Le Monde, 14/12/06:

La tentation nucléaire du Japon

Premier pays atomisé de la planète, le Japon veut-il devenir une puissance nucléaire ? La question a longtemps été taboue. Ce n'est plus le cas. L'essai nucléaire nord-coréen du 9 octobre a provoqué une vague de déclarations au plus haut niveau du gouvernement et du parti au pouvoir réclamant l'ouverture d'un débat public sur cette question. A l'occasion de la récente visite à Tokyo de Mohamed Elbaradei, directeur de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA), le gouvernement a réaffirmé qu'il n'y avait aucun changement dans sa doctrine non nucléaire et qu'il s'en tenait aux trois principes adoptés en 1967 : "ne pas produire, détenir ou avoir sur son territoire" une telle arme. Il avait toutefois précisé peu avant que sa Constitution pacifique n'interdit pas au Japon de se doter d'un arsenal nucléaire s'il est nécessaire à sa défense.

Le premier ministre, Shinzo Abe, tiraillé entre les attaques de l'opposition, qui fait valoir que de telles déclarations entament la crédibilité du Japon à l'étranger, et son souci de ne pas se démarquer des partisans de l'ouverture du débat, dont il partage les opinions en matière de renforcement de la position stratégique du pays, est resté évasif. M. Abe s'est borné à déclarer que le débat n'est pas approprié mais qu'il est excessif d'occulter des sujets qui suscitent des polémiques.
Remise sous le boisseau, la question de la nucléarisation du Japon demeure sous-jacente à l'ambition de ses dirigeants de faire de l'Archipel une nation dotée de tous les attributs de la puissance en révisant la Constitution de 1947 par laquelle il s'interdit de recourir à la force. Selon M. Abe, l'article 9 - qui stipule le renoncement à la guerre - est "une disposition ne correspondant plus à l'époque actuelle" et qui doit être repensée afin de permettre au Japon d'assumer ses responsabilités internationales. L'adoption, à la quasi-unanimité, par le Parlement, le 30 novembre, d'un projet de loi transformant l'actuelle Agence de défense en un véritable ministère est un nouveau pas dans le sens d'une réaffirmation du Japon sur la scène internationale. La banalisation de l'hypothèse d'un armement nucléaire de l'Archipel en est un autre.
Le président du conseil politique du Parti libéral démocrate (PLD), Shoichi Nakagawa, a mis le feu aux poudres en appelant, peu après l'essai atomique nord-coréen, l'ouverture d'un débat national sur cette question. "Quand en discuterons-nous sinon maintenant que la Corée du Nord a franchi le pas ? Le Japon ne peut passer outre à l'option nucléaire", avait-il déclaré. Il n'est pas le seul dans la majorité libérale démocrate à souhaiter une clarification de l'attitude de son pays sur l'arme nucléaire.
L'Archipel est placé sous le "parapluie nucléaire" américain, mais, conformément à l'un des trois principes non nucléaires - "ne pas avoir sur son territoire" de telles armes -, celles-ci se trouvent à l'extérieur. Takashi Sasagawa, président du comité éthique du PLD, estime qu'il est irréaliste de continuer à bannir de telles armes de l'Archipel. Dans un livre collectif publié en 1996, La Révolution conservatrice, rappelle Asahi Shimbun, le jeune parlementaire Shinzo Abe écrivait que "des bateaux américains avec à bord des armes nucléaires ont toujours relâché dans les ports japonais". Dénonçant l'"hypocrisie" des dirigeants du passé, M. Abe appelait de ses voeux un homme qui dise les choses clairement. Le directeur de l'Agence de défense, Fumio Kyuma, vient de déclarer qu'en cas de crise il est "normal" que des armes nucléaires américaines soient déployées au Japon.

