CRIIRAD, 29/10/2025:
Indonésie : la situation est-elle vraiment sous contrôle ?

 

 

Le Canard Enchainé, 22 octobre 2025:
Crevette irradiantes

 

 

CRIIRAD, 16/10/2025:

Indonésie : contaminations radioactives inquiétantes

Près de Jakarta, dans l'île de Java, les contrôles révèlent une situation de plus en plus inquiétante.

Et c'est désormais une certitude : la contamination des clous de girofle en césium 137 a une origine différente de celle des crevettes
(voir communiqué CRIIRAD du 9 octobre ci-dessous) et sa cause n'est pas encore identifiée.

Autour de l'aciérie, les médias titrent sur "
l'horreur du césium 137" (1)
À 50 kilomètres à l'ouest de Jakarta, la pollution est massive : 32 sites ont été identifiés comme contaminés par le césium 137 [voir l'accident de Goianian en 1987 au Brésil], non seulement dans le district de Cikande où se trouve l'aciérie, mais également dans celui voisin de Kibin. Dans ce district sont implantées plusieurs usines de fabrication de chaussures, notamment Adidas, Asics et Nike, à 4,5 kilomètres au nord de l'aciérie.

Les rares données chiffrées sont très préoccupantes : le 13 octobre, le ministre de l'environnement indonésien a mentionné (2) un débit de dose record de 33 millisieverts par heure (33 mSv/h). À ce niveau de radiation, la limite de dose maximale admissible sur un an peut être atteinte en moins de 2 minutes de présence.

D'après le porte-parole de l'Agence nationale de réglementation nucléaire (Bapeten), pour qui le nettoyage prendra au moins plusieurs mois, les niveaux d'exposition élevés compliquent le processus de décontamination. Les intervenantes et intervenants ne peuvent rester sur les points chauds qu'un temps limité (parfois quelques minutes) afin que la dose reçue ne soit pas excessive.

L'importance des moyens déployés traduit l'ampleur de l'accident : d'après l'agence de presse Antara, "plus d'une centaine de membres de la Brigade mobile (Brimob) de la police, de l'Unité chimique, biologique, radiologique et nucléaire (KBRN) et d'un peloton de l'armée Denzi Nubika travaillent avec des experts pour nettoyer le site".

La CRIIRAD s'inquiète des doses reçues par les travailleurs et travailleuses et la population pendant la période (au moins 2 mois) où ils ont vécu normalement, sans aucune protection, dans ces zones à risque. Une attention particulière doit être apportée aux enfants, en particulier les plus jeunes, les plus vulnérables et les plus susceptibles de se contaminer, comme en témoignent les photographies de cet article de l'agence de presse indonésienne KBR, du 11 octobre.

Pour les clous de girofle, un autre foyer de contamination

En septembre, les douanes américaines ont également détecté du césium 137 dans un échantillon de clous de girofle (3), à hauteur de 732 becquerels par kilogramme (Bq/kg).

La société exportatrice, NJS, se trouve également sur l'île de Java, mais loin de l'aciérie de Cikande (à 700 kilomètres à l'est). Cette entreprise s'approvisionne en clous de girofle dans deux régions : Pati, dans le centre de Java, et Lampung, au sud-est de l'île de Sumatra. Le 13 octobre, le ministère de la coordination des affaires alimentaires a confirmé (4) que ce sont les plantations du secteur de Lampung qui sont en cause. La localisation du site contaminé n'a pas été précisée. La province compte 9 000 hectares de culture de girofliers, et produit 2 100 tonnes de clous de girofle par an. Les autorités ont souligné que « la contamination semblait limitée et ne s'était pas propagée à d'autres régions ou produits pour le moment », mais le mystère quant à l'origine de ce second foyer radioactif reste entier.

Le problème des ferrailles contaminées

Ce mystère n'est pas le seul : que s'est-il réellement passé à Cikande ? Quelle est la nature et la provenance du matériau à l'origine de la contamination ? Après l'alerte lancée par les USA, l'enquête des autorités indonésiennes a mené à l'aciérie de Cikande, mais également à la détection de conteneurs de ferrailles contaminées au port de Tanjung Priok à Jakarta.
Pour le moment, 23 conteneurs ont été identifiés comme radioactifs : 14 ont d'ores et déjà été réexpédiés dans leurs pays d'origine (les pays ne sont pas précisés). Les 9 autres conteneurs, provenant des Philippines et contenant de la poudre de concentré de zinc contaminée par du césium 137, sont bloqués et en attente de réexpédition (5).

Les autorités indonésiennes semblent en tout cas avoir pris conscience des lacunes du système de contrôle des ferrailles. Toutes les importations de ferrailles ont été temporairement suspendues. Elles ne reprendront que pour les entreprises qui mettront en place des portiques de détection de radioactivité ainsi que des systèmes de mesure de la radioactivité ambiante (6). Espérons que ces annonces seront suivies d'effet.

