La confiance des japonais dans le nucléaire est à nouveau ébranlée
(lire: Nouvelle déconvenue pour l'énergie nucléaire au Japon)


La confiance des Japonais dans le nucléaire est à nouveau ébranlée par deux incidents sérieux sur le réacteur Hamaoka-1.

Deux incidents survenus les 9 et 11 novembre sur le réacteur-1 de Hamakoa (dans la préfecture de Shizuuoka, région de haute sismicité) viennent de raviver la polémique sur l’énergie nucléaire alors que la population ne s’est pas encore remise du choc causé par l’accident de criticité survenu en septembre 1999 à l’usine de traitement d’uranium de Tokai-Mura où 3 ouvriers sont morts par syndrome d’irradiation aiguë. (Rappelons aussi l’évacuation des habitants du voisinage dans un rayon de 350 mètres, le confinement dans un rayon de 10 km dont la ville de Tokai-Mura. Les doses reçues par les habitants ont été difficiles à évaluer à cause du rayonnement neutronique émis, mais sont faibles bien sûr d’après les autorités ; de nombreux ouvriers de l’usine ont reçu en peu de temps la limite de dose annuelle et même au-delà).

 

Sources : le journaliste Takashi Miura, (Tokyo) et le CNIC, centre d’information nucléaire du public qui est un organisme de scientifiques indépendants éditant le journal "Nuke-Info".

D’après Takashi Miura un tuyau en acier du système de refroidissement d’urgence du cœur du réacteur-1 s’est rompu le 7 novembre produisant un rejet de vapeur radioactive. En plus, d’après le CNIC, le 9 novembre une fuite d’eau radioactive a été décelée au voisinage du fond de la cuve du réacteur. Le degré de gravité est élevé étant donné que ces deux incidents ont affecté des équipements importants pour la sûreté, le premier, l’injection de secours du circuit de refroidissement du cœur, le second les barres de contrôle.

 

Le premier incident

La rupture du tuyau

1-Selon Takashi Miura, les responsables de l’agence pour la sécurité nucléaire et industrielle (dépendant du ministère de l’économie du commerce et de l’industrie) considèrent cet incident comme très sérieux, la destruction du tuyau ayant nécessité une pression considérable, environ 700 kg par cm2, 10 fois plus élevée que la pression habituelle de la vapeur de 70 kg par cm2.

Les ingénieurs de l’exploitant Chubu Electric Power [un des 10 exploitants privés du nucléaire au Japon] n’ont jamais vu de rupture semblable suite à une fissuration. Ce serait vraisemblablement dû à une variation brusque de la pression dans la partie coudée du tuyau qui s’est rompu au niveau du coude. La géométrie de la tuyauterie —qui était rectiligne auparavant - a été modifiée en 1993-1994. Aucune autorisation de l’autorité de sûreté de l’Etat n’étant nécessaire pour ce type de transformation :" c’est à l’exploitant de savoir comment connecter ses tuyaux, les dessins sur plans ne garantissent pas que les tuyaux ne vont pas craquer " ce que le public a du mal à comprendre ajoute le journaliste.

La nouvelle agence administrative chargée de la sûreté (l’agence nationale pour la science et la technologie a été dissoute et réorganisée après l’accident de Tokai-Mura) a envoyé ses inspecteurs dès le 9 novembre et une cellule de crise a été créée 3 jours après afin d’élucider les causes de l’incident.

Un ancien spécialiste du nucléaire a signalé à Takashi Miura que ce vieux réacteur-1, couplé au réseau en 1974, a toujours eu des problèmes, sa production électrique cumulée est une des plus faibles du pays.

Le journaliste rend compte également de l’anxiété des habitants qu’il a interrogés car la centrale qui compte 4 réacteurs est dans une zone hautement sismique.

 

Nota pour situer le problème (NdT)

Ce réacteur est un BWR, réacteur à eau bouillante de 516 Mwe effectivement couplé au réseau en 1974. Le fabricant de la " chaudière nucléaire " est Toshiba. Si ce réacteur a eu une efficacité de 71,17% en 2000 (86,01% pour le plus récent des 4 réacteurs) son efficacité cumulée depuis 1974 n’est que de 59,68% ce qui signifie qu’il a eu de nombreuses pannes nécessitant l’arrêt. Nous n’avons pas de réacteurs BWR en France, aussi les systèmes de refroidissement de secours sont différents de ceux des PWR mais les phénomènes métallurgiques de fatigue thermique, de corrosion sous contrainte, sont rencontrés tant sur nos PWR que sur les BWR. Ce que l’on redoute c’est l’accident par rupture de tuyauterie du circuit primaire et perte du liquide de refroidissement (LOCA, loss of cooling accident) qui peut conduire à la fusion du cœur.

Une grande différence avec les PWR : dans les PWR l’enceinte de confinement contient tout le circuit primaire alors que dans un BWR le circuit primaire traverse l’enceinte pour aller à la turbine. Un bémol cependant pour les PWR car si tout le circuit primaire est bien dans l’enceinte, la ligne de vapeur principale du secondaire, elle, traverse l’enceinte de confinement et la rupture d’une partie de la tuyauterie qui présente des défauts métallurgiques (le " tronçon protégé ") entraînerait par dépressurisation des ruptures de tubes du générateur de vapeur situé en amont ce qui pourrait conduire à des rejets radioactifs hors de l’enceinte et dans l’environnement.

