Le Monde, 23/4/2004:
Un savant biélorusse, Vassili Nesterenko, révèle que Moscou avait mis au point, dans les années 1980, des réacteurs très légers et mobiles pour alimenter les pas de tir de ses fusées. L'accident de Tchernobyl a stoppé ce projet.
L'accident de Tchernobyl, intervenu le 26 avril 1986, a eu une conséquence inattendue et sans doute bénéfique pour la paix dans le monde : il a conduit les autorités soviétiques de l'époque à interrompre la mise en oeuvre de miniréacteurs nucléaires mobiles.
Ces miniréacteurs, suffisamment légers pour être transportés par camions ou par hélicoptères, étaient destinés à alimenter les bases mobiles de lancement de missiles intercontinentaux, comme le révèle un scientifique biélorusse, Vassili Nesterenko, un des principaux artisans du développement de ces réacteurs.
URANIUM TRÈS ENRICHI
La réalisation de ces centrales, appelées Pamir, n'avait jamais été évoquée avec détail. En 1996, un institut américain, le Center for Non Proliferation Studies, avait donné quelques indications, à partir de sources biélorusses, sans retenir beaucoup d'attention.
Comme l'indique Vassili Nesterenko, dans son interview par Galia Ackerman, ces centrales mobiles étaient quasiment opérationnelles en 1986 et leur production industrielle était prévue, dans une usine de Minsk, au rythme de 20 unités par an. D'une puissance de 700 kW, le réacteur utilisait un uranium très enrichi (45 % d'U 235). A l'époque, la Biélorussie était un pays très industrialisé et comptait plusieurs centres technologiques militaires de pointe de l'URSS. Le pays abritait aussi un très grand nombre d'ogives nucléaires, missiles SS-20 et SS-25. Le professeur a précisé au Monde que le réacteur, dont deux exemplaires avaient été fabriqués, a fonctionné pour la première fois le 23 mars 1986, un mois avant l'explosion de la centrale de Tchernobyl. Celle-ci a conduit à l'abandon du projet.
Il semble que le degré de miniaturisation des centrales atteint par l'équipe soviétique était record. Dans les années 1970 et 1980, période de nucléaire euphorique, les ingénieurs de divers pays envisageaient la mise au point de petites centrales - cependant beaucoup plus puissantes que le Pamir soviétique.
Ainsi, la France envisageait en 1973 de doter Tahiti d'une centrale de 25 MW, à base d'un réacteur de sous-marin, comme le racontent Bengt et Marie-Thérèse Danielsson dans Moruroa, notre bombe coloniale (L'Harmattan). Le projet avait été abandonné devant l'opposition des populations locales.
La Russie, quant à elle, n'a pas oublié le concept de minicentrale, considérée comme très adaptée aux régions éloignées ou aux îles. Selon leurs promoteurs, elles reviendraient en effet moins cher et pourraient être transportées plus aisément, ce qui éviterait de grands chantiers dans des régions qui ne s'y prêtent pas pour des raisons techniques ou de disponibilité de main d'oeuvre qualifiée.
CENTRALES FLOTTANTES
M. Nesterenko indique dans le livre qu'il a été approché en 2000 par des officiels russes, qui lui ont proposé de relancer le projet Pamir pour des applications civiles. En 2002, le ministère russe de l'énergie atomique a lancé l'idée de centrales nucléaires flottantes, qui pourraient être installées dans la région d'Arkhangelsk (nord-ouest de la Russie) et sur les rives de la Tchoukotka (nord-est de la Sibérie). Les centrales seraient constituées de deux réacteurs de 35 MW provenant de brise-glace, et coûteraient 180 millions de dollars. Elles seraient installées sur une grande barge ancrée près de la côte. Mais ce projet a soulevé de nombreuses critiques, y compris de scientifiques russes, au motif de leur sécurité insuffisante.
Le Minatom n'abandonne pourtant pas ce projet : lors d'une visite en Inde début mars, le ministre adjoint, Vladimir Asmolov a suggéré de louer à New Delhi de telles centrales flottantes. Selon M. Asmolov, "ces centrales pourraient être transportées par la route du nord vers l'Indonésie, par exemple". Elles reviendraient, au terme du contrat de location, à leur point de départ.
