Extrait, Le Dniepr n°48, décembre 2008:

Les premiers jours après la catastrophe de Tchernobyl en Biélorussie(1) (1986)

Par V. B. Nesterenko, alors directeur de l'Institut de Production d'Energie Nucléaire de la République Socialiste Soviétique de Biélorussie, constructeur général de la centrale nucléaire mobile "Pamir".

Traduit du russe par Jean-Marie Trautmann

J'ai été informé de la catastrophe survenue à la centrale nucléaire de Tchernobyl dans la matinée du 28 avril, à Moscou (au Kremlin), au cours d'une mission à la Commission militaro-industrielle du Conseil des Ministres de l'URSS. J'étais allé à Moscou pour prendre des décisions urgentes pour l'Institut de la Production d'Energie Nucléaire (devenu ensuite Institut à l'Energie Nucléaire) à propos de la centrale nucléaire mobile(2) qui venait d'être construite. On m'a fait part d'un incendie survenu à la centrale nucléaire de Tchernobyl. Ma première réaction : téléphoner à l'Institut et donner l'ordre de mettre en oeuvre la Procédure de Protection Civile destinée à protéger la population en cas d'accident nucléaire. Cela a été fait. Le deuxième coup de téléphone a été pour le Président de l'Académie des Sciences de Biélorussie, l'académicien N. A. Borisevitch, afin de l'informer des incidences potentielles de l'accident dans les régions du Sud de Biélorussie et de la nécessité d'informer d'urgence les autorités du pays de ce malheur. N. A. Borisevich m'a conseillé de téléphoner au premier secrétaire du Comité Central du Parti Communiste de Biélorussie, N. N. Sliounkov et de le persuader personnellement de la nécessité de prendre des mesures urgentes pour la protection de la population contre les radiations.

Les coups de téléphone répétés par l'intermédiaire de son adjoint, V. P. Kriouchkov, m'ont permis, au bout d'une heure et demie, d'avoir enfin N. N. Sliounkov au bout du fil. Mon information quant à la nécessité de déterminer rapidement l'intensité des radiations et de procéder à l'évacuation des gens dans une zone de 100 km de rayon autour de la centrale fut étrangement perçue : "Pas de panique. Nous sommes informés de l'incendie, il a été éteint". Après mes conseils obstinés sur la nécessité de prendre d'urgence des mesures de protection la réponse fut : «reviens à Minsk, nous nous verrons demain matin.»

Je suis revenu à Minsk par l'avion de 19 heures. À l'aéroport m'attendait le chauffeur avec l'équipement nécessaire pour les mesures de radioactivité et nous sommes partis en direction de Bobrouïsk. 23 km au-delà, dans le coin de Mozur, on atteignait une dose de 5000 microrem/heure(3) ; au-delà de Kalinkovitch-Hoinik plus 18 000 microrem/heure ; Brahin, plus de 30 000. Nous revenons à Mozur : plus de 10 000 ; Naroulja : 28 000. En cours de route nous avons prélevé des échantillon de sol sur les accotements, ainsi que de certains produits alimentaires.

Le matin du 29 avril nous sommes revenus à Minsk et j'ai fait analyser les échantillons sur le photogammamètre NOCIA (Finlande) et à 8 heure du matin j'étais au Comité Central, dans l'antichambre de N. N. Sliounkov. Je n'ai toutefois pas été reçu. Je suis revenu à l'Institut, qui se trouvait dans le bourg de Sosna à 20 km de Minsk. Les résultats de la spectrométrie des essais étaient prêts. Ils faisaient apparaître une importante contamination du sol et des produits alimentaires par des radionucleïdes. Il était urgent de prendre des mesures de protection.

Dans le bourg de Sosna (à l'Institut, à l'école, dans le jardin d'enfant) ont été prises les mesures d'urgence : prophylaxie par l'iode, restrictions du déplacement des adultes et des enfants, restrictions alimentaires. À l'Académie des Sciences, le Président a reçu tous les directeurs d'Instituts ainsi que les secrétaires des comités du parti. L'information sur l'accident survenu dans la centrale de Tchernobyl a été donnée, des recommandations sur la protection contre les radiations, la restriction d'aller en forêt, dans les jardin, l'interdiction de baignade, l'interdiction de consommer l'eau des sources. Le Service de Protection contre les Radiation de l'Institut (F. Kohanov, A. A. Lineva, N. A. Alhimovich, P. V. Bulyga) s'est donné à fond. Le laboratoire ambulant de mesure de la radiation a parcouru Minsk par le chemin d'arrondissement, visité une série de quartiers de la ville et l'information recueillie a été présentée à l'inspecteur sanitaire principal de Minsk. Une information sur l'accident nucléaire et la protection contre les radiations a été donnée à tous les employés de l'Institut encore le 28 avril. Il leur a été recommandé de démultiplier auprès de leurs connaissances et des membres de leurs familles l'information quant aux mesures à prendre pour se protéger des radiations.