 

2-Les scientifiques indépendants du Centre CNIC.

L’incident du 7 novembre s’est produit au cours d’un test…

Il s’agissait d’un test sur le système d’injection de sécurité (SIS) à haute pression qui fait partie du circuit de refroidissement de secours du cœur du réacteur (ECCS Emergency Core Cooling System). Le test consiste à démarrer le système d’injection de sécurité par paliers, en 3 étapes, pour fermer une vanne au lieu d’effectuer une manœuvre en une seule fois comme il y aurait lieu de le faire en cas de nécessité. Le réacteur était en fonctionnement à puissance contrôlée. C’est quand le test a commencé qu’une rupture s’est produite dans une partie coudée de la tuyauterie du système de refroidissement à l’arrêt et le tuyau a littéralement éclaté (il s’agit d’un tuyau en acier noir de 15 cm de diamètre et 1,1 cm d’épaisseur, la partie horizontale du coude, celle qui s’est rompue faisait 20 à 30 cm de long). Le tuyau connecte la pompe du circuit d’injection de sécurité haute pression à l’échangeur de chaleur chargé d’évacuer la chaleur résiduelle (rôle analogue à notre RRA, circuit de refroidissement à l’arrêt). Dix alarmes " incendie " se sont déclenchées et de la vapeur radioactive s’est répandue dans le bâtiment réacteur. Le débit de dose était d’environ 290 microsievert par heure [dans les conditions normales le débit de dose pour un travailleur ne doit pas dépasser 10 microSv/h]. Les données sur la quantité de vapeur rejetée et son activité n’ont pas été fournies par les responsables. D’après les scientifiques du CNIC, contrairement à ce qu’affirment les autorités de sûreté et l’exploitant " pas de contamination radioactive dans l’environnement hors du site, rien de significatif n’a été détecté jusqu’à présent " il est impossible qu’il n’y ait pas eu de rejets à l’extérieur du site.

Il n’y a pas eu de " Scram " (arrêt d’urgence automatique) du réacteur, il a fallu 5 heures pour arriver à l’état d’arrêt du réacteur.

En fonctionnement normal la vapeur circule dans le tuyau qui s’est rompu. En regardant par le dessus on voit que de l’eau a été collectée vers le coude mais la quantité d’eau à cet endroit et ses fluctuations sont inconnues (réunion du 13 novembre). Le scénario ayant conduit à la rupture n’est pas encore élucidé.

Des projectiles internes : les fragments, rompus et projetés, endommagent le matériel environnant.

D’après les informations fournies lors de la réunion du 12 novembre de la Commission de l’énergie atomique du Japon par l’inspecteur principal de l’Agence pour la sécurité nucléaire et industrielle chargé de l’enquête, les employés ont trouvé 4 morceaux au voisinage de la tuyauterie. Le cerclage métallique qui doit stabiliser le positionnement de la tuyauterie a été rompu. Tout le supportage de la canalisation a été mis à terre. La force mise en jeu lors de l’éclatement du tuyau a provoqué sa déformation dans la partie située au voisinage du cœur du réacteur.

Parmi les nombreux incidents qui ont affecté de par le monde les tuyauteries du circuit RRA, refroidissement du réacteur à l’arrêt, est cité celui survenu sur le réacteur-1 de Civaux le 12 mai 1998 où une fissuration de 18 cm de long a été trouvée sur un tuyau de 25 cm d’épaisseur et la fuite était de 30 m3 à l’heure.

Nota NdT Remarques sur les modifications de forme des tuyauteries

Cet incident survenu au Japon est un exemple de plus des problèmes introduits par le changement de géométrie des canalisations sans suspecter leur rôle dans l’évolution des défauts du métal. Dans le cas présent l’exploitant a modifié un tuyau rectiligne en un tuyau coudé pour éviter les fuites de vapeur haute pression par une vanne allant vers l’échangeur de chaleur. L’écoulement des fluides a ainsi été modifié, les contraintes et la corrosion aidant la rupture peut avoir lieu sous l‘effet d’un choc thermique et/ou d’une variation de pression.

A Civaux il s’agissait aussi d’un coude et on s’est mis à rechercher tous les défauts par fatigue thermique là où se mélangent eau chaude et eau froide et on en a trouvé sur plusieurs tronçons " à coude ", pas seulement à Civaux mais aussi à Chooz.

 

Conclusion (provisoire) : l’autorité de sûreté demande la fermeture provisoire de 14 réacteurs où de la vapeur peut se condenser afin de vérifier le circuit RRA et l’isolement du circuit de refroidissement.

Le CNIC quant à lui pense qu’il faudrait vérifier tous les réacteurs ayant des tuyauteries en acier noir comme dans les échangeurs de chaleur, des parties coudées, des parties où est collectée de l’eau. Il souligne la gravité de cet incident en terme de sûreté dont la conséquence est la mise hors service d’un circuit fondamental pour la sûreté du réacteur celui du système de refroidissement de secours du cœur.