Hervé Kempf
Dans les années 1950, chacun des deux protagonistes principaux de la guerre froide, les Américains et nous, s'apprêtait à attaquer l'autre à l'aide de missiles à têtes nucléaires. Or, à cette époque, le taux de réussite de lancements de missiles à l'aide de groupes électrogènes au diesel (pour assurer une pression de combustion élevée) était inférieur à 20 %. De plus, les Américains disposaient d'avions de reconnaissance et de satellites qui fixaient chaque objet avec une grande précision. (...)
La direction soviétique était très inquiète. Pour pallier les inconvénients des sites de lancement conventionnels dotés d'une infrastructure lourde, l'idée est née de créer un système de missiles SS-20 et SS-25 itinérants pour éviter leur détection. Une usine automobile de Minsk a été affectée à la construction d'énormes poids lourds adaptés au transport de missiles. On les appelait des "mille-pattes".
L'apparition de "missiles itinérants" a été un énorme bond en avant pour l'URSS, mais il y avait toujours cette faille : pour leur lancement, on avait besoin de sources d'alimentation électrique à la fois mobiles et fiables. Quelqu'un a alors pensé à une solution dans le nucléaire. Vers 1960, un concours a été organisé parmi divers organismes de recherche dans le domaine nucléaire. Six ou sept projets ont été proposés, mais il s'est trouvé que, grâce à la formation que j'avais reçue à l'Institut Baumann de Moscou, j'avais apparemment le profil idéal pour mener à bien cette recherche. A l'époque, je travaillais à Moscou, à l'Académie des sciences, auprès du célèbre avionneur, l'académicien Boris Stetchkine.
Au printemps 1963, je suis donc parti en Biélorussie pour procéder à la création d'une centrale nucléaire mobile destinée à assurer les besoins énergétiques lors du lancement de missiles intercontinentaux. J'ai invité à rejoindre mon équipe les meilleurs spécialistes venant des quatre coins de l'URSS : de Moscou, de Gorki, de Nikolaïev, etc. Nous avons organisé des laboratoires de recherche, un bureau de construction et une production expérimentale.
En 1972, j'ai été nommé constructeur général de l'armée. Et vers 1985, en pleine "guerre des étoiles", notre travail a porté ses fruits : la centrale nucléaire de l'armée a vu le jour. L'idée était simple. Cette centrale pouvait être déplacée n'importe où dans quatre camions ou hélicoptères dont l'un était affecté au transport du réacteur nucléaire. C'était un tout petit réacteur qui avait un demi-mètre de diamètre et contenait de 50 à 60 kg d'uranium, mais cela suffisait pour assurer le fonctionnement de la centrale pendant trois ans.
Bien sûr, de longues années ont été nécessaires pour créer le concept révolutionnaire d'une centrale nucléaire sur roues, car il nous a fallu non seulement tout inventer, mais aussi tout tester. Nous étions notamment très préoccupés de la sécurité nucléaire. Le réacteur, la turbine et les autres équipements de la centrale se trouvaient dans un camion, mais son pupitre fonctionnaire parfaitement à 150 mètres de distance, ce qui permettait de diminuer le danger d'irradiation pour le personnel. On avait besoin d'instruments très performants pour tester le niveau de la radiation.
Ces centrales étaient destinées à travailler dans des conditions extrêmes : par exemple, dans le Grand Nord ou dans le Pamir, à 4 000 mètres d'altitude, où elles étaient transportées par des hélicoptères. Notre centrale mobile - les militaires l'ont baptisée "Pamir" - était d'un poids relativement modeste : près de 100 tonnes, bien moins que n'importe quel autre modèle existant à l'époque.
Avant Tchernobyl, nous avons réussi plusieurs lancements. Le mécanisme était simple : des terrains bétonnés servaient de sites de lancement dans différents endroits de l'URSS. Une unité de troupes de missiles transportait un missile vers le site choisi, puis la centrale mobile y arrivait. Trois ou quatre heures suffisaient pour brancher des câbles et produire l'énergie indispensable pour le lancement. Et une fois le lancement effectué, les poids lourds et les hélicoptères repartaient sans laisser de trace.
