fui dans l'atmosphère à travers les filtres de la centrale, mais le niveau de radioactivité ne dépasse pas les normes admises, selon le ministère" (AFP, 9h25) (Il s'agit du ministère russe de l'énergie atomique cité par ITAR-TASS)

Il n'y a pas de rejets d'iode d'après le ministre russe de l'énergie atomique. Les déclarations qui vont suivre confirment les déclarations du ministre russe :

"Moscou, 24 mars (AFP) - L'incident survenu dans la nuit de lundi à mardi à la centrale nucléaire de Saint-Pétersbourg est "sans gravité", a indiqué le service du ministère de l'Energie atomique joint par téléphone.
Un porte-parole des services d'inspection nucléaire, le Gosatomnadzor, a également confirmé que l'incident ne présentait actuellement aucun caractère de "gravité", selon les premières informations obtenues à la centrale.
....... Des gaz inertes radioactifs ont fui dans l'atmosphère à travers les filtres de la centrale, mais le niveau de radioactivité ne dépasse pas les normes internationales admises, selon le ministère qui a classé l'incident au niveau 3 sur l'échelle de gravité de l'Agence Internationale de l'Energie Atomique (AIEA) qui en compte 7."
(AFP, 10h21)

L'incident fut très rapidement déclassé au niveau 2 par les "autorités russes compétentes" (le niveau 2 est un "incident qui peut entrainer des conséquences pour la sûreté du réacteur"). Il ne s'agit plus que d'un événement dont la gravité se situait un peu au dessus de l'anomalie de fonctionnement.

"Les Russes confirment à l'AIEA la minimisation de l'incident nucléaire
VIENNE, 24 mars (AFP) - Les responsables de l'exploitation des centrales nucléaires de Russie ont indiqué à l'Agence Internationale de l'Energie Atomique (AIEA) que la gravité de l'incident survenu dans la centrale de Sosnovy Bor près de Saint-Pétersbourg était estimée au niveau 2 sur l'Echelle Internationale des Evénements Nucléaires, selon un communiqué de l'AIEA diffusé mardi à Vienne."
(AFP, 23h12).

La situation n'est cependant pas aussi évidente en ce qui concerne la gravité de l'événement. Le communiqué de l'Agence de Vienne cité ci-dessus se termine par :
"La gravité de l'incident sera établie avec plus d'exactitude lorsque les experts auront procédé à d'autres évaluations, selon le communiqué."

 

II- Les dégâts sur le réacteur

Ils peuvent servir à qualifier l'importance de l'"incident". Les avis divergèrent.
"LA REPARATION DE SOSNOVY BOR SERA LONGUE
MOSCOU, 25 mars, REUTER - Le porte-parole des services d'inspection nucléaires russes Iouri Rogojine a démenti mercredi que la centrale de Sosnovy Bor puisse être réparée dans les quatre jours, comme l'avait affirmé le président du conseil municipal de Saint-Pétersbourg, Alexandre Belyayev." M. Belyayev est trop impatient. Cela prendra davantage de temps", a-t-il déclaré par téléphone à REUTER."
(REUTER, 10h26)

Depuis, les journaux ne nous ont pas renseignés sur l'état du réacteur : 3 semaines après cet incident "sans gravité" on ne sait pas si le réacteur a été réparé et s'il a été remis en fonctionnement.

Salle de contrôle, réacteur RBMK à la centrale de Leningrad en fonctionnement normal, le chef de bloc doit actionner en permanence les barres de contrôle.

 

III- Les normes "autorisées"

Il est souvent mentionné dans les communiqués l'existence de normes autorisées. Tantôt elles sont qualifiées de "pour ce type d'installation", tantôt d'"internationales", parfois de "niveau normal", tantôt de "normes autorisées".
Ce qui est commun à ces diverses qualifications c'est qu'à aucun moment il n'est donné d'indications sur ces fameuses normes.
A titre indicatif nous donnons les niveaux de rejets gazeux autorisés en France par les arrêtés ministériels pour les réacteurs PWR :
825 térabecquerels (22 500 curies) pour les gaz
27,5 gigabecquerels (0,75 curie) pour les halogènes gazeux (iodes) et les aérosols.
Ces valeurs sont données pour 1 réacteur par an.

