Assurance des centrales nucléaires: débat de fond

27/5/2008 - Le débat sur l'assurance des centrales nucléaires a donné lieu mardi matin à une passe d'armes entre partisans et opposants à cette technologie [lire: La Suisse et le nucléaire]. Le clan rose-vert a tenté en vain de porter la couverture à 500 milliards de francs. Le projet, déjà entériné par le Conseil des Etats, est une adaptation aux conventions internationales. Il prévoit une hausse du montant de la couverture par centrale de 1 à 1,8 milliard de francs. Cela représente une amélioration de la responsabilité des centrales et de l'indemnisation des éventuelles victimes, a souligné le ministre de l'énergie Moritz Leuenberger. Déjà actuellement, la responsabilité n'est pas illimitée et en cas de catastrophe majeure, les pouvoirs publics devraient intervenir comme ils l'ont fait pour Swissair par exemple. La somme de 1,8 milliard est scandaleusement basse, a critiqué au nom des Verts Franziska Teuscher (BE). L'Office fédéral de la protection civile a fixé à plus de 400 milliards les dommages que pourraient causer une catastrophe majeure, a-t-elle ajouté. Les exploitants des centrales doivent assurer l'entier du risque au même titre que les automobilistes, a plaidé Roger Nordman (PS/VD). La limitation de la somme d'assurance est profondément injuste par rapport aux énergies renouvelables. Il ne s'agit pas d'un débat sur l'énergie nucléaire, a rétorqué Werner Messmer (PRD/TG). Les scénarios d'accident sont infinis mais tant qu'il existera des centrales nucléaires, le Parlement doit traiter leur responsabilité de manière mesurée, a-t-il plaidé. La Suisse a déjà l'une des législations les plus restrictives et les plus sévères car les centrales sont responsables de tous les dommages liés à leurs matériaux nucléaires, a renchéri le Lucernois Ruedi Lustenberger au nom du PDC. La majorité a rejeté la proposition de renvoi qui aurait voulu que le Conseil fédéral porte la couverture légale obligatoire de dommages allant jusqu'à 500 milliards par 116 voix contre 65. Elle a aussi refusé de doubler de 30 à 60 ans le délai durant lequel une action en remboursement peut être intentée. Le débat se poursuit.



La Tribune de Genève, 20/11/07:

La Suisse subventionne indirectement les centrales nucléaires

Les exploitants des centrales nucléaires suisses ne sont actuellement pas tenus de payer tous les dégâts en cas d'accident dans leur installation. Les contribuables sont appelés à passer à la caisse, dénonce l'alliance "Non au nucléaire".

En raison d'une assurance responsabilité civile insuffisante, les exploitants des centrales nucléaires ne doivent aujourd'hui participer qu'à hauteur d'un milliard de francs aux dégâts. Alors qu'une catastrophe nucléaire peut causer jusqu'à 4300 milliards de francs de dommages, selon une estimation de l'Office fédéral de la protection civile. Cela représente près de 70 fois le budget annuel de la Confédération.

Ce manque de couverture, qui devra au final être comblé par l'Etat, revient à subventionner indirectement les centrales nucléaires, a dit Jürg Buri, président de "Non au nucléaire" devant la presse à Berne. Il faut donc améliorer la législation afin que la couverture de tous les dégâts potentiels soit garantie.

Si une révision la loi sur la responsabilité civile dans le domaine de l'énergie nucléaire est bien en cours, elle est malheureusement insuffisante, regrette la trentaine d'organisations membres de "Non au nucléaire". Le projet du Conseil fédéral, qui devrait être discuté le 20 décembre au Conseil des Etats, prévoit d'augmenter de 1 à 1,8 milliard la participation des exploitants en cas d'accident.

L'alliance "Non au nucléaire" appelle donc le Conseil des Etats à renvoyer le projet au Conseil fédéral. Le Parlement manque actuellement d'une base factuelle pour réviser la loi de manière réfléchie, a dit Leo Scherer, de Greenpeace Suisse. Il faut d'abord déterminer concrètement les coûts d'un accident en Suisse avant de fixer le montant de l'assurance.

La loi doit prévoir que seuls les exploitants des centrales nucléaires payent les dégâts et non la collectivité. Les assurances privées ne pouvant garantir la couverture des dommages, les exploitants doivent créer un fonds en ce sens.

