L'Express, 7/1/2010: 

Anne Lauvergeon de plus en plus fragilisée à la tête d'Areva

Retirée dans sa résidence secondaire sarthoise pour les fêtes de fin d'année, Anne Lauvergeon a reçu, le jour de Noël, un invité surprise. Dans l'après-midi du 25 décembre, la sonnerie de son portable a retenti, l'obligeant à lâcher la lecture du roman de Tolstoï à laquelle elle s'était abandonnée.

En ligne : Claude Guéant, secrétaire général de l'Elysée. "Abou Dhabi, c'est fini", lui annonce-t-il, en substance, d'une voix blanche. Le bras droit de Nicolas Sarkozy n'a pas ménagé sa peine, ces dernières semaines, pour faire remonter les chances du consortium français, candidat à la construction de quatre centrales nucléaires. Mais le camp tricolore n'a pas séduit l'émirat, qui lui a préféré l'offre des Sud-Coréens, moins haut de gamme et moins chère. Adieu le contrat du siècle - 20 milliards d'euros - sur lequel les Français planchaient depuis deux ans !

Jamais la dame de fer du nucléaire ne laissera paraître, cependant, le moindre signe de déception. Question de tempérament et... d'habitude. Depuis dix ans, sans ciller, elle laboure, façon panzer, le champ du nucléaire, pour faire de ce "vilain petit canard" un "champion de la troisième révolution énergétique", credo qu'elle a explicité dans un livre, en 2008.

Galvanisée par les problèmes climatiques, la renaissance de l'énergie atomique doit profiter à son groupe, Areva, bien placé, estime-t-elle, pour ramasser à terme un tiers du marché des nouvelles centrales, grâce, notamment, à l'EPR, son réacteur high-tech et sophistiqué, présenté comme le nec plus ultra de la sécurité.

Dès lors, le fiasco d'Abou Dhabi n'est pas un simple échec commercial. Il jette un doute sur la stratégie d'Anne Lauvergeon, consistant à se positionner sur le haut de gamme. Ainsi, l'EPR pourrait avoir moins d'attraits qu'elle ne le pense pour les pays en développement qui souhaitent accéder à l'énergie nucléaire comme pour les pays riches, tel Abou Dhabi. "Cet échec est une pierre supplémentaire dans le jardin d'Anne Lauvergeon, estime un expert qui ne fait pas partie, pourtant, de ses nombreux ennemis. Il s'ajoute au désastre du chantier finlandais, à travers le quel on mesure l'arrogance d'Areva et ses limites."

Ce revers accroît, de fait, la fragilité de la patronne du géant de l'énergie, à l'heure où l'Elysée reprend la main sur le dossier. La mission sur l'avenir du nucléaire confiée récemment à François Roussely, ex-président d'EDF et proche de Claude Guéant, pourrait ainsi déboucher, à la fin d'avril, sur la remise au pas de celle qui s'est arrogé le rôle de VRP de l'atome français, et donner à EDF et à son nouveau patron, Henri Proglio, le rôle de chef de file de la filière nucléaire française. D'aucuns espèrent même que le compte à rebours est enclenché pour Anne Lauvergeon, tant elle a collectionné de problèmes cette année.

Les ennuis ont commencé dès février 2009 avec le divorce avec Siemens, l'un de ses actionnaires. Déçu de ne pas pouvoir monter au capital, l'allemand tourne alors les talons pour s'allier avec le russe Rosatom et contraint Areva à trouver 2 milliards d'euros de cash pour racheter sa participation. Puis c'est TVO, son client finlandais, commanditaire de l'EPR, qui lui réclame 2,4 milliards d'euros de pénalités de retard. Au printemps, l'Etat, désireux d'y voir plus clair dans les affaires du groupe, nomme l'ex-patron d'Air France-KLM, Jean-Cyril Spinetta, à la tête du conseil de surveillance. Voilà la dirigeante, jugée rétive à l'autorité, placée sous tutelle. Deux mois plus tard, celui-ci lui imposera la vente de sa filiale T & D.

"Ils vont me tuer Areva", confie alors Lauvergeon à des proches. Mais elle devra se résigner à lâcher cette vache à lait - 48 % des bénéfices - afin de récupérer une bouffée d'oxygène financière. Quelques mois plus tard, la mise en garde concomitante des trois autorités de sûreté européennes (française, finlandaise et britannique) concernant le système de contrôle-commande des EPR ajoute un nuage noir supplémentaire au ciel plombé de la firme.

L'année 2009 a aussi permis à certains de ses ennemis historiques de reprendre du poil de la bête. Patrick Kron, après avoir longtemps caressé le rêve de fusionner son groupe, Alstom, avec Areva, et de piloter l'ensemble, a remporté, avec Schneider Electric, le processus d'enchères pour T & D. Cela malgré l'intense bataille de lobbying menée par Lauvergeon pour l'éliminer de la compétition, en soutenant discrètement, notamment, l'offre concurrente de General Electric. La présidente, qui avait promis aux salariés que T & D ne serait en aucun cas vendu à la découpe, a dû assister au triomphe du patron d'Alstom, non sans se vanter, tout de même, de lui avoir fait cracher bien plus d'argent qu'il n'en avait l'intention.

Et puis à la fin d'octobre, il y eut l'apparition dans le paysage d'un nouvel adversaire. Henri Proglio, le tout frais PDG d'EDF, gonflé à bloc par sa nomination, l'a provoquée en duel dans les médias en évoquant, avant même sa prise de fonctions officielle, l'hypothèse d'un démantèlement d'Areva. Ce coup-là a peut-être été le plus rude.

D'autant que la dame sait combien ce nouveau rival a l'oreille du pouvoir en place. Comme bon nombre d'observateurs, Anne Lauvergeon, qui avait petit-déjeuné quelques jours auparavant avec l'intéressé, a été proprement estomaquée par ses propos. Info ou intox ? Après s'être longuement interrogée sur les intentions d'Henri Proglio, elle s'est finalement accrochée, comme un naufragé à sa bouée, au recadrage quasi immédiat du PDG formulé par François Fillon et Christine Lagarde, dont l'interview sur RTL a aussitôt été mise en ligne sur l'intranet d'Areva.

Toutefois, les déclarations belliqueuses de Proglio ont valeur d'avertissement. Anne Lauvergeon le sait, qui a fait le siège, depuis, du nouvel arbitre, François Roussely, pour faire valoir les atouts de son modèle économique - la fameuse "stratégie Nespresso". Celle qui lui permet de vendre à ses clients non seulement les réacteurs (la cafetière), mais aussi le combustible (les capsules).

Car cette Walkyrie de l'atome n'est pas du genre à lâcher le morceau. "Anne n'est jamais aussi brillante et efficace que lorsqu'elle est dans l'adversité", relève Robert Pistre, mentor de l'Ecole des mines et membre éminent de son fan-club. Au fil des ans, cette bretteuse a su montrer une dextérité indéniable dans l'art de la guerre. Avoir vécu à l'Elysée, à l'époque de la cohabitation, a certainement permis à cette ancienne sherpa de François Mitterrand de méditer sur l'exercice de la navigation en milieu hostile.

C'est après un passage raté à la banque Lazard, lorsque Dominique Strauss-Kahn lui offre, en 1999, la présidence de la Cogema, spécialiste français de l'uranium, qu'elle va faire la démonstration de ses talents. L'arrivée de cette femme, normalienne et diplômée de l'Ecole de mines, dans le milieu poussiéreux de l'atome ne passe pas inaperçue. Surtout lorsqu'elle décide, pour rehausser l'image déplorable du nucléaire auprès de l'opinion, de placer des webcams au coeur de l'usine de La Hague. Mais son véritable fait d'armes, à l'époque, est d'une tout autre envergure.

Deux ans à peine après sa nomination, ce poids plume à la taille d'allumette parvient à faire accepter aux pouvoirs publics un scénario de refonte complète du nucléaire français, qui la place à la tête de l'ensemble de la filière (Cogema, Framatome et CEA Industrie), regroupée sous l'étendard d'Areva, du nom d'une abbaye cistercienne visitée avec ses parents au cours de son enfance. Bien joué mais surtout bien bataillé. "Je me souviens de l'avoir vue courir après un syndicaliste dans un couloir pour le convaincre de voter ce projet en comité d'entreprise", raconte aujourd'hui Bruno Blanchon, représentant CGT. Parmi les opposants à cette fusion, le patron d'EDF de l'époque, un certain François Roussely, qui voit d'un mauvais oeil la transformation de son fournisseur en un puissant géant du nucléaire. L'acharnement naturel de la patronne, au sourire parfois carnassier, combiné à un épais carnet d'adresses hérité de sa période élyséenne, lui permettra de gagner la partie.

Mais, au cours de la décennie suivante, critiques et ennemis ont proliféré avec une intensité au moins égale à la soif d'expansion d'Areva. Au point de laisser planer sans cesse au-dessus d'Anne Lauvergeon la menace d'un limogeage imminent. Années difficiles ? "Je n'aime pas les périodes où il ne se passe rien", botte en touche la patronne, sans renier, toutefois, un certain goût pour le combat. En agace-t-elle plus d'un ? "C'est parce que je dis les choses sans les entortiller", analyse celle qui a déjà usé trois présidents de conseil de surveillance et affirme avoir fini par s'habituer aux "attaques ad mulierem" dont elle fait régulièrement l'objet.

Deux éléments au moins permettent de comprendre cette étonnante résistance. D'abord, sa notoriété mondiale et sa casquette de VRP du nucléaire français - ses proches ne manquent jamais de rappeler qu'elle est classée parmi les femmes les plus puissantes du monde par le magazine Forbes. Ensuite, une sacrée dose de mauvaise foi qui lui permet de récrire l'histoire et de ne pas sentir les pointes des poignards qui la menacent. L'échec d'Abou Dhabi ? "Si on l'avait voulu, on l'aurait obtenu. Mais on aurait tous perdu beaucoup d'argent", se défend-elle. Le départ de Siemens ? "Il a permis d'accélérer le processus d'augmentation de capital que nous réclamions", rétorque-t-elle, omettant au passage de signaler que l'entrée des futurs investisseurs est, pour l'heure, suspendue à la reconfiguration de la filière.

Pourtant, dans les couloirs de la rue La Fayette, au siège parisien du groupe, les murmures d'inquiétude bruissent à nouveau. "On se prépare à une année 2010 un peu tendue", reconnaît un cadre dirigeant. Car, par-dessus le marché, Areva doit faire face une situation financière délicate. Sur les 12 milliards d'euros de besoins de financement identifiés l'été dernier, seuls les 4 milliards tirés de la vente de T & D sont en voie de rentrer dans les caisses. Les cessions des participations dans Eramet et Microelectronics, "plus compliquées que prévu", sont au point mort. Déjà, selon nos informations, un plan d'économies de 500 millions a été décidé pour cette année.

Lovée sur la banquette arrière de sa Citroën C 5, où elle s'adonne régulièrement aux jeux vidéo sur sa console Nintendo, cette quinqua, mère de deux jeunes enfants, refuse de se départir de son inoxydable optimisme. "En 2010, nous allons poursuivre notre croissance, et je vais encore beaucoup voyager aux quatre coins du monde", lâche-t-elle, tout sourire, plus que jamais résolue à prouver à ses détracteurs qu'elle a raison d'y croire, comme il y a dix ans, lorsque des proches lui avaient déconseillé d'accepter la présidence de la Cogema : "Une folie, me disait-on, dont je ne me relèverais pas." Un roc, Lauvergeon ? Poussée dans ses retranchements, elle finit par avouer : "Si je devais partir, ce serait très émouvant. J'ai une relation très forte à Areva."

 


Les Echos, 6/1/2010: 

EDF face à l'imbroglio Edison

 

Premier gros dossier international sur l'agenda 2010 d'Henri Proglio : l'avenir de la participation d'EDF au sein d'Edison. Car A2A, son allié au tour de table du deuxième électricien italien, remet en question un partenariat fondé sur un montage capitalistique d'une rare complexité. Un sac de noeuds à démêler d'urgence à l'heure où le français s'intéresse au nucléaire transalpin.

Une « patata bollente » : c'est une patate chaude qu'a récoltée Henri Proglio avec le dossier Edison. Et il n'est pas certain que les origines piémontaises du nouveau patron d'EDF servent à grand-chose pour démêler le sac de noeuds légué par son prédécesseur, Pierre Gadonneix, en Italie.

Le nouveau patron d'EDF a néanmoins décidé de prendre le taureau par les cornes et de régler le sort de sa filiale transalpine au plus vite. Car, depuis six mois, la société A2A, principal partenaire d'EDF dans Edison, s'agite et prétend que le pacte d'actionnaires qui court jusqu'en septembre 2011 entre Français et Italiens ne peut demeurer en l'état.

Son patron, Giuliano Zuccoli, a déclaré vouloir tout mettre sur la table « à partir du mois de janvier », pointant les piètres performances d'Edison : un bénéfice net en chute de 30 % sur les neuf premiers mois de 2009, un cours de Bourse qui n'arrive pas à décoller de la barre de 1 euro et qui reste d'un tiers inférieur à ce qu'il valait il y a cinq ans, lorsque A2A est entré au tour de table de la société. « Il en est pourtant le président mais jamais il n'a usé de son droit de veto pour s'opposer à la validation des comptes », observe, goguenard, un proche du dossier.

Gouvernance difficile
Derrière le célèbre Duomo de Milan, le siège imposant d'A2A, reconstruit après guerre, fait mine d'être serein. On y fait valoir la solidité à toute épreuve de Giuliano Zuccoli, le montagnard de Morbegno, né près de la frontière suisse, « qui était déjà là du temps de François Roussely ».

Le changement à la tête d'EDF ? « Un hasard de calendrier. » Peut-être. Mais un hasard qui tombe bien. Car la vieille régie électrique municipale de Milan, transformée en société par actions en 1996 et introduite en Bourse deux ans plus tard, digère péniblement sa fusion avec la régie des eaux et des déchets de Brescia, engagée en 2007. « Comme dans tout mariage, il a fallu construire la maison et choisir les meubles, explique l'entourage du président, malheureusement cela a pris plus d'un an et ne permettait pas, jusqu'ici, d'avoir une approche sereine du dossier Edison. »

Sereine, l'association avec EDF ne l'a jamais été. Il suffit de voir la complexité du montage capitalistique. Quand Fiat a vendu ses parts dans Edison, il y a maintenant plus de quatre ans, Pierre Gadonneix a convaincu A2A de partager à parité un holding de contrôle baptisé « Transalpina di Energia ». Les Italiens se sont alors associés à d'autres régies publiques - celles de Parme et des Dolomites, notamment -au sein de la société Delmi, où sont par ailleurs entrés Mediobanca et Banca Popolare di Milano.