Au bout d'un certain temps je me suis à nouveau rendu au Comité Central. Il faisait chaud, dans les rues on vendait les produits alimentaires sur des étals à ciel ouvert (glace, pâtés, viande). Je suis allé au marché central de la ville : là aussi sur la partie ouverte du marché se vendaient les produits alimentaires. Aucune mesure restrictive ! Pendant ce temps la poussière radioactive tombait du ciel et cela était clairement mis en évidence par les mesures dosimétriques.

Le secrétaire du Comité Central, A. T. Kuzmin, tenta par deux fois de m'aider à être reçu d'urgence par N. N. Sliounkov. Je me trouvais dans l'antichambre du Comité Central. On me fit savoir que depuis 1 heures 30 notre célèbre poète N. S. Gilevich était reçu par Sliounkov. Je ne tenais plus en place et courais nerveusement dans la grande antichambre de N. N. Sliounkov. Enfin, vers 17h30, la porte s'ouvrit et Nil Sémionovitch Gilevich sortit du cabinet. Nous nous connaissions bien pour nous être rencontrés à Sosna. Il me salua et me dit : "Nous avons si bien examiné avec Nikolay Nikitovich, comment développer la culture biélorusse ". Je à lui ai répondu, que je craignais qu'après un tel accident, i1 ne resterait plus personne pour apprécier notre culture biélorusse. Nil Sémionovitch ne comprit pas mon message. "Ne vous inquiétez pas, Nikolay Nikitovich m'a fait part de l'incendie sur la centrale nucléaire de Tchernobyl, mais le feu a été maîtrisé. Tout va rentrer dans l'ordre" (ce n'est qu'après 1990 où fut levé le secret couvrant les documents relatifs à l'accident de Tchernobyl, lors d'une rencontre au Soviet Suprême que N. S. Gilevich m'a dit, que ce n'est que maintenant qu'il comprenait les avertissements et mon inquiétude pour la santé des gens dont je lui ai avais fait part le 29 avril 1986 dans l'antichambre du Comité Central chez N. N. Sliounkov.

J'entrai dans le cabinet de N. N. Sliounkov. L'exposé détaillé que je lui fis sur l'accident survenu à Tchernobyl et sur l'ampleur potentielle des conséquences pour les Biélorusses n'impressionnèrent pas N. N. Sliounkov. "Il ne faut pas provoquer la panique. On m'a fait part de l'accident. Mais le feu a été maîtrisé, la remise en état va être entreprise afin que l'activité de la centrale reprenne".

Je continuais à insister sur la nécessité de prendre des mesures extraordinaires. Alors, utilisant sa ligne directe, N. N. Sljun'kov téléphona au Président du Conseil des Ministres de Biélorussie, M. V. Kovalev : "Mikhaïl Vasilevich, dans mon bureau se trouve le directeur de l'Institut, Nesterenko, il me donne des informations sur l'accident de Tchernobyl qui diffèrent de celles que nous avons jusqu'ici. Tu le reçois d'urgence". Kovalev lui a répondu, qu'il fallait ordonner à Nesterenko, de retirer ses dosimètres de la ville, pour qu'ils ne sèment pas la panique. Sliounkov insista : "tu le reçois quand même".

Vers 18h30 je suis entré dans le cabinet du Président du Conseil des ministres de Biélorussie, M. V. Kovalev (c'est lui et lui seul, en tant que Président de la Défense Civile de la République, qui peut introduire l'état d'urgence et notamment ordonner l'évacuation de la population). Dans le cabinet du Président se trouvaient le Ministre de la Santé Publique, l'académicien N. Savtchenko, le vice-président du Conseil des Ministres N. Mazaï, le chef d'état-major de la Défense Civile de la République, le général-commandant Grichagin, l'inspecteur sanitaire principal de Biélorussie, Pivtchenko, le vice-ministre de la santé publique Kondruchev, le président du Conseil Municipal de Minsk, N. I. Mihasev. Sur la table se trouvaient des cartes d'état-major portant des flèches indiquant la diffusion de la radiation à partir de Tchernobyl.

