Quand le programme électronucléaire
de la France a été rendu public en 1974 avec le
rapport d'Ornano
il y a eu des mouvements « antinucléaires »
mais aucun, à l'exception d'Erdeven, n'était
contre cette électronucléarisation massive, mais
seulement contre la construction d'une centrale chez eux. Ces
mouvements locaux, y compris lorsqu'ils entraînaient la
participation massive d'antinucléaires extérieurs
comme à Plogoff,
n'ont rien changé au programme nucléariste de l'état.
S'il y a eu échec de l'antinucléaire ce n'est pas
parce qu'il n'a pas pu empêcher l'industrie de se lancer
à fond dans le nucléaire, mais parce qu'il n'a pas
développé dans l'opinion publique une réaction
de défense contre cette industrie. Pourquoi ? C'est la
question et les réponses à cette question qui me
paraissent importantes en ce moment où rien ne semble possible
pour arrêter ou même ralentir la nucléarisation
de la France comme le montrent la construction de la nouvelle
usine d'enrichissement d'uranium par centrifugation (Georges Besse II) visant à remplacer
Eurodif et celle du réacteur EPR à Flamanville. Il me semble important de rappeler
que le programme d'Ornano qui accélérait le processus
d'électronucléarisation a pris prétexte de la crise pétrolière
de 1973 pour lancer un programme qui avait été minutieusement
mijoté depuis bien des années (voir les exploits
de la Commission Péon, commission pour la production
d'électricité d'origine nucléaire,
créée en 1950). Cette commission devait convaincre
les industriels français à investir dans les travaux
nucléaires sans avoir aucun risque financier en cas de désastre
nucléaire. L'activité de cette commission Péon [1] dont on trouve
maintes traces dans le Journal Officiel n'a intéressé
aucun mouvement antinucléaire. Dès les années
1970 le problème majeur qui a préoccupé le
mouvement était de savoir s'il devait être totalement
indépendant de la politique ou s'il ne devait être
qu'un appui aux quelques individus antinucléaires largement
minoritaires dans les syndicats (CFDT) ou les partis (PS). Mais
ce qui est plus significatif c'est d'examiner l'argumentaire antinucléaire
des années 70. Dans chaque numéro de la Gueule Ouverte,
une référence pour les antinucléaires, il
y avait une page entière de Reiser sur le solaire, le vent.
Globalement l'essentiel n'était pas le désastre
possible d'un accident nucléaire qui avait pourtant été
bien analysé aux Etats-Unis en février 1957 par
des scientifiques de Brookhaven dans le
rapport WASH 740 et qui donnait une vue d'ensemble de l'ampleur
de la catastrophe assez voisine de Tchernobyl [2]. Jusqu'en 1979 (accident de
Three Mile Island aux
Etats-Unis) parler d'un désastre nucléaire dans
une réunion antinucléaire des Amis de la Terre,
du PSU, de la CFDT ou autres, était très mal vu,
on se faisait traiter de catastrophiste et accuser violemment
de rendre le mouvement « incrédible ». Vu de
maintenant on ne comprend plus du tout l'argumentation dite «
antinucléaire » de cette époque. La radicalisation
antinucléaire était évidemment totalement
incompatible avec les alliances écolo-gico-politicardes
qui étaient à la mode. Les partis politiques et
les syndicats étant en totalité pronucléaires,
une alliance avec eux impliquait une certaine souplesse.
L'échec de l'antinucléaire en France ce n'est
pas d'avoir été incapable de bloquer la nucléarisation
mais de ne pas avoir développé dans la population
la conscience des dangers inacceptables de l'énergie nucléaire
qui aurait permis de la bloquer. Quand on examine les raisons
développées par les « antinucléaires
» pour la critiquer on s'aperçoit qu'elles n'avaient
rien de bien convaincant. Remplacer l'électricité
nucléaire par du vent, du soleil, arguments majeurs de
la stratégie antinucléaire, revenait à dire
à des gens sensés que les solutions proposées
pour arrêter le nucléaire n'étaient pas crédibles.
Lorsque, avec Tchernobyl, le désastre nucléaire
a enfin été pris en compte le résultat n'a
pas été celui escompté « il faut arrêter
le nucléaire » mais une sorte de fatalisme «
il n'y a pas de solution, on n'a pas le choix » puisque
la solution de l'électricité à partir des
combustibles fossiles a été écartée,
le charbon diabolisé
et encore plus lorsque l'effet
de serre a été mis sur le devant de la scène.
Il n'y a pas eu, de la part des écologistes patentés,
une approche pragmatique applicable au cas français pour
une sortie d'urgence. Comment produit-on donc majoritairement
l'électricité
en Allemagne et dans tous les autres pays du globe ? Les publications
écologistes évitent soigneusement d'utiliser les
mots charbon et fioul, le gaz a meilleure presse mais ce n'est
que depuis peu qu'il se développe en France. On trouve
maintenant des tas de publications écologistes, antinucléaires
(?) qui décrivent d'une façon précise toutes
les conséquences d'un désastre possible et envisageable
(voire, envisagé) et qui se terminent par un programme
de solutions totalement irrationnelles comme de proposer des centrales
à charbon qui ne produisent pas de gaz carbonique ! (Il
n'est même pas fait état de la possibilité
de le « séquestrer »).
Il y a quelques années, dans une interview sur France-Culture,
le responsable nucléaire de Greenpeace-France, Jean-Luc
Thierry, attribuait l'échec du mouvement antinucléaire
français au fait qu'il n'avait pas produit du « rêve
». C'est évident que si le mouvement a totalement
échoué c'est parce qu'il n'a produit que
du rêve. Ce n'est pas qu'avec du rêve qu'on va convaincre
les gens. En définitive il m'apparaît clairement
que l'échec du mouvement antinucléaire est finalement
le résultat de l'argumentation développée
par les militants « antinucléaires ». Ils ont
été plus efficaces que les nucléocrates pour
convaincre la population que la sortie du nucléaire était
impossible. Il faudra en tenir compte pour les responsabiliser
s'il y a un désastre.
Roger Belbéoch, mai 2008,
extrait de La lettre d'information n°117 du Comité
Stop Nogent.
[1] Philippe Simonnot, Les nucléocrates,
Ed. Presses universitaires de Grenoble, 1978.
[2] R. Belbéoch, Un peu d'histoire ça ne fait
pas de mal, La Gazette Nucléaire n°213/214, mai
2004.