Hervé Kempf
Jusqu'en avril 1986, Vassili Nesterenko était un scientifique soviétique modèle. Né en 1934 en Ukraine, il avait suivi une carrière rectiligne et prestigieuse : diplômé de l'Université de technologie en 1958, il est entré à l'Académie des sciences de Biélorussie en 1963, où il a mené des recherches en ingénierie nucléaire, jusqu'à devenir directeur de l'Institut de l'énergie nucléaire de l'Académie en 1977. C'est dans ce cadre qu'il a coordonné le projet Pamir de miniréacteur nucléaire.
L'accident de Tchernobyl a constitué un choc brutal chez cet homme qui, du fait de son travail, avait une connaissance rare des problèmes de radioactivité et disposait de nombreux équipements de mesure. Il est alors le premier à prôner l'évacuation de la zone entourant la centrale, la distribution de tablettes d'iode, le soin particulier à apporter aux enfants. Il est le premier responsable, en fait, à prendre rapidement la mesure de la catastrophe.
Si son diagnostic se révélera exact, l'homme n'en devient pas moins en rupture de ban, et perd ses postes et titres officiels. Mais il a un caractère et une volonté tenaces. Rompant avec tous ses travaux antérieurs, il s'engage dans l'analyse des conséquences de la catastrophe et cherche les moyens de les atténuer. Il fonde l'Institut Belrad en 1990, avec des fonds d'ONG occidentales à cette fin. Il commence, notamment, à analyser le sang des populations exposées, et parvient à la conviction que ce sont les enfants qui sont le plus menacés par la contamination radioactive qui perdure sur près d'un tiers de la superficie de la Biélorussie.
Il travaille notamment avec un autre scientifique, Iouri Bandajevski : celui-ci, qui est de formation médicale, mène des études fondamentales, montrant que, contrairement au dogme scientifique dominant, les faibles doses radioactives ont des effets pathologiques notables. Les deux hommes sont convaincus qu'en administrant aux enfants de la pectine (un composé chimique naturel se trouvant dans les pommes), on peut contrecarrer ces effets.
Mais dans la Biélorussie du dictateur Loukachenko, insister sur la menace toujours présente de Tchernobyl est dangereux. Bandajevski est incarcéré en 2001 sous divers prétextes - il est toujours en prison -, et Nesterenko jongle avec le régime, évitant les déclarations publiques. Mais il ne bénéficie guère, par ailleurs, de l'aide des instituts scientifiques occidentaux qui interviennent en Biélorussie.
Hervé Kempf

Extrait de Sciences et Avenir
n°204, février 1964.
Autoforum-cz, 10 janvier 2020

Seul un pays aux possibilités infinies aurait pu imaginer, il y a quelques décennies, équiper des voitures de réacteurs nucléaires. Non pas pour leur propulsion, mais comme centrales nucléaires mobiles.
Au début des années 1950, le
monde nourrissait de grands espoirs, à l'aube de l'ère
de l'atome domestiqué. L'énergie nucléaire
était perçue comme une source d'énergie moderne,
sûre et bon marché, capable de bouleverser le monde.
Certains constructeurs automobiles américains entrevoyaient
la possibilité de construire des voitures alimentées
par un réacteur nucléaire miniature, mais ils n'ont
jamais concrétisé ce projet. Les Soviétiques,
quant à eux, avaient une idée différente :
construire une voiture qui ne serait pas alimentée par
un réacteur, mais qui deviendrait une source d'énergie
pour autrui. Et contrairement aux Américains, ils ont poussé
le concept jusqu'à une fin monstrueuse, à deux reprises.
En 1957, le ministère soviétique des Moyennes Ingénieries
(équivalent du ministère de l'Énergie nucléaire)
commanda à l'usine Kirov de Saint-Pétersbourg la
production d'une centrale nucléaire mobile sur un châssis
robuste, permettant le transport d'une source d'énergie
électrique puissante vers les régions les plus reculées
de l'URSS. L'électrification devait notamment concerner
l'Extrême-Nord et les régions densément boisées
de Sibérie et d'Extrême-Orient, où la construction
d'une centrale nucléaire était pratiquement irréalisable.