M. V. Kovalev me posa la question suivante : "Que vous voulez annoncer ?". J'ai répété ce que je venais de dire à N. N. Slioukov précédemment quant à l'ampleur de l'accident, aux conséquences possibles de cet accident nucléaire pour les habitants de Biélorussie, la nécessité d'un suivi détaillé de l'irradiation, la nécessité d'un suivi médical des habitants du Sud de la Biélorussie, la nécessité dune prophylaxie par l'iode. L'ingénieur principal de notre Institut, M. F. Kohanov, avait rendu visite, la veille, à l'inspecteur sanitaire principal de la ville et l'avait persuadé de préparer 700 kg de solution d'iode et de l'introduire dans l'eau potable aux stations de la chloration de l'eau potable et dans le lait des laiteries. Mais cela nécessitait la décision du Président de la Défense Civile de la République.

J'ai commencé par exposer où en était l'irradiation en Biélorussie : le matin du 28 avril 1986, une dose de 3 000 microrem/heure avait été mesurée par les experts de protection radiologique de l'Institut près du bâtiment du Comité Central, 800 microrem/heure près de celui du Conseil des ministres, le soir du 29 avril. J'ai proposé de prendre la décision d'entreprendre une prophylaxie de la population par l'iode(4), de limiter la vente des produits dans la rue, d'ordonner la fermeture de la partie non couverte des marchés, d'éviter la participation des enfants à la manifestation du Premier Mai. Pendant ce temps, depuis la pièce voisine, le ministre de la santé publique, N. Savehenko, téléphonait au directeur de l'Institut de Biophysique à Moscou pour lui demander son avis sur mes propositions. La réponse fut la suivante : il n'est pas nécessaire de se dépêcher, il n'y a pas lieu de procéder à une évacuation.

Sur la base de cette information, M. V. Kovalev me conseilla de ne pas semer la panique, de retourner à l'Institut à Sosna, mais qu'au niveau du Gouvernement, on prendrait les mesures de protection. J'ai répondu, que pour ce qui est des mesures de radioprotection à Sosna je n'avais besoin d'aucune instruction : la prophylaxie par l'iode, les restrictions du séjour en plein air des gens, particulièrement des enfants y étaient déjà en cours.

De toutes mes propositions seule celle de laver les rues avant le défilé fut retenue.

Le matin du 29 avril la lettre à N. N. Sliounkov dans laquelle j'exposais toutes mes propositions fut communiquée au Comité Central. Dans la nuit du 30 avril au ler mai, sur demande du gouvernement, je fus convoqué par l'académicien V. A. Legasov pour une consultation quant la possibilité d'introduire de l'azote liquide dans la zone active du réacteur. En effet, à l'époque, de toutes les organisations nucléaires de l'Union Soviétique, notre réacteur scientifique IRT-5000 était le seul où l'on avait de l'expérience avec l'azote liquide introduit au coeur du réacteur. À l'Institut pour l'Energie Nucléaire, chez l'académicien B. B. Boïco, nous avions l'expérience de travailler avec l'azote liquide mis en contact avec le combustible nucléaire au coeur du réacteur. La question était : n'y aura-t-il pas de nouvelle explosion au contact de l'azote liquide avec le combustible nucléaire ? Je téléphonai dans la nuit à Boïco, reçus confirmation qu'il n'y aurait pas d'explosion et le fis savoir à V. A. Legasov. V. A. Legasov me fit savoir qu'on enverrait un hélicoptère me chercher, qu'il serait vers minuit à côté de Jdanovitcha, non loin de ma maison de campagne. Il m'a dit, qu'il y avait un ordre du ministre des industries mécaniques moyennes E. P. Slavsko et l'accord du chef des troupes de génie Minoboron pour le transfert du spectromètre de notre centrale nucléaire "Pamir" pour servir à bord de l'hélicoptère à estimer la radiation sur le site de la centrale nucléaire de Tchernobyl. Notre vol en compagnie de V. A. Legasov, du pilote et du navigateur de l'hélicoptère, au dessus du réacteur brûlant, fut une nuit terrible. C'est l'objet d'un récit spécial, mais je paie depuis les conséquences sur ma santé.

Après mon retour à l'Institut le soir du 29 avril 1986, j'ai rédigé le compte rendu à N. N. Slioukov et il a été transmis, par courrier spécial, le 30 avril, au Comité Central. Le contenu de cette note, la correspondance de l'Institut de l'Energie Nucléaire avec le Gouvernement de Biélorussie, la lettre au Ministère de la Santé(5), à Hydromet, le Ministère de la Santé de l'URSS, le Comité Central du Parti communiste de l'Union Soviétique (4 volumes de 250 pages chacun) ont été mis à la libre disposition du public suite à la décision prise lors de la première session du Soviet Suprême de l'URSS de lever le secret sur tous les documents relatifs à l'accident de Tchernobyl et ont publiés dans mes articles "Le secret sera-t-il dévoilé ? " et "Chronique de la catastrophe de Tchernobyl » dans le journal La Source (Rodnik) Nos 5, 6, 7 en 1990.