Sauf que, de son côté, EDF a réussi à conserver une participation directe de presque 20 % dans Edison, de quoi contrôler de facto la majorité du capital de l'entreprise. En s'assurant de surcroît la présence de son allié Carlo Tassara, une société holding détenue par l'homme d'affaires Romain Zaleski, qui possède en direct une part de 10 %.

En termes de gouvernance, on pouvait difficilement faire plus compliqué. Résultat, Giuliano Zuccoli a beau être président d'Edison, le vrai patron, c'est le directeur général, Umberto Quadrino. Lequel rend compte à son principal actionnaire, EDF, dont il est membre du comité stratégique international !

« Entre les deux hommes, l'alchimie n'a jamais fonctionné », constate un banquier d'affaires milanais. Pour une raison simple : « Quand Quadrino investit 1 milliard d'euros en Egypte pour devenir un opérateur majeur dans les hydrocarbures, Zuccoli ne se sent pas concerné puisqu'il raisonne, à juste titre, à l'échelle des communes, explique cet expert. Et quand Edison, avec l'appui d'EDF, cherche à contrôler toute la chaîne jusqu'au client final, A2A crie à la concurrence déloyale dans la mesure où il fournit lui-même de l'énergie aux entreprises et aux particuliers. »

Accumulation de dettes
Pas sûr qu'A2A soit en position de force dans cette affaire. Le rapprochement avec Brescia a fait de lui le plus gros opérateur municipal de la péninsule dans l'eau et les déchets, alors qu'il ambitionnait de devenir un gros fournisseur de gaz et d'électricité. Difficile de faire marche arrière quand on a pour actionnaires des élus avides de retours sur investissement rapides. Car l'énergie est bien moins rentable que l'eau ou les ordures ménagères. Selon nos informations, elle n'a dégagé que 9 % de marge brute en 2008 chez A2A, contre 41 % pour la gestion des déchets.

Sur les neuf premiers mois de 2009, les profits d'A2A ont fondu comme neige au soleil et, comble de malchance, mi-octobre, l'entreprise a dû rembourser 244 millions d'euros d'aides de l'Etat, sur injonction de Bruxelles, pour des allégements d'impôts qui lui avaient été consentis au moment de sa privatisation, il y a dix ans.

Au bilan, la situation n'est guère encourageante : au 30 septembre dernier, la dette nette d'A2A était en hausse de 12 %, à 4,4 milliards d'euros. De quoi faire réfléchir quand on sait que Transalpina di Energia est pour sa part endetté à hauteur de 1,3 milliard et Edison à hauteur de 3,3 milliards. Sans parler d'Edipower, dont les centrales électriques, pour la plupart flambant neuves, cumulent une dette de 1,4 milliard.

Or Edison possède 50 % de ce « joyau » et A2A 20 % en direct ! Cela fait beaucoup pour une entreprise liée à la vie politique du pays et notoirement proche de Comunione e Liberazione, le lobby des « cathos affairistes », comme on les appelle à Milan. Des gens qui n'ont pas oublié qu'A2A a payé 1,3 milliard d'euros son ticket d'entrée dans Edison et Edipower. « Beaucoup de capitaux ont été mobilisés et, à ce jour, l'opération n'a généré aucun dividende », constate le même banquier.

L'accord avec Enel sème le trouble
« A l'époque, personne ne lui avait mis le pistolet sur la tempe », disent aujourd'hui les détracteurs d'A2A. De l'autre côté du Duomo, en tout cas, au siège historique d'Edison, on commence à s'agacer de toute cette agitation. Même si cette guéguerre est une très vieille histoire. « Elle dure depuis bientôt un siècle et a déjà fait tomber trois maires, raconte, laconique, Biagio Longo, porte-parole de Giulio Zuccoli.

N'oublions pas qu'AEM, l'ancêtre de A2A, avait été créée en 1910 pour contrer Edison. » Et si, au final, les Italiens s'entendaient entre eux pour divorcer d'EDF ? Une chose est sûre, ni l'un ni l'autre n'ont apprécié de voir le géant français boucler l'été dernier un accord avec l'électricien national Enel en vue de la relance du nucléaire en Italie.

« En faisant cela, EDF a montré qu'il voulait agir seul sur le marché italien et qu'il était prêt à sortir d'Edison du jour au lendemain », estiment en substance les intéressés. « Pas du tout ! », rétorque un baron du capitalisme transalpin : « En entrant dans Edison, EDF a investi pour au moins vingt-cinq ans. Certes, les Français paient le prix d'un partenariat contre nature avec A2A.

Mais Proglio ne peut pas sortir d'Edison et dire en même temps que l'Italie l'intéresse pour le nucléaire. Ou alors il quitte le pays pour de bon. » A moins que l'intérêt proclamé d'EDF pour l'atome italien ne soit destiné qu'à faire pression sur le gouvernement, afin que celui-ci l'aide à démêler l'écheveau Edison.

Scénarios pour une sortie de crise
« De toute façon, le programme nucléaire ne se fera jamais, prétend un adversaire du président du Conseil, cette affaire est née pendant la campagne électorale de 2008. En pleine flambée du pétrole, Berlusconi a vendu une solution aux Italiens pour réduire leur facture énergétique et, deux ans après, il ne s'est toujours rien passé. » Quoi qu'il en soit, « l'accord avec Enel redistribue incontestablement les cartes et place EDF en position de force face à A2A », affirme Matthieu Courtecuisse, directeur général du cabinet Sia Conseil.

De deux choses l'une. Ou A2A sort du dispositif. Au niveau où se trouve l'action Edison, il y perdrait des plumes. Ou bien c'est le scénario de la scission qui est retenu, le gaz pour EDF et l'électricité pour A2A. Mais ni EDF, ni le gouvernement, ni a fortiori Edison, ne veulent en entendre parler. Reste l'idée d'une fusion entre Edison et A2A. Avantage : c'est le seul schéma qui ne nécessiterait pas le lancement d'une OPA. Inconvénient : EDF ferait remonter toutes ses parts dans Transalpina di Energia et se trouverait automatiquement dilué dans le nouvel ensemble avec 30 % du capital, à égalité avec A2A.

Jean-Louis Mathias, l'un des directeurs généraux délégués d'EDF, glissait récemment en privé qu'il vaudrait mieux rester « petit chez soi » que devenir « grand chez les autres ». Apparemment, Henri Proglio penche pourtant pour cette solution. Au risque de fâcher Enel, qui aurait alors face à lui un concurrent plus puissant. Un autre imbroglio en vue...

 


Les Echos, 4/1/2010: 

Areva est fragilisé après l'échec cinglant de la France aux Emirats arabes unis

Les deux champions français de l'atome, EDF et Areva, ont vécu des bouleversements avec la nomination d'Henri Proglio, ses réflexions sur la filière et, surtout, l'échec aux Emirats arabes unis face aux sud-coréens.

Nous sommes le 17 juillet. Dans un Stade de France sponsorisé pour la première fois par Areva, la star jamaïquaine du sprint Usain Bolt tente de battre un nouveau record. L'événement est retransmis dans le monde entier.

Pour Anne Lauvergeon, c'est une forme de consécration : huit ans après la fusion qu'elle a orchestrée entre Framatome, le concepteur de réacteurs, et Cogema, le spécialiste des mines et du combustible, le géant de l'atome s'est imposé parmi les grands noms français de l'énergie, aux côtés d'EDF, de GDF Suez ou de Total.

En outre, le « meeting Areva » fait la démonstration que l'atome n'est plus tabou. Les supporters portent sans complexe des coupe-vent aux couleurs du champion mondial du nucléaire.

Mais toute cette oeuvre reste fragile et Areva a été plus que jamais au coeur de la tourmente en 2009. L'Etat actionnaire a certes accepté ce qu'Anne Lauvergeon attendait depuis des années : une augmentation de capital auprès d'investisseurs étrangers. Mais, pour cela, « Atomic Anne » a dû accepter de vendre sa précieuse filiale de transmission et de distribution, Areva T&D.

L'année avait déjà commencé en janvier par l'annonce inattendue du retrait du partenaire allemand Siemens de leur filiale commune de réacteurs Areva NP. Elle s'est poursuivie avec de nouveaux retards sur le chantier de l'EPR finlandais et une brouille spectaculaire avec son client TVO. Le tout couronné par un début de remise à plat de la filière nucléaire française, rendue encore plus nécessaire par l'échec cinglant de l'équipe de France aux Emirats arabes unis.

Concurrence redoutable
La cession de T&D est lancée fin juillet. Commence alors un appel d'offres épique, où le duo tricolore composé d'Alstom et Schneider Electric, parti très sûr de lui, va finalement affronter la concurrence redoutable de l'américain General Electric et du japonais Toshiba. Au final, Patrick Kron et son partenaire Jean-Pascal Tricoire remportent la mise pour 4,2 milliards d'euros. Mais le choix de l'Etat, soupçonné d'avoir aidé le tandem français à s'aligner sur des offres rivales plus généreuses, donne lieu à une polémique sur le patriotisme économique.

De son côté, Anne Lauvergeon a vendu cet actif contre son gré, mais à un prix inespéré, quatre fois celui qu'elle avait payé à Alstom cinq ans plus tôt. Ce demi-succès n'est qu'un répit. Car la patronne d'Areva, objet de rumeurs chroniques de démission forcée, a en face d'elle un nouvel ennemi en la personne d'Henri Proglio, le tout nouveau patron d'EDF. Fort de sa nomination par le président de la République, celui-ci arrive aux commandes de l'électricien public en appelant à tout remettre à plat.

L'ancien PDG de Veolia estime en effet que la filière nucléaire tricolore ne fonctionne pas. Il en veut pour preuve les retards répétitifs du chantier finlandais. L'échec du consortium associant Areva à GDF Suez et Total dans l'appel d'offres géant d'Abu Dhabi, qui a préféré signer avec les sud-coréens, n'a sans doute fait que confirmer ses vues.

Le successeur de Pierre Gadonneix milite pour un débat ouvert et lance des hypothèses décapantes, mettant clairement en doute l'intérêt du modèle intégré d'Areva. Bref, ce n'est plus l'avenir d'Anne Lauvergeon qui est en jeu, mais celui de son bébé.

Celle-ci, dont le talent s'exerce au mieux dans l'adversité, dispose cependant de relais puissants. Quelques jours après les déclarations d'Henri Proglio, au passage soutenu par Patrick Kron, François Fillon recadre le nouveau patron d'EDF.

Mais, dans la foulée, l'Elysée confie une mission sur l'avenir de la filière nucléaire française à François Roussely, l'ancien PDG d'EDF qui est aussi un proche d'Henri Proglio. L'année 2010 s'annonce comme celle des grandes mises au point...

 


Les Echos, 29/12/2009: 

Dossier Les Echos - Atomes fourchus - Echec de l'EPR à Abou Dhabi

Atomes fourchus

Il y a des jours où le fait de n'être pas coté a ses avantages. Areva a cette chance, car ce n'est pas avec à peine 1,5 million d'euros échangés ce lundi sur ses certificats d'investissement que l'on peut parler d'une réaction boursière. Pourtant, au-delà de l'humiliation subie par tous les acteurs français impliqués dans l'échec aux Emirats arabes unis, c'est bien Areva qui en subira les conséquences les plus lourdes. La victoire coréenne a ceci de troublant qu'elle va d'abord au pays qui disposait du plus faible levier politico-diplomatique, ensuite à la technologie présentée comme la moins convaincante en termes de sécurité, et enfin au consortium qui a le plus soigné l'économie de son offre, jusqu'au prix final du kilowattheure. Ce triomphe d'un pragmatisme bien compris entre client et fournisseur est à lire comme un démontage de l'approche française où le nucléaire est un enjeu trop sérieux pour être laissé aux seuls industriels et où les questions de sécurité, cruciales, l'emportent sur celles de compétitivité, plus triviales. Il n'est pas acquis qu'eût-il été plus tôt et mieux uni, le pack français eût abouti à une conclusion plus heureuse : tout aussi cuisant, l'échec de l'équipe américaine le suggère. Le marché mondial du nucléaire révèle ainsi sa physionomie : au lieu de se partager entre membres d'un club très restreint, tentant d'extraire une rente économique de leur prééminence politique et technologique autoproclamée, il se fragmente sous la pression de clients très variés. C'est ce qui justifiait le choix de Pierre Gadonneix de focaliser EDF sur quatre pays jugés assez sérieux pour s'offrir le nucléaire à son prix.

 

La filière française à l'aube d'une lourde remise en cause

Le résultat de l'appel d'offres d'Abu Dhabi suscite des interrogations sur la stratégie commerciale du camp français. Mais aussi sur la capacité de l'EPR à s'exporter.
Quelles seront les conséquences de l'échec d'Abu Dhabi ? En attribuant un contrat de 20,4 milliards de dollars au consortium mené par le coréen Kepco, l'émirat condamne le camp français à une lourde remise en question. Longtemps donnés favoris, les champions de la filière nucléaire tricolore ont été battus par le concurrent qu'ils jugeaient au départ le moins dangereux. Areva, GDF Suez et Total se battaient sur ce contrat emblématique depuis plus de deux ans. En janvier 2008, les trois groupes avaient annoncé leur candidature pour la construction de réacteurs nucléaires
[dit] de troisième génération avant d'être rejoints ces derniers mois par EDF, à la demande expresse de l'Elysée. Aujourd'hui, ce revers suscite de multiples interrogations. L'EPR était-il adapté ? Faut-il revoir la stratégie commerciale ? Remettre à plat la filière française ?