LE "PARAPLUIE" AMÉRICAIN

Le Japon dispose de tous les moyens de se doter, par lui-même et dans un délai très bref, de l'arme atomique : bien que l'usage de l'uranium importé soit limité par la loi sur l'utilisation de l'énergie atomique à des fins pacifiques, il maîtrise tout le processus de production de l'atome, qui répond à un tiers de ses besoins en énergie. La décision est donc politique.
La nucléarisation du pays suscite chez les Japonais des sentiments contradictoires : l'allergie à une arme dont le pays fut la dramatique victime et l'aspiration, latente depuis la défaite, à recouvrer une autonomie pleine et entière. Etat souverain, le Japon l'est assurément depuis l'entrée en vigueur du traité de San Francisco (1952), qui lui a restitué son indépendance, mais sous l'aile protectrice des Etats-Unis. Et il aspire à se défaire de cette ultime dépendance en devenant maître de sa sécurité. Il s'y emploie, étape par étape, dans le cadre de l'alliance avec Washington. Mais un sursaut "gaullien", évoqué avec envie par plusieurs hommes politiques, n'est pas la voie qu'il suivra tant qu'il sera assuré du "parapluie" nucléaire américain.
Outre la difficulté de convaincre une opinion rétive à renier ses engagements antinucléaires, les études de l'Agence de défense sur les avantages et les inconvénients de détenir l'arme nucléaire ont conclu que celle-ci serait, dans la situation présente, plus dommageable que profitable à la sécurité nationale. Dans l'hypothèse où la Corée du Nord voudrait attaquer le Japon, si le "parapluie" américain ne dissuade pas Pyongyang, une arme japonaise n'aurait guère plus d'effet. En revanche, la nucléarisation de l'Archipel provoquerait un "séisme" géostratégique. Le retrait du Japon du traité de non-prolifération (TNP), dont il est un ardent défenseur, porterait un coup fatal à celui-ci.
La possession de l'arme atomique par Tokyo pourrait en outre être ressentie à Washington comme un acte de défiance. Elle cabrerait la Chine et lancerait une course aux armements dans la région, en hypothéquant toute chance de dénucléarisation de la péninsule coréenne. Pour toutes ces raisons, le futur secrétaire général des Nations unies, Ban Ki-moon, en visite à Tokyo, a appelé les dirigeants japonais à la retenue. "Il n'est pas souhaitable que des membres du gouvernement continuent à donner l'impression que l'armement nucléaire est une option politique pour le Japon", a-t-il déclaré.
Ouvrir un débat pour conclure que finalement il est préférable de ne pas se doter de l'arme nucléaire réduirait la marge de manoeuvre du Japon en lui liant les mains. Et Tokyo préfère rester dans le flou, n'excluant pas cette éventualité tout en affirmant qu'elle n'est pas à l'ordre du jour. Rien de plus normal, dans un pays qui garantit la liberté d'expression, que de débattre des moyens de préserver la sécurité. Il reste que soumettre au questionnement les principes pacifistes fondateurs du Japon de l'après-seconde guerre mondiale revient à en relativiser la portée.

Philippe Pons

 


Sondage: huit Japonais sur dix refusent l'arme nucléaire

21 novembre 2006 - Huit Japonais sur dix veulent que leur pays continue à proscrire la fabrication, la possession ou le stockage sur son territoire d'armes nucléaires. Tel est le résultat d'un sondage publié mardi par le quotidien "Yomiuri Shimbun".
Moins de 20% des personnes interrogées pensent que le Japon devrait revoir ces trois principes anti-atomiques, en vertu desquels l'Archipel s'est placé sous la protection du parapluie nucléaire américain depuis les années 1960, selon ce sondage réalisé auprès de 3000 personnes les 11 et 12 novembre.
Depuis l'essai nord-coréen du 9 octobre, plusieurs dirigeants nippons, parmi lesquels le ministre des Affaires étrangères Taro Aso, ont appelé à l'ouverture d'un débat sur l'opportunité ou non de développer l'arme atomique. Une idée longtemps taboue au Japon, seul pays au monde à avoir subi le feu nucléaire à Hiroshima et Nagasaki en 1945.
D'après le sondage du Yomiuri, 51% des Japonais sont opposés à la tenue d'un tel débat mais 46% sont pour. Le premier ministre Shinzo Abe a affirmé à plusieurs reprises qu'il n'était pas question pour le Japon d'envisager de se doter de l'arme nucléaire, qu'il est techniquement capable de produire.