Le 3 mai, avec des membres du comité de direction de notre Institut (M. F. Kohanov, A. A. Lineva, N. A. Alhimovich) je me suis rendu dans la région de Tchernobyl de l'ob1ast(6) de Gomel. Suite à cette visite, une lettre a été adressée au Gouvernement (le 7 mai 1986) avec la proposition d'évacuer les habitants dans un rayon de 100 km autour de la centrale de Tchernobyl et de prendre d'autres mesures de radioprotection.

Au Comité Central eut lieu une discussion, au cours de laquelle N. A. Borisevich et moi avons convaincu le gouvernement de la république de la nécessité d'évacuer les habitants des régions de Biélorussie devenues dangereuses.

Au début de mai le Gouvernement prit la décision d'évacuer les gens vivant dans une zone de 30 kilomètres autour de Tchernobyl. L'évacuation débuta. On commença par emmener les enfants vers des régions non contaminées de Russie.

Pendant une conversation de 2 heures avec N. N. Sliounkov après mon voyage à Kiev je lui ai raconté les mesures prises pour la radioprotection en faveur de la population en Ukraine, sur les actions décisives du Président du Conseil des Ministres d'Ukraine Liachko pour l'évacuation des habitants des régions dangereuses autour de Tchernobyl. N. N. Sliounkov m'a répondu, que lors du Bureau politique du Comité Central du Parti Communiste de l'Union Soviétique, le Président du Conseil des Ministres d'Ukraine, Liachko, avait durant 40 minutes demandé l'aide pour la radioprotection de la population ukrainienne et s'était sérieusement fait reprocher pour la panique. Par contre, après l'exposé de 15 minutes de notre Président du Conseil des Ministres, M. V. Kovalev, sur la situation en Biélorussie après l'accident survenu à la centrale nucléaire de Tchernobyl et l'obligation de la Biélorussie, malgré l'accident, de remplir toutes ses obligations de livraison de viande et de lait, dans le cadre du budget fédéral, nous avons eu des félicitations. Il a ajouté : "tu ne comprends pas le moment politique. Mais qu'adviendra-t-il, si nous évacuons des gens, alors que c'est inutile ? J'ai répondu, que je mettrai par écrit ma proposition et que j'étais prêt à en assumer la responsabilité. Le 7 mai 1986 ces propositions étaient envoyées au Comité Central.

Après une séance de nuit du Comité Central, où N. A. Borisevich et moi insistâmes sur la nécessité de mesures de protection rapides, on nous a exclus de la séance. Nous avions l'impression de parler à des sourds, qui ne nous entendaient pas.

Au Comité Central l'incompréhension de nos inquiétudes était totale. Nous avions une vision de l'ampleur de l'accident et, nous basant sur l'expérience de l'accident nucléaire de Tcheliabinsk, comprenions quelles conséquences négatives aurait la présence de la population dans les territoires dangereux, pollués du Sud de la Biélorussie. À la fin de juin nous avons établi la carte de la pollution de radioactive en Césium 137 de l'oblast de Moguilev.

En septembre 1986, l'Institut pour l'Energie Nucléaire, avec l'accord du Gouvernement de Biélorussie a envoyé à Moscou (au Ministère de la Santé de L'Union, Hydromet) les cartes de la radiopollution des régions sud de la république non seulement en césium 137, mais encore par d'autres isotopes.

De toutes les régions du Sud de la Biélorussie parvenaient à l'Institut les produits alimentaires pour contrôle rapide de leur pollution radioactive. Leurs teneurs en radionucléïdes ont été effectuées dans notre Institut, par la chaire de Physique Nucléaire de L'université et dans L'Institut de Physique de l'Académie des Sciences.

Déjà à ce moment-là, le danger principal pour la population était la consommation des produits alimentaires locaux pollués par des radionucléïdes. Ce danger subsiste encore aujourd'hui, 17 ans après l'accident de Tchernobyl.

Après la levée du secret sur les information concernant Tchernobyl et les actions des administrations de radioprotection de la population, les Biélorusses sont devenus méfiants vis-à-vis de l'information sur Tchernobyl que donnaient les structures d'Etat.

L'écrivain biélorusse Ales Adamovitch, Andreï Dmitrievich Sacharov, et le président du Fonds pour la Paix de l'URSS, Anatoly Karpov(7), ont proposé de créer un institut indépendant pour la radioprotection de la population de Biélorussie. Il s'agissait avant tout de donner à la population une information objective sur la situation en termes de radioactivité après Tchernobyl et sur ce que l'on pouvait faire pour se protéger.

