VISE-Amsterdam n°335, 6/7/90:

"L'héritage de Tchernobyl"

Jaurès Medvedev, un ancien scientifique soviétique en agriculture et radiobiologie, qui a été exilé en 1973 et qui est maintenant un chercheur à l'Institut national de Recherche Médicale du Royaume Uni, vient de publier un livre intitulé "The Legacy of Chernobyl" ("L'héritage de Tchernobyl"). J. Medvedev, qui avait signalé à l'Ouest le désastre de 1957 dans l'Oural, offre à partir de documents soviétiques limités et de sources occidentales l'image la plus claire jusqu'à présent des événements qui ont conduit à Tchernobyl et de ses conséquences qui hanteront à jamais l'industrie nucléaire et les populations.

Medvedev confirme la théorie proposée par Don Arnott et Steve Martin selon laquelle l'accident a compris une explosion nucléaire. Il a finalement été établi que, vingt heures après la première explosion, le graphite du coeur était en feu, que celui-ci était encore en fusion, et que d'énormes quantités de radiations étaient toujours émises. En six jours, les hélicoptères ont versé plus de 5 000 tonnes de sable, de plomb et d'autres matières sur le coeur. La radioactivité a d'abord diminué de 4 millions de curies le 27 avril à 2 millions le 1er mai. La source d'oxygène du feu de graphite avait été coupée, mais la fission de radionucléides, qui pouvait provoquer des temperatures beaucoup plus élevées que tout feu classique, continuait. La radioactivité qui s'échappait du manteau de sable a recommencé à augmenter : 5 MCi le 3 mai et 7 MCi le 4 mai. Il y avait le risque que le coeur du réacteur, avec une température de 2 500 degrés C, ne s'enfonce jusqu'à la nappe d'eau sous le radier du réacteur, ce qui aurait provoqué une explosion et rejeté à l'air libre ce qui restait de matière radioactive.

Le 5 mai, 8 à 12 MCi se sont échappées, presque autant que le premier jour de l'accident. Du ruthénium 103 et 106, qui a un point de fusion à 2250°C se trouvait dans le panache radioactif. Le 6 mai, le désastre a commence à s'affaiblir et "seulement" 0,15 MCi ont été relachées. Mais cela représente tout de même une quantité encore supérieure à ce que l'incendie de Windscale a dégagé en 1957. Même à la fin du mois de mai 1986, les fuites quotidiennes étaient supérieures au total des fuites causées par l'accident de Three Mile island en 1979.
Le coeur du réacteur n°4 de Tchernobyl renfermait avant l'accident 1100 à 1200 MCi. 5 % (50 MCi) ont été dispersés dans l'environnement avant que le feu de graphite ne soit finalement éteint, après dix jours d'efforts immenses. 20 MCi se sont probablement déposés dans un rayon de 30 km autour de la centrale.

Ce n'est qu'en octobre 1986, lorsque le réacteur a été finalement enfermé dans le sarcophage, qu'il a cessé de contaminer l'environnement. Aujourd'hui encore, "personne ne sait", dit Jaurès Medvedev, "ce qu'il reste au sein du sarcophage et si le volcan radioactif de Tchernobyl est réellement mort. Pas plus qu'on ne sait s'il ne sera pas dangereux pour les générations à venir."

Le parlement soviétique a accepté en avril 1990 d'évacuer 180 à 200 000 personnes de plus, de Biélorussie et de Russie, au cours des deux prochaines années, au prix de 16 milliards de livres sterling. Des députés ont critiqué la valeur de la norme officielle limite de la contamination. On a dit aux gens qu'ils ne risquaient rien à vivre dans des zones contaminées jusqu'à 5 Ci/km2 (200 000 Becquerels/m2). Des députés de Biélorussie demandent que la limite soit abaissée à 1 Ci/km2. Le Dr Alexeï Yablokov, président de la Commission écologique du parlement soviétique dit que 2,5 millions de personnes vivent encore dans des zones contaminées. Les 200 000 qui doivent être évacuées vivent dans des zones "très contaminées".

La zone abandonnée constitue une source considérable de poussière radioactive. Malgré les tentatives pour fixer la poussière avec des produits chimiques, au cours de l'été 1986, la plupart de la poussière est restée mobile. Quand le vent soufflait vers le sud, c'était l'alerte à Kiev, où les rues étaient constamment arrosées. Des taches de contamination importantes ont continué d'apparaître tout au long de 1986, Jusqu'à ce que la neige recouvre le sol et empêche la poussière de se répandre.

Tout ce qui se trouve dans la zone interdite, depuis la terre jusqu'aux feuilles mortes, doit être classé déchet nucléaire. Une grande partie a sans doute été enterrée sur le site de Tchernobyl, qui a été isolé du bassin de la rivière Pripyat par un barrage étanche profond. Il est peu probable que cette méthode satisferait les normes internationales d'entreposage de déchets nucléaires. "L'échelle de la contamination de l'environnement a été si énorme en 1986 qu'il n'est pas surprenant que la tache de protection de la population n'ait pas été complètement réussie", dit Medvedev, "mais les effets sanitaires à long terme (...) ne sont que partiellement imputables aux radiations externes. 60 à 70 % des problèmes sanitaires futurs seront dûs à la consommation de produits agricoles contaminés".

En 1988, 10 000 km2 environ étaient contaminés en Césium 137 à plus de 15 Ci/km2. De la nourriture propre a été amenée pour 230 000 personnes vivant dans ces zones. Cependant, 21 000 km2 étaient contaminés entre 5 et 15 Ci/km2 de Césium 137 (200 000 à 600 000 Bcq/m2), ce qui est un taux trop élevé pour l'agriculture, mais ces terres n'ont pas été abandonnées. 100 000 km2 semblent encore connaître des niveaux allant de 1 à 5 Ci/km, en Césium 137 en 1989 (37 000 à 200 000 Bcq/m2), ce qui est trop élevé pour faire de l'élevage.

En 1986, 600 000 personnes ont été officiellement enregistrées comme ayant été "exposées de façon significative" et sont donc inclues dans un fichier spécial de gens dont la santé sera contrôlée pour le reste de leur vie. Ce fichier inclut toutes les personnes évacuées ainsi que celles qui vivent dans des zones de contrôle spécial. Leur nombre doit donc être plus élevé aujourd'hui. Cependant, les personnels civils et militaires qui ont été employés dans le nettoyage de la zone ne sont pas inclues dans ce fichier, à moins qu'elles ne vivent en Ukraine. On peut dire qu'entre 1986 et 1989, 600 000 autres personnes ont été engagées aux travaux dans la zone.

Pour plus d'informations sur l'évacuation et la contamination après Tchernobyl, voir "Wise" n°326, ou "The Environmental Destruction of the Soviet Union", par Jaurès Medvedev, publié dans "The Ecologist", vol. 10, n°1, janv. fév. 1990.

"The Legacy of Tchernobyl",
Zhores Medvedev,
Blackwell, 1990, 352 pp, U.K., 19,95 livres

Source : SCRAM (UK), juin/juillet 1990, p. 10-11
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