En Europe, beaucoup de questions

Concernant l'Union Européenne (UE), en réponse aux questions de la CRIIRAD, l'ASNR a seulement indiqué qu'"aucune importation en UE via la France en provenance de [BMS] n'a été enregistrée depuis 2020". La CRIIRAD a adressé une nouvelle série de questions à l'ASNR : depuis 2020, des denrées de BMS ont-elles été importées en UE via un autre pays que la France ? Qu'en est-il de la société NJR exportatrice de clous de girofle ? Certaines des 271 entreprises de la zone industrielle de Cikande exportent-elles leurs produits vers l'Europe ? Si la détection de crevettes contaminées était survenue en Europe plutôt qu'aux USA, les autorités auraient-elles bloqué les denrées comme l'ont fait les douanes américaines ? Ou les auraient-elles laissé pénétrer sur le marché européen au motif que les valeurs étaient inférieures aux limites applicables en cas d'accident nucléaire ? Les réponses restent en attente.

Julien Syren ·

 

Notes :
[1] https://www.suara.com/news/2025/10/13/135217/horor-cesium-137-cikande-radiasi-875000-kali-normal-pemerintah-stop-impor-besi-tua
[2] https://en.antaranews.com/news/385817/cesium-137-leak-a-wake-up-call-for-indonesia-says-minister
[3] https://www.fda.gov/food/environmental-contaminants-food/fda-response-imported-foods-potentially-contaminated-cesium-137
[4] https://en.antaranews.com/news/385853/radioactive-contamination-in-cloves-traced-to-lampung-plantation
[5] https://jakartaglobe.id/news/indonesia-contains-radioactive-contamination-assures-exported-shrimp-is-now-safe#goog_rewarded
[6] https://en.antaranews.com/news/385345/govt-imposes-rules-to-prevent-radioactive-scrap-metal-imports

 

 

 

 

CRIIRAD, 9/10/2025:

Crevettes radioactives : une grave contamination en Indonésie révélée par une alerte lancée aux États-Unis

Aux États-Unis, du césium radioactif a été détecté dans des crevettes et des clous de girofle importés d'Indonésie. Une aciérie proche de Jakarta est à l'origine de la contamination des crevettes. Dans les environs de l'aciérie, la contamination est massive et la situation sanitaire est préoccupante. L'arrivée en Europe de cargaisons contaminées reste à déterminer.

Des crevettes contaminées aux USA

En août 2025, la Food and Drug Administration (FDA) annonce la détection de césium 137 sur des conteneurs de crevettes exportés aux USA par la société indonésienne Bahari Makmur Sekati (BMS), dans les ports américains de Los Angeles, Houston, Savannah et Miami (1). L'entrée sur le territoire est interdite mais le mal est fait : au fil des semaines, les rappels de produits concernent de plus en plus de marques et d'Etats américains. En septembre, du césium 137 est également détecté dans des clous de girofle provenant d'une autre société indonésienne, Natural Java Spice (NJS).

Une aciérie indonésienne incriminée

Fin septembre, le gouvernement indonésien révèle l'origine de cette contamination (2) : un fabricant d'acier à partir de ferrailles, Peter Metal Technology (PTM). L'usine se trouve dans la zone industrielle Modern Cikande, sur l'Île de Java, à 50 kilomètres à l'ouest de Jakarta. La contamination se serait propagée par voie aérienne, notamment dans l'usine de conditionnement de crevettes BMS Foods implantée à 2,5 kilomètres au nord de l'aciérie. S'agissant des clous de girofle, le mystère reste entier, l'usine de NJS étant distante de plusieurs centaines de kilomètres de Cikande (l'entreprise possède-t-elle un entrepôt dans le secteur de PTM ? Des clous de girofle sont-ils cultivés dans les environs ? S'agit-il d'un autre foyer de contamination ?).

D'où vient la contamination ?

À ce stade, de nombreuses zones d'ombre subsistent, s'agissant notamment de l'ampleur du secteur impacté et des niveaux d'exposition.

Une hypothèse probable est la fonte accidentelle d'une source scellée de césium 137. Ce radionucléide est un émetteur de rayonnement bêta et de rayonnement gamma dangereux autant en exposition externe qu'en cas d'incorporation par ingestion ou inhalation. Il a une longue période (son activité diminue de moitié en 30 ans). Des sources de césium 137 sont notamment utilisées en médecine (radiothérapie, stérilisation de matériel médical) ou dans l'industrie (mesures de densité, de niveau, d'épaisseur, ionisation des aliments). Des sources particulièrement intenses sont par exemple utilisées pour l'irradiation des produits sanguins (activités de l'ordre de 100 à 10 000 milliards de becquerels). Étant donné leur dangerosité, les sources de césium 137 doivent être strictement contrôlées et reprises par le fournisseur quand les équipements qui les utilisent sont mis au rebut. La fonte d'une telle source peut entraîner la contamination du four, de l'usine, des matières et déchets issus de l'installation (métaux, scories, cendres) et provoquer des rejets atmosphériques à l'origine de dépôts sur les terrains environnants.