· Mettre un terme aux zizanies
A l'évidence, l'échec du camp français va donner du grain à moudre à ceux qui militent pour une réorganisation. Voilà un mois, Nicolas Sarkozy a confié une mission de réflexion à François Roussely, afin de baliser l'avenir de la filière et de mettre un terme aux zizanies. Quels sont les scénarios possibles ? Une première option, défendue par le nouveau patron d'EDF, Henri Proglio, consisterait à redonner à l'électricien tricolore un rôle de premier plan. En novembre, Henri Proglio avait critiqué la « pagaille » qui régnait dans la filière. Soucieux de leur indépendance, les autres acteurs plaident pour une organisation plus souple. Grosso modo, les poids lourds du secteur se répartiraient les pays intéressés par le nucléaire, l'essentiel étant d'éviter des changements de dernière minute, comme à Abu Dhabi. Autre option, un démantèlement d'Areva. Une hypothèse semble-t-il peu probable. Après avoir évoqué la nécessité de repenser les rôles d'Areva et du CEA, le patron d'EDF s'était fait recadrer par François Fillon et avait ensuite minimisé ses propos.

· L'EPR était-il adapté ?
L'appel d'offres d'Abu Dhabi suscite aussi des interrogations quant à la capacité d'Areva à vendre l'EPR à l'étranger. En proposant ce réacteur, la société a choisi de promouvoir un produit high-tech, qui
revendique les standards de sécurité les plus élevés au monde. « Les réacteurs proposés par le consortium coréen ne pourraient pas être installés en Europe ou aux Etats-Unis. Ils datent des années 1980 », explique-t-on du côté d'Areva. Kepco, évidemment, affirme le contraire, conformément d'ailleurs aux déclarations des émirats. Pour plusieurs observateurs, ce qui a fait la différence, c'est le prix. Et même dans un des pays les plus riches au monde, ce critère a été décisif. Autre désavantage, Areva ne dispose pas d'un réacteur de troisième génération comparable en puissance à celui du consortium coréen. Là où ce dernier propose 1.400 mégawatts avec son APR1400, l'EPR en affiche près de 1.600. L'avènement de l'Atmea, un réacteur de 1.100 mégawatts conçu en partenariat avec Mitsubishi, devrait élargir la gamme.

· Un coup dur pour GDF Suez
Abu Dhabi résumait à lui seul les ambitions de GDF Suez dans le nucléaire. Voilà un an et demi, le groupe envisageait de construire une centrale dans l'émirat mais aussi en Bulgarie, en Grande-Bretagne et en France. Pour l'instant, les résultats sont limités. Le groupe a obtenu une participation dans l'EPR de Penly, mais le chef de file du projet sera EDF. GDF Suez a aussi mis un terme à un projet de coopération avec RWE pour construire une centrale en Bulgarie. Enfin, le groupe s'est contenté d'acheter un terrain au Royaume-Uni. Les grands gagnants des enchères britanniques lancées mi-mars par la NDA, l'autorité chargée du nucléaire civil outre-Manche, ont été EDF, E.ON et RWE.

· Un impact sur l'augmentation de capital d'Areva
L'échec de dimanche aura un impact sur le prochain chantier du groupe nucléaire : son projet d'augmentation de capital d'environ 2 milliards d'euros. Le fonds souverain d'Abu Dhabi faisait partie des investisseurs potentiels, au même titre que le japonais Mitsubishi Heavy Industries ou que les fonds souverains du Koweït ou de Dubaï. Désormais, il est fort peu probable que le premier monte au capital. Cette situation va donner une plus grande marge de manoeuvre à Mitsubishi Heavy Industries pour payer sa participation au juste prix ou pour négocier des contreparties. Il pourrait ainsi demander un siège au conseil de surveillance, ou des échanges technologiques.

 

La Corée du Sud frappe à la porte des grands du nucléaire civil

Avec le contrat de 20 milliards de dollars remporté dimanche à Abu Dhabi, Kepco signe sa première référence à l'export. Fort de son avantage compétitif, l'électricien public coréen et ses partenaires ne veulent pas en rester là.

Le clan très fermé des pays capables de vendre des centrales nucléaires compte depuis dimanche un membre de plus, la Corée du Sud. Et il a frappé fort d'entrée. Tout auréolé du contrat de 20 milliards de dollars pour la construction de quatre centrales aux Emirats, Kepco et ses partenaires ont non seulement réussi à battre deux des nations les plus avancées en la matière, la France, qui avait envoyé dans la bataille tous ses champions autour d'Areva, et le couple américano-japonais au travers du tandem General Electric-Hitachi.

Mieux, cette première référence à l'export intervient dans le premier pays arabe du Golfe à passer à l'atome, avec la possibilité de construire plusieurs réacteurs supplémentaires. De quoi donner à réfléchir à ses voisins, nombreux à vouloir, eux aussi, s'affranchir des hydrocarbures pour leur consommation d'électricité. Cerise sur le gâteau, Séoul signe là son plus gros contrat à l'export depuis 1945, s'est félicité la présidence. Associé à deux autres mastodontes du secteur, Westinghouse et sa maison mère Toshiba, la filière nucléaire du pays du Matin-Calme apparaît donc en ordre de marche pour enrichir son tableau de chasse.

Des dizaines de clients potentiels. Pour Janice Dunn Lee, directeur général adjoint de l'Agence pour l'énergie nucléaire, une entité spécialisée de l'OCDE, une cinquantaine de pays dans le monde réfléchissent à la possibilité de se doter de centrales nucléaires. Même si tous ne passent pas à l'acte d'ici à 2050, a-t-elle expliqué à Dow Jones, on devrait en compter 1.040 en service contre 440 aujourd'hui [rappel: il n'y a aujourd'huit que pour environ 75 ans d'uranium, si on double le nombre de réacteurs... plus que 38 ans de nucléaire...]. Pour montrer qu'il entendait prendre une part du gâteau, Kepco a d'ores et déjà fait savoir qu'il lorgnait la construction de 10 autres réacteurs en Jordanie, en Turquie ou encore en Chine. « Les industriels coréens ne vont pas en rester là », confirme Lee Jin Woo, l'un des responsables du fonds KTP basé à Séoul, cité par Bloomberg. Pas étonnant, dans ces conditions, que la Bourse de Séoul ait salué la nouvelle par des bonds de plus de 10 % des titres de ses champions industriels, à l'inverse de celle de Paris, qui a sanctionné Areva par un recul de 1,81 %.

A l'heure du renouveau de l'atome, la concurrence va devoir trouver la parade à ce qui semble constituer l'un des avantages clefs de Kepco : sa compétitivité. Claude Guéant, le secrétaire général de l'Elysée, l'a reconnu lui-même (« Les Echos » d'hier) : si l'industriel asiatique l'a emporté à Abu Dhabi, c'est parce qu'il a garanti un prix d'électricité à trente ans inférieur à celui d'Areva. Sa recette ? Une armée de 20.000 spécialistes qui aident la Corée du Sud à maintenir ses 20 centrales en service (12 sont en projet), soit le cinquième parc mondial. A 93,3 %, le taux de disponibilité doit faire pâlir d'envie EDF. « Avec une telle base, nous sommes capables de construire des réacteurs plus vite que nos concurrents », affirme l'électricien, cité par Dow Jones. A l'en croire, la Corée du Sud a mis en service une centrale en 52 mois, lors qu'il en faut 57 aux Etats-Unis et 60 en France [60 pour le France ??? comme en Finland par exemple ??????? avec déjà 3 ans de retard!].

 


Nucléaire - La difficile quête de partenaires de Sarkozy

* La France cherche des partenaires étrangers pour sa filière nucléaire

* Les investisseurs réticents à s'engager dans des groupes publics

* Des accords sur les actifs sont plus probables

18/12/2009 - L'appel de Nicolas Sarkozy en faveur d'investissements étrangers dans le nucléaire français pourrait être accueilli avec scepticisme par des partenaires potentiels, qui hésitent à s'engager dans des sociétés publiques sur lesquelles ils n'ont aucune prise. Des acteurs à la fois financiers et industriels pourraient en revanche consentir des investissements ciblés dans des centrales afin de sécuriser des accords d'approvisionnement en électricité et de développer des compétences dans le nucléaire.

Le chef de l'Etat a déclaré le 14 décembre que la France aurait besoin de partenaires extérieurs pour développer sa filière nucléaire, "extrêmement consommatrice en capitaux". La France veut s'imposer comme un acteur incontournable dans le développement du nucléaire à l'international, le fabricant de réacteurs Areva visant notamment un tiers des nouvelles unités qui devraient être construites dans le monde d'ici à 2030.

Détenu à près de 91% par l'Etat français et à 2,4% par EDF, Areva prépare en outre une augmentation de capital de trois milliards d'euros pour compléter un plan censé lui permettre de financer son programme d'investissements de 11 milliards sur la période 2009-2012. EDF, dont l'Etat contrôle près de 85% du capital, a de son côté lancé un programme de cessions pour alléger sa dette financière d'au moins cinq milliards d'euros à fin 2010.

S'il n'obtient pas de l'Etat des hausses de tarifs de l'électricité en France, le groupe pourrait en outre devoir lever des capitaux sur les marchés. Mais selon des sources industrielles, la France aura peut-être plus de mal que prévu à trouver des groupes étrangers prêts à investir dans sa filière nucléaire, beaucoup de ces partenaires potentiels ne souhaitant pas prendre des parts minoritaires dans des sociétés sous la coupe de l'Etat.

LE "BON VOULOIR" DU GOUVERNEMENT

"Qui veut être soumis au bon vouloir du gouvernement Français, sans pouvoir et sans contrôle ? Certainement pas la majorité des acteurs susceptibles d'investir de manière significative", observe Alex Barnett, analyste chez Jefferies. Plusieurs banquiers et investisseurs qui suivent Areva et EDF estiment que des groupes européens ou asiatiques de services aux collectivités, de même que des fonds souverains du Golfe ou d'Asie, pourraient être intéressés par des participations dans les deux groupes français.

Ils jugent cependant que certains partenaires potentiels pourraient être freinés par la récente implication de l'Etat dans la vente de la filiale transmission et distribution (T&D) d'Areva, que nombre d'observateurs ont interprétée comme une nouvelle manifestation du "patriotisme économique" de la France. Malgré des offres financières supérieures de la part de candidats étrangers, Areva a en effet choisi le duo français Alstom -Schneider pour reprendre T&D. "On peut dire que certains investisseurs hésitent à se retrouver de nouveau embrouillés par les Français", estime un investisseur bien informé sur la vente de T&D.

Nicolas Sarkozy a laissé entendre le 14 décembre que Siemens serait le bienvenu s'il était intéressé par le nucléaire tricolore, regrettant que la France n'ait plus de "projets d'avenir" avec le groupe allemand après la sortie de Siemens d'Areva NP, la filiale de réacteurs du français. Ces déclarations ont laissé songeurs les observateurs du secteur de l'énergie, le groupe allemand ayant justement rompu son alliance dans les réacteurs avec Areva parce que l'Etat ne répondait pas à ses demandes de devenir actionnaire du groupe nucléaire.

"DYNAMIQUE D'APPRENTISSAGE"

La décision de Siemens de sortir d'Areva NP "a été prise faute de réponse de notre actionnaire majoritaire à ses demandes nombreuses et répétées", a souligné récemment devant l'Assemblée nationale Anne Lauvergeon, présidente du directoire d'Areva. "A ce stade nous pensons qu'il est peu probable que Siemens réponde de manière positive à ces signaux, si tant est qu'il réponde. De notre point de vue, il faudrait pour cela que la France et Areva offrent un accord plus attractif", estime Thomas Langer, analyste chez WestLB.

Abou Dhabi, où un consortium français convoite un contrat [un "flop monumental"] de quelque 40 milliards de dollars pour des centrales nucléaires, pourrait constituer une alternative. "L'Etat peut dire à Abou Dahbi : 'on vous donne les centrales à un bon prix et vous prenez une participation dans Areva ou EDF' ", estime un banquier français qui suit le secteur de l'énergie mais ne travaille pas directement sur le dossier Abou Dhabi.

Faute d'une prise de participation dans Areva, certains groupes européens - comme E.ON ou Enel - négocient leur entrée dans les réacteurs de nouvelle génération EPR construits en France. "Tout le monde (chez les groupes européens de services aux collectivités) veut participer à l'EPR afin de sécuriser une partie de la production d'électricité pour son marché domestique et se remettre dans une dynamique d'apprentissage", souligne Arié Flack, directeur général de la Compagnie financière du Lion, une banque d'investissement basée à Paris.

 


L'Elysée confie une mission sur le nucléaire à un ancien président d'EDF

3/12/2009 - Nicolas Sarkozy a chargé l'ancien patron d'EDF François Roussely, actuellement vice-président du Crédit suisse, de conduire "une étude approfondie sur l'avenir de l'énergie nucléaire civile", a confirmé jeudi l'Elysée à la suite d'une information du quotidien Les Echos.

"Cette étude devra envisager l'évolution du nucléaire civil à l'horizon 2030 dans l'ensemble de ses dimensions", "déboucher sur des orientations concrètes échelonnées dans le temps et (...) souligner et éclairer les décisions que devra prendre l'Etat vis-à-vis de la filière nucléaire", précise la lettre de mission envoyée par le chef de l'Etat à M. Roussely.

Parmi les thèmes de réflexion confiés à l'ancien patron d'EDF figurent "la place du nucléaire" dans la politique énergétique, "la sécurité et la pérennité de nos approvisionnements en uranium" ou la "compétitivité du nucléaire". En matière industrielle, Nicolas Sarkozy demande à François Roussely de plancher sur "l'organisation industrielle et la place de l'Etat" dans la filière, de livrer une "analyse concurrentielle" du secteur et de définir une "stratégie politique et industrielle en matière d'alliances et de partenariats", selon son courrier.

Le chef de l'Etat a chargé l'ex-patron d'EDF de 1998 à 2004 de constituer autour de lui un "groupe de travail restreint composé d'experts de haut niveau" et de lui remettre les résultats de son étude "à la fin du mois d'avril 2010". Selon Les Echos, une première réunion s'est tenue mardi sous l'égide du secrétaire général de l'Elysée, Claude Guéant, en présence de François Roussely, du nouveau PDG d'EDF Henri Proglio, et des patrons d'Areva Anne Lauvergeon et de GDF Suez Gérard Mestrallet.

Cette mission confiée par le chef de l'Etat intervient après les récentes déclarations d'Henri Proglio, qui a souhaité que l'ensemble de la filière nucléaire se range "derrière EDF" et jugé que la fusion entre Framatome et Cogema, qui a donné naissance au groupe nucléaire Areva en 2001, était "probablement une erreur". Après un recadrage de l'Etat, actionnaire majoritaire d'EDF et d'Areva, M. Proglio est par la suite revenu sur ces propos dans un entretien au Figaro.