C'est ainsi que l'Institut de Sécurité Nucléaire BELRAD a été créé à partir du centre Biélorusse technologique et scientifique "Radiomètre".

L'Institut BELRAD a proposé au Soviet Suprême, au Gouvernement de Biélorussie, aux présidents des comités exécutifs régionaux de créer un réseau public de centres locaux pour le radiocontrôle des produits alimentaires auprès de la population. Dans de tels centres, implantés dans les écoles ou les conseils de village, les villageois auraient la possibilité de faire déterminer la teneur en radionucléïdes de leurs produits et se faire préciser s'ils pouvaient être consommés.

L'Institut BELRAD a élaboré le dosimètre "SOSNA" dont la production a eu lieu dans notre Institut et aux usines de construction d'appareils de Gomel, de Borisov et de Retchitsa (on en a produit plus 300 000).

La mise au point et la fabrication par l'Institut BELRAD de plus de 1 000 radiamètres RUG-92 ont contribué à l'équipement des services radiométriques Minselhozorod et Belcoopcoyous par des appareils sûrs et très sensibles permettant de déterminer la teneur en Césium 137 dans les produits alimentaires.

Sur l'ensemble de la Biélorussie fut créé un réseau de 370 centres locaux du contrôle de radiation des produits alimentaires chez la population (MTK). Ce programme fut réalisé en vertu d'un article de la Loi de la République de Biélorussie "Sur la protection sociale des citoyens qui ont souffert la catastrophe de Tchernobyl". Les premiers 30 MTK furent financés par le Fonds pour la Paix de l'URSS [d'A. Karpov) et de la Biélorussie (M. Egorov)]. Le Comité d'Etat de Tchernobyl a désigné l'Institut BELRAD comme responsable de la création et de l'exploitation des MTK et de l'information de la population.

A présent, en raison de la réduction du financement du programme de Tchernobyl le nombre de MTK en fonctionnement, soutenus par Comité d'Etat de Tchernobyl, a été réduit à 56 alors que leur nécessité n'a pas diminué. Le taux de contamination par le césium 137 du lait est le facteur primordial de risque pour la santé de la population, particulièrement des enfants. Selon les données de 2001 du Ministère de la Santé bélarusse, dans plus de 1 100 villages des régions du Bélarus proches de Tchernobyl, le lait contenait plus de 50 Bk/kg(8) de césium 137. Sachant que 60% de la dose annuelle d'irradiation interne des enfants provient de leur consommation de lait local pollué par le césium 137, on voit que le lait est un bon indicateur pour mesurer quel risque est associé au fait de vivre dans un territoire pollué donné. Le niveau admissible de la teneur en césium 137 dans l'alimentation d'un enfant ne doit pas excéder 37 Bk/kg.

Durant ces années, furent enregistrés dans la base de données de l'Institut BELRAD plus 340 000 résultats de mesures de la teneur en césium 137 dans les produits alimentaires locaux. L'analyse de ces données montre que près de 15% du lait contrôlé a une teneur en césium 137 qui dépasse le niveau admissible (100 Bk/kg), 80% des champignons, la viande des animaux sauvages ont une teneur en césium 137 dépassant la limite admissible (soit 370 et 500 Bk/kg). Après 17 ans, la part de la pollution par le césium 137 des produits alimentaires ne diminue pas et pendant des décennies encore subsistera la contamination des produits alimentaires locaux.

Ces dernières années ont également révélé une pollution dangereuse du blé, du lait et des légumes par le strontium 90, dans des dizaines des villages du Bélarus.

Compte tenu des possibilités financières réelles de l'Etat, il faut remarquer que ni les habitants, ni l'Etat ne sont capables d'assurer la radioprotection de la population du Bélarus vivant dans les territoires pollués et consommant les produits locaux contenant du césium 137 et du strontium 90.

L'Institut de l'Economie NAN de Biélorussie a défini le préjudice économique subi par le pays sur 30 ans en raison des conséquences de Tchernobyl à 235 milliards de dollars. Il s'agit de dollars US ce qui correspond à 32 fois le budget annuel de la république. Et bien que l'Etat dépense chaque année dans le cadre de divers budgets jusqu'à 20 % du budget annuel du pays pour le programme de Tchernobyl, cette aide à la population des régions touchées est insuffisante (seulement 10% des besoins) et n'assure pas sa sécurité de vie dans les zones polluées.