Prolifération nucléaire possible sinon probable en Asie

TAIPEH (19 octobre 2006) - Six mois suffiraient au Japon pour fabriquer une bombe atomique s'il en prenait la décision - lui ou l'un de ses voisins - à la suite de l'essai nucléaire auquel a procédé la Corée du Nord, ce qui pourrait déclencher une course aux armements régionale, estiment les experts.
Depuis que Pyongyang a annoncé avoir testé un engin nucléaire le 9 octobre, les gouvernements du Japon, de la Corée du Sud et de Taiwan se sont appliqués à souligner qu'ils ne comptaient pas développer de programmes d'armement nucléaire. Nombre d'experts estiment aussi que les pressions des Etats-Unis, soucieux de prévenir une prolifération nucléaire déstabilisatrice en Extrême-Orient, feraient efficacement obstacle à la mise au point de tels arsenaux.
Mercredi à Tokyo, la secrétaire d'Etat américaine Condoleezza Rice a assuré aux dirigeants nippons que Washington tiendrait ses engagements en matière de sécurité dans la région, notamment en ce qui concerne la défense du Japon en cas d'agression. Mais beaucoup spéculent sur le fait que les priorités pourraient changer à l'avenir, en fonction d'éventuels nouveaux essais nord-coréens et des perspectives de mise au point de missiles à longue portée dotés d'ogives nucléaires.
A court terme, la Corée du Sud et Taiwan manqueraient de matériaux fissiles en quantité suffisante pour assembler un tel engin, déclarent des experts. Mais au Japon, seul pays au monde sur lequel aient été larguées des bombes atomiques, des réacteurs nucléaires ont produit assez de plutonium à partir de combustible usagé pour fabriquer un engin en six mois, ajoutent-ils. Un programme intensif de ce type exigerait un effort énorme et provoquerait sans doute de graves dissensions internes, estime Mark Fitzpatrick, spécialiste de la non-prolifération à l'Institut international des études stratégiques de Londres.
"Le Japon possède assez de plutonium d'une qualité correspondant aux réacteurs pour en faire, selon certains experts américains, une arme en deux mois s'il met toute son énergie nationale dans le projet", dit Fitzpatrick. Mais, "à moins d'avoir procédé à des travaux préliminaires, il serait plus réaliste de dire que cela lui prendrait dans les six mois."

Recherches interrompues
La Corée du Sud et Taiwan ont travaillé à la mise au point d'armes nucléaires dans les années 1970 et 1980 avant d'y renoncer sous la pression des Etats-Unis, selon le site internet de l'Initiative pour la réduction de la menace nucléaire (www.nti.org). Séoul et Taipeh disposent de centrales nucléaires produisant des matériaux susceptibles de servir à fabriquer du plutonium pour un usage militaire. La relance de tels programmes serait toutefois difficile d'un point de vue à la fois pratique et politique, indiquent des analystes. "Pour que Taiwan et la Corée du Sud se dotent de matériels produits sur place, il faut compter au moins deux ans dans l'hypothèse où serait lancé un programme intensif", déclare un diplomate en poste à Vienne et proche de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA).
La Corée du Sud avait suscité des remous en annonçant il y a deux ans à l'AIEA qu'elle avait procédé avec succès à l'enrichissement de petites quantités d'uranium dans les années 1970 et au début des années 1980, et qu'elle avait en outre extrait de petites quantités de plutonium à cette époque. Depuis lors, Séoul dit se conformer strictement à la réglementation de l'AIEA. Mais, après l'essai nord-coréen, 65% des Sud-Coréens interrogés lors d'un sondage se sont prononcés pour la mise au point d'armes nucléaires. Un redémarrage du programme nucléaire taiwanais est aussi jugé problématique, ne serait-ce que parce qu'il serait inacceptable pour la Chine, qui tient l'île pour une province chinoise rebelle qu'elle menace de reprendre par la force. Taipeh a réaffirmé qu'il ne relancerait pas de programme nucléaire militaire. L'expert nucléaire taiwanais Jiang Shiang-huei déclare que l'île ne possède pas le savoir-faire voulu pour produire du plutonium exploitable à un niveau militaire.
Le Japon possède une capacité de lancement de fusées adaptable aux tirs de missiles à longue portée, déclarent des experts. "Une fusée est exactement la même chose qu'un missile. Il suffit de changer son angle de tir et de la diriger sur le pays pris pour cible", fait observer Yasuhiko Yoshida, professeur d'études politiques internationales à l'Université d'Osaka.

