Les Echos du 22/10/03:
 
Le point de vue de Benjamin Dessus.

Nucléaire: la double manipulation

Qu'est-ce qui a pu pousser la ministre de l'Industrie, Nicole Fontaine, à changer brutalement d'avis et à faire connaître officiellement, la semaine dernière, sa proposition faite au premier ministre de décider dès maintenant la construction d'un " démonstrateur " du dernier-né d'Areva, le réacteur EPR ?

Elle avait pourtant annoncé, il y à peine trois semaines, sa volonté d'attendre janvier prochain pour trancher, au vu du résultat d'études complémentaires sur la compétitivité, la sûreté, les déchets, les risques sismiques, etc. Et il est bien vrai qu'au cours du débat national, la nécessité d'études complémentaires s'était fait sentir, au point qu'Edgar Morin, l'un des trois sages du comité mis en place par Nicole Fontaine, jugeait plus prudent d'attendre 2010 pour prendre une quelconque décision.

En effet, les choses ne sont pas aussi claires qu'on veut bien nous le dire. Et d'abord, pourquoi décider dans l'urgence, même s'il faut du temps pour construire et essayer ce prototype (une dizaine d'années) alors que nous avons abondamment montré, dans le rapport présenté par Charpin, Pellat et moi-même en 2000 au premier ministre, que même si la consommation d'électricité continue à déraper, aucune nouvelle tranche importante n'est nécessaire avant 2002. Sans compter que, depuis cette époque, nous nous sommes engagés vis-à-vis de l'Europe à produire 20 ou 25 TWh supplémentaires d'éolien, que le gouvernement envisage le remplacement d'Eurodif en 2010 par une usine d'enrichissement nouvelle qui mettrait 3 tranches au chômage (encore 15 TWh), et qu'il prépare une loi dont la priorité affichée devrait être les économies d'énergie. Dans un contexte où EDF s'inquiète des conséquences de la surcapacité électrique sur le prix de gros et donc sur sa marge bénéficiaire, on ne comprend pas la logique énergétique de ce choix.
Les avantages de cette filière vis-à-vis des risques de l'environnement seraient-ils déterminants ? Certes, l'EPR est réputé plus sûr que son prédécesseur. Mais il ne s'agit pas dune sûreté intrinsèque, seulement de précautions supplémentaires qui ont pour but de limiter les conséquences d'un accident majeur. Les risques de prolifération sont plutôt augmentés, puisque l'EPR généralise l'usage du MOX, qui impose de nombreux transports de plutonium. La question des déchets à haute activité et à longue durée de vie ne trouve pas plus de solution qu'avant, ni en quantité ni en dangerosité.

Le rendement électrique reste très faible, autour de 35 %, et induit donc toujours des rejets thermiques très importants dans les rivières, qui peuvent poser des problèmes graves comme on l'a constaté cet été. Du point de vue des risques et de l'environnement, donc, pas d'avancée significative.

Reste la compétitivité. Fort opportunément, la Direction générale de l'énergie et des matières premières (DGEMP) se prépare à rendre officielle sa dernière étude des " coûts de référence de la production d'électricité ", qui conclut, contrairement à ce que nous avions indiqué dans notre rapport à Lionel Jospin, à un avantage de plus de 20 % du kilowatt heure EPR par rapport à toute autre solution . Mais ce calcul est très critiquable aussi bien sur le plan méthodologique que factuel. Tout d'abord, pour calculer le coût du kilowattheure nucléaire en 2015, la DGEMP raisonne sur 10 tranches et calcule un coût marginal moyen qui permet d'amortir les conséquences des aléas techniques et financiers du prototype. Mais 10 tranches, cela fait 16.000 MW à installer en France en 2015 (20 % du parc), ce qui n'est manifestement pas une opération " marginale ". Surtout sans expliciter le moins du monde les besoins qui pourraient justifier la construction de 16 GW supplémentaires vers 2015 ­ 2020.

La seconde critique porte sur la faiblesse des coûts de construction affichés sur l'EPR : pourquoi sont-ils inférieurs de 22 % à ceux que nous avions retenus en accord avec le constructeur il y a trois ans pour le rapport précité ? Pas de réponse à cette question de la vérité des coûts qui proviennent exclusivement du constructeur Framatome, et dont la constitution est protégée par le secret commercial. Pas de réponse non plus à la demande d'une expertise indépendante. De quoi se poser vraiment des questions sur la crédibilité de l'ensemble de l'étude.