Le niveau des revenus des habitants de ces régions est bas, ils ne peuvent pas acheter de nourriture propre et sont obligés de consommer les produits locaux contenant du césium 137. Plus 80-90 % de la doses annuelle de l'irradiation par du césium 137 est reçue par les habitants à travers leur alimentation en produits locaux. De petites doses de radiation reçues plusieurs années de suite affecte négativement la santé des habitants du Bélarus, en premier lieu celle des habitants de la république vivant dans des régions proches de Tchernobyl.

Lors des auditions parlementaires en avril 2002 il a été annoncé que le césium 137 avait entraîné une dégradation massive de la glande thyroïde chez tous les habitants du Bélarus. Environ 10 000 personnes ont subi une opération pour un cancer de la glande thyroïde, y compris plus 1 800 enfants. Une augmentation des malformations congénitales, des maladies des reins, du coeur a été observée ainsi que l'apparition du diabète sucré chez l'enfant et des maladies des poumons.

Ils serait logique que le Gouvernement du Bélarus obtienne du propriétaire de la centrale nucléaire de Tchernobyl (l'Ukraine), du concepteur et fabricant de la centrale nucléaire (la Russie) une compensation à la population du Bélarus pour le préjudice nucléaire. Il serait rationnel que le Bélarus, un des fondateurs de l'ONU, obtienne la création d'un fonds d'assurance à l'ONU (par exemple MAGATE) aux frais des propriétaires de plus 400 centrales nucléaires dans le monde et une compensation en tant que victime de Tchernobyl. Mais rien de cela ne s'est fait jusqu'à présent.

L'aide économique octroyée au Bélarus par d'autres d'autres Etats est minime. Les Biélorusses sont restés seuls en face du malheur que leur a apporté Tchernobyl.

Ce sont les fonds de bienfaisance d'Allemagne, d'Angleterre, d'Italie, d'Espagne, d'Irlande, de France, de Suisse, d'Autriche, de Belgique, du Japon, des USA et d'autres pays qui apportent une aide considérable aux gens souffrant de l'accident de Tchernobyl.

Chaque année près de 60 000 enfants font une cure à l'étranger, environ 200-250 000 enfants en font une au Bélarus, mais les autres enfants des régions de Tchernobyl sont privés, ne serait-ce que pour un mois, de la possibilité de partir dans des régions où ils pourraient consommer de l'alimentation non contaminée.

L'Institut BELRAD a établi des contacts avec 25 «Initiatives pour Tchernobyl» qui soutiennent les contacts directs avec les écoles (en tout 911 écoles), le travail des MTK.

Depuis 1995 l'Institut diffuse tous les trois mois un bulletin d'information "Suivi de l'irradiation des habitants et de leur alimentation dans les régions « Tchernobyl » du Bélarus".

Depuis 1996 l'Institut s'est également lancé dans le suivi des enfants à l'aide d'un spectromètre mesurant l'irradiation des personnes (SIT) qui permet d'établir quelle est l'accumulation du césium 137 dans leur organisme. Dans la période 1996-2002, environ 170 000 enfants ont été ainsi examinés. Ces mesures ont montré que seulement 10-15 % des enfants sont contaminés à moins de 10-15 Bk/kg. Des niveaux maximum de teneur en Césium 137 atteignant 4 000 à 7 200 Bk/kg dans l'organisme d'enfants ont été mis en évidence. Les études médicales du professeur E. B. Burlakova et de l'académicien A. V. Yablokov (Russie), du professeur Y. V. Bandazhevsky, du professeur T. A. Birich du Bélarus ont révélé que les atteintes pathologiques dans les systèmes vitaux chez des enfants apparaissent à partir d'une concentration en césium 137 dans leur organisme d'environ 50 Bk/kg. C'est pourquoi la deuxième tâche importante de l'Institut est le suivi de l'irradiation des enfants dans les régions « Tchernobyl » du Bélarus et l'établissement de cartes de la radiocontamination des enfants. Dans les 21 Raïons(9) contaminés nous suivons 182 villages dans les oblasts de Gomel, Moguilev, Brest et Minsk. Pour ce travail c'est l'Etat allemand (dès février 2002 le projet commun "Irradiation des enfants biélorusses" a été réalisé) et le Fonds privé de bienfaisance Mac Arthur de Chicago (USA) qui ont apporté le soutien financier.

Le Comité d'Etat pour Tchernobyl, n'a financé qu'une fois, en 2000, la détermination sur SIT des niveaux de concentration en césium 137 dans l'organisme des habitants de 45 villages de l'oblast de Gomel. Depuis, le Ministère de la Santé du Bélarus a présenté au Gouvernement un nouveau catalogue des doses de contamination de la population qui fait apparaître de faibles doses annuelles ; le Ministère propose de limiter les mesures de radioprotection à 128 000 personnes (alors que dans le catalogue précédent plus de 2 millions de personnes étaient concernées).

