L'Est Républicain, 22/12/2007:
Pour ses travaux sur Tchernobyl, Youri Bandajevsky a connu la prison. Il vit aujourd'hui un exil difficile en France. Rencontre en Moselle.
Lorsqu'il décroche son doctorat en 1988,
Youri Bandajevsky est le plus jeune médecin et docteur
ès sciences dans l'histoire de l'Union soviétique.
Alors qu'il n'a que 38 ans, ce spécialiste en anatomopathologie
devient professeur en 1989 et prend la direction du nouvel institut
de médecine de Gomel, en Biélorussie. L'homme aurait
sans doute mené une brillante carrière, s'il n'y
avait pas eu Tchernobyl.
Le 26 avril 1986, l'explosion du réacteur nº 4 de
la centrale nucléaire ukrainienne va totalement changer
sa vie, briser l'élan d'une ascension fulgurante et projeter
le savant dans l'enfer de la prison puis de l'exil. Car Youri
Bandajevsky a fait l'erreur, impardonnable aux yeux des autorités
de son pays, d'affirmer que le césium 137, principal élément
radioactif échappé de la centrale va contaminer
sur le long terme les populations exposées aux retombées
de la catastrophe. Il s'appuie entre autres sur ses expériences
et les examens effectués sur des patients, surtout des
enfants: «Même à petite dose, le césium
affecte durablement l'équilibre énergétique
des cellules et provoque notamment des pathologies cardiaques»,
souligne-t-il. Un diagnostic corroboré par son épouse
Galina, elle-même médecin cardiologue à Gomel.
Terroriste
Décembre 2007. Youri Bandajevsky n'a plus que sa voiture, son ordinateur, quelques vêtements et une grosse boîte en carton qui abrite tous ses livres et publications. Son trésor qu'il promène au gré de ses séjours chez des amis français, qui, à l'époque où il croupissait dans les geôles de Minsk, ont fait pression avec le milieu scientifique et politique occidental sur l'oligarque président du Bélarus Alexandre Loukachenko pour qu'il libère le «prisonnier scientifique».
Exil
Là-bas, dans la République qui
fleure toujours bon le paradis communiste, on ne rigole pas du
tout sur la liberté d'informer et de contester. Accusé
tout d'abord de «terrorisme», puis d'avoir touché
des pots-de-vin de ses étudiants pour leur accorder leur
examen, le trublion chercheur est arrêté en juillet
1999, jugé en juin 2001 et condamné à huit
ans de prison. En France, ce verdict mobilise, notamment la Commission
de recherche et d'information indépendantes sur la radioactivité
(Criirad), une ONG basée à Valence, dans la Drôme,
créée juste après Tchernobyl pour dénoncer
le «mensonge d'Etat» sur les retombées
du nuage radioactif dans l'Hexagone.
Malgré des milliers de lettres de soutien, Youri passera
quatre ans derrière les barreaux avant d'être «relégué»
dans un kolkhoze comme gardien «chargé de surveiller
le bétail contre les attaques de loups!», dit-il
à Hilbesheim, en Moselle, où il a trouvé
refuge quelques jours chez l'euro-députée Verte
Marie-Anne Isler-Béguin. La France, il y vit depuis avril
2006. Trop heureux de se débarrasser de ce client gênant,
le régime de Minsk lui a signé un bon de sortie
qu'il espère «définitif».
Youri débarque alors à Clermont-Ferrand, ville jumelée
avec Gomel. La région Auvergne lui accorde une bourse annuelle
de recherche de 40.000 euros. La somme lui permet de s'installer,
d'engager un partenariat avec la Criirad pour créer un laboratoire indépendant au Bélarus
afin qu'il puisse poursuivre ses recherches avec son épouse,
restée au pays. Environ 160.000 euros de dons affluent
à Valence.
Impasse
Aujourd'hui toutefois, la situation du savant
est enlisée. Le Bélarus a multiplié les obstacles
pour entraver le projet de laboratoire, sa subvention n'a pas
été renouvelée et il a choisi l'été
dernier de mettre un terme à sa collaboration avec la Criirad:
«Sa décision nous a plongés dans l'embarras,
il a fallu recontacter tous les donateurs pour leur expliquer
son geste. On a pourtant fait des pieds et des mains pour le retenir»,
soupire Murielle Renard, chargée de la communication de
l'ONG.
Ingérable le prof? Toujours très marqué par
la descente aux enfers qu'il a vécue dans son pays, il
sait qu'il ne peut pas y retourner. «Ils font tout pour
m'y empêcher, des pressions sur ma femme, du chantage pour
les études de mes deux filles», gronde, impuissant,
l'ancien recteur de l'université de Gomel dont le message
n'a pas varié d'un iota: «Si on ne prend pas des
mesures pour éviter la pénétration des radionucléides
dans l'organisme des adultes ou des enfants, l'extinction menace
mon peuple d'ici quelques générations.»
Célèbre malgré lui, combattant acharné
pour la vérité et la justice, symbole de l'opacité
qui entoure le nucléaire, Bandajevsky est désormais
aussi encombrant dans son pays d'origine que dans son pays d'accueil.
Les retombées de Tchernobyl n'ont pas fini de nuire.
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