Il en résulta le véhicule chenillé TES-3,
doté d'un réacteur nucléaire refroidi à
l'eau . Le concepteur en chef, Josef Kotin, utilisa un châssis
allongé du char lourd T-10, sur lequel il ajouta neuf roues
de chaque côté au lieu des sept d'origine. Compte
tenu de l'espace important requis, de volumineuses cellules chauffées,
équipées d'une protection biologique contre les
radiations, furent construites sur cette base . L'apparence qui
en résulte évoque plus qu'un simple engin hanté
sur roues, même si l'on ignore ce qui s'y cache.
L'objectif fut atteint et la centrale TES-3 devint une source
d'électricité entièrement fonctionnelle et
autonome. Son assemblage final fut réalisé directement
à l'usine de Kirov, car il était irréaliste
d'assembler un monstre de 310 tonnes dans les régions reculées
de l'URSS. Livrée en état de marche, elle fut mise
en service pour la première fois en 1961 à Obninsk.

[rajouté par Infonucléaire] Yuri Gagarin 1er cosmonaute
soviétique sur le TES-3 (31 mai 1966)C'est là que se sont déroulées les dernières étapes du développement. Le plan prévoyait le déploiement progressif de deux réacteurs de tailles différentes, construits au début de la décennie et qui devaient subir des essais avant leur mise en service. Dans sa configuration finale, l'appareil produisait jusqu'à 1,5 mégawatt d'énergie, pour une puissance thermique de 8,8 mégawatts. Le fluide caloporteur était de l'eau, avec un débit de 1 000 m3/h et une pression de 130 atmosphères. La température de l'eau à l'entrée du réacteur était de 270 °C. La pression de vapeur d'eau dans le système était fixée à 20 atmosphères, pour une température de 280 °C. Le coeur du réacteur, de forme cylindrique, mesurait 600 mm de hauteur et 660 mm de diamètre. Il contenait 74 éléments combustibles à haute concentration d'uranium. Les réserves de combustible étaient suffisantes pour 250 jours de fonctionnement sur le site d'installation du système nucléaire portable.
[rajouté
par Infonucléaire] Scheme of the self-propelled vehicle
with a reactor and service systems: 1. Self-propelled platform;
2. Body; 3. Reactor with shielding; 4. CPS actuators; 5. Radiator;
6. Pipeline of the primary circuit; 7. Technical water pipeline.
Cela ne paraît pas totalement inintéressant, mais
TES-3 n'a pas fait long feu. Peu après sa mise en service
en 1965, elle fut démantelée. La raison n'était
pas tant liée à des problèmes de sécurité
qu'au fait qu'il s'agissait d'un projet très coûteux
qui n'a pas donné les résultats escomptés.
La centrale nucléaire mobile fut transférée
dans la péninsule du Kamtchatka, où elle servit
pendant plusieurs décennies de base fixe pour la poursuite
des recherches atomiques.
Cependant, ce ne fut pas la seule tentative soviétique
de créer une centrale nucléaire mobile. Dans les
années 1970, l'idée fut reprise dans le but de concevoir
une solution plus compacte, plus mobile et plus efficace, tirant
davantage parti de la technologie automobile soviétique
existante. En 1977, les dirigeants du pays ordonnèrent
la construction d'une telle centrale sous forme de remorque, tractée
par le célèbre MAZ 537G . L'objectif était
de disposer d'un moyen de garantir un rétablissement rapide
de l'alimentation électrique partout en Union soviétique,
quelles que soient la température et l'accessibilité
du lieu de destination.
Deux réacteurs Pamir-630D ont été préparés
à l'Institut biélorusse de l'énergie nucléaire,
initialement destinés à être transportés
par des semi-remorques MAZ-9994. Finalement, il s'est avéré
impossible de faire tenir tout l'équipement sur une seule
semi-remorque ; chaque centrale a donc été
desservie par deux semi-remorques, chacune pesant 60 tonnes et
contenant tout le nécessaire pour produire jusqu'à
630 kW de puissance électrique. Dans ce cas, les réserves
de combustible étaient prévues pour une autonomie
de cinq ans.

Mais ce n'est pas tout. Ces « centrales nucléaires » mobiles nécessitaient également du matériel informatique et du personnel (28 personnes au total !), qui devaient sillonner l'URSS avec deux MAZ dans d'autres véhicules. Sur le papier, cela paraissait utopique, et c'est ce qui s'est passé. Deux « ensembles » de ces centrales ont effectivement été construits durant la première moitié des années 1980, mais l'Union soviétique a alors rencontré d'autres difficultés [surtout Tchernobyl !], et leur déploiement n'a jamais eu lieu. Compte tenu de leur dangerosité potentielle, elles ont été détruites par la suite. C'était une folie, certes, mais il faut bien l'avouer, une époque fascinante.