Les examens directs sur SIT de 5 000 habitants (particulièrement des enfants) dans 45 villages ont montré que le Ministère de la Santé, en utilisant une méthode indirecte de détermination de la contamination de la population par le césium 137 dans 10 échantillons de lait et 10 échantillons de pommes de terre (dont le choix est contestable), a minoré de 6-8 fois la contamination réelle. Ces résultats ont été rapportés d'abord à la commission interdépartementale, mais aussi, par la suite, lors des auditions Parlementaires en l'an 2000. Il faut mentionner à l'honneur du nouveau directeur qui venait d'être nommé à l'Institut de Médecine des Radiations du Ministère de la Santé, le Professeur V. A. Ostapenko, qu'il prit une décision courageuse : il reprit du Gouvernement le catalogue - 2000 pour révision.

Malheureusement, en été 2002 le Ministère de la Santé et la Commission Nationale de Radioprotection de la Population ont soumis une proposition au Gouvernement et au Conseil des Ministres du Bélarus une proposition qui fut ratifiée le 8 août : un nouveau découpage du territoire pour ce qui est de la radiocontamination et 146 villages, déclarés "propres", sont désormais exclus de la liste des villages contaminés.

L'indignation des parents et l'appel des habitants des raïons de Kalinkovitch et de Buda-Kochelevsk lancé à l'Institut BELRAD aboutirent à la reconnaissance que cette décision n'avait pas été prise sur la base d'une étude scientifique détaillée. On n'indique pas à la population de chaque village quelle est la teneur en césium 137 dans les produits alimentaires locaux, dans ce que l'on ramasse dans les forêts, on ne donne pas d'information quant à la teneur en césium 137 dans l'organisme des habitants, et plus particulièrement des enfants. Les habitants de cette région observent une dégradation catastrophique de la santé des enfants et c'est cela qui les angoisse avant tout.

L'étude de la teneur en césium 137 dans l'organisme des habitants et dans les produits alimentaires de ces 146 villages des régions de Tchernobyl est absolument justifiée. Il est indispensable de rechercher les moyens de financer un tel travail. Si de telles études permettrent de montrer aux habitants que le niveau de contamination des produits alimentaires locaux en césium 137 est inférieure à 20-30 Bk/kg, que la teneur en césium 137 dans l'organisme des enfants inférieure à 15-20 Bk/kg et que la dose annuelle qu'ils reçoivent inférieure à 0,1 mSv/an(10) cela voudra dire que vivre dans ces localités ne présente aucun [peu de] danger. Si, par contre, ces seuils sont dépassés, il faudra reconnaître l'erreur et remettre ces villages parmi ceux qui continueront à bénéficier de mesures de radioprotection.

Principes de la radioprotection : séparation d'un groupe critique (les personnes les plus irradiées) qui se verrait appliquer des mesures protectrices telles qu'il ne reçoive plus qu'une dose annuelle inférieure à 3 mSv/an. Ces principes se distinguent foncièrement des méthodes médicales mises en oeuvre pour des études épidémiologiques, où l'on définit une charge moyenne annuelle pour toute la localité. Il est justifié d'accepter de telles données pour estimer le nombre prévisible de malades en fonction de la dose collective d'irradiation. En radioprotection, on applique le principe du groupe critique, où la protection est établie en fonction du groupe social le plus vulnérable (enfants, femmes enceintes, personnes âgées).

L'Institut BELRAD s'est servi des travaux scientifiques du Centre de Médecine des Radiation d'Ukraine et de l'Institut de Médecine des Radiation ME du Bélarus (N. A. Gres), qui recommandent d'ajouter, 4 fois par an, dans la ration alimentaire des enfants des régions de Tchernobyl des suppléments pectiques alimentaires additionnés de vitamines. Depuis 1996 l'Institut BELRAD utilisait pour extraire les radionucléïdes de l'organisme des enfants la préparation ukrainienne « Iablopec ».(11) L'Institut BELRAD, en collaboration avec le pharmacien allemand, le docteur Jurgen (Munich), a élaboré le composé « Vitapect », un additif alimentaire à base de pectine et contenant des vitamines et des micro-éléments, en 2000, l'Institut a reçu du Ministère de la Santé du Bélarus le certificat l'autorisant à fabriquer et administrer cette préparation.

Sur mission du Comité Gouvernemental de Tchernobyl, au sanatorium "Bélarus", un contrôle comparatif de l'efficacité des préparations pectiques "Medetopect" (France), "Iablopect" (Ukraine), "Vitapect" (Institut BELRAD), "Spiruline" et du complexe vitaminé "Vitus-iode" a été effectué. Les enfants recevaient deux fois par jour pendant 21 jours ces préparations (selon les groupes).