Richard Dobson

 


Le débat sur l'armement nucléaire du Japon est "clos", selon le Premier ministre Shinzo Abe

TOKYO (18/10/06) - Le Premier ministre du Japon Shinzo Abe a réaffirmé mercredi que son pays ne fabriquera pas de bombe nucléaire et que le débat était "clos".
Cette déclaration survient alors que son ministre des Affaires étrangères a estimé devant la Diète (Parlement) que le Japon devait discuter ouvertement de la possibilité pour l'archipel nippon de se doter de l'arme atomique à la lumière de l'essai nucléaire effectué par la Corée du Nord. "Pour moi, ce débat est clos", a souligné Shinzo Abe devant la presse, ajoutant qu'au sein du cabinet les ministres étaient unis autour de la politique en vigueur depuis la fin de la seconde guerre mondiale qui consiste à ne pas mettre au point ou autoriser des armes nucléaires sur le sol japonais.


 

Libération, jeudi 12 octobre 2006:

La tentation nucléaire au Japon
Face à la menace nord-coréenne, Tokyo pourrait se doter d'armes atomiques.

Tokyo de notre correspondant

«Il est possible, désormais, que le Japon veuille posséder lui aussi la bombe atomique», déclarait lundi, accablé, le président sud-coréen, Roh Moo-hyun, peu après l'essai nucléaire (présenté comme tel) annoncé par la Corée du Nord, et au sortir de sa rencontre avec le Premier ministre japonais, Shinzo Abe, en visite à Séoul.

Traumatisme atomique. Bien que le Japon bénéficie du «parapluie» nucléaire américain (Japon et Etats-Unis sont liés par un traité de sécurité), le nouveau rapport de forces créé en Asie par l'entrée de la Corée du Nord dans le club fermé (une dizaine de pays) des puissances nucléaires, ne peut qu'encourager le Japon à vouloir le rejoindre. Que le seul pays à avoir subi un double traumatisme atomique, les 6 et 9 août 1945 à Hiroshima et Nagasaki, cède à la tentation nucléaire, est un scénario que le vice-président américain, Dick Cheney, avait imaginé en mars 2003 : «Si la Corée du Nord se dote de la bombe , le Japon pourrait être obligé d'examiner s'il veut ou non revoir la question nucléaire.» 

Un Japon doté de l'arme nucléaire ? Les diplomates nippons en réfutent l'idée. «Le Japon, assurent-ils, n'abandonnera jamais ses trois principes non nucléaires.» Adoptés en 1967, ils empêchent le Japon de fabriquer une arme nucléaire, d'en acquérir une et d'en autoriser la présence sur son sol. Le Japon, font-ils valoir, continue d' «oeuvrer de toutes ses forces au désarmement nucléaire» , selon la formule de l'ex-Premier ministre Junichiro Koizumi.

Dans les faits pourtant, c'est une autre réalité qui transparaît. Dans les couloirs feutrés de Nagatacho, monument qui abrite le Parlement à Tokyo, où s'élaborent dans le secret les futurs projets de lois,
un député du Parti libéral démocrate (PLD, au pouvoir) résume le sentiment général : «Les Japonais sont majoritairement opposés à l'idée que leur pays possède des armes nucléaires. Mais au Japon, la politique de défense n'a jamais été dictée par le peuple. Si le gouvernement Abe veut doter le Japon d'une politique de dissuasion nucléaire, rien ne peut l'en empêcher face à une Corée du Nord de plus en plus menaçante.  Ni l'AIEA ni les Américains ! D'ailleurs, un bon nombre de républicains, proches du président Bush, soutiennent cette idée.» 

Aussi le maire de Hiroshima, Tadatoshi Akiba, n'a-t-il pas tort quand il dit craindre que «le gouvernement cherche à faire du Japon une puissance atomique» . L'ancien tabou nucléaire, en effet, a volé en éclats auprès d'un grand nombre de politiques et stratèges jugeant que le moment est venu pour l'archipel de se doter de l'arme atomique. «Rien n'empêche le Japon, ajoute le député, de rester militairement lié aux Etats-Unis tout en élaborant sa propre politique de dissuasion nucléaire.» Décomplexé, le Premier ministre, Shinzo Abe, défend depuis longtemps cette idée. Il assurait déjà, en 2002, que «doter l'armée japonaise d'armes nucléaires tactiques» ne violerait pas forcément la Constitution pacifiste de 1947
? que le même Abe entend d'ailleurs réviser. Preuve que le «pacifisme constitutionnel» n'est plus intangible.