Le Premier ministre François Fillon avait rappelé que "le leader" de la filière nucléaire était "l'Etat", lors d'une visite sur le chantier du réacteur nucléaire de Flamanville (Manche) jeudi dernier. EDF et Areva se disputent depuis plusieurs années le leadership de la filière nucléaire française.

 


Borloo va convoquer une réunion sur l'organisation de la filière nucléaire

24/11/2009 - Le ministre de l'Ecologie et de l'Energie, Jean-Louis Borloo, va convoquer une réunion "dans quelques semaines" sur l'organisation de la filière nucléaire, alors que le nouveau patron d'EDF a plaidé pour une réorganisation du secteur. "C'est mon rôle de réfléchir au fonctionnement de la filière française, de savoir s'il y a un chef de file ou pas", déclare M. Borloo dans un entretien au quotidien Libération.

"Il y aura dans quelques semaines une réunion sur le sujet, pour remettre les choses sur la table en termes de fonds propres, d'organisation. Le nucléaire n'est pas un produit comme un autre", ajoute le ministre. La date précise et la liste des participants à cette réunion n'a pas encore été fixée, a indiqué un porte-parole du ministère de l'Energie.

Dans un entretien au quotidien Les Echos de lundi, le nouveau patron d'EDF, Henri Proglio, juge que toute la filière nucléaire doit "se ranger derrière EDF", estimant qu'elle ne fonctionne pas dans "la configuration actuelle". Le groupe nucléaire Areva et l'électricien EDF se disputent depuis plusieurs années le leadership du nucléaire français.

Par ailleurs, M. Borloo indique à Libération qu'une autre réunion se tiendra "dans quinze jours" pour réfléchir au "problème de disponibilité des centrales". La France a été importatrice nette d'électricité en octobre pour la première fois depuis 27 ans en raison d'un grand nombre de réacteurs nucléaires à l'arrêt.

 


Les Echos, 23/11/2009:

EDF: les chantiers du président

Le nouveau président d'EDF, Henri Proglio, prend ses fonctions aujourd'hui, à la place de Pierre Gadonneix. C'est seulement le 15ème président de l'entreprise publique depuis 1946, et c'est donc un événement.

Henri Proglio est une figure nouvelle dans le paysage d'EDF : à un poste où ont défilé des polytechniciens, des énarques, un ancien ministre, c'est la première fois qu'un diplômé de HEC, un « épicier » comme on dit, devient numéro un. Henri Proglio vient du secteur privé, de Veolia, dont il a fait le leader mondial des services de l'eau et où il gardera d'ailleurs un strapontin. Surtout, il n'est pas du genre langue de bois.

On vient de le voir avec des confidences musclées sur son rêve qu'EDF prenne la tête de la filière nucléaire française, ce qui a été perçu comme une attaque contre Areva. Il a dit tout haut ce que pense Nicolas Sarkozy mais s'est fait recadrer pour la forme par Christine Lagarde. Commentaire de Pierre Gadonneix, le sortant : « Bienvenue au club ». EDF est, il est vrai, l'entreprise la plus médiatisée de France !

Plusieurs chantiers attendent le nouveau PDG. A court terme, il faut rassurer les Français sur la capacité d'EDF à fournir de l'électricité en quantité suffisante. Pour la première fois depuis 27 ans, la France a dû importer de l'électricité en octobre parce que la disponibilité du parc nucléaire est faible (78% au lieu de 90%). La faute à des pannes, à un manque d'investissements passés, à l'organisation du travail. Aujourd'hui, des coupures de courant sont possibles en Bretagne, à Nice !

Pendant le mandat de Pierre Gadonneix, les investissements ont redécollé en France - c'est le côté positif de son bilan -, mais ils se verront en 2010. Pour l'instant, on voit surtout les investissements à l'étranger, en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis, stratégiques, mais onéreux. Le testament de Pierre Gadonneix est du coup qu'EDF ne pourra pas continuer à vendre aux Français un courant à un prix inférieur au coût de revient comme aujourd'hui : il a redit hier au JDD qu'il faudra un jour augmenter les tarifs fortement.

A moyen terme, sur le plan industriel, Henri Proglio reproche à EDF d'avoir un seul produit à son catalogue, l'EPR, le réacteur nucléaire [dit] de troisième génération, qui a du retard à l'allumage en Finlande et à Flamanville.

Mais LA question est celle de l'organisation de la filière nucléaire, notamment pour l'étranger. Entre Areva, EDF, Total, GDF Suez, cela fait beaucoup de Français. (Des ingénieurs d'EDF et d'Areva inventent des procédés différents qu'il faut ensuite harmoniser !) Pour le contrat d'Abbu Dhabi, cela a créé de la confusion et conduira peut-être à l'échec. En face, c'est plus simple : un tandem General Electric - Hitachi et un autre Siemens-Rosatom (russe). Henri Proglio voudrait un seul patron, lui bien sûr, avec l'éclatement d'Areva (dont il voudrait reprendre la branche réacteurs, l'ex-Framatome). Anne Lauvergeon, la patronne d'Areva, elle, n'en veut pas.

Sur le plan social, enfin, la tranquillité n'est pas garantie. Mais les salariés de toute la filière énergétique ont obtenu jeudi dernier une hausse moyenne des salaires de 2,8% l'an prochain. Peu de salariés en France peuvent en dire autant

 


Les Echos, 23/11/2009:

Les chantiers d'EDF

Henri Proglio, qui prend ce lundi la présidence d'EDF, ne manque pas de dossiers urgents à traiter : modernisation de l'outil industriel, lutte contre une concurrence de plus en plus acharnée, transformation de l'essai à l'international A ces sujets stratégiques qui occupaient déjà son prédécesseur, Henri Proglio en a ajouté deux. Il veut à la fois multiplier les synergies avec Veolia - l'entreprise qu'il dirigeait jusque-là et sur laquelle il continuera de disposer d'un étroit droit de regard - et en même temps redessiner les contours de la filière nucléaire hexagonale en démantelant Areva et en faisant d'EDF le pivot de l'excellence française en ce domaine.

Vouloir rapprocher EDF et Veolia pour donner à ces groupes, encore très hexagonaux, la taille leur permettant de s'imposer plus facilement sur la scène mondiale a sans doute du sens. Chercher à reconstituer une équipe de France unie et intégrée pour mieux exporter sa compétence nucléaire peut également se comprendre. A l'heure où la planète rêve de sources d'énergies moins émettrices de CO2, la France doit effectivement étudier toutes les pistes permettant de donner à ses ingénieurs les moyens de transformer leur savoir-faire technique dans l'atome en une réussite commerciale sur les marchés étrangers..

Pour atteindre ses objectifs, Henri Proglio devra néanmoins éviter deux écueils : la précipitation et la dispersion. Aller vite sur des dossiers aussi complexes serait en effet prendre le risque d'aller trop vite. Dans les métiers du nucléaire au cycle long, chaque décision demande à être mûrement réfléchie. Ainsi, en entrant au capital d'un nouvel Areva, EDF pourrait certes enrichir par son expertise la force de frappe du spécialiste français des réacteurs. Mais est-il si certain que l'EDF-Areva fournisseur de solutions arrivera encore à vendre des EPR à des électriciens concurrents d'EDF sur la scène mondiale ? Une phase de réflexion s'impose avant de faire un tel pari.

Surtout, tout aussi important qu'il soit, ce chantier de la refonte de la filière nucléaire française doit-il être la priorité du nouveau patron d'EDF ? En se dispersant, en mettant son énergie au service des ambitions industrielles de la France, Henri Proglio court aussi le risque de quelque peu délaisser les sujets stratégiques qui concernent l'avenir immédiat d'EDF. Avant de vouloir relancer Areva et le nucléaire, Henri Proglio doit peut-être commencer par relancer EDF.

 


Les Echos, 23/11/2009:

Henri Proglio prend aujourd'hui les rênes d'EDF

S'il a surpris son monde en préconisant le démantèlement d'Areva, le successeur de Pierre Gadonneix a d'abord l'intention de changer les choses au sein de l'électricien public.

Cela ressemble à un rappel à l'ordre pour Henri Proglio. La ministre de l'Economie Christine Lagarde a déclaré vendredi sur RTL que le nouveau patron d'EDF devait "d'abord s'occuper de ses dossiers" avant de refondre la filière nucléaire française. De fait, s'il a surpris son monde en préconisant le démantèlement d'Areva, le successeur de Pierre Gadonneix a d'abord l'intention de changer les choses au sein de l'électricien public. Avec cinq dossiers prioritaires.

Constituer une nouvelle équipe

Réputé homme de clan, le patron historique de Veolia a besoin d'avoir confiance dans ses équipes. Celles en place chez EDF seront donc scrutées avant d'être confirmées. Des rumeurs lui prêtent l'intention de venir avec son directeur financier, Thomas Piquemal. Mais cela reviendrait à se séparer de Daniel Camus, qui incarne la crédibilité d'EDF auprès des marchés financiers. Vu la loyauté d'Henri Proglio vis-à-vis de François Roussely, il est probable que des proches de l'ancien patron d'EDF reviennent en odeur de sainteté avec son arrivée.

Bloquer la réforme du marché de l'électricité

Henri Proglio s'oppose à la réforme du marché de l'électricité que François Fillon s'est engagé à appliquer auprès de la Commission européenne. Dans un souci d'ouverture à la concurrence, elle vise à donner aux concurrents d'EDF un accès à son énergie nucléaire à prix coûtant. "J'ai dit non ! Si on fait cela, la société ne vaut plus rien", s'insurge le nouveau patron. Quitte à ouvrir le marché, il semble davantage prêt à vendre des capacités à des concurrents d'EDF, qui les géreraient eux-mêmes. Mais pas forcément à GDF Suez.

Renforcer les compétences

Ces dernières années, l'électricien tricolore a multiplié les embauches pour remplacer les départs à la retraite et préparer le renouveau attendu du nucléaire. Henri Proglio estime cependant que les ressources humaines du groupe sont encore très en retard . Pour satisfaire l'ambition industrielle qu'il a pour EDF, il veut clairement renforcer les compétences d'ingénierie. "Il faut les moyens technologiques et humains pour faire face" si le groupe doit construire des réacteurs nucléaires, des barrages ou des centrales thermiques un peu partout dans le monde.

Mieux gérer le parc nucléaire

L'équipe précédente a lancé un important programme d'excellence opérationnelle pour améliorer la disponibilité du parc nucléaire, via un nouveau système informatique et une nouvelle organisation du travail. Mais les résultats se font attendre. A 78%, le taux de disponibilité des centrales d'EDF prévu cette année reste très inférieur à celui de ses concurrents. Même si les analystes tablent sur un redressement l'an prochain, Henri Proglio veut aller plus loin. Areva lui a d'ailleurs fait des propositions pour aider EDF à mieux gérer ses arrêts de tranche.

Préparer le rapprochement avec Veolia

Henri Proglio souhaite qu'EDF se renforce au capital de Veolia et devienne un partenaire industriel de long terme. Premièrement, en profitant de son puissant réseau international. "On est au contact au quotidien avec les décideurs politiques de nombreux pays", affirme celui qui restera président non exécutif du leader mondial de l'eau. Deuxièmement, en s'appuyant sur son expertise dans la distribution. Troisièmement, en jouant sur les complémentarités entre un Veolia actif dans les énergies décentralisées et un EDF fort dans les gros moyens de production.

 


Médiapart, 14/8/2009: 

EDF, le mensonge de l'augmentation

Avec le recul, la gaffe politique du PDG d'EDF, Pierre Gadonneix, prend sa véritable dimension: il a juste commis l'erreur de vendre la mèche à l'opinion publique. Car derrière les 1,9% de hausse de tarifs de l'électricité ­ une hausse raisonnable comme l'a soutenu avec aplomb la ministre des finances, Christine Lagarde ­, se cache en fait une révolution tarifaire que le gouvernement n'a pas le courage politique d'assumer.

En pleine crise, il met à bas une partie du système français. A la lecture de leurs prochaines factures, de nombreux ménages vont commencer à mesurer l'ampleur de la cachotterie. Pour eux, les augmentations pourraient s'élever à 6% voire 10% par an. Dans la droite ligne des 20% de hausses sur trois ans demandés par Pierre Gadonneix.

Tout s'est concocté dans la plus grande discrétion. Sans débat public, sans la moindre concertation, le gouvernement a entrepris dans le secret de ses cabinets de rebâtir tout le système tarifaire régulé de l'électricité en France. L'objectif officiel de cette refonte est de mieux prendre en compte, comme le demandait la Commission de régulation de l'énergie (CRE) les coûts réels de transport et de distribution, afin d'augmenter les tarifs et de favoriser une meilleure concurrence en France. En sous- main, il s'agit en fait de la pierre angulaire du nouveau système visant à en finir à plus ou moins brève échéance avec les tarifs régulés.

Pour comprendre l'ampleur des changements, il faut se reporter aux années précédentes. L'an dernier, trois lignes seulement avaient suffi dans le Journal officiel du 14 août 2008 pour donner les augmentations des principaux tarifs d'électricité, ceux pour les particuliers augmentant alors de 2%. Cette année, il n'y a pas moins de vingt pages dans le Journal officiel du 14 août détaillant les différents tarifs pour les particuliers, les professionnels, les entreprises, les prix outre-mer, ou les tarifs entre les heures creuses et heures pleines. Une remise à plat totale.

Il faudra du temps pour pouvoir mesurer la portée réelle des modifications apportées à un système tarifaire par nature complexe, et aujourd'hui volontairement obscurci. Des tarifications ont été supprimées, les modes de calcul pour d'autres ont été totalement révisés. Mais les changements apportés au système de base pour les particuliers donnent déjà un petit aperçu de ce qui se prépare. Ainsi le prix de l'abonnement (hors taxes) pour les plus petites installations (3 kVA) passe de 21,48 euros à 58, 42 euros, soit 172% d'augmentation. Pour EDF, ces petits compteurs coûtent cher. De plus, rappelle-t-il, ils ne représentent que 8% de l'électricité consommée.