Remarque : Pour Creys-Malville, l'arrêté du 6 août 1985 autorise des rejets annuels de : 220 térabecquerels (6 000 curies) pour les gaz
5 gigabecquerels (0,14 curie) pour les halogènes gazeux et les aérosols.
Quel que soit le type de réacteur il est précisé que "ces rejets ne doivent en aucun cas ajouter d'émetteurs alpha à l'environnement".

D'après REUTER (9h22) "le niveau normal est de 500 curies". Dans un communiqué AFP (11h38), l'Agence de Vienne mentionne sans autre précision "La fuite ne dépasse cependant pas les normes autorisées".
Le ministère de l'énergie atomique indique : "Des gaz inertes radioactifs ont fui dans l'atmosphère (...) mais le niveau de radioactivité ne dépasse pas les normes internationales admises" (AFP, 10h21). (L'iode a disparu !)
Selon un communiqué du 25 mars en provenance de Sosnovy Bor :
"Les officiels ont expliqué que la fuite s'était produite dans un "canal technique" à l'intérieur du troisième réacteur. Ils ont admis que cette fuite a laissé échapper des gaz chargés d'iode 131 dans l'atmosphère. Mais au cours de la journée de mardi les niveaux des autres gaz inertes radioactifs comme le krypton et le xénon ont atteint 1 111 curies, ce qui est bien en dessous des normes internationales de 2000 curies par jour, ont dit ces responsables " (AFP).

Ainsi à 2 000 curies par jour une centrale pourrait rejeter 730 000 curies par an de gaz radioactifs. Les normes françaises seraient-elles si basses par rapport aux normes internationales alors que les Allemands leur reprochent d'être au-dessus de ce qui est autorisé chez eux ?
Enfin il faut remarquer que les gaz inertes, l'iode et les aérosols sont traités en vrac alors que les normes en principe les traitent séparémént et les niveaux de rejets autorisés sont très différents.

 

IV- Les rejets

Très peu d'indications ont été données sur le niveau des rejets. Dans un des premiers communiqués il était indiqué des niveaux de 1 000 à 3 000 curies (Reuter, 9h22). Plus tard, une autre valeur sans qu'il soit possible de savoir ce qu'elle signifiait : "Une fuite dans un tuyau du circuit de refroidissement de la centrale a provoqué une hausse de radioactivité dans le réacteur allant jusqu'à 6 000 curies" (AFP, 18h48).
Le communiqué du 25 mars cité précédemment donne un chiffre précis pour les gaz inertes (1 111 curies) rejetés le 24 mars. Le même communiqué précisait, quelques lignes plus haut :
"Entre minuit et 9 heures mercredi matin (21h00 GMT and 06hOO GMT), les émissions de gaz radioactifs inertes représentaient 115 curies, alors que les règles internationales permettent 2 000 curies par jour,ont affirmé les responsables de la centrale."
Cela signifie que les fuites ont continué pendant la journée de mercredi alors que les communiqués antérieurs nous avaient indiqué que les fuites avaient cessé rapidement. D'autre part aucune donnée numérique n'est fournie pour les rejets radioactifs d'iodes et de césiums alors que c'est là le point le plus important pour évaluer la gravité de l'accident.

 

V- La contamination sur le site et dans le voisinage

"MOSCOU, 24 mars (AFP)- Après l'accident de niveau 3 survenu dans la nuit de lundi à mardi à la centrale nucléaire Léningrad de St Pétersbourg, les analyses à 11h30 locales (9h30 à Paris) montraient un volume général de rejet des gaz radioactifs de six fois supérieur aux normes quotidiennes internationales, selon le centre de presse du comité russe d'Etat pour les situations d'urgence.
La quantité des rayonnements est de trois fois supérieure et le volume d'iode de dix fois supérieur aux normes internationales, selon le centre de presse cité par ITAR-TASS qui ne donne aucun chiffre.
Le centre de presse n'a pas précisé si ces analyses concernaient l'enceinte même de la centrale ou ses alentours."
(AFP, 13h50)

Les gaz qui s'échappèrent du réacteur dans l'atmosphère au dessus du site semblent avoir été brutalement stoppés par le grillage de la clôture car aucune radioactivité n'était mesurée dans le voisinage. Le communiqué précédent indiquait :
"Après le déclenchement du système électronique d'alarme, des experts ont analysé le taux de radioactivité de la station, de ses environs et de la ville de Sosnovy Bor, située à proximité, sans noter de "modification de la radioactivité, qui a été stable depuis des années", selon un responsable de la sécurité technique de la centrale cité par ITAR-TASS. "