 

Le deuxième incident : fuite d’eau au niveau du fond de la cuve par où passe le système de positionnement des barres de contrôle. Où l’on retrouve l’inconel.

Le réacteur était arrêté depuis le 7 novembre.

Contrairement aux PWR où les tiges de commande des grappes de contrôle passent par des manchons étanches traversant le couvercle, sur les réacteurs BWR le système de positionnement se fait par des traversées en fond de cuve.

L’après-midi du 9 novembre, on a découvert que de l’eau fuyait au voisinage du fond de cuve et la teneur élevée en Cobalt-60 et en Manganèse-54 a montré que du liquide primaire fuyait au niveau même des traversées du fond de cuve. Le 12 novembre, l’eau s’écoule toujours à la vitesse " d’une goutte pour quelques secondes " d’après l’exploitant. Chubu Electric évalue le taux de fuite à 60cm3/h.

D’après les notes du CNIC le système de positionnement des barres de contrôle est situé à l’intérieur d’un tube qui traverse le fond de la cuve. Celui-ci est en acier et il est recouvert d’un autre tube en Inconel soudé à la cuve (l’inconel est un alliage contenant du nickel).

Jusqu’à présent, étant donné la forte radioactivité, les blindages et matériaux de protection contre le rayonnement qui sont dans la zone où se trouve la fuite, personne n’a pu s’en approcher et aucune information détaillée n’a encore été fournie. On ne sait pas si la fuite affecte le tube en inconel ou la soudure. On ne sait pas non plus s’il y a des fissures ou non. On n’a donc pas pu définir de stratégies pour déterminer les causes de la fuite. On ne peut exclure la possibilité d’un problème sur la cuve elle-même et, par conséquent, l’affaire est très sérieuse.

On ne sait pas s’il y a un lien entre cet incident et celui du 7 novembre (…).

Remarques

Nous n’avons pas de détails concernant ces systèmes d’insertion. Combien y a-t-il de traversées, quelles sont leurs dimensions ? Ce problème de fuite au niveau du fond de cuve est analogue à celui qui a été rencontré sur nos couvercles de cuve au début des années 90 à cause de la fissuration des manchons en inconel 600, au nombre de 65 par couvercle. EDF a dû changer des couvercles de cuve et a remplacé l’inconel 600 par l’inconel 690. Ce qui ne change pas la géométrie arrondie du couvercle et les contraintes exercées sur les soudures des manchons en alliage inconel susceptible à la corrosion sous tension.

Les scientifiques du CNIC se demandent si les 2 incidents, la fuite sur le RRA et celle en fond de cuve sont corrélées. Mais on peut aussi penser qu’ils ne sont pas corrélés et que c’est pur hasard et peut-être une chance que le premier incident avec la grosse fuite ait mis le réacteur à l’arrêt et entraîné une inspection minutieuse ayant permis de déceler la fuite faible. Une fuite importante en fond de cuve entraînerait un dénoyage et une fusion du cœur…Voilà qui devrait faire fermer définitivement ce réacteur Hamaoaka-1.

J-M. G et B. B, 3 déc. 2001

 

Suite Hamaoka : …Explosion d’hydrogène ?

Sources : The Asahi Shimbun ; Kyodo News 13 décembre 2001.

D’après le journal The Asahi Shimbun, et Kyodo News, les hypothèses officielles les plus récentes concernant l’éclatement du tuyau qui s’est produit le 7 novembre 2001 sur le réacteur 1 de Hamaoka tendent à incriminer une explosion d’hydrogène et à ne pas retenir l’hypothèse initiale, celle d’une onde de choc par impact de vapeur sur de l’eau. L’hydrogène se serait accumulé dans le tuyau après le refroidissement de la vapeur.

L’inspection des tuyauteries sur le réacteur Hamaoka 2 a montré une concentration anormale d’hydrogène.

D’ores et déjà les exploitants Chubu Electric et TEPCO font installer sur 14 réacteurs BWR des valves permettant de relâcher l’hydrogène.

Les deux sources indiquent que les officiels tentent toujours de déterminer pourquoi de l’hydrogène s’est formé et comment la réaction de détonation a pu être initiée. En donnant les résultats de leurs investigations le 6 décembre les dirigeants de Chubu Electric ont indiqué que la formation d'hydrogène dans les tuyauteries du réacteur n'avait jamais été envisagée.

Ainsi, personne ne comprend pourquoi de l’hydrogène s’est formé dans les tuyaux, ni comment la réaction explosive a été amorcée. On prend vite des mesures palliatives sur les réacteurs du même type. (Lors de l’accident sur le réacteur PWR de Three Mile Island le 28 mars 1979 de l’hydrogène s’était formé dans la cuve suite à la réduction de l’eau primaire par le zirconium des gaines du combustible en zircalloy)

Un exemple de plus démontrant la complexité de la machinerie nucléaire mise en route par des irresponsables qui se lancent dans la réalisations d’installations qu’ils ne dominent pas alors que les conséquences peuvent être dramatiques pour la population. C’est le poker qui continue…