Nouvelobs, 1/8/2007:

Superphénix: 30 ans après, hommage au manifestant tué

Vital Michalon, physicien de 31 ans, a trouvé la mort le 31 juillet 1977 en manifestant contre la construction de la centrale nucléaire Superphénix à Creys-Malville. Sa famille et le réseau "Sortir du nucléaire" organisent un rassemblement en sa mémoire.

La famille de Vital Michalon et le réseau "Sortir du nucléaire" organisaient mercredi 31 août à 15 heures un rassemblement à Faverges (Isère) sur les lieux mêmes où ce jeune manifestant antinucléaire avait trouvé la mort, il y a trente ans, en protestant contre la construction de la centrale nucléaire Superphénix à Creys-Malville. Une centaine de personnes étaient présentes.

Le 31 juillet 1977, sous une pluie fine et dans le brouillard, quelques soixante mille manifestants tentaient de converger vers le site où l'Etat prévoyait de construire cette centrale nucléaire. Durement réprimée, la manifestation s'était soldée par la mort de Vital Michalon, 31 ans, physicien de formation, les poumons éclatés par la déflagration d'une grenade offensive dont les forces de l'ordre avaient largement fait usage. Un autre manifestant avait eu la jambe arrachée, tandis qu'un gendarme voyait la grenade qu'il s'apprêtait à lancer contre la manifestation lui exploser dans la main.

Un des derniers soubresauts de mai 68

L'issue de cette manifestation, la plus importante contre un projet d'établissement nucléaire, avait durement traumatisé toute une génération de militants qui l'avait vécue comme un des derniers soubresauts de mai 68.
Le nombre des manifestants, l'ampleur de la mobilisation n'avaient cependant pas ralenti les plans gouvernementaux puisque Superphénix était construit et couplé au réseau électrique en 1986. Mais ce prototype de réacteur à neutrons rapides, qui a longtemps cristallisé l'opposition des antinucléaires, n'a jamais fonctionné correctement. En neuf ans il n'aura été vraiment en service que pendant dix mois.
En 1997 le gouvernement de Lionel Jospin, dont Dominique Voynet était ministre de l'environnement, mettait fin à l'expérience Superphénix dont le démantèlement a depuis bien avancé mais qui de devrait être totalement terminé qu'en 2023.

Robert Marmoz

Lire:

Les surgénérateurs des réacteurs qui peuvent exploser (en PDF) Sciences et Vie n°703 avril 1976

Quelques vérités (pas toujours bonnes à dire) sur les surgénérateurs (en PDF) Sciences et Vie n°781, octobre 1982

 

Voir:

La vidéo du JT de TF1 du 31/7/1977.

 

 

Nouvelobs, 31/7/2007:

LA MORT D'UN MANIFESTANT ANTI-SUPERPHENIX:
"Il voulait permettre un véritable débat"

par Franck Michalon, frère de Vital Michalon, manifestant tué à Malville il y a trente ans

Dans quel état d'esprit vous rendez vous à Malville ?

- Il y a trente ans Vital est parti manifester à Malville avec Paul, un autre de mes frères, et un groupe de copains. La répression de la manifestation a tué un Michalon sur deux. Trente après nous sommes trente de la même famille à venir nous recueillir à l'endroit où Vital a été tué. C'est d'abord cette image là, cette signification, que je retiens

Qui était Vital Michalon ?

- Beaucoup de contre-vérités ont été dites sur Vital. Ce n'était pas un "militant antinucléaire", il n'était inscrit dans aucun parti, aucune association, et surtout pas comme je l'ai entendu dire, dans un groupuscule anarchiste. C'était un homme de 31 ans, non violent. Dans les années 60 il avait visité, à pieds, le Népal, puis il était allé vivre dans un kibboutz en Israël. Il était libre de tout engagement et possédait une formation scientifique. Il avait d'ailleurs fait un stage de quelques semaines au Centres d'études nucléaires de Grenoble. C'est fort de ses connaissances scientifiques qu'il pensait que Superphénix était une folie. C'est uniquement pour cela qu'il était allé manifester.
Il avait fait son service militaire, en suivant l'école des officiers de réserve, dans les chasseurs alpins. Il connaissait les réalités du danger, il connaissait les explosifs militaires, mais c'était un pacifique. Il s'est retrouvé par hasard en première ligne de la manif lorsque celle-ci avait été coincée dans l'entonnoir où le préfet de l'époque avait fait s'installer les forces de l'ordre. Il a identifié les grenades lacrymogènes, puis les grenades offensives qui étaient expédiées, à tirs tendus, sur les manifestants. Il donnait des consignes à Paul et aux autres copains pour qu'ils puissent respirer, et ne perdent pas leurs tympans dans les explosions.
On n'a aucun témoignage décisif sur ce qu'il s'est réellement passé. Seulement deux éléments : le premier c'est que des témoins l'ont vu sortir d'une haie, courbé en deux, se tenant le ventre, suivi par deux membres des forces de l'ordre qui lui ont tourné autour, fusils pointés vers lui, alors qu'il était au sol, puis qui sont partis. Le deuxième c'est la trace d'un impact circulaire de 6 centimètres relevé sur son thorax. C'est la taille d'une grenade. Les autorités ont dit dans un premier temps qu'il était mort d'un arrêt cardiaque, mais l'autopsie a conclu qu'il était décédé parce que ses poumons avaient explosé. Les enquêtes n'ont rien donné. Tout cela s'est terminé par un non lieu et la famille a du payer les frais de justice. Depuis trente ans l'Etat ne s'est jamais manifesté auprès de la famille, quels que soient les gouvernements : ni regrets, ni excuses, ni même de la simple compassion.

Quel sens donnez-vous à ce rassemblement, trente ans après la mort de votre frère ?

- Au début ce rassemblement sera strictement privé, nous voulons nous recueillir, sans déranger personne, à l'endroit où Vital a été tué. Le réseau "sortir du nucléaire" a proposé à ceux qui le souhaitent de se retrouver pour commémorer cet acte criminel de l'Etat et nous a proposé de nous y associer. Nous voulons que l'Etat soit véritablement démocratique, comme le souhaitait Vital pour le nucléaire. Pour lui l'Etat devait permettre un véritable débat des citoyens sur l'opportunité ou non de construire des centrales nucléaires. Ce qu'il n'a pas fait. Pour nous cette demande est donc toujours d'actualité, comme elle l'est pour le débat sur les OGM qui pourrait se traduire, ensuite, par un référendum auprès de citoyens informés. C'est pour cela que nous nous associons à la commémoration de "sortir du nucléaire". Car tant que l'Etat n'a pas montré qu'il est réellement démocratique cela peut conduire au drame comme pour Vital, et on ne peut pas dire que Vital n'est pas mort pour rien. Mais c'est aussi pour cette raison que nous y associons la mémoire du photographe de Greenpeace tué dans le sabotage, par les services français, du "Rainbow warrior" et celle de Sébastien Brillat tué il y a deux ans alors qu'il manifestait contre un convoi transportant des déchets nucléaires.

Propos recueillis par Robert Marmoz
(le mardi 31 août)