Mirek Mazal
Techinsider-ru, 23 février 2009:
Dans la pénombre d'une journée polaire, une colonne de véhicules chenillés se faufile en pointillés à travers la toundra enneigée : des véhicules blindés de transport de troupes, des véhicules tout-terrain transportant du personnel, des camions-citernes et quatre engins mystérieux et imposants, semblables à de puissants cercueils de fer. C'est probablement à cela que ressemblerait une centrale nucléaire mobile en route vers la base militaire de N-sk, qui protège le pays d'un ennemi potentiel au coeur même du désert glacé...
Lors de la parution du numéro de novembre
de PM, consacré aux anciens projets soviétiques
de construction de trains à voie ultra-large propulsés
par des locomotives nucléaires, la rédaction a reçu
une lettre. Son auteur nous rappelait que si les projets de chemins
de fer nucléaires n'avaient jamais dépassé
le stade de l'esquisse, l'idée d'une centrale nucléaire
mobile (capable, entre autres, de circuler sur des rails) avait
bel et bien été concrétisée, et ce
à plusieurs reprises. Certes, une mention des centrales
nucléaires mobiles soviétiques aurait été
tout à fait pertinente dans notre article de novembre,
« Jeter un atome dans la fournaise », mais
à présent, après avoir approfondi nos recherches
historiques, nous avons décidé de les traiter en
détail.
Les origines de cette histoire remontent, bien sûr, à
l'époque de l'engouement pour le nucléaire, au milieu
des années 1950. En 1955, Efim Pavlovitch Slavski, figure
emblématique de l'industrie nucléaire soviétique
et futur ministre de la Construction mécanique moyenne
(poste occupé de Nikita Sergueïevitch à Mikhaïl
Sergueïevitch), visita l'usine Kirov de Leningrad. C'est
lors d'une conversation avec le directeur de l'usine, I.M. Sinev,
que fut évoquée pour la première fois l'idée
de développer une centrale nucléaire mobile capable
d'alimenter en électricité des installations civiles
et militaires situées dans les régions reculées
du Grand Nord et de la Sibérie.
Rails et voies ferrées
La proposition de Slavsky servit de
modèle et, rapidement, LKZ, en coopération avec
l'usine de locomotives à vapeur de Yaroslavl, élabora
les plans d'un train nucléaire : une centrale nucléaire
mobile de petite capacité (CNMC) destinée au transport
ferroviaire. Deux options furent envisagées : une
conception à circuit unique avec une turbine à gaz
et une conception utilisant la turbine à vapeur de la locomotive.
Par la suite, d'autres entreprises se joignirent au projet. Après
discussion, Yu. A. Sergeev et D. L. Broder de l'Institut de physique
et d'ingénierie énergétique d'Obninsk (aujourd'hui
l'entreprise unitaire d'État fédérale « SSC
RF - IPPE ») donnèrent leur feu vert. Convaincus,
semble-t-il, qu'une conception ferroviaire limiterait le rayon
d'action de la CNMC aux zones couvertes par le réseau ferroviaire,
les scientifiques proposèrent de monter leur centrale sur
des rails, la rendant ainsi quasiment tout-terrain.
Le projet préliminaire
de la centrale est apparu en 1957, et deux ans plus tard, un équipement
spécial a été produit pour la construction
de modèles expérimentaux de la TES-3 (centrale électrique
transportable).
À cette époque, presque tout dans l'industrie nucléaire
devait être fait à partir de zéro, mais l'expérience
en matière de création de réacteurs nucléaires
à des fins de transport (par exemple, pour le brise-glace Lénine) existait déjà
et on pouvait s'y fier.
L'un des principaux critères que les concepteurs du projet
ont dû prendre en compte lors du choix des solutions d'ingénierie
était, bien entendu, la sécurité. De ce point
de vue, la conception d'un réacteur à eau pressurisée
compact à double boucle a été jugée
optimale. La chaleur produite par le réacteur était
extraite par de l'eau sous une pression de 130 atm, avec une température
d'entrée de 275 °C et une température de sortie
de 300 °C. Cette chaleur était transférée
au fluide caloporteur, également de l'eau, via un échangeur
de chaleur. La vapeur ainsi produite entraînait la turbine
du générateur.