Le Japon a-t-il les moyens de ses ambitions ? C'est ce qui inquiète l'Agence internationale pour l'énergie atomique, troublée par le «potentiel nucléaire» du Japon (55 réacteurs civils). En 1993, un rapport de l'Agence nippone pour la science et la technologie expliquait que, «grâce à sa puissance technologique et financière», le Japon pouvait fabriquer des armes nucléaires depuis les années 80. Depuis, Tokyo a joué avec le feu.
En cultivant l'ambiguïté avec son concept de weaponless deterrence : d'une dissuasion nucléaire... sans arme nucléaire. Le message était simple et crédible : le Japon faisait savoir qu'il pouvait, en un temps record, fabriquer des armes nucléaires. Mais qu'il ne le faisait pas, car il adhère au traité de non-prolifération. Aujourd'hui encore, c'est la ligne officielle.

Bombes. Les experts pensent que le Japon peut fabriquer une bombe atomique en trois mois. Et qu'il a acquis le savoir-faire pour militariser une tête de missile. Au quotidien sud-coréen JoongAng Ilbo , Kenichi Ohmae, un stratège japonais, assurait en février 2005 que Tokyo dispose d' «au moins 50 tonnes de plutonium» issues de ses réacteurs civils, «de quoi fabriquer 2 000 bombes atomiques...» En douce, le Japon pourrait être tenté de franchir le pas. D'autant qu'il entend devenir «un pays normal». C'est-à-dire, selon les «faucons» nippons, nucléarisé. Une idée explosive puisque la Chine refuse d'en entendre parler.

Michel TEMMAN

 


RFI, Chronique Asie, 21/9/2005:

Le Japon et le nucléaire

L'impensable va sans doute se réaliser : le Japon risque de devenir à brève échéance la quatrième  puissance nucléaire  militaire de l'Asie. Ce pays  possède déjà  l'une des plus grandes réserves de plutonium du monde, évaluée à 45 000 kilogrammes. La seule question aujourd'hui est de savoir quand son gouvernement prendra la décision de développer des armes atomiques à partir de ces réserves. Compte tenu des deux principales menaces qui planent sur la sécurité de l'archipel, c'est à dire, les tendances hégémoniques de la Chine et les volte-face de Pyongyang à chaque négociation sur son programme nucléaire militaire, cette date serait proche.

Le Japon est d'ores et déjà le pays asiatique le plus avancé sur le plan technologique en général et sur l'atome en particulier. Vaincu par les Etats-Unis en 1945, ce pays avait alors renoncé formellement au nucléaire. Dans la période de l'après guerre, les gouvernements japonais successifs ont mis en oeuvre une politique visant à doter le pays d'un potentiel  à usage civil basé sur la production de plutonium. Ce programme a débouché sur la construction de la coûteuse  centrale de retraitement de Rokkasho-Mura, la plus importante du Japon. A plusieurs reprises, la communauté internationale s'était émue de ces stocks de plutonium disproportionnés. Mais les officiels  de l'Institut japonais du développement nucléaire  assuraient à chaque fois qu'ils étaient destinés à la recherche scientifique.

Une autre évolution favorable à l'atome s'est affirmée au cours des années 90 avec l'apparition d'un courant politique prônant le  renforcement du système  de défense du pays. Les discussions sur une éventuelle réforme de la constitution japonaise, notamment de l'article 9, par lequel Tokyo a renoncé pour toujours à faire la guerre, ont mis en lumière l'existence  de partisans  de l'atome militaire dans la classe politique elle-même. Plus récemment, l'impasse de la crise nucléaire nord-coréenne, la forte présence de la marine chinoise dans les eaux territoriales de l'archipel et  la renaissance du nationalisme japonais, ont donné des ailes à ceux qui  voient d'un très bon il l'adhésion du Japon au club des puissances dotées de l'arme atomique.