Un communiqué rapporte des précisions fournies par les autorités finlandaises sur la situation de la centrale :
"Selon les autorités finlandaises, un accident nucléaire grave s'était déjà produit dans cette centrale en novembre 1975, après deux accidents successifs dans le système d'alimentation en combustible nucléaire et dans le circuit de refroidissement. Un nuage radioactif avait pollué alors une zone de 20 à 30 km au sud-ouest de la centrale, sans que les autorités soviétiques n'alertent les habitants de la région, selon Helsinki.
En janvier 1990, le terrain entourant la centrale avait à nouveau été contaminé après une fuite radioactive et les experts soviétiques n'avaient pas exclu que la centrale puisse comporter des "défauts de construction" "
(AFP, 12h40)

Un communiqué de l'AIEA confirme que la situation radiologique du site n'a rien d'anormal :
"Selon le communiqué de l'AIEA, "aucun niveau important de radioactivité ou de contamination n'a été enregistré sur le site nucléaire et aucun taux de matériaux radioactifs supérieur aux normes autorisées n'a été relevé sur l'environnement"."(AFP, 23h12)

On a très peu de renseignements sur ce qui s'est passé sur le site. Seul un court passage signale :
"Les ouvriers interrogés par l'AFP à la sortie de la centrale, qui compte quatre réacteurs, ont raconté que le personnel présent lors de l'incident s'est vu donner des masques à oxygène et a pris des plaquettes d'iode pour la protection contre la contamination radioactive.
La centrale emploie quelques 4 000 personnes plus 500 employés occasionnels de soutien qui vivent à Sosnovy Bor"
(AFP, 25 mars)

Remarque : l'utilisation de personnel intérimaire ("occasionnel") semble bien être une pratique courante dans l'industrie nucléaire quel que soit le pays.

 

VI- La contamination hors du site

On a vu dans le premier communiqué cité, qu'un responsable russe, dès le début de l'accident, prévoyait l'arrivée de la radioactivité en Finlande.
Plusieurs communiqués font état de l'absence de radioactivité dans les pays qui n'étaient pas sous le vent. Il parait évident que les experts s'attendaient à ce que la contamination arrive en Finlande et en Suède :
"EDF s'est aussi renseignée en Finlande et en Suède où aucune radioactivité n'a été mesurée pour l'instant" (souligné par nous) (AFP, 11h42)

"Les responsables de la centrale ont affirmé que la fuite radioactive n'avait à aucun moment fait peser le moindre risque aux populations vivant dans les environs. Ils ont déclaré que le degré de radioactivité autour de la centrale et dans les villes voisines était normal."(AFP, 25 mars)

Ainsi il semble tout à fait normal que ce soient les responsables d'un accident qui peut affecter la santé de la population qui évaluent eux-mêmes les dangers qu'ils font courir à cette population. Aucune déclaration de responsables de la santé n'a été rapportée. Rappelons qu' en France, en mai 1986 lorsque l'opinion publique était inquiète des retombées de Tchernobyl, c'est le ministre de l'industrie qui est intervenu publiquement pour rassurer les Français, les ministres de la santé et de l'environnement restant dans les coulisses.