Le coeur du réacteur était conçu
comme un cylindre de 600 mm de haut et de 660 mm de diamètre.
Il abritait 74 assemblages de combustible. La composition du combustible
était un composé intermétallique (un composé
chimique de métaux) UAl3, encapsulé dans du silumin
(SiAl). Les assemblages étaient constitués de deux
anneaux coaxiaux contenant ce combustible. Une conception similaire
a été développée spécifiquement
pour TES-3.
En 1960, le nouvel équipement de propulsion fut monté
sur un châssis chenillé emprunté au dernier
char lourd soviétique, le T-10, produit du milieu des années
1950 au milieu des années 1960. Cependant, pour le PAES,
le châssis dut être rallongé, de sorte que
le véhicule automoteur (nom donné aux véhicules
tout-terrain transportant la centrale nucléaire) comportait
dix galets, contre sept pour le char.
Véhicules automoteurs
Mais même avec une telle modernisation,
il était impossible d'intégrer l'ensemble de la
centrale électrique sur un seul véhicule. Le TES-3
était un complexe de quatre véhicules automoteurs.
Le premier véhicule automoteur transportait le réacteur
nucléaire, son bouclier biologique transportable et un
radiateur à air spécial pour l'évacuation
des condensats. Le deuxième véhicule abritait les
générateurs de vapeur, le pressuriseur et les pompes
de circulation alimentant le circuit primaire. La production d'électricité
était assurée par le troisième véhicule
automoteur, qui abritait le turbogénérateur et le
système d'alimentation en eau des condensats. Le quatrième
véhicule servait de centre de contrôle de la centrale
nucléaire flottante et contenait également l'équipement
d'alimentation de secours. Il abritait le panneau de commande
et le tableau électrique principal avec l'équipement
de démarrage, le groupe électrogène diesel
de démarrage et le parc de batteries.
La simplicité et le pragmatisme ont
joué un rôle essentiel dans la conception des véhicules
automoteurs. Le TES-3 étant destiné principalement
à une utilisation dans le Grand Nord, son équipement
était logé dans des caisses isolées, dites
« de type wagon ». En coupe transversale,
ces caisses présentaient une forme irrégulière,
semblable à un trapèze reposant sur un rectangle,
évoquant inévitablement un cercueil.
La centrale nucléaire flottante a été conçue
pour fonctionner exclusivement à l'arrêt ; elle
ne pouvait pas fonctionner en navigation. Pour démarrer
la centrale, les véhicules automoteurs devaient être
positionnés dans le bon ordre et raccordés par des
canalisations de liquide de refroidissement et de fluide caloporteur,
ainsi que par des câbles électriques. Le système
de biosécurité de la centrale nucléaire flottante
a été spécifiquement conçu pour ce
mode de fonctionnement à l'arrêt.
Le système de biobouclier se composait
de deux parties : une partie transportable et une partie
fixe. Le biobouclier transportable était expédié
avec le réacteur. Le coeur du réacteur était
placé dans un réceptacle en plomb à l'intérieur
du réservoir. Pendant le fonctionnement de TES-3, le réservoir
était rempli d'eau. La couche d'eau réduisait considérablement
l'activation neutronique des parois du réservoir du biobouclier,
de la structure du véhicule, du châssis et des autres
pièces métalliques. À la fin de la campagne
(période de fonctionnement de la centrale avec un seul
réservoir), l'eau était vidée et le réservoir
était transporté vide.
Le terme « bio-bouclier stationnaire » désignait
une sorte de boîte en terre ou en béton, qui devait
être construite autour des véhicules automoteurs
transportant le réacteur et les générateurs
de vapeur avant le lancement de la centrale nucléaire flottante.
L'affaire n'a jamais été retrouvée.