Mais il en va de même pour les abonnements pour la puissance juste supérieure (6kVA) qui forme une bonne partie des abonnements des particuliers ne se chauffant pas à l'électricité: ils passent de 54,48 euros à 67, 47 euros, soit 24% de hausse. On est très loin de l'esprit de la charte de service public signé en 2005 entre l'Etat et EDF qui stipulait que les prix ne devaient pas dépasser l'inflation. Mais le gouvernement ne semble guère se sentir tenu par la signature de l'Etat.

Les petits consommateurs vont payer pour les gros

Dans son avis sur cette réforme tarifaire, la CRE d'ailleurs ne le cache pas. «Les tarifs bleus résidentiels de petites puissances (3 et 6 kVA) connaissent des augmentations de facture d'autant plus élevées que la consommation du site est faible(plus de 10 % sur des consommations inférieures à 1 000 kWh)», reconnaît-elle. En revanche, remarque-t-elle, «la facture baisse d'autant plus que la consommation s'élève». De fait, les abonnements de base pour des puissances élevées diminuent de 15%, quand le prix de kWh pour ces catégories augmente à peine. En clair, le gouvernement a délibérément choisi de d'imposer les plus faibles, ceux qui consommaient le moins, particuliers comme petites entreprises, au profit des plus gros, dans un calcul parfaitement cynique, au mépris de la crise.

Selon les premières estimations de la CRE, cette réforme tarifaire pour les particuliers et les toutes petites unités professionnelles devrait se traduire par une baisse allant jusqu'à 15% pour 22% des sites qui ont souscrit à de tels abonnements. Pour les 78% restants, la hausse serait de l'ordre de 2 à 15% ­ une grande majorité étant entre 2 et 6% ­, ce qui représente un surcoût annuel de 20 à plus de 60 euros. Au total, 3 millions de sites pourraient subir des augmentations supérieures à 10% et 1,5 million au-delà de 15%.

Le même mouvement se confirme pour les tarifs industriels: les petits vont payer pour les gros, comme le confirme l'avis de la CRE. «Les baisses de facture les plus importantes sont concentrées sur les sites ayant de fortes consommations. Les hausses de facture les plus importantes concernent essentiellement les clients à faible consommation.» Manifestement, le gouvernement et en particulier le ministère de l'écologie qui a supervisé tout le processus tarifaire, n'a pas vu de contradiction entre ce dispositif et le Grenelle de l'environnement. Le thème des économies d'énergie reste pour les estrades publiques.

Mais ce n'est pas la seule aberration du système. Alors que EDF est désormais importateur net d'électricité, connaît de grandes difficultés à fournir l'ensemble du réseau en périodes de pointe en hiver, il a décidé de revoir sa politique sur les tarifs dit d'effacement (EJP). Lors de période de pointe, certains gros consommateurs acceptent de ne plus utiliser d'électricité ­ de s'effacer du réseau ­ en contrepartie, ils disposent de prix privilégiés le reste du temps. EDF semble juger aujourd'hui que ce système lui est préjudiciable: les tarifs EJP vont donc augmenter de plus de 6% afin de dissuader les nouveaux candidats. EDF explique qu'il lui fallait revoir ces tarifs qui ne reflétaient pas la réalité des coûts de transport et de distribution. Mais cela ne change en rien, assure-t-il, sa politique pour les économies d'énergie.

Vers un démantèlement des tarifs régulés.

Qui a imaginé ce nouveau système? Quel responsable politique l'a supervisé? Pour l'instant tout le monde se cache derrière la technicité de la question pour ne pas en revendiquer la responsabilité, en espérant que tout s'oublie. L'édifice qui se construit sous nos yeux, toutefois, est tout sauf innocent. Car c'est bien la fin des tarifs régulés qui sous-tend toute cette révision.

Il faut s'y préparer, soutient le gouvernement, en rappelant que les tarifs régulés sont prévus par la loi jusqu'en 2010. Mais contrairement à ce qu'il dit, le système régulé n'est pas interdit par la Commission européenne. L'Autorité de la concurrence le rappelle dans son avis très sévère sur la modification des tarifs. «Quinze pays de la communauté appliquaient des tarifs réglementés pour la vente de l'électricité au 1er juillet 2009», insiste-t-elle. Certains, poursuit-elle, ont annoncé des aménagements comme l'Espagne. Mais ce dernier pays a choisi de les remettre en cause pour les industriels et de le conserver pour les particuliers.

Le gouvernement français, lui, semble privilégier la voie inverse. Les modes de calcul qu'il met en place paraissent en tout cas l'indiquer. Comme le remarque l'Autorité de la concurrence, la péréquation est désormais en voie d'implosion. Edf n'a plus l'obligation de couvrir ses coûts dans son ensemble mais pour chaque catégorie tarifaire. Celles-ci sont désignées par arrêté ministériel, sans que l'on sache quels coûts lui sont rapportés. Tout est fait dans l'opacité, dépendant de l'arbitraire étatique ou de la technostructure. «Une telle solution n'est pas satisfaisante, car elle ne répond pas à l'objectif de transparence assigné au texte et prive les consommateurs de sécurité juridique», note-t-elle.

Ces remarques n'ont pas été entendues. Le gouvernement a désormais les mains libres pour organiser le marché de l'électricité comme il l'entend. Les appétits privés qui lorgnent sur la rente nucléaire que se sont constitués les Français depuis les années 1970 vont pouvoir intensifier leurs pressions. Ils ont toutes les chances d'être satisfaits.

[1] http://www.mediapart.fr/files/Michel Dalloni/800px-Pylones_electriques_6107.jpg
[2] http://www.mediapart.fr/files/jo._pdf.pdf
[3] http://www.mediapart.fr/files/09810AvisTarifsVenteElectricite1.pdf

 


Le Monde, 17/7/2009: 

Le débat sur les tarifs met le PDG d'EDF sur la sellette

Quand il roulera à vélo sur les routes en lacets du Var, durant ses vacances d'août, une question va sans doute trotter dans la tête de Pierre Gadonneix : son renouvellement, en novembre, à la présidence d'EDF. Les spéculations fleurissent depuis que le PDG du groupe d'électricité a réclamé une augmentation de 20 % des tarifs des particuliers étalée sur trois ou quatre ans (Le Monde du 10 juillet).

Les critiques de la gauche, des syndicats et des associations de consommateurs se sont immédiatement abattues sur "Gado", comme celles d'une partie de la droite et de certains ministres. Celles-ci sont d'autant plus étonnantes que le gouvernement prépare une révision - et probablement une hausse - des tarifs à la suite de la remise du rapport de la commission Champsaur sur "l'organisation du marché de l'électricité" aux ministres de l'économie et de l'écologie, Christine Lagarde et Jean-Louis Borloo.

Le sort du patron d'EDF est scellé, il ne sera pas reconduit, affirme le journal en ligne Mediapart, tout comme Le Canard enchaîné du 15 juillet, qui évoque la colère du président de la République, Nicolas Sarkozy, après les déclarations de M. Gadonneix. "C'est l'actionnaire qui décide des hausses. Oui, cette déclaration a irrité le président", reconnaît un de ses proches conseillers, tout en refusant d'établir un lien entre ce dossier sensible et l'avenir de M. Gadonneix à la tête d'EDF. Un limogeage ? "Cette information n'est pas fondée", réplique une source gouvernementale citée par l'agence Reuters.

Il reste que les motifs de mécontentement s'accumulent : mauvaise communication sur la hausse des tarifs, polémique sur l'endettement du groupe (24,5 milliards d'euros fin 2008), grève dans les centrales nucléaires en mai et juin, qui coûtera plusieurs centaines de millions d'euros à EDF. M. Gadonneix s'en expliquera le 29 juillet, en présentant les résultats d'EDF au premier semestre 2009.

Les critiques sont venues de l'entourage même de M. Sarkozy. "Il serait anormal de faire payer au consommateur français des erreurs d'investissement à l'étranger", a lancé son conseiller spécial, Henri Guaino, dans un récent entretien au Parisien, sans préciser les investissements en cause. S'agit-il des opérations que François Roussely, prédécesseur de M. Gadonneix, avait réalisées en Amérique du Sud ? Son successeur les avait jugées "hasardeuses" dès sa nomination en 2004 et il a cédé les filiales argentine et brésilienne en2006 et 2007.

A moins que M. Guaino évoque l'acquisition de 50 % de l'activité nucléaire de l'américain Constellation Energy et surtout le rachat des centrales nucléaires de British Energy, la plus grosse opération de croissance externe de l'histoire d'EDF (13,5 milliards d'euros). Une telle accusation est étonnante de la part d'un proche conseiller de M. Sarkozy. L'Etat, actionnaire à 85 % du groupe, dispose en effet de plusieurs représentants au sein du conseil d'administration.

Certains analystes jugent néanmoins que ces acquisitions ont été cher payées et qu'elles obligent aujourd'hui EDF à augmenter ses tarifs. Il y a encore deux ans, industriels, banquiers et analystes s'interrogeaient sur la prudence du groupe français - et de son PDG - au moment où le secteur européen de l'énergie était "en fusion" : rachat de l'espagnol Endesa par l'italien Enel, expansion de l'allemand E.ON, mariage de Gaz de France avec Suez... EDF liquidait alors ses activités sud-américaines et bouclait le périlleux rachat d'une partie de l'italien Edison.

Réputé d'une grande prudence, M. Gadonneix n'a de plus aucun intérêt à irriter ainsi l'Elysée. A 66 ans, il peut être reconduit jusqu'à 68 ans à la tête du groupe. Il préfère défendre une conviction : sans un effort des consommateurs eux-mêmes, EDF ne pourra pas maintenir le patrimoine nucléaire en l'état. Quarante ans d'efforts pour bâtir un système performant seraient perdus [Oui, 40 ans d'efforts des citoyens par leurs impos... pour le CEA, EDF...]. Et la capacité de la France à exporter son savoir-faire dans l'atome civil, notamment dans les cinq pays choisis par EDF (Chine, Etats-Unis, Afrique du Sud, Royaume-Uni, Italie), plaide-t-il.

Il reste sourd aux critiques des mouvements antinucléaires qui jugent que le prix de l'électricité est "de loin le plus cher" si l'on y intègre l'investissement initial, la gestion des déchets et les charges de démantèlement des centrales. Gauche et syndicats pensent que M. Gadonneix souhaite, en fait, vendre son électricité à des prix européens, plus élevés, sans tenir compte de l'avantage que le nucléaire procure à la France.

Preuve que sa demande de hausse des tarifs n'est pas un dérapage, M. Gadonneix l'a de nouveau justifiée, mercredi 15 juillet, devant les députés de la commission des affaires économiques, tout en distinguant les activités françaises et internationales. Les bénéfices des filiales européennes couvrent le service de la dette, affirme-t-il, et British Energy apportera une contribution positive aux résultats, comme les autres filiales.

La situation est différente en France, où le retard d'investissement est considérable. Il faut en effet moderniser les lignes à haute tension et surtout le réseau de distribution, construire des centrales thermiques pour éviter d'importer lors des pointes de consommation, porter la durée de vie de trente à quarante ans, voire soixante ans, d'une partie des 58 réacteurs nucléaires, plaide-t-il.

Mme Lagarde en est consciente. Quelques heures après l'intervention du patron d'EDF, la ministre de l'économie indiquait aux députés que "les tarifs ne seront augmentés qu'à concurrence de l'augmentation des coûts nécessaires pour produire notre électricité en France". L'écart entre le tarif des particuliers et celui qui permettrait de financer ces investissements est de 20 %, affirme-t-on chez EDF. Les 20 % qui ont déclenché la polémique. Le gouvernement tranchera à la rentrée.

 


Le Monde, 17/7/2009: 

Le pari d'EDF

Annoncer aux consommateurs, comme pour les remercier d'avoir prêté à EDF la bagatelle de 3,2 milliards d'euros, une augmentation des tarifs d'électricité de 20 % sur trois ou quatre ans, c'est un bien étrange renvoi d'ascenseur. PDG depuis septembre 2004 d'une entreprise publique désormais soumise à la concurrence, Pierre Gadonneix a commis une maladresse de communication.

Mais le patron d'EDF assume sa stratégie : l'entreprise, très endettée (24,5 milliards d'euros fin 2008), doit, pour garantir la sécurité énergétique du pays, poursuivre son développement, et donc rattraper son retard d'investissement, qu'il juge élevé.

Le pari de M. Gadonneix est d'autant plus audacieux qu'il provoque un inévitable bras de fer avec l'Etat, actionnaire à hauteur de 85 %, à quatre mois de l'éventuel renouvellement du mandat du PDG. Nicolas Sarkozy a fait connaître son irritation, rappelant que c'est à l'Etat de décider des hausses de tarif. Un mauvais signal pour M. Gadonneix, qui souhaite être reconduit tout en sachant qu'à 66 ans il n'ira pas au terme d'un nouveau mandat.

L'inquiétude des consommateurs devant la perspective d'une hausse de 20 % est légitime, même si, depuis 2006, les tarifs d'EDF évoluent déjà chaque année comme l'inflation. Mais M. Gadonneix ne manque pas d'arguments. Il a chargé un peu la barque en prétendant que l'électricité en France est "30 % à 40 % moins chère que la moyenne des autres pays européens". En réalité, selon Eurostat, l'écart est de 23 %. Cet avantage est dû principalement au parc nucléaire français, que M. Gadonneix veut moderniser pour que la France garde son avance. Mais pourquoi faudrait-il que les prix français s'alignent sur les prix européens alors que, grâce au nucléaire, EDF a des coûts de production inférieurs ?

La hausse des tarifs serait-elle destinée à faire payer aux consommateurs des "erreurs d'investissement à l'étranger", évoquées par Henri Guaino, conseiller de M. Sarkozy ? L'acquisition des centrales nucléaires de British Energy - un gigantesque coût de plus de 13 milliards d'euros que d'aucuns jugent bien cher payé - est en cause. M. Gadonneix s'en défend.

Les revenus des filiales européennes seront affectés au service de la dette. Ce qu'il veut financer, c'est la modernisation des lignes à haute tension et le renouveau du parc nucléaire. L'apparent consensus français sur la place du nucléaire tient beaucoup au fait qu'il a favorisé des tarifs bas. S'ils augmentent, ils risquent d'effriter ledit consensus.