Le 25 mars on apprenait que la contamination radioactive avait été détectée en Finlande :
"HELSINKI, 25 mars (AFP) - De l'iode et du césium radioactifs ont été détectés à Lovisa, un port situé à 100 km à l'est d'Helsinki et à environ 240 km à l'ouest de Saint-Pétersbourg, ainsi que dans le port de Kotka, près de la frontière russe, a annoncé mercredi le centre de sécurité des rayons radioactifs à Helsinki." (AFP,25 mars,11h47)
"En Estonie, le niveau de radioactivité a doublé, mardi soir à Narva, ville frontalière de la Russie, a rapporté le ministre des Affaires étrangères, Lennart Meri". (D'après AFP, cité par le journal Libération du 26 mars)
Aucune indication quantitative n'est fournie quant à la contamination mesurée. La radioprotection manifestement ne relève pas d'une approche quantitative. Cela ne semble guère gêner les organes d'information qui à aucun moment n'ont relevé cette anomalie.
Ainsi la radioactivité a pu passer du réacteur à la Finlande sans passer par le voisinage du site.
Enfin signalons que, n'ayant jamais été anormale, la situation radiologique redevient normale le 25 mars à Saint-Pétersbourg :
"MOSCOU, 25 mars (AFP)- - Les niveaux de radiation à la centrale électro-nucléaire Léningrad et dans les environs de Saint-Pétersbourg sont revenus à la "normale" après la fuite accidentelle mardi de gaz radioactifs, a annoncé mercredi Radio-Moscou." (AFP, 25 mars, 10h07)
Les communiqués quotidiens du SCPRI (Service Central de Protection contre les Rayonnements Ionisants, dépendant du ministère français de la santé) avaient signalé en mai 1986 une curiosité analogue sur le territoire français après Tchernobyl.

 

VII- Le rôle de l'Agence Internationale de l'Energie Atomique (AIEA)

Référence est souvent faite dans les communiqués, à l'AIEA qui sert à la fois de relais et de caution. Son rôle réel est bien défini dans une dépêche en provenance de Vienne :
"L'AIEA a confirmé qu'une fuite radioactive s'est produite qui ne dépasse cependant pas les normes autorisées. L'agence ne dispose d'aucune information sur le taux de radioactivité mesuré, a ajouté le porte-parole." (AFP, 11h38)
Personne n' a relevé la bizarrerie de ce texte...

Une autre dépêche nous renseigne assez bien sur la façon dont l'AIEA fonctionne :
"L'Agence Internationale de l'Energie Atomique (AIEA), à Vienne, a classé cet incident au degré 3 de son échelle de gravité qui en compte sept. L'Agence a précisé qu'elle avait été rapidement avertie par les autorités russes et qu'elle attendait de plus amples informations." (REUTER, 16h02)

Elle ne ressent pas la nécessité d'avoir des informations pour déclarer qu'il ne s'agit que d'un incident (niveau 3 de son échelle de gravité). Pourtant certains responsables russes n'étaient guère optimistes :
"Le degré de l'incident est grave, avec des conséquences possibles sur l'environnement et la population", a déclaré dans la matinée Iouri Rogojine, porte-parole des services d'inspections nucléaires, le Gosatomnadzor.
...Le Comité d'Etat russe sur les situations d'urgence a précisé qu'à 11h30 heure locale (08h30 GMT), neuf heures après l'incident, les émissions de gaz inertes étaient six fois plus élevées que les normes quotidiennes, celles de l'iode dix fois plus. "
(REUTER, 16h02)

L'Agence sert de caution en cas d'accident : "M. Carlier (responsable de l'exploitation du parc nucléaire d'EDF) a souligné que les contrôles sont supervisés par l'AIEA." (AFP, 11h41).
Depuis la catastrophe de Tchernobyl l'AIEA s'est chargée des problèmes de sûreté nucléaire et aussi de la protection sanitaire des populations. Il est bon de connaître ce que le directeur de la sûreté nucléaire de l'AIEA, M. Rosen, considère comme normal. Il déclarait en août 1986 à la conférence de Vienne, à propos de Tchernobyl : "Même s'il y avait un accident de ce type tous les ans, je considérerais le nucléaire comme une source d'énergie intéressante" (propos rapportés par le journal Le Monde du 28 août 1986).
Une des fonctions de l'Agence est "d'encourager et de faciliter, dans le monde entier, le développement et l'utilisation pratique de l'énergie atomique à des fins pacifiques" (Art. 3-A-1, Traité du 26 octobre 1956)
Ainsi l'AIEA est le promoteur international de l'énergie nucléaire et quand cette agence intervient pour évaluer les effets sanitaires d'un accident il y a manifestement conflit d'intérêt. La reconnaissance que les installations nucléaires peuvent conduire à mettre en danger la santé des populations, gêne considérablement la promotion de l'énergie nucléaire.

 

En conclusion

L'accident de Sosnovy Bor nous permet de voir comment pourrait se dérouler le scénario de la gestion médiatique d'une catastrophe nucléaire future.

 

Roger Belbéoch
(A propos de Sosnovy Bor, Gazette Nucléaire 119/120 août 1992)