En août 1960, la centrale nucléaire
flottante assemblée fut livrée à Obninsk,
sur le site d'essais de l'Institut de physique et d'ingénierie
énergétique. Moins d'un an plus tard, le 7 juin
1961, le réacteur atteignit la criticité et, le
13 octobre, la centrale fut mise en service. Les essais se poursuivirent
jusqu'en 1965, date à laquelle le réacteur acheva
sa première période d'exploitation. Cependant, cela
marqua de facto la fin du projet de centrale nucléaire
mobile soviétique. En effet, le célèbre institut
d'Obninsk développait simultanément un autre projet
de centrale nucléaire de petite envergure : la centrale
nucléaire flottante « Sever », dotée
d'un réacteur similaire. À l'instar de TES-3, « Sever »
était principalement conçue pour alimenter des installations
militaires. Ainsi, début 1967, le ministère de la
Défense de l'URSS décida d'abandonner le projet
de centrale nucléaire flottante. Simultanément,
les travaux sur la centrale mobile terrestre furent également
interrompus et la centrale nucléaire flottante fut mise
en veille. À la fin des années 1960, l'espoir renaissait
de voir l'invention des scientifiques d'Obninsk trouver enfin
une application concrète. On envisageait d'utiliser la
centrale nucléaire flottante dans la production pétrolière,
notamment pour extraire le pétrole par injection de grandes
quantités d'eau chaude. L'utilisation de cette centrale
flottante sur les puits proches de Grozny fut par exemple étudiée.
Mais même son utilisation comme chaudière pour les
ouvriers pétroliers tchétchènes s'avéra
infructueuse. L'exploitation commerciale de TES-3 fut jugée
impraticable et, en 1969, la centrale fut définitivement
mise hors service.
Pour des conditions extrêmes
Étonnamment,
la disparition de la centrale nucléaire flottante d'Obninsk
n'a pas marqué la fin des centrales nucléaires mobiles
soviétiques. Un autre projet, qui mérite d'être
mentionné, est un exemple assez curieux de projet énergétique
soviétique qui a tardé à se concrétiser.
Conçu au début des années 1960, il n'a obtenu
de résultats tangibles que sous l'ère Gorbatchev
et a rapidement été abandonné [...] suite
à la catastrophe de Tchernobyl. Il s'agit du projet biélorusse
Pamir 630D.
D'une certaine manière, on peut dire que TES-3 et Pamir sont liés. En effet, l'un des pionniers de l'énergie nucléaire biélorusse fut A.K. Krasin, ancien directeur de l'IPPE, qui participa directement à la conception de la première centrale nucléaire au monde à Obninsk, la centrale nucléaire de Beloyarsk, et de TES-3. En 1960, il fut invité à Minsk, où il fut rapidement élu académicien de l'Académie des sciences de la RSS de Biélorussie et nommé directeur du département de l'énergie nucléaire de l'Institut de génie énergétique de l'Académie des sciences de Biélorussie. En 1965, ce département devint l'Institut de l'énergie nucléaire (aujourd'hui l'Institut unifié de recherche énergétique et nucléaire « Sosny » de l'Académie nationale des sciences).
Lors d'un de ses voyages à Moscou, Krasin
apprit l'existence d'un contrat gouvernemental pour la conception
d'une centrale nucléaire mobile d'une puissance de 500
à 800 kW. L'armée était particulièrement
intéressée par ce type de centrale : elle avait
besoin d'une source d'énergie compacte et autonome pour
ses installations situées dans des régions reculées
du pays, soumises à des conditions climatiques extrêmes
des zones dépourvues de voies ferrées et de
lignes électriques, où le transport de grandes quantités
de combustible conventionnel s'avérait difficile. Cette
centrale pourrait alimenter des stations radar ou des lanceurs
de missiles.
Compte tenu de son utilisation prévue dans des conditions
climatiques extrêmes, le projet imposait des exigences spécifiques.
La centrale devait fonctionner dans une large plage de températures
(de -50 à +35 °C), ainsi que dans des conditions d'humidité
élevée. Le client exigeait que le contrôle
de la centrale soit aussi automatisé que possible. Parallèlement,
la centrale devait respecter le gabarit ferroviaire et les dimensions
des soutes des avions et hélicoptères (30 x 4,4
x 4,4 mètres). Sa durée de vie opérationnelle
était fixée à au moins 10 000 heures,
avec une durée de fonctionnement continu maximale de 2 000
heures. Le temps de déploiement de la centrale ne devait
pas excéder six heures et son démontage devait être
achevé en 30 heures.
