LE JOURNAL DU DIMANCHE 11/01/ 04
Le Réseau "Sortir du nucléaire", qui appelle
à manifester samedi contre la relance de l'atome, dispose
d'informateurs au sein même d'EDF
Le nucléaire cherche les traîtres. A la demande du
président de la commission des affaires de l'Assemblée
nationale, Patrick Ollier (UMP), une enquête interne à
EDF a été ouverte début décembre pour
identifier l'origine d'une fuite qui a beaucoup énervé
le monde de l'atome.
Il y a un mois et demi, des extraits soigneusement choisis d'une
lettre classée "confidentiel défense",
adressée par EDF au ministère de l'Industrie, étaient
rendus publiques par une association anti-nucléaire. UN
document très sensible puisqu'il détaille les "faiblesses"
selon l'association du réacteur du futur, le
projet EPR, face à un éventuel attentat type "11
Septembre". L'information a été reprise par les médias. Le moment était
bien choisi : le gouvernement est en effet sur le point d'annoncer
le lancement de ce programme contesté samedi prochain à
Paris par une manifestation nationale contre la relance du nucléaire
(voir ci-dessus).
Ce n'est pas la première fois que le Réseau "Sortir
du nucléaire", à l'origine des révélations,
décroche les gros titres. C'est même devenu une habitude
pour lui. Premier gros scoop, en novembre 2002 : il met en ligne
sur Internet des documents officiels montrant que les systèmes
de sécurité de onze centrales françaises
pourraient être inefficaces en
cas de tremblement de terre, un risque auquel le Sud-Est relativement
exposé.
Rebelote en mai 2003 avec des documents internes d'EDF évoquant
des "actions de lobbying" contre le renforcement des
normes de sécurité. Un mois plus tard, le réseau
révèle que le site de Civaux (Vienne) a été
survolé malgré le plan Vigipirate. En août,
l'été est chaud pour EDF, et pas seulement à
cause de la canicule : les militants dévoilent toutes les
dérogations dont bénéficie l'électricien
pour rejeter de l'eau trop chaud dans les rivières.
Un mois plus tard, nouvelle révélation sur les risques
d'incendie dans les centrales, grâce à des documents
du ministère de l'Industrie. Enfin, il y a un mois, le
réseau révèle qu'une dizaine de centrales
fonctionnent sans autorisation en bonne et due forme.
Alors que la mouvance anti-nucléaire a connu un passage
à vide de plus de quinze ans, après les 70, le Réseau
"Sortir du nucléaire" connaît le succès
depuis en 1997, à Lyon. Il
est passé de quatre associations fondatrices à 688
associations adhérentes, d'un seul permanent à six
salariés et son budget annuel a plus que doublé.
D'environ 400.000 ¤ aujourd'hui, il est financé
exclusivement par les adhésions, les dons et la vente de
livres et de matériel de campagne. En 2002, il avait diffusé
un journal militant à un million d'exemplaires, touchant
"un ménage français sur vingt" assure
Philippe Brousse, 36 ans, responsable du réseau. "Et
nous ne sommes pas pour rien dans les prises de position contre
l'EPR de Laurent Fabius et d'Attac, qui intègre pourtant
des pro-nucléaires."
Les résultats du réseau sont tels qu'ils impressionnent
même les communicants d'Areva, le n°1 mondial de la
centrale atomique. "C'est vrai, ils obtiennent des infos
pertinentes, explique l'un d'eux. Et ils savent les mettre en
valeur. Ils ont compris ce que veulent les médias, du chaud,
de l'actu, et ils savent les manipuler. Ce que nous ne savons
pas toujours faire. Pour le moment ça marche pour eux.
Mais ça ne durera pas. La guérilla médiatique
va tôt ou tard lasser les journalistes." Francis Sorin,
le directeur de l'information de la Société française
de l'énergie nucléaire, qui réunit 4.500
spécialistes, est plus remonté. "Ils bénéficient
de relais scandaleux dans les médias, qui ne s'intéressent
qu'aux informations alarmistes. Le nucléaire qui arrive
à l'heure n'intéresse pas aux journaux."
Ancien militant de la LCR, instituteur pendant dix ans dans un
bidonville gitan de Bordeaux, Stéphane Lhomme, 38 ans,
est le porte-parole du réseau.
L'une de ses spécialités est de débusquer
les rapports des autorités de contrôle du nucléaire
pour en faire des synthèses accrocheuses. Mais le plus
énervant pour EDF, qui ne veut pas s'exprimer sur le sujet,
ce sont les informations confidentielles qui "fuitent".
"Nous avons des sources internes au sein du système,
des gens qui ont conscience de risques et qui estiment avoir le
devoir moral de faire sortir les infos avant la catastrophe, assure-t-il.
Ce sont des héros."
Au sein d'Areva, on confirme l'existence de ces "sources
internes", que l'on situe "dans les syndicats des entreprises
et des institutions du secteur et dans la haute fonction publique".
Leur motivations ? "UN esprit un peu anar ou un donnant-donnant
quelconque". Pour le moment, l'enquête n'a rien donné.
Antoine Debièvre.
Relance du débat nucléaire
Le gouvernement n'a pas encore tranché sur le projet de
réacteur nucléaire de nouvelle génération,
l'EPR, destiné à moderniser les centrales atomiques
françaises. Mais les associations anti-nucléaires
ne veulent plus attendre.
Samedi prochain, à Paris, elles organisent une manifestation
nationale pour s'opposer au projet et demander un plan "ambitieux"
d'économies des énergies renouvelables.
Près de 70 organisations françaises appellent à
manifester, soutenues par une cinquantaine d'associations étrangères.
Les Verts en seront évidemment.
Le PS, qui s'est dit vendredi "opposé à la
décision de construire aujourd'hui l'EPR3, n'a pas encore
décidé de sa participation. Les organisateurs, dont
le Réseau "Sortir du nucléaire" (voir
ci-dessous), espèrent "au moins 10.000 personnes".
Ils soulignent qu'en Europe, seules la France et la Finlande se
préparent à relancer le nucléaire, l'Allemagne,
la Belgique, la Grande-Bretagne, les Pays-Bas ou l'Espagne ayant
décidé de privilégier les énergies
alternatives pour lutter contre l'effet de serre.
Autre sujet d'inquiétude pour Nicole Fontaine, la ministre
de l'Industrie : vendredi, les Etats-Unis ont pour la première
fois pris publiquement position dans le match opposant la France
au Japon pour accueillir le futur réacteur expérimental
Iter, censé reproduire l'énergie du soleil. Le secrétaire
américain à l'Energie Spencer Abraham a affirmé
lors d'une visite à Tokyo que le site nippon de Rokkasho-Mura
est "techniquement supérieur" à son rival
français de Cadarache (Bouches-du-Rhône). Une déclaration
jugée "inopportune" par le commissaire européen
chargé de la Recherche, la ministre de la Recherche Claudie
Haigneré minimisant la déclaration américaine.
Les six partenaires du projet (Etats-Unis, Union européenne,
Russie, Chine, Corée du Sud et Japon) n'avaient pas réussi
à se mettre d'accord en décembre. Ils doivent se
retrouver pour prendre une décision dans un mois.
Le projet Iter est aussi contesté par les anti-nucléaires,
qui estiment qu'il restera aussi sensible que les centrales atomiques
classiques aux risques sismiques et terroristes.
A.D.