 


L'électricité française, une des moins chère d'Europe

14/7/2009 - Parmi les plus bas d'Europe, les prix de l'électricité bénéficient en France de coûts de production particulièrement compétitifs, grâce notamment aux énormes investissements réalisés par EDF dans le nucléaire dans les années 80. L'électricité française est "30 à 40% moins chère que dans les autres pays européens" avançait la semaine dernière le PDG d'EDF, Pierre Gadonneix, en plaidant pour une hausse des tarifs de 20% en trois ans.

Selon l'institut européen des statistiques Eurostat, le prix de l'électricité française (taxes comprises) était inférieur de 26,3% à la moyenne européenne en 2007 mais une dizaine de pays faisait mieux qu'elle, principalement en Europe de l'Est. Un ménage européen moyen payait 45 euros par mois pour sa fourniture d'électricité, contre 35 euros en France, 19,25 euros en Bulgarie (la moins chère d'Europe) et 75 euros au Danemark (la plus chère).

En tenant compte des différences de pouvoir d'achat entre pays européens, le score de la France s'améliore sensiblement. Le prix de l'électricité y est alors un des moins chers d'Europe, juste après la Finlande et la Grèce. La faiblesse des tarifs français s'explique d'abord par la source de production de l'électricité, à 80% nucléaire et 12% hydraulique.

Selon la Direction générale de l'énergie et du climat, qui dépend du ministère de l'Energie, le nucléaire est en effet "la filière la plus compétitive pour la production électrique en base" avec des coûts inférieurs de plus de 50% par rapport aux centrales au gaz.

Cette analyse est toutefois vigoureusement contestée par les antinucléaires. "Le prix de l'électricité en France ne comprend pas les investissements publics massifs dont a bénéficié le nucléaire depuis 50 ans, ni le coût réel qu'il faudra payer tôt ou tard pour le démantèlement des installations et pour les déchets", souligne le réseau Sortir du nucléaire, dans un communiqué publié lundi. "En réintégrant ces sommes, le prix de l'électricité nucléaire est de loin le plus cher", ajoute-t-il.

La France a mis en service 58 réacteurs nucléaires entre 1977 et 1999 pour un coût de 281 milliards de francs (43 milliards d'euros), selon un rapport réalisé en 1999 par l'office parlementaire des choix scientifiques et technologiques. Construits sur une courte période et standardisés, ces réacteurs ont pu bénéficier d'un effet de série, qui a fait baisser leur coût.

EDF, qui a financé une grande partie de cet investissement par endettement, a en outre profité de conditions d'emprunts particulièrement avantageux pour financer leur construction. Les taux d'intérêt réels ont été négatifs pendant de nombreuses années, en raison d'une inflation élevée dans les années 70 et 80. Enfin, autre facteur de modération des prix, "c'est le gouvernement qui fixe les tarifs", explique Colette Lewiner, analyste chez Capgemini. "Or le gouvernement est attentif au pouvoir d'achat des citoyens et à l'inflation."

Ainsi, les prix français de l'électricité ont augmenté moins vite que l'inflation au cours des dernières années, souligne régulièrement le patron d'EDF, qui estime qu'ils devraient être "40% plus cher" s'ils avaient suivi la hausse générale des prix. "Cette vision des choses est peut-être par trop simpliste si l'on compare plusieurs biens avec les prix de l'électricité et tout particulièrement l'électronique, l'informatique, etc. qui ont largement plus baissé que les tarifs de l'électricité", remarque cependant Patrice Lambert de Diesbach, analyste au CM-CIC.

 


Médiapart, 9/7/2009: 

EDF: l'Elysée va limoger Pierre Gadonneix mais les tarifs augmenteront

Après France Télécom en 2002, va-t-on assister à un scandale EDF dans les mois qui viennent? C'est le scénario noir qui semble agiter le gouvernement depuis quelque temps. De plus en plus alarmé sur la situation qui prévaut dans l'entreprise publique, Claude Guéant, le secrétaire général de l'Elysée, a pris le dossier en main. Il a demandé une analyse approfondie sur l'état de l'entreprise.

Les premiers résultats font ressortir un constat accablant: en l'état actuel, même si EDF parvient à réaliser, comme il l'a prévu, un programme de cession d'actifs de 5 milliards d'euros, l'endettement du groupe public doublera d'ici à la fin de l'année, passant de 24,5 à 50 milliards d'euros. Un chiffre inavouable et insupportable, même pour un groupe aussi puissant qu'EDF.

Une première décision semble avoir déjà été arrêtée à l'Elysée: contrairement à ce que le gouvernement prévoyait il y a encore trois mois, Pierre Gadonneix ne sera pas renouvelé à la tête d'EDF en octobre. Son successeur n'est pas encore choisi. Une très courte liste de candidats possibles a été dressée. «Quel que soit le nom, ce sera un industriel. EDF est un sujet trop important pour le laisser dans des mains inexpertes», assure un proche du dossier.

Pierre Gadonneix est-il déjà au courant de cette décision? Certaines confidences faites à ses proches ces derniers jours pourraient le laisser croire. Cela expliquerait alors son étrange comportement. Le jour même où le groupe public vient de lever 3,2 milliards d'euros ­ trois fois plus que ce qu'il avait prévu à l'origine ­ auprès des particuliers, il annonce qu'il a un besoin urgent d'argent!

Passant délibérément sous silence le contrat de service public qui lie EDF à l'Etat, et qui stipule que «l'évolution des tarifs aux particuliers ne sera pas supérieure au taux de l'inflation» jusqu'à la fin de 2010, Pierre Gadonneix demande une augmentation de 20% sur trois ans afin de financer ces besoins d'investissements. Argument qui avait déjà été avancé au moment du lancement de l'émission obligataire du groupe. «Ce rattrapage est pour pouvoir assurer ­ à nos enfants et à nous-mêmes ­ que la réussite du projet industriel d'EDF soit pérennisée. Sinon, dans dix ans, tout le succès du nucléaire sera derrière nous», précisait ce jeudi le PDG d'EDF sur RTL.

En demandant l'alignement des pratiques françaises sur le reste de l'Europe, Pierre Gadonneix s'inscrit dans un débat politique, semblant forcer l'Etat à tirer toutes les leçons sur l'ouverture du marché électrique à la concurrence. Christine Lagarde en a pris acte, d'ailleurs, évoquant hier de possibles «hausses tarifaires».

Une conduite calamiteuse

Pourtant, c'est bien de sa conduite de l'entreprise dont il faut parler. A la lumière de l'état d'EDF, celle-ci se révèle calamiteuse. Pierre Gadonneix explique ainsi que les augmentations tarifaires s'imposent pour relancer les investissements en France. Les dépenses d'investissement sont en effet tombées à un seuil critique dans le groupe. Au cours des dix dernières années, EDF a vécu sur sa rente, engageant moins de quatre milliards d'euros par an pour l'entretien et le renouvellement de ses équipements. Résultat? Des manques criants partout. Un réseau de distribution au bord de l'apoplexie, un parc nucléaire souffrant de pannes à répétition et allant jusqu'à manquer de pièces de rechange indispensables [c'est le management à flux tendus qui veut ça, ce n'est pas un problème d'investissement!].

La situation n'est pas nouvelle. Et pendant les quatre premières années à la tête d'EDF, Pierre Gadonneix n'a rien fait pour la changer, continuant à maintenir au plus bas niveau les investissements français. L'affichage de résultats en constante augmentation, la conquête des marchés internationaux, la tenue du cours de Bourse, étaient prioritaires. La prise de conscience de la nette dégradation de son système électrique est venue il y a à peine un an. Brusquement, la direction d'EDF a réalisé la vulnérabilité de sa position: le groupe public est devenu acheteur net d'électricité, et dépense désormais des milliards pour assurer l'approvisionnement de la France. Déstabilisées par le manque d'investissement et une organisation inadaptée (lire EDF: les salariés du nucléaire en fusion), ses centrales affichent un taux de disponibilité ­ calcul économique qui mesure l'efficacité industrielle et économique ­ en baisse constante. D'un peu plus de 80%, ce taux est tombé officiellement à 79%, dans les couloirs du groupe, on évoque même le chiffre de 75%. Un point de moins signifie des milliers de KWh en moins, des dizaines de millions d'euros envolés.

D'où la nécessité de dégager d'importants moyens financiers pour réorganiser une entreprise totalement déréglée. Mais EDF n'a plus la flexibilité financière nécessaire pour le faire. «Tous les bénéfices de la rente nucléaire ont été reversés aux Français» [Non faux!], explique Pierre Gadonneix pour expliquer l'impasse dans laquelle se trouve le groupe public aujourd'hui. Dans les faits, il n'en est rien. Les consommateurs français ont certes profité d'une électricité bon marché, alignée sur l'inflation mais désindexée de coûts pétroliers et gaziers. Mais c'était l'objectif même du programme nucléaire lancé à partir de 1975.

La rente nucléaire a surtout servi à payer la conquête internationale du groupe. Entre le rachat de l'allemand EnbW, du britannique London Electricity et de l'italien Edison, EDF a dépensé plus de 20 milliards d'euros entre la fin des années 1990 et 2005. Sans parler des 10 milliards investis dans les années 1990 dans des sociétés en Amérique du Sud (Brésil et Argentine) qui se sont révélées des opérations calamiteuses et ont été liquidées dans des conditions tout aussi désastreuses. Contrairement à ce qu'assure Pierre Gadonneix, aucune des filiales internationales du groupe ne s'auto-finance, et l'endettement lié à ces acquisitions n'a toujours pas été remboursé.

Fuite en avant financière

Si Pierre Gadonneix s'en était tenu à cette diversification internationale, EDF pourrait sans doute financer la relance des investissements en France. Mais 2008 a été la folle année d'expansion. En dépit de toutes les mises en garde, le président d'EDF a décidé de racheter le groupe nucléaire britannique British Energy pour 13,9 milliards d'euros. Selon certains experts, EDF a payé environ trois fois le prix normal pour cette entreprise en perte, exploitant huit centrales nucléaires en fin de vie. Pierre Gadonneix a justifié cette opération, au nom de la promotion du savoir-faire nucléaire français: British Energy devant servir de base pour l'implantation de quatre EPR en Grande-Bretagne.

Il n'est même pas sûr que cette opération puisse voir le jour. Comme l'a révélé le Times le 1er juillet, l'autorité de sûreté nucléaire britannique a émis les plus grandes réserves sur certaines parties du réacteur, les jugeant pas assez sûres. Elle a demandé des modifications très importantes des technologies. Elle subordonne son autorisation d'implantation à ces changements. Ce qui signifie des mois voire des années de travail. En attendant, EDF se retrouve avec une entreprise déficitaire et une dette supplémentaire de plus de 10 milliards d'euros.

Il en va de même aux Etats-Unis. Pariant sur un renouveau du nucléaire ­ qui est très loin d'être acquis ­, EDF s'est d'abord porté acquéreur de 9% du groupe américain Constellation, qui aimerait construire des EPR sur le territoire américain. Fin 2008, asphyxié par la crise, Constellation a frôlé la faillite. Pour EDF, cela se serait traduit par une perte de 750 millions d'euros. Plutôt que d'avouer cette perte, la direction du groupe a décidé, au contraire, de doubler la mise. Il s'est porté acquéreur de la moitié de Constellation pour 5 milliards d'euros. La transaction n'est pas encore conclue. Au gouvernement, on souhaite qu'elle ne le soit jamais.

Les charges financières de cette folle expansion ne cessent de s'envoler. Et Pierre Gadonneix n'a rien fait pour les endiguer. Pour continuer de faire croire à la bonne santé du groupe, il a choisi de s'endetter pour payer le milliard d'euros de dividendes à ses actionnaires, alors qu'EDF n'était pas en situation de l'honorer, affichant un autofinancement négatif. De même, par pur opportunisme et politique de communication, il a lancé son emprunt obligataire auprès des particuliers au lieu de lever de l'argent dans des conditions plus intéressantes sur le marché. Pour EDF, ce sera 150 millions d'euros de frais financiers supplémentaires pendant cinq ans.

Mais le voile commence à se déchirer. Les agences de notation s'inquiètent de cette situation et réfléchissent à abaisser la note d'EDF, ce qui renchérirait encore le coût de sa dette. Et, dans le plus grand secret, la division financière du groupe travaille sur des scénarios noirs de stress financier.

 




Tarifs d'électricité: EDF plombé par des "investissements insensés"

9/7/2009 - La hausse de 20% des tarifs de l'électricité réclamée par EDF est "une tentative de renflouement" de l'entreprise "plombée par ses investissements insensés" dans le nucléaire, dénonce jeudi le réseau "Sortir du nucléaire" dans un communiqué. Le réseau conteste la justification invoquée par le patron d'EDF, Pierre Gadonneix, d'une nécessité d'investir et estime que l'entreprise "est menacée d'un crash industriel et financier". Le groupe public a demandé mercredi une hausse de 20% des tarifs de l'électricité sur 3 ans ou plus, expliquant la nécessité d'"un rattrapage" pour financer ses investissements. Pour Sortir du nucléaire, les investissements récents d'EDF au Royaume-Uni et aux Etats-Unis sont "insensés". Le rachat par EDF de British Energy fin 2008 s'est effectué "au prix fort" alors que le groupe devra "à nouveau dépenser de lourdes sommes... qu'elle ne possède pas" pour construire des réacteurs nucléaires de 3è génération EPR en Grande-Bretagne. L'acquisition d'une partie des activités nucléaires de l'américain Constellation "dans le but de construire des EPR" est un "investissement absurde" car "l'EPR n'est pas certifié aux USA et ne le sera certainement jamais", ajoute-t-il. "EDF est aussi en grande difficulté concernant le nucléaire français", évoquant "le taux de disponibilité du parc nucléaire", trop bas, et les difficultés de construction de l'EPR de Flamanville (Manche), assure-t-il également.

 


EDF veut une hausse des tarifs d'électricité de 20% sur 3 ans

8/7/2009 - EDF souhaite une hausse de 20% des tarifs d'électricité sur trois ans ou "un peu plus" pour que le groupe cesse de s'endetter, a dit son PDG Pierre Gadonneix, dans un entretien publié mercredi sur le site internet de l'hebdomadaire Paris Match. "Pour cesser de nous endetter, il faudrait une hausse de 20% des tarifs. Mais elle peut s'étaler sur trois ans, par exemple, ou même un peu plus", déclare M. Gadonneix. "Si nos tarifs n'augmentent pas, l'an prochain EDF réduit ses investissements", ajoute-t-il. Le patron d'EDF explique qu'en France, le groupe est "contraint" de s'endetter, car "(ses) tarifs ne suivent pas l'inflation". "Si, depuis vingt-cinq ans le prix de l'électricité avait suivi cette dernière, il serait 40% plus cher", affirme M. Gadonneix.