Le Japon est actuellement  un acteur majeur du débat sur le désarmement, aussi bien à l'ONU que dans des cadres plus informels. Reste à savoir dans quelle mesure cette posture  sera compatible avec les pressions au sein de la société japonaise pour que le pays  devienne à terme  une puissance nucléaire militaire.

Any Bourrier

 

Le nucléaire n'est plus tabou au Japon, 58 ans après Hiroshima

TOKYO (4 aout 2003) - Hiroshima commémore cette semaine le 58ème anniversaire du premier bombardement atomique de l'histoire sur le thème rituel du "plus jamais ça", mais, après des décennies, la montée de la menace nord-coréenne a brisé le tabou de l'arme nucléaire au Japon.
Le glas va sonner mercredi comme chaque 6 août pour que le monde se souvienne de ce matin d'été de 1945 où un bombardier américain lâcha "Little Boy" sur le Japon en guerre, tuant 200.000 personnes.
Mais dans certains cercles dirigeants conservateurs comme chez leurs homologues américains, et jusque dans une frange du public japonais, la question d'un Japon atomique est désormais posée comme réponse possible aux missiles et ambitions nucléaires de Pyongyang. "Le Japon a-t-il le droit d'avoir des armes nucléaires"?, demande un site web populaire et, de manière surprenante, 53% des près de 8.000 réponses adressées en quatorze mois à VOTE.co.jp ont été positives.
Les sondages indiquent généralement qu'une majorité de Japonais reste hostile à une nucléarisation de leur pays. Mais la discussion publique est révélatrice d'une évolution des esprits dans le contexte d'une plus grande implication du Japon sur la scène internationale aux cotés des Etats-Unis, en Afghanistan et en Irak par exemple.
Le débat a été lancé il y a un peu plus d'un an par plusieurs hommes politiques qui ont remis en question l'"allergie atomique" prêtée au seul pays victime de la bombe atomique.
En mai 2002, le secrétaire adjoint du gouvernement Shinzo Abe a estimé que des armes nucléaires tactiques "ne violeraient pas forcément la constitution" pacifique de l'archipel.
Quelques semaines plus tard, le secrétaire du gouvernement Yasuo Fukuda, son principal porte-parole, a déclaré que la politique interdisant depuis plus de 30 ans la production, possession et présence de l'arme atomique au Japon pourrait être révisée, même si cela restait exclu dans un avenir proche.
Ce genre de remarques aurait couté leur place aux responsables japonais il y a quelques années encore et provoqué un tollé dans la région. Mais la volonté des conservateurs au pouvoir de faire du Japon un "pays normal" près de 60 ans après la fin de la guerre, l'arrivée de l'administration Bush au pouvoir aux Etats-Unis et, surtout, la menace nord-coréenne ont modifié la donne.
En mars, le vice-président américain Dick Cheney a estimé que si Pyongyang se dotait de la Bombe, il s'en suivrait probablement une course aux armements en Asie.
"D'autres, peut-être le Japon, par exemple, pourraient être obligés d'examiner s'il veulent ou non revoir la question nucléaire", a-t-il dit. Cette évolution inquiète le maire de Hiroshima, Tadatoshi Akiba, qui poursuit la croisade anti-nucléaire et pacifiste de ses prédecesseurs. "Je ne peux pas m'empêcher de craindre que le gouvernement cherche à faire du Japon une puissance atomique", dit-il. Dans la déclaration qu'il prononcera mercredi, M. Akiba va inviter le président George W. Bush et le dirigeant nord-coréen Kim Jong-Il à se rendre dans la ville martyre pour y "confronter la réalité de la guerre nucléaire".
Mais pour Terumasa Nakanishi, professeur de relations internationales de l'université de Kyoto, les belles paroles de paix ne suffisent plus à garantir la sécurité.
"Si l'on veut éviter un troisième bombardement atomique au Japon de la part de Kim Jong-Il, nous devons agir de manière plus concrète que par des rassemblements et pélerinages du souvenir", écrit-il dans le numéro d'août de la revue Shokun. "Contre le nucléaire, il est difficile de trouver un autre moyen efficace que le nucléaire", ajoute-t-il.