Tout cela est lamentable. Si le nucléaire doit continuer à figurer à terme dans le paysage énergétique français, il doit le faire dans la transparence, sur la base d'arguments vérifiables et de calculs validés, et surtout pas sous la pression d'un lobby industriel et administratif qui tente de créer l'irréversible à son profit.

Il ressort de toute cette affaire l'impression d'un double manipulation : la manipulation du ministre du ministre par le lobby nucléaire et ses propres services, la manipulation des citoyens qui avaient cru de bonne foi participer à un débat sérieux et qui prennent conscience d'avoir cautionné un débat bidon.

Benjamin Dessus
est ingénieur et économiste.
Benjamin Dessus est coauteur du rapport " Etude économique prospective de la filière électrique nucléaire ", remis au premier ministre en 2000.


Le Monde du 18/10/03

EPR: il est urgent d'attendre

par Benjamin Dessus, Corinne Lepage et Michèle Rivasi
 
La canicule et la catastrophe sanitaire de l'été ont mis en lumière la fragilité du système énergétique français. Le récent débat national sur les énergies lancé par le gouvernement n'en avait jamais fait état. Il a suffi d'une augmentation de quelques degrés pour ébranler nos certitudes quant à la fiabilité et à la disponibilité du système électrique français. Dans un pays qui s'imagine qu'énergie = électricité - équation savamment entretenue par l'administration française et le lobby nucléaire, alors que l'électricité ne représente que 22 % de notre consommation d'énergie finale -, les Français se sont brutalement émus.
 
Comment, il n'était pas possible, pour les "heureux" possesseurs d'une "clim", de la pousser tous en même temps, à fond, dans les appartements ou les bureaux sans risquer de faire tout sauter ? Heureusement, il restait celle des voitures qu'on a vu circuler ou stationner, moteur en marche, pendant des heures, pour faire fonctionner la clim à fond !
 
Que s'est-il passé pour que nous frôlions ainsi la catastrophe ? Une pointe de consommation électrique inhabituelle en été (même si elle est restée modeste par rapport aux pointes d'hiver), dans un contexte de sécheresse, avec des barrages hydroélectriques à moitié vides, des rivières à l'étiage et une partie des centrales nucléaires (qui fournissent plus de 75 % de notre électricité) à l'arrêt pour maintenance. Restait donc pour EDF à pousser à leur maximum celles qui restaient disponibles, quitte à prélever encore de l'eau et à réchauffer les fleuves au risque de détruire les écosystèmes. De bons esprits, surfant sur l'émotion devant l'hécatombe, nous proposent "la clim pour tous" dans les meilleurs délais pour éviter la reproduction de la situation de cet été. Tant pis si cela augmente fortement nos besoins d'électricité ! Construisons vite quelques centrales nucléaires de plus ; elles, au moins, n'émettent pas de gaz à effet de serre ! Et si on a des problèmes avec les rivières mettons les centrales au bord de la mer, où l'eau ne manque pas !
 
Dans ce contexte d'émotion post-caniculaire, le lobby nucléaire a réussi à convaincre Mme Fontaine, la ministre de l'industrie, de proposer dès maintenant, en contradiction complète avec ses récentes déclarations, au premier ministre le lancement de la construction d'un "démonstrateur" d'une nouvelle génération de réacteurs nucléaires : l'EPR (European Pessurized Reactor), fleuron de Framatome. Présenté comme "évolutionnaire" par son promoteur, l'EPR se situe dans la lignée des réacteurs à eau qui équipent les centrales françaises. Plus puissant que ses prédécesseurs, il comporte quelques améliorations sur le plan de la sûreté. Ses concepteurs lui prédisent une durée de vie de 60 ans (40 à 45 pour les réacteurs actuels), des opérations de maintenance et de rechargement moins fréquentes (tous les 24 mois au lieu de 18) et une plus grande capacité à utiliser du MOX (le combustible réutilisant le plutonium issu du retraitement). Bref, une série d'améliorations censées, si tout se passe bien, aboutir à une réduction des coûts, mais certainement pas une révolution. De plus, les calculs que le ministère de l'industrie va très opportunément présenter dans les semaines qui viennent ("coûts de référence") reposent sur les seuls dires de Framatome et de Cogema, ôtant toute crédibilité à ces prévisions.
 