A l'été 2008, les tarifs de l'électricité avaient été augmentés de 3% en moyenne, avec des hausses différentes selon les types de consommateurs. Pour les particuliers, l'augmentation avait été limitée à 2%. Une porte-parole d'EDF a précisé que "le PDG de l'entreprise a exprimé les besoins de l'entreprise dans la durée". "La décision et le calendrier de mise en oeuvre appartiennent évidemment aux pouvoirs publics", a-t-elle ajouté, précisant que la question des tarifs était "régulièrement" abordée avec le gouvernement. La revalorisation des tarifs réglementés d'électricité est décidée chaque année par le gouvernement, qui reçoit une demande non contraignante d'EDF et un avis consultatif de la Commission de régulation de l'énergie (CRE).

Un porte-parole du ministère de l'Economie a indiqué qu'à l'heure actuelle "EDF n'a fait aucune demande d'évolution tarifaire". Mi-juin, Pierre Gadonneix avait à l'inverse assuré sur RMC qu'il allait demander au gouvernement une augmentation "modérée" des tarifs de l'électricité. Cette demande d'une hausse de 20% "me paraît totalement disproportionnée", a réagi Thierry Saniez, délégué général de l'association de consommateurs CLCV, qui demande "beaucoup plus de transparence" sur la revalorisation des tarifs. "Il ne faudrait pas que les consommateurs financent des investissements hasardeux en France, comme à l'étranger", a-t-il ajouté, réclamant par ailleurs que les tarifs réglementés et leur réversibilité soient pérennisés.

De son côté, Alain Bazot, président de l'UFC Que Choisir, s'est dit "un peu perplexe" devant les propos "flous" du PDG d'EDF, lui faisant penser à "une provocation". "Nous sommes d'accord sur le fait que le tarif régulé doit être réaliste, couvrir les coûts et les capacités d'investissement, mais de là à accepter une augmentation aussi importante sans justification, il y a un pas !", a ajouté M. Bazot.

Pour financer ses investissements et acquisitions, EDF s'est lourdement endetté, son endettement ayant explosé de 50% à 24,5 milliards d'euros en 2008. Le groupe a récemment clos un emprunt obligataire auprès des particuliers qui lui a permis de collecter plus de 2,5 milliards d'euros, le chiffre définitif n'étant pas connu. EDF, que Pierre Gadonneix présente comme "de loin le premier investisseur industriel du pays", prévoit d'investir en 2009 12 milliards d'euros, dont 7,5 milliards d'euros en France, contre 9,7 milliards en 2008, dont 5,2 milliards en France.

 


Les Echos, 6/7/2009: 

EDF: champagne et gueule de bois

Edito - Philippe Escande

Phénomène assez rare, EDF n'a pas encore débouché le champagne qu'il souffre déjà d'une sévère gueule de bois. Peut-être est-ce la vue de toutes ces bouteilles bien rangées qui attendent que l'on fête avec elles le formidable succès populaire du grand emprunt. Plus de 2,5 milliards d'euros levés au lieu de 1, performance étonnante pour une opération sans risque, mais sans grand intérêt non plus. Cela confirme l'attachement des Français à leur entreprise préférée et accessoirement leur adhésion au nucléaire, socle indispensable de toute la filière.

Alors pourquoi cette tête lourde ? Trois clignotants se sont allumés ces derniers mois. D'abord les grèves, qui ont désorganisé la belle mécanique, démontré la vulnérabilité de l'outil de production - des importations massives ont été nécessaires - et rappelé que le dialogue social reste compliqué. Puis s'est allumé le voyant de la conjoncture. La baisse de la demande industrielle et des exportations, les deux principales machines à profit de l'entreprise, laisse présager une dégradation des comptes malvenue à un moment où la dette explose.

Le troisième clignotant est venu de l'étranger, avec les démêlés administratifs autour de la reprise de l'américain Constellation. C'était attendu, mais cela montre que la voie du développement industriel à l'international est semée d'embûches. Tous ces petits signaux faibles exhalent comme un parfum d'automne. Chez EDF, on cherche un nouveau souffle. Et il ne se trouve pas plus au fond d'un emprunt spectaculaire qu'au fond d'une bonne bouteille, même la plus belle du monde.

 


Les Echos, 6/7/2009: 

La chaleur et les grèves obligent EDF à importer massivement

Avec les fortes chaleurs, la France a dû importer jeudi et vendredi de grosses quantités d'électricité. Un coût pour EDF lié aux grèves, qui pénalisent la disponibilité des centrales nucléaires.

Mauvaise passe pour EDF en Bourse. L'électricien public a affiché vendredi la plus forte baisse du CAC 40, avec un recul du titre de 4,5 %, à la suite des changements de recommandation d'analystes, du retard du projet américain Constellation et des importations de courant réalisées par le groupe. Depuis le début de l'année, EDF a ainsi perdu 23 %, alors que le CAC n'a cédé que 3 %.

Premier point : le coût de la grève dans les centrales nucléaires. Jeudi, la France enregistrait un solde importateur net de près de 4.400 mégawatts entre 14 heures et 15 heures, selon RTE. Vendredi, il a culminé à 3.600 mégawatts. Pourquoi de telles importations alors que l'Hexagone est un exportateur traditionnel d'électricité ? Du fait de la conjonction de températures dépassant les normales saisonnières de 2 à 5 degrés Celsius et de la disponibilité réduite du parc nucléaire d'EDF à cause de la grève.

Inquiétude des analystes. Tout cela a un prix, mais EDF se refuse à le chiffrer avant la publication des résultats semestriels, le 30 juillet. Dans une note publiée vendredi, Per Lekander, analyste chez UBS, estime le coût de la grève à 650 millions d'euros, dont 559 millions d'euros liés au manque à gagner de production sur les comptes des deuxième et troisième trimestres, et une centaine de millions liés aux compensations que pourraient toucher les sous-traitants pour le report de leurs travaux de maintenance.

Selon l'analyste, ce coût pourrait même déraper en cas de canicule, car les prix de l'électricité sur le marché de gros devraient alors augmenter. Tous les analystes ne sont pas aussi alarmistes. Ceux de Morgan Stanley estiment que la grève devrait coûter 300 millions à EDF. Mais, ils s'inquiètent par ailleurs du recul de la consommation dû à la crise. De janvier à fin mai, la France a utilisé 3,1 % d'électricité de moins qu'un an auparavant. Chez les gros industriels, la chute atteint 13,7 %.

« De notre point de vue, le consensus [boursier] ne reflète pas complètement l'impact des grèves et la destruction de demande en France depuis le début de l'année »,estiment les analystes de Morgan Stanley, qui ont abaissé vendredi leur recommandation à « conserver ». Compte tenu de ces facteurs, et de l'augmentation de la dette ou de l'ajustement de prix de récentes acquisitions, ils ont réduit leurs propres prévisions de bénéfice net de 25 % pour 2009 et de 21 % pour 2010.

Troisième élément négatif, le retard du projet de société commune dans le nucléaire avec l'américain Constellation Energy. Jeudi soir, un juge a confirmé que la Commission des services publics du Maryland pourra mener une enquête approfondie afin de déterminer si le projet avec EDF « est dans l'intérêt public ». Cette décision signifie que le bouclage de l'opération de 4,5 milliards de dollars devrait glisser sur 2010. Selon Patrice Lambert de Diesbach, chez CM-CIC, « le manque à gagner d'un décalage d'intégration sur 2010 sur les comptes serait d'environ 125 millions d'euros sur le résultat opérationnel de 2009 ».

Autant d'éléments qui devraient peser sur l'exercice en cours. Mais les analystes restent dans l'ensemble positifs à plus long terme. Ils évoquent le rapport Champsaur et les bénéfices qu'EDF pourrait en tirer en termes de tarifs, mais aussi les projets d'allongement de la durée de vie des centrales atomiques. Ou encore l'avantage compétitif de l'électricien français, qui produit essentiellement à partir de nucléaire, alors que ses concurrents européens utilisent davantage de charbon ou de gaz et devraient être pénalisés par le prix du CO.

 


La France a importé massivement de l'électricité lors du pic de chaleur de jeudi

3/7/2009 - La France a importé massivement de l'électricité jeudi, journée la plus chaude de la semaine, au moment du pic de consommation de 13H00, lorsque les appareils de climatisation tournent à plein régime, a indiqué vendredi le gestionnaire de lignes à haute tension RTE.

Les importations nettes d'électricité de la France ont atteint jeudi lors de la traditionnelle pointe de consommation de 13H00 une fourchette de "4.000 à 4.500 mégawatts (MW)", a dit Clotilde Levillain, directrice du Centre national d'exploitation du système (Cnes), qui pilote le réseau nationale de lignes électriques de 400.000 volts. Cela "correspondent à la puissance de cinq centrales nucléaires", a précisé un porte-parole de RTE.

La France avait déjà importé des volumes d'électricité quasiment similaires en début de semaine et début juin, a dit Mme Levillain. Le pic de consommation de jeudi, journée la plus chaude de la semaine, est lié à l'utilisation intensive par les ménages et les entreprises de leurs appareils de climatisation, gourmands en électricité, alors que les températures extérieures montaient. Cette semaine a été caractérisée par "des températures supérieures aux normales saisonnières dans une fourchette de 2 à 5 degrés", a affirmé Clotilde Levillain. "En pointe journalière, un degré de plus entraîne la consommation de 400 MW supplémentaires, soit la consommation d'une ville de la taille de Grenoble pour une journée d'été", a-t-elle précisé.

Les grèves qui ont provoqué des retards dans les opérations de maintenance des réacteurs nucléaires d'EDF ont aussi "conduit à une réduction de la disponibilité prévisionnelle du parc de production d'EDF", a-t-elle en outre rappelé. EDF, qui a autorisé ses directeurs de centrales à réquisitionner les grévistes, a confirmé vendredi que "le travail reprenait sur les sites concernés". Toutefois, la situation connue jeudi "est globalement en ligne avec ce qui a été prévu", a souligné Clotilde Levillain: "il n'y a pas de problème d'équilibre entre offre et demande d'électricité".

Dans un bilan prévisionnel, RTE avait estimé mi-juin que la France devrait importer de l'électricité cet été afin de couvrir la consommation nationale, conséquence notamment de la grève. Le gestionnaire du réseau de lignes à haute tension avait estimé les besoins probables à quelque 500 MW à la mi-juillet pour des températures normales. La maintenance des centrales nucléaires ayant été perturbée, EDF a annoncé à RTE "une diminution de leur disponibilité de 5 à 6.000 MW", soit l'équivalent de 5 à 6 réacteurs à l'arrêt, avait alors précisé RTE.

Malgré les importations de cette semaine, "le système respire", a fait valoir Mme Levillain: la France a certes importé de l'électricité jeudi, de Grande-Bretagne, d'Allemagne et d'Espagne, mais elle en a aussi exporté vers l'Italie. "Nous ne sommes pas dans un scénario de forte chaleur ou de canicule", a-t-elle aussi souligné, Météo France prévoyant le retour de températures conformes aux normales saisonnières à partir de ce week-end.

En cas de canicule (températures supérieures de 7 degrés à la normale pendant plusieurs semaines), RTE estime que la France pourrait devoir importer jusqu'à 8.000 MW d'électricité à la mi-juillet. Un scénario qui n'a toutefois qu'1% de chance de se produire, selon le gestionnaire.

 


Médiapart, 23/6/2009: 

EDF en quête d'une stratégie et d'un nouveau patron

La campagne pour la présidence d'EDF est lancée. Bien que le mandat de Pierre Gadonneix n'arrive à expiration qu'en novembre, en coulisses, les prétendants ou leurs soutiens commencent à s'activer : le groupe public suscite bien des convoitises politiques et personnelles. Dans le bureau de Claude Guéant, secrétaire général de l'Elysée, qui réunit régulièrement une poignée d'experts et de dirigeants pour réfléchir à l'avenir énergétique de la France, on se presse donc pour avancer ses pions.

Pierre Gadonneix souhaite naturellement son renouvellement. Bien qu'il soit âgé de 65 ans, il avait pris la précaution, dès le changement de statut, de faire modifier le règlement afin de pouvoir rester jusqu'à 69 ans. Mais la greffe n'a jamais pris chez EDF. Pratiquant un pouvoir solitaire et soupçonneux, Pierre Gadonneix est isolé. Et son bilan, entaché par les rachats internationaux et l'affaire Greenpeace, ne convainc guère.

A l'exception de Raymond Soubie, vieil ami de Pierre Gadonneix (photo Souderegger/ Flickr), pour qui il a joué le conseiller social à GDF comme à EDF, personne ne le défend vraiment à l'Elysée. Les mouvements sociaux qui agitent le groupe depuis plus de deux mois contribuent encore à lui aliéner des soutiens. Le ministère des finances commence à s'inquiéter de la dégradation de la situation. Le gestionnaire du réseau de transport d'électricité (RTE), qui avait publié une étude nuancée en mai sur les prévisions de l'été (voir ici), fait désormais des pronostics plus alarmistes (là), invoquant la possibilité de devoir recourir à des importations massives pendant l'été. De son côté, la CGT ne veut plus de ce président, qui la place dans une position des plus inconfortables. Selon nos informations, celle-ci aurait demandé sa tête ces dernières semaines à l'Elysée.

«Vous savez que vous êtes le candidat favori de la CGT ?» C'est ainsi que le secrétaire général de l'Elysée accueillit Henri Proglio, PDG de Veolia, en mars lors d'une entrevue. Depuis, la rumeur de sa nomination circule régulièrement dans les couloirs du siège d'EDF, certains se demandant s'il était vraiment judicieux de nommer un des concurrents d'EDF à sa tête. Officiellement, Henri Proglio n'a pas été pressenti par le pouvoir. Il semble hésiter entre abandonner un groupe dans lequel il travaille depuis 1972 et une présidence qu'il est difficile de refuser.