Sous l'égide de Greenpeace, l'alliance comprend notamment le WWF, la Fondation suisse de l'énergie, Pro Natura, l'ATE, Sortir du nucléaire, les Verts et le PS. Son but est d'empêcher la construction de nouvelles centrales nucléaires en Suisse et d'arrêter la production d'énergie atomique.


Rappel:


Le nucléaire "roule" sans assurance

Une convention internationale, signée par 22 pays en 1988, prévoit que la responsabilité civile de l'exploitant d'une centrale nucléaire est limitée à 50 millions de ff ou 300 millions de fb. Les assurances travaillent en "pools". Elles se sont organisées mondialement en 28 groupes, notamment pour ne pas faire monter les prix des primes. Autant dire que le secteur "roule" sans assurance.

Roger Belbéoch: "Dans de nombreux pays industrialisés, il y a une loi nationale qui limite la responsabilité civile des exploitants nucléaires en cas de catastrophe. Cette loi établit un plafond: quoi qu'il arrive, les indemnisations ne devront pas dépasser un niveau donné. En France, par exemple, la limite est beaucoup plus basse qu'aux Etats-Unis, pour le même type de réacteurs. La santé des Français vaut-elle moins que celle des Américains? La loi française limite à 600 millions de ff la responsabilité de l'exploitant.
Vous faites un calcul simple, qui se rapporte au terrain perdu seulement en traçant un cercle de 30 ou de 50 km autour d'une centrale, et vous vous rendez compte: moins d'1 ff au mètre carré. Allez expliquer cela aux propriétaires des terrains des grands vins de Bordeaux, par exemple, et qui sont éventuellement menacés de la ruine par les centrales de Golfech et du Blayais.
Quand on évacue un territoire, on ne perd pas que du terrain. Il y a aussi toutes les infrastructures, les routes, les hôpitaux, les écoles, les usines, les maisons, les appartements, avec tous les meubles et objets divers: tout est contaminé et reste sur place.
Aux Etats-Unis, l'énergie nucléaire n'a pu se développer de façon industrielle que lorsque ses promoteurs ont été assurés qu'en cas d'accident leur responsabilité serait limitée. Le "Price Anderson Act" fut adopté en 1957. La responsabilité civile des producteurs d'électricité s'arrêtait à 60 millions de $. Au-delà de cette somme, le gouvernement pouvait intervenir pour les indemnisations jusqu'à 500 millions de $. Cette loi, en principe votée pour dix ans, fut régulièrement reconduite. Même si les limites de responsabilité ont été révisées à la hausse, elles n'atteignent pas les montants prévisibles en cas d'accident. Aux Etats-Unis, c'était la première fois que la responsabilité civile d'une entreprise privée était légalement limitée par une loi.
Mais à quel montant peuvent se chiffrer les dommages en cas d'accident majeur? Selon une estimation officielle,
la catastrophe de Tchernobyl aurait coûté 300 milliards de dollars à l'économie ex-soviétique.
Si l'industrie était entièrement responsable des dommages en cas d'accident, plus personne n'investirait dans ce secteur.

Greenpeace: En dehors des accidents majeurs, dans quelles mesures les dangers que fait courir le nucléaire aux populations sont-ils réellement pris en compte?

Roger Belbéoch: Chaque pays a la sûreté qu'il mérite. On peut, par exemple, voir quel fut le comportement vis-à-vis de la contamination des aliments après Tchernobyl. On s'est aperçu que les pays où la population était la plus sensible aux problèmes de santé et d'environnement ont édicté les normes les plus rigoureuses. Et inversement, les pays -comme la France- dont la population est traditionnellement indifférente aux problèmes écologiques et de santé, n'ont pas eu de normes du tout. En Allemagne, les normes étaient d'autant plus strictes que, dans le Land correspondant, les Verts étaient plus puissants. Cela veut dire que l'opinion publique joue un rôle direct dans l'établissement des normes. A partir du moment où elle est indifférente, on ne voit pas pourquoi les industriels se casseraient la tête... C'est vrai pour n'importe quel type de pollution.

 

Lire:

- Le rapport WASH-740 (dit "rapport Brookhaven") sur les conséquences d'accident majeur dans les centrales nucléaires (1957)

- L'énergie nucléaire et la démocratie