Intrinsèquement, la filière présente les mêmes défauts que sa sur aînée : mêmes difficultés techniques et économiques à suivre les fluctuations de la demande d'électricité, mêmes problèmes de refroidissement. Mais surtout : mêmes risques d'accident (même si les conséquences sont mieux maîtrisées) et aucune amélioration sensible aux problèmes majeurs (sécurité, protection contre la menace terroriste, prolifération nucléaire, question des déchets à haute activité et à très longue durée de vie).
 
Lancer un EPR dans la précipitation serait une lourde erreur. Le nucléaire est très mal adapté pour répondre à des besoins aléatoires de pointe comme celui de la climatisation. Si le besoin était réel, il serait préférable d'utiliser une turbine à gaz. Son délai de construction est bien plus faible (2 à 3 ans). Plus souple, elle est capable de répondre aux pointes de demande électrique. Elle est moins handicapée par les problèmes de refroidissement puisque son rendement est bien meilleur (55 %).
 
Mais, surtout, la généralisation de la climatisation des logements est une aberration économique et écologique. Nous avons avant tout besoin d'un programme ambitieux de réhabilitation thermique et d'économie d'électricité des logements et des locaux tertiaires pour rendre à nos espaces d'habitation le confort d'été qui leur manque bien souvent. Sans un tel programme, l'inflation galopante de la climatisation, avec ses conséquences sur le réchauffement du climat, nous entraînerait dans une spirale dangereuse de surconsommation, elle-même porteuse de nouveaux risques pour l'environnement.
 
Toutes les études récentes l'ont montré : même en cas de forte augmentation des consommations d'électricité (+ 85 % en 2050), aucune centrale supplémentaire de base n'est nécessaire avant 2022. Ce n'est qu'après 2025 ou 2030 que se posera la question du renouvellement du parc nucléaire.
 
La question d'une pénurie globale d'énergie électrique en France n'est donc pas d'actualité, même si la rigidité qu'entraîne la trop forte proportion de nucléaire dans le parc électrique pose problème.
 
Pourquoi lancer un EPR aujourd'hui, au moment où EDF annonce (certes pour des raisons comptables) la prolongation à 40 ans de la durée de vie de ses centrales et que d'importantes recherches sont lancées au niveau international sur des filières révolutionnaires dont on nous dit qu'elles devraient apporter des solutions plus crédibles aux grands problèmes qui plombent le nucléaire aujourd'hui : risque d'accident, prolifération, déchets ? Pourquoi lancer le prototype d'une filière considérée comme obsolète avant d'exister, qui bloquerait la France sur une voie de garage jusqu'en 2100 et retarderait d'autant les recherches sur ces filières ? Qui paiera ce Concorde à hélices ?
 
Reste le sacro-saint argument de la politique industrielle. La construction d'un démonstrateur à très court terme en France serait essentielle pour placer Framatome en bonne place sur le marché international et maintenir la compétence de ses ingénieurs. Mais le marché mondial du nucléaire est atone, de nombreux pays européens se dégagent du nucléaire.
 
Ne prenons pas cette décision dans l'urgence sous la pression d'un lobby et sans une analyse indépendante des coûts et des enjeux. Ce choix serait lourd de conséquences pour notre avenir énergétique, inutilement coûteux pour EDF et ses clients, dangereux par son effet d'éviction pour l'avenir de la recherche (sur les alternatives, la maîtrise de l'énergie et les renouvelables, mais aussi sur le nucléaire même), et finalement dommageable pour les salariés de l'industrie nucléaire elle-même.
 
Benjamin Dessus est président de Global Chance Corinne Lepage est avocate, présidente de cap 21, ancienne ministre de l'environnement Michèle Rivasi est directrice générale de Greenpeace France


 

Le Monde du 10/10/03.

La France tentée par une relance du programme nucléaire

La prise de position de la ministre déléguée à l'industrie, Nicole Fontaine, en faveur du lancement de l'EPR, le réacteur de troisième génération, rouvre le débat sur la place et la pérennité de l'électricité nucléaire, fer de lance d'EDF en Europe.

"La france ne peut raisonnablement pas se passer de l'énergie nucléaire." Nicole Fontaine ne cache plus ses convictions. Même s'il ne s'agit, pour l'instant, que de "proposer au premier ministre de faire le choix de l'EPR", le réacteur nucléaire dit de troisième génération, la décision annoncée, mercredi 8 octobre, par la ministre déléguée à l'industrie, est un premier pas vers une relance du nucléaire civil en France.