En 1998, une source de césium 137 avait été incinérée par accident dans l'usine Acérinox d'Algésiras, au sud de l'Espagne. La présence de césium 137 avait été détectée dans l'air de plusieurs pays européens (notamment dans la vallée du Rhône par le laboratoire de la CRIIRAD). Plusieurs milliers de tonnes de déchets contaminés avaient dû être évacués.

Quelle étendue ?

Dans le cas présent, entre le site de BMS Foods d'où proviennent les crevettes contaminées et l'aciérie se trouvent des entreprises, mais également des zones résidentielles (la plus proche, comptant notamment un hôtel, une mosquée, des restaurants, est située à 200 mètres de l'aciérie) ainsi que des parcelles cultivées (les plus proches jouxtent l'aciérie).



Depuis plus de 15 jours les autorités effectuent des relevés dans la zone afin de cartographier les débits de dose et d'identifier les secteurs à risque. Pour le moment 22 sites contaminés ont été localisés. Les quelques chiffres publiés dans la presse font état de niveaux d'irradiation très préoccupants (supérieurs à 100 microsieverts par heure ou µSv/h, soit plus de 1 000 fois le niveau normal). Un maximum de 1 000 µSv/h avait été annoncé par le ministère de l'environnement. Avec un tel niveau, la limite maximale d'exposition fixée pour un an est atteinte en une heure. La presse indique désormais une valeur 10 fois supérieure (10 000 µSv/h) dans un secteur de terrains vagues et de cabanes. Les autorités ont d'ailleurs décidé de reloger une partie des habitants.

Autre signe de l'importance de la contamination : 9 travailleurs ont été hospitalisés et auraient été traités avec du bleu de Prusse. Ce produit, utilisé pour accélérer l'élimination du césium par l'organisme, est habituellement réservé aux cas de fortes contaminations. Il est évident que bien plus de personnes ont été exposées par irradiation externe et interne, mais à des niveaux plus faibles.

Dispersion de déchets ou métaux radioactifs ?

Pour le moment aucune information n'a filtré quant au devenir des produits et déchets issus de l'aciérie entre la date de l'accident (antérieure à début août) et la découverte de la contamination (en septembre).

En 2008, la CRIRAD alertait sur la présence de cobalt 60, un autre élément radioactif artificiel, dans des boutons équipant plusieurs centaines d'ascenseurs en France (3). A l'origine de cette contamination, une source de cobalt 60 fondue accidentellement dans une aciérie indienne.

La CRIIRAD milite depuis longtemps pour la généralisation des portiques de détection de radioactivité permettant de repérer une telle contamination le plus en amont possible. Du chemin reste à parcourir : l'Indonésie vient d'annoncer qu'elle allait se doter de tels portiques et qu'elle stoppait les importations de ferrailles en attendant.

Des mesures prises aux USA Quid de l'Europe ?

S'agissant des denrées alimentaires, il convient de saluer la position de la FDA, qui a rapidement bloqué les conteneurs détectés, lancé des rappels et mis en place une liste d'alerte à l'importation, permettant aux autorités frontalières de bloquer les futures expéditions, à moins que les entreprises ne prouvent que leurs produits soient exempts de contamination. En effet, hors accident nucléaire majeur, l'absence de contamination doit rester la norme. Mais qu'en est-il de l'Europe ? Est-elle concernée par les exportations des deux sociétés incriminées ? Des denrées contaminées ont-elles également été détectées ? Les autorités ont-elles pris les mêmes précautions qu'aux USA ? La CRIIRAD a interrogé l'Autorité de Sûreté Nucléaire et de Radioprotection (ASNR) à ce sujet.

Julien Syren ·

 

Notes :
[1] https://www.fda.gov/food/alerts-advisories-safety-information/fda-advises-public-not-eat-sell-or-serve-certain-imported-frozen-shrimp-indonesian-firm
[2] https://en.antaranews.com/news/383433/indonesia-confirms-radioactive-cs-137-in-shrimp-linked-to-steel-plant
[3] https://www.criirad.org/wp-content/uploads/2017/08/controles_defaillants2.pdf

 

 

Le Parisien, 20 août 2025:
États-Unis : alerte sur des crevettes radioactives vendues chez Walmart
L'alerte a été émise ce mardi par la Food and Drug Administration (FDA). Walmart est le distributeur le plus important du pays, avec plus de 5 200 points de vente, et la crevette le crustacé le plus consommé en Amérique du Nord.