Derrière, la liste des prétendants est infinie. Grand ordonnateur de l'opération British Energy, Vincent de Rivaz, responsable de toutes les activités britanniques d'EDF, voit bien cette mission comme un tremplin vers de plus hautes fonctions. A l'extérieur, Thierry Breton a commencé à faire une campagne active pour défendre sa cause. L'ancien ministre des finances rêvait déjà d'EDF quand il était à Bercy. Après une traversée du désert, il s'est recasé non sans mal à la tête de la société informatique Atos mais il piaffe d'impatience depuis : la présidence d'EDF serait enfin un rôle à sa mesure. «Il n'y a que lui qui croit à ses chances», ironise un connaisseur du dossier. Thierry Breton «dément catégoriquement la rumeur» d'un intérêt pour EDF. Selon lui, ces bruits «n'ont aucun fondement. Personne ne m'a jamais parlé d'EDF et je n'ai jamais parlé d'EDF à personne» précise-t-il.

L'ancien ministre (PR) des postes et des télécommunications, Gérard Longuet, qui postulait déjà en 2004 pour le poste, a fait savoir discrètement qu'il était à la disposition de l'Etat. Henri Guaino, conseiller de Nicolas Sarkozy, lorgne toujours aussi le groupe public. Anne Lauvergeon, présidente d'Areva, pourrait être aussi intéressée, mais l'Elysée ne le lui a jamais proposé. Et puis, tant d'autres encore.

Confusion stratégique et contraintes financières

Le grand risque est que l'Elysée arrête son choix final au dernier moment, dans la précipitation et plus sur des critères d'allégeance au pouvoir que sur des choix stratégiques. Pourtant, l'urgence est bien celle-ci : que doit être EDF à l'avenir ? Miné par l'ouverture des marchés à la concurrence, totalement désorganisé et sans avoir su inventer un nouveau dialogue social, le groupe public a besoin de lignes claires.

«EDF n'a pas choisi de stratégie. Il continue à agir, comme s'il pouvait tout faire», relève un ancien cadre du groupe. Le groupe entend ainsi être le champion du nucléaire dans le monde et accélérer son développement international. Mais il se veut aussi le promoteur de toutes les énergies renouvelables, subventionnant sans restriction les grandes fortunes, à la recherche d'allégements fiscaux, qui ont choisi l'éolien comme terre d'accueil ou rachetant six fois le prix l'électricité produite dans le photovoltaïque.

Il faut compter aussi avec les obligations imposées par les législateurs et les régulateurs : les uns lui demandent de fournir aux entreprises une énergie peu chère, hors des prix de marché, les autres de ne pas tirer le bénéfice des investissements passés, en en rétrocédant une partie à ses concurrents.

La responsabilité de cette confusion est collective. Mais la situation n'est pas tenable. Aussi riche soit-il, EDF est en train de crouler sous les différentes contraintes. D'autant qu'il lui faut faire face aussi à ses propres carences. Ayant renoncé depuis des années à l'exercice difficile de la prévision, le groupe public a continué à vivre sur la croyance qu'il était largement équipé. Il ne s'est pas aperçu que la révolution informatique accélérait la consommation électrique.

De plus, le développement du chauffage électrique a rendu le groupe particulièrement dépendant des conditions climatiques : un degré de moins en hiver se traduit par une consommation supplémentaire de 2.100 MW (ce qui correspond à plus de deux tranches nucléaires). Résultat : EDF ne répond plus à la demande française. Il est désormais acheteur net d'électricité en Europe. S'il continue à exporter, c'est en période creuse à des prix alignés sur les contrats long terme. Mais il importe pendant les périodes de pointe au prix du marché, quand ceux-ci sont le plus élevés. La balance est désormais toujours en sa défaveur. [Lire: Le nucléaire en France, c'est déjà 12 à 15 réacteurs de trop !]

Les finances d'EDF explosent. En 2008, son bénéfice net a diminué de 39% pour tomber à 3,5 milliards d'euros. Mais ce n'est pas le plus grave. Le groupe ne dégage plus un autofinancement suffisant pour financer ses investissements. L'an dernier, il affichait un cash-flow négatif de près de 2 milliards. Le 1,2 milliard d'euros de dividendes versés aux actionnaires, et en premier lieu à l'Etat, n'a été en réalité qu'une fiction : ils ont été payés à crédit.

Doutes sur l'EPR

L'avenir s'annonce encore plus sombre. D'un côté, le gouvernement, qui a téléguidé le rapport Champsaur sur l'ouverture à la concurrence, s'apprête à organiser la vente virtuelle d'une partie du parc nucléaire français, privant ainsi le groupe public d'une partie de ses recettes en lui laissant les charges futures. De l'autre, le groupe doit assumer désormais le coût de ses folles acquisitions anglaise et américaine : un peu moins de vingt milliards d'euros ont été dépensés en un an dans cette grande conquête internationale.

Mais le sujet qui terrorise le plus les cadres est celui du développement nucléaire. L'EPR, que les ingénieurs d'EDF ont contribué à concevoir, est devenu la grande affaire d'EDF. Pierre Gadonneix souhaite implanter au moins dix réacteurs EPR dans le monde dans les prochaines années. Selon ses calculs, le groupe est tout à fait en mesure de faire face à un tel développement : son programme ne représenterait qu'un engagement de 1,5 milliard d'euros par an.

Pourtant, au fur et à mesure que le premier chantier de Flamanville (Manche) avance, certains responsables de douter: «Nous avons construit ce réacteur sur des critères de compromis, en additionnant les contraintes et les réglementations françaises et allemandes. Il est vieux, gros et ultra-sophistiqué», confie un cadre, qui s'interroge sur son fonctionnement futur. «Cette affaire est une tragédie. J'ai moi-même pris des décisions sur le développement de l'EPR et j'ai sans doute commis des erreurs monumentales», a confié récemment un dirigeant directement lié au dossier à un autre responsable. Mais personne n'ose rompre ce secret, si lourd de conséquences, en dehors du groupe. Au sommet de l'Etat comme dans les cercles dirigeants, le nucléaire est présenté comme la grande chance industrielle de la France, sa grande filière d'avenir.

Aux difficultés techniques s'ajoutent les problèmes financiers. La facture de l'EPR risque d'être beaucoup plus élevée que prévu. Au début des années 2000, lorsque EDF voulait promouvoir le lancement du réacteur de troisième génération, le groupe public chiffrait le seuil de rentabilité à 29 euros le MW/h. De révision en révision, le calcul est passé à 35 euros, puis 40, aujourd'hui il est à 46 euros le MW/h. Mais certains pensent que l'addition pourrait encore monter.

«Personne n'en est conscient. Mais le nucléaire nous fait courir un péril mortel. EDF risque l'effondrement, en se plaçant sous le double impératif du défi technologique et de la conquête internationale. Il faut repenser la politique nucléaire, et élargir le débat. En tout cas, il y a une chose de sûre : il faudra choisir entre l' EPR et la Bourse. Les deux sont inconciliables», assure un haut cadre du groupe.

Sans le formuler aussi précisément, les salariés d'EDF pressentent le danger. Certains commencent à s'alarmer de cette fuite en avant technologique et financière. Ils craignent trop d'en connaître le dénouement : l'achèvement du démantèlement et la privatisation des morceaux de choix. La financiarisation du secteur de l'énergie y pousse, les groupes privés étant de plus en plus attirés par «ce secteur aussi giboyeux», selon l'expression de l'ancien président d'EDF, Marcel Boiteux.

Selon divers témoignages, personne à l'Elysée ou au sommet du gouvernement n'a pris la mesure de l'urgence des questions qui se posent dans le groupe. L'Etat choisira de réinventer EDF ou de laisser aller à vau-l'eau? Ce sera alors le moment de juger si la référence aux idéaux du Conseil national de la Résistance, devenue de mise depuis le discours présidentiel à Versailles le 22 juin, est une simple figure du style. Ou si le pouvoir considère qu'il est aussi impératif qu'hier d'avoir en main la maîtrise de son avenir énergétique.

 


Le Figaro, 13/2/2009: 

EDF réclame une hausse des tarifs

Pierre Gadonneix revient à la charge contre un système de subvention qui fait plonger son bénéfice net.

Les résultats 2008 ont agi comme une douche froide sur les marchés boursiers. L'action d'EDF, réservée un temps à la baisse, a cédé près de 7% hier après la publication du bénéfice net en chute de 39,5%, à 3,4 milliards d'euros. La faute en revient au mécanisme de tarif réglementé, le «Tartam», a expliqué Pierre Gadonneix, PDG d'EDF.

La prolongation jusqu'en juin 2010 de ce système, qui permet aux entreprises ayant opté pour le prix de marché en choisissant un fournisseur concurrent d'EDF de bénéficier quand même d'un tarif réglementé, a contraint le groupe à provisionner 1,2 milliard d'euros. En effet, ce sont les producteurs d'énergie, à savoir EDF et GDF Suez, qui financent cette subvention.

Pierre Gadonneix a, du coup, plaidé pour un abandon de ce mécanisme. Il ne favorise «pas la concurrence et c'est pour cela que Bruxelles s'en inquiète», a-t-il précisé. Il faut de toute façon augmenter l'ensemble des prix de l'électricité, estime Pierre Gadonneix qui tente un donnant-donnant avec l'État. Les tarifs doivent refléter la décision d'EDF de relancer ses investissements et donc l'emploi, laisse-t-il entendre.

En 2009, EDF dépensera 7,5 milliards d'euros en France pour améliorer la capacité de production et les réseaux de distribution, soit près de 50% de plus qu'en 2008. Ces dépenses contribueront à créer 20 000 emplois directs et indirects. En dehors de ces investissements opérationnels, suffisamment importants pour empêcher le bénéfice net de croître en 2009, Pierre Gadonneix entend calmer les ardeurs de son groupe cette année.

Nouveau potentiel. EDF a orchestré deux importantes acquisitions en 2008 : d'une part, le premier électricien britannique, British Energy, acheté pour 13,5 milliards d'euros et, d'autre part, la moitié des actifs nucléaires de l'américain Constellation, (4,5 milliards de dollars). Maintenant, EDF entend profiter de ce nouveau potentiel. En Grande-Bretagne, aux États-Unis, mais aussi en Chine, l'électricien a l'ambition de construire dix EPR dans les dix prochaines années.

Mais, «2009 sera l'année de la croissance organique et de la consolidation de nos acquisitions», assure le PDG. EDF compte aussi alléger sa dette nette, qui a fait l'an dernier un saut de 50% à 24,5 milliards d'euros et en fait l'une des entreprises énergétiques les plus endettées. Pour y parvenir, le groupe public (l'État détient environ 85% de son capital) cédera d'ici à fin 2010 environ 5 milliards d'euros d'actifs situés en France ou à l'étranger.

 


Le Figaro, 1/12/2008:

EDF espère obtenir une augmentation de tarif 

Le groupe français souhaite un geste de l'État pour appuyer le plan de relance du gouvernement.

Pas de répit pour EDF. Après avoir consacré une bonne partie de l'année à prendre le contrôle de British Energy, le groupe français planche actuellement sur un autre dossier épineux, au moins aussi politique qu'économique : une augmentation de ses tarifs. Une telle décision relève de l'État*, actionnaire d'EDF à hauteur de 87%, mais qu'il ne prend jamais facilement, compte tenu de son caractère forcément impopulaire. D'ailleurs, dans le domaine de l'électricité, les révisions tarifaires interviennent régulièrement au coeur de l'été, à un moment où les consommateurs ont d'autres préoccupations.
Cette fois-ci, il n'y a pas d'échéance aux discussions qui se sont engagées entre les deux parties, mais EDF souhaite vivement être fixé avant la fin de l'année. Le moment est particulier car la crise économique limite la marge de manoeuvre du gouvernement qui, s'il accède à la requête d'EDF, devra faire preuve de pédagogie.
Dans ce dossier, l'électricien n'arrive toutefois pas les mains vides. À l'heure où le ralentissement économique conduit beaucoup d'énergéticiens à freiner leurs investissements, EDF n'a pour l'instant rien changé à son programme initial. Mieux, il fait valoir à son actionnaire qu'une entreprise de son envergure a les moyens d'appuyer une politique de relance. Avec un chiffre qui donne à réfléchir : chaque milliard d'euros investi correspond à la création de 7 500 emplois, directs ou indirects. Alors que la France vient de repasser la barre symbolique des deux millions de chômeurs, l'argument a du poids.

Rénovation d'infrastructures

À travers sa politique d'investissement, l'électricien français peut notamment participer à la construction ou à la rénovation d'infrastructures. L'EPR de Flamanville, le réacteur nucléaire de nouvelle génération, en fait évidemment partie. Mais le groupe travaille également sur des grands chantiers de maintenance ou de restauration des installations. Par exemple, la disponibilité du parc nucléaire s'est érodée au fil des années. Pour améliorer le taux d'efficacité des centrales, des investissements conséquents sont nécessaires. De même, EDF a mis plus de 500 millions d'euros sur la table pour moderniser son parc hydraulique. Certes, depuis quelques années déjà, le groupe a retrouvé des marges de manoeuvre financières, mais une augmentation de ses tarifs lui donnera un peu plus de confort.
En attendant une décision, EDF n'est pas la seule entreprise énergétique à réclamer une hausse de ses tarifs. En milieu de semaine, GDF Suez, annonçant le lancement d'un programme d'économies d'un montant d'un milliard d'euros pour réagir « énergiquement au changement rapide de l'environnement économique », en a profité pour souligner que les prix réglementés du gaz ne prenaient pas en compte l'inflation du baril observée avant l'été. Depuis 2004, GDF Suez estime ce manque à gagner à 1,1 milliard d'euros. Là encore, les discussions avec le gouvernement s'annoncent serrées.

Frédéric de Monicault

 

* Un cadre réglementé : En matière d'évolution tarifaire, EDF suit une feuille de route.

Le contrat de service public qui lie l'entreprise à l'État prévoit que l'augmentation des prix réglementés ne soit pas supérieure au rythme de l'inflation. La dernière majoration obtenue par l'entreprise, à hauteur de 2 %, remonte au mois d'août. La question tarifaire est d'autant plus importante chez EDF qu'elle juge que ses prix réglementés sont depuis longtemps inférieurs de 15 % en moyenne aux prix de marché. Par ailleurs, EDF souligne l'ampleur des investissements nécessaires dans ses installations. Autrement dit, le groupe estime que le moment est opportun pour obtenir une réévaluation de ses tarifs malgré la conjoncture.