La décision définitive de construire l'EPR est attendue vers la fin de l'année, lors du débat parlementaire autour du projet de loi d'orientation énergétique que concoctent les services de Mme Fontaine. Mais les réactions, elles, ne se sont pas fait attendre. "Mme Fontaine a cédé aux sirènes du lobby nucléaire, a aussitôt déclaré, mercredi, Hélène Gassin, de Greenpeace France. Nous demandons au premier ministre de bien réfléchir."Le député Vert et ancien ministre de l'environnement, Yves Cochet, a qualifié, pour sa part, de "bêtise écologique, financière et énergétique" une éventuelle construction de l'EPR.

Les critiques se focalisent sur l'aspect prématuré que revêtirait une telle décision. "Le parc -de centrales actuelles- est suffisamment jeune pour qu'on prenne cette décision au plus tôt en 2012-2015", observe M. Cochet. Et ce d'autant plus qu'EDF vient d'annoncer la prolongation comptable de la vie de ses centrales nucléaires à 40 ans, ce qui, si l'Autorité de sûreté nucléaire donne son feu vert, reporterait à 2017 la fermeture de la plus ancienne centrale actuellement en service, à Fessenheim (Haut-Rhin).

Dans le rapport remis à la ministre, le 12 septembre, à l'issue du débat national sur les énergies, qui s'est déroulé au premier semestre 2003, le "comité des sages", nommé par le gouvernement pour superviser ce débat, était divisé et avait conclu qu'il était urgent d'attendre.

"La technologie EPR est d'ores et déjà obsolète", argumente Corinne Lepage, ancienne ministre de l'environnement d'Alain Juppé. De fait, le réacteur européen - en fait franco-allemand, puisque conçu par Siemens et Framatome - à eau pressurisé (European Pressurized Reactor), dont la conception remonte à la fin des années 1980, est de technologie conventionnelle. Ses principales innovations consistent en "des fonctions de sûreté assurées par des systèmes diversifiés et redondants" et un renforcement du confinement du coeur du réacteur de manière à résister à une explosion interne, type Tchernobyl, ou "à la chute d'un avion militaire lourd", explique son constructeur Areva.


RÉACTEUR DE TRANSITION

Mais Mme Fontaine a préféré faire siens les arguments développés par les partisans de l'EPR - Areva et son premier client EDF, mais aussi les députés de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques -, qui considèrent l'EPR comme un indispensable réacteur de transition. Un tiers du parc nucléaire actuel atteindra les 40 ans d'ici 2025. Compte tenu des délais très longs (onze ans) de procédures, de construction et de mise au point du premier réacteur démonstrateur, il faudrait lancer dès cette année le programme EPR pour espérer mettre en service les premières centrales de troisième génération à partir de 2020, martèlent en chur députés et industriels. Il ne serait "pas raisonnable" d'attendre la quatrième génération "qui ne sera pas prête avant 2040", a tranché Mme Fontaine.

"La France va se retrouver une nouvelle fois isolée sur la scène internationale", déplore M. Cochet. Isolée ? Pas tout à fait. La Finlande a décidé, en mai 2002, de construire un nouveau réacteur nucléaire. C'était la première commande en Europe (hors France) depuis Tchernobyl, en 1986. Areva a répondu à l'appel d'offres, en présentant, parmi ses propositions, un EPR. Que la France décide de se doter de ce nouveau réacteur serait un argument de poids face aux concurrents russes et américains.

Le gouvernement semble aussi vouloir exploiter le contexte plus favorable au nucléaire que pourraient créer les dernières coupures d'électricité qui ont eu lieu en Europe ces derniers mois, dont la dernière, la plus spectaculaire, en Italie, le dimanche 28 septembre. Ces incidents à répétition ont mis en relief la puissance et la stabilité du parc électronucléaire français, premier exportateur de courant électrique en Europe.


RENOUVELER LE PARC ACTUEL

Une décision rapide en faveur de l'EPR n'est pas non plus dénuée d'arrière-pensées de politique intérieure. La droite sait que la gauche est profondément divisée sur la question nucléaire : le Parti communiste y est favorable, les Verts et une bonne partie de l'extrême gauche hostiles, et le PS partagé. Par ailleurs, le gouvernement envoie un signal à la CGT, dont la puissante Fédération mines-énergie - ouvertement pronucléaire - tient son congrès à Biarritz la semaine prochaine. Un congrès que Jean-Pierre Raffarin a qualifié lui-même d'"important" pour l'avenir d'EDF, le 26 juillet. De là à imaginer que le lancement de l'EPR pourrait servir de monnaie d'échange au premier ministre pour obtenir en retour un feu vert de la CGT au changement de statut d'EDF et de Gaz de France...