De plus, les concepteurs devaient trouver un
moyen de réduire la consommation d'eau, qui, dans la toundra,
est à peine plus abondante que le gazole. C'est cette dernière
exigence, qui excluait de fait l'utilisation d'un réacteur
refroidi à l'eau, qui a largement déterminé
le sort du Pamir-630D.
Fumée orange...
Le concepteur général et principal
inspirateur du projet était V.B. Nesterenko, aujourd'hui
membre correspondant de l'Académie nationale des sciences
de Biélorussie. C'est lui qui a eu l'idée d'utiliser
du tétroxyde d'azote liquide (N2O4) dans le réacteur
Pamir, et non de l'eau ou du sodium fondu, comme fluide caloporteur
et fluide de travail, car le réacteur était conçu
comme un système à boucle unique, sans échangeur
de chaleur.
Naturellement, le tétroxyde d'azote a été
choisi délibérément, car ce composé
possède des propriétés thermodynamiques remarquables,
telles qu'une conductivité thermique et une capacité
thermique élevées, ainsi qu'une basse température
d'évaporation. Sa transition de l'état liquide à
l'état gazeux s'accompagne d'une réaction de dissociation
chimique, au cours de laquelle une molécule de tétroxyde
d'azote se décompose d'abord en deux molécules de
dioxyde d'azote (2NO2), puis en deux molécules d'oxyde
nitrique et une molécule d'oxygène (2NO + O2). À
mesure que le nombre de molécules augmente, le volume du
gaz, ou sa pression, augmente fortement.
De cette manière, il est devenu possible
de mettre en oeuvreun cycle gaz-liquide fermé dans le réacteur,
ce qui a conféré à ce dernier des avantages
en termes d'efficacité et de compacité.
À l'automne 1963, des scientifiques biélorusses
soumirent leur projet de centrale nucléaire mobile au Conseil
scientifique et technique du Comité d'État de l'URSS
pour l'énergie atomique. Simultanément, des projets
similaires, émanant de l'IPPE, de l'Institut Kourtchatov
de l'énergie atomique et du bureau d'études OKBM
(Gorki), furent soumis au Conseil scientifique et technique. Le
projet biélorusse fut retenu, mais ce n'est que dix ans
plus tard, en 1973, qu'un bureau d'études spécialisé,
doté d'une installation de production pilote, fut créé
à l'Institut de l'énergie nucléaire de l'Académie
des sciences de la RSS de Biélorussie. Ce bureau d'études
entreprit alors la conception et les essais sur banc d'essai des
composants du futur réacteur.
L'un des principaux défis d'ingénierie auxquels ont été confrontés les concepteurs de Pamir-630D a consisté à développer un cycle thermodynamique stable utilisant un fluide caloporteur et un fluide de travail non conventionnels. À cette fin, ils ont notamment utilisé le banc d'essai Vikhr-2, qui faisait office de turbogénérateur pour la future station. Dans ce banc, le tétroxyde d'azote était chauffé par un turboréacteur d'avion VK-1 équipé d'une postcombustion.
Un autre problème résidait dans la nature hautement corrosive du tétroxyde d'azote, notamment aux points de transition de phase - ébullition et condensation. Si de l'eau s'était introduite dans le circuit du générateur de turbine, le N2O4 aurait réagi avec elle, produisant instantanément de l'acide nitrique et toutes ses propriétés bien connues. Les opposants au projet affirmaient même que les scientifiques nucléaires biélorusses avaient l'intention de dissoudre le coeur du réacteur dans cet acide. Le problème de la forte corrosivité du tétroxyde d'azote fut partiellement résolu par l'ajout de 10 % de monoxyde d'azote ordinaire au fluide de refroidissement. Cette solution fut appelée « nitrine ».
Néanmoins, l'utilisation de tétroxyde
d'azote augmentait les risques liés à l'exploitation
de l'ensemble du réacteur nucléaire, d'autant plus
qu'il s'agissait d'une centrale nucléaire mobile. Ce risque
fut confirmé par le décès d'un employé
du bureau d'études. Lors d'une expérience, un nuage
orangé s'échappa d'une canalisation rompue. Une
personne se trouvant à proximité inhala accidentellement
ce gaz toxique qui, au contact de l'eau présente dans ses
poumons, se transforma en acide nitrique. Cette personne ne put