Les mesures sur SIT avant et après l'administration de ces préparations ont montré les réductions de la teneur en césium 137 suivantes dans l'organisme des enfants :
- après traitement par des préparations pectiques -46 -49%;
- après traitement à la spiruline -31 -35%;
- après traitement "Vitus-iode" -23%;
- dans le groupe de contrôle (enfants n'ayant reçu aucun traitement) -18%.

Une comparaison conduite en 2001 selon les standards européens quant l'efficacité de la préparation pectique "Vitapect" et d'un placebo ont montré, qu'en 21 jours, le contenu du césium 137 dans l'organisme des enfants baissait de 13,9 % après administration du placebo, de 65 % après traitement au Vitapect.

Depuis juin 2002, à l'invitation de Monseigneur Filaret(12) et du Doyen de la Maison de la Miséricorde, l'Institut BELRAD s'est installé dans la Maison de la Miséricorde.

Après le soutien de Monseigneur Filaret, le Conseil Universel des Églises a souligné la nécessité d'un soutien financier pour la création d'un cours donnant aux professeurs des écoles des régions de Tchernobyl des connaissances de radiosécurité et de radioprotection, pour l'achat de l'équipement et l'élargissement de la production du supplément alimentaire à base de pectine Vitapec dans les locaux de la Maison de la Miséricorde.

Tant que les gens vivent sur les territoires pollués par le césium 137, il faut leur enseigner les mesures de radioprotection à prendre ainsi que la manière de minimiser la contamination de leur organisme par le césium 137 à travers la consommation des produits alimentaires locaux.

 

1) Nous utilisons le terme « Biélorussie » pour désigner cette république du temps de l'Union Soviétique et celui de « Bélarus » pour désigner le même territoire depuis son indépendance. (NdT)

2) Unité relativement légère pouvant être déplacée, notamment pour fournir momentanément l'énergie nécessaire au démarrage d'une centrale nucléaire classique (informations reçues verbalement de l'auteur)

3) Le Rem était jusqu'en 1986 l'unité légale d'équivalent de dose radioactive, permettant d'estimer les effets biologiques de la radioactivité. Elle a été remplacée depuis par le Sievert (Sv) : 1 Sv = 100 Rem. 1 microrem = 0,000 001 Rem.

Sievert : unité légale d'équivalent de dose qui permet de rendre compte de l'effet biologique produit par une dose absorbée donnée (symbole Sv). L'équivalent de dose n'est pas une quantité physique mesurable ; on l'obtint par le calcul en multipliant la dose absorbée (exprimée en Gray) par un facteur de qualité dont la valeur dépend de la nature du rayonnement

Quelques ordres de grandeur:
· une radiographie du bassin : environ 1,3 millisievert soit 130 millirem ou 130 000 microrem
· irradiation moyenne en France: 2 millisievert soit 200 000 microrem
· Dose moyenne reçue par les 135000 personnes évacuées de la région de Tchernobyl: 120 mSv soit 12 000 000 microrem

Ces informations sont extraites du Dniepr hors série N°14 (p. 16) intitulé «Les champignons de Tchernobyl» (avril 2000) (NdT)

4) La glande thyroïde est avide d'iode. Si on fournit à l'organisme suffisamment d'iode stable (non radioactif) (sous forme d'iodure de potassium notamment) la glande se sature de cet iode inoffensif et n'absorbera pas l'iode radioactif qui serait ingéré ultérieurement. Les effets destructeurs de ce dernier sur la thyroïde sont donc évités. (NdT)

5) de Biélorussie

6) L'oblast est une subdivision administrative qui correspond à un département fiançais (NdT)

7) Anatole Karpov, champion du monde d'échecs, était aussi membre de la Commission des Affaires Etrangères du Soviet Suprême (NdT)

8) Becquerel : unité légale de mesure internationale utilisée en radioactivité. Le Becquerel (Bq) est égal à une désintégration d'un atome par seconde (1 Curie = 37 milliards de Bq était l'unité utilisée jusqu'en 1986). Cette unité représente des activités tellement faibles que l'on emploie habituellement ses multiples:
- Le GBq (Giga ou milliard de becquerels),
- Le TBq (Tera ou mille milliards de becquerels).

9) Le « raïon » est une région administrative qui correspond à une partie d'un oblast, elle est comparable à l'un de nos cantons (NdT)

10) mSv : milliSievert

11) Pourrait se traduire par « Pectpom » (NdT)

12) Filaret, Metropolitan of Minsk and Sluzk Exarch of Patriarch for all Byelorussia