Reste à savoir qui va financer la construction de l'EPR. Le coût du démonstrateur, évalué à 3 milliards d'euros, "sera pris en charge par les industriels concernés", a dit la ministre. EDF et Areva sont plutôt sous pression à Bercy pour faire des économies et améliorer leurs résultats. Pour renouveler le parc actuel, "à raison de 4 000 MW par an, il faudrait mobiliser environ 5 milliards d'euros chaque année. (...) C'est la moitié de notre cash-flow opérationnel, un peu moins de la moitié de nos investissements totaux", soulignait M. Roussely devant les parlementaires en avril. Mercredi, dans un communiqué, le groupe public évoque "la mise au point d'un nouveau modèle de réacteur (...) sur la base d'une coopération européenne entre industriels et autorités de sûreté". Convaincre l'Europe de relancer le nucléaire, un nouveau défi pour M. Raffarin.

Pascal Galinier


Nicolas Hulot : "consulter la population"

Interrogé par Le Monde, Nicolas Hulot estime qu'"il aurait fallu consulter la population" avant toute décision. "Je ne serais pas opposé à l'organisation d'un référendum, car les choix qui sont proposés nous engagent durablement. Si la société fait un mauvais choix, elle pourra dire qu'elle l'a fait collectivement", estime le producteur d'émissions de télévision sur la nature, proche de Jacques Chirac. "Dans ce dossier, il aurait été urgent de ne pas prendre de décision, poursuit M. Hulot. La décision passe au forceps. La population aurait dû avoir le droit à un vrai débat sur l'énergie, où auraient été énoncés les inconvénients, les avantages, les risques. Il aurait fallu savoir s'il n'y avait pas d'autres options. Avons-nous épuisé tous les gisements d'économie ?"

Le Parti socialiste, dans un communiqué publié mercredi, condamne "une véritable parodie de débat sur la politique énergétique". Il "s'étonne d'une telle annonce à un moment où tous les crédits pour mieux maîtriser l'énergie et accroître la part des énergies renouvelables sont fortement diminués".


"L'urgence de la construction de l'EPR n'est pas clairement démontrée"

A l'issue du Débat national sur les énergies, qui s'est déroulé au premier semestre 2003, un "comité des sages" composé d'Edgar Morin, sociologue, de Pierre Castillon, ancien président de l'Académie des technologies, et de Mac Lesggy, journaliste scientifique, a remis, le 12 septembre, ses conclusions au gouvernement. M. Morin a soumis une contribution séparée, exprimant quelques divergences.

Pierre Castillon et Mac Lesggy. Il est clair que la poursuite du programme électronucléaire français devrait entraîner, dans quelques années, la construction de nouvelles tranches nucléaires pour remplacer le parc actuel. Toute la question est de savoir quand ces tranches doivent être construites. Si la décision est prise aujourd'hui, le seul "candidat" possible est l'EPR. En revanche, si elle devait être différée de plusieurs décennies, le choix serait plus ouvert. Plusieurs modèles dits de "quatrième génération" sont en effet à l'étude au niveau international.

Il a semblé que si le constructeur potentiel de l'EPR, Areva, milite pour sa réalisation immédiate, c'est avant tout pour des raisons économiques et de stratégie industrielle. (...) Sa mise en service permettrait à Areva de disposer d'un réacteur démonstrateur, avantage de poids dans la bataille que s'apprêtent à livrer les grands constructeurs nucléaires mondiaux pour décrocher des commandes en Asie. (...)

L'opérateur national, EDF, a aussi manifesté son intérêt. Mais les différents calendriers présentés - et discordants - n'ont pas clairement démontré l'urgence de la construction de l'EPR.

Edgar morin. La problématique spécifique du nucléaire doit être vue dans le contexte futur :

- Il y a des protections fiables seulement à court et moyen terme pour les déchets radioactifs à très longue durée de rayonnement. Cela doit influer le choix politique sur le nucléaire lui-même. Toutefois, une centrale pourrait être alimentée par les déchets radioactifs et ainsi éliminer leur nuisance.

- Les nouvelles menaces terroristes peuvent menacer des centrales ou la Hague.

- Un réchauffement climatique perturberait le fonctionnement des centrales en période de canicule.

- L'investissement sur EPR se fait-il au détriment d'investissement sur le renouvelable ?

(...) Aussi les centrales actuelles ne devenant obsolètes qu'en 2030, il semble inutile de décider d'une nouvelle centrale EPR avant 2010. L'incertitude actuelle ne permet pas d'être assuré que l'EPR, conçu dans les années 1980, serait la filière de l'avenir. Un temps de réflexion de huit ans me semble nécessaire.




Hulot pour une consultation sur le nucléaire de 3e génération

PARIS - Nicolas Hulot, animateur de l'émission Usuhaïa sur TF1 et conseiller de Jacques Chirac pour les problèmes d'environnement, a déploré le manque de débat sur le réacteur nucléaire de troisième génération EPR et a souhaité une vaste consultation, voire un référendum, sur ce dossier.

La ministre déléguée à l'Industrie Nicole Fontaine a proposé mercredi au Premier ministre Jean-Pierre Raffarin le choix de l'EPR ((European Pressurized Reactor, réacteur européen à eau sous pression) pour renouveler le parc nucléaire français, choix qui suscite la colère des écologistes.

Interrogé sur RTL, Nicolas Hulot a estimé qu'il était "urgent de ne pas se presser" sur ce dossier.

"Les problèmes d'énergie, nos sources d'énergie, c'est quelque chose d'excessivement complexe, et attention de ne pas simplifier et de ne pas seulement réagir par sensibilité personnelle. La première chose, c'est qu'il est urgent de ne pas se presser", a-t-il dit.

"J'entends dire que l'on peut prolonger d'une dizaine d'années la durée de vie de nos centrales nucléaires. Si tel est le cas, profitons de ce temps précieux qui nous est donné pour organiser un véritable débat sur l'énergie, un véritable débat, et confronter les points de vue des uns et des autres", a-t-il ajouté.

"On nous engage pour des décennies, avec ces déchets dont on ne peut pas s'accommoder. L'objectif idéal de notre société ce serait de sortir du nucléaire. Le problème c'est: quand, et comment ? Comme on n'a pas de réponses, eh bien donnons-nous les instruments d'évaluation pour savoir si l'on peut, ou pas, mais faisons ce travail, sans a priori. Je ne pense pas qu'il ait été fait dans le dernier débat sur l'énergie en France", a estimé Nicolas Hulot.

Dans Le Monde, il demande une consultation de la population. "Je ne serais pas opposé à l'organisation d'un référendum car les choix qui nous sont proposés nous engagent durablement", dit-il.

"La population aurait dû avoir le droit à un vrai débat sur l'énergie où auraient été énoncés les inconvénients, les avantages, les risques. Il aurait fallu savoir s'il n'y avait pas d'autres options."

TOLLE CHEZ LES ECOLOGISTES

La proposition de la ministre déléguée à l'Industrie a provoqué de vives critiques chez les écologistes de tous bords.

Pour Noël Mamère, député Vert de la Gironde et ancien candidat de cette formation à l'élection présidentielle de 2002, il s'agit d'une "véritable provocation" qui va "plonger la France durant cinquante ans de plus dans l'hégémonie du nucléaire".

Pour Géraud Guibert, secrétaire national du PS chargé de l'environnement, "ce choix fait suite à une véritable parodie de débat sur la politique énergétique de la France".

"Avec une telle décision, le gouvernement prend le risque d'empêcher une réelle diversification énergétique pourtant tout à fait indispensable", dit-il dans un communiqué.

L'ancienne ministre de l'Environnement Corinne Lepage, présidente de Cap 21 (proche de l'actuelle majorité), dénonce elle aussi "l'absence de débat démocratique" sur la politique énergétique et affirme que la technologie de l'EPR "est d'ores et déjà obsolète et son coût est élevé".

Pour leur part, les rapporteurs de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques sont satisfaits.

Les députés Christian Bataille (PS) et Claude Birraux (UMP) déclarent dans un communiqué avoir "pris connaissance avec satisfaction" des déclarations de la ministre en faveur de l'EPR.

Ils soulignent que "le lancement rapide de la construction de l'EPR permettra d'acquérir, avec ce nouveau réacteur, l'expérience indispensable pour pouvoir, le cas échéant et le moment venu, placer les réacteurs d'EDF les plus anciens dans les meilleures conditions de sûreté et de performance économique".

Les deux élus rappellent que les déclarations de Nicole Fontaine vont dans le sens des conclusions de leur rapport sur "la durée de vie des centrales nucléaires et les nouveaux types de réacteurs" qui a été adopté à l'unanimité en mai par l'Office d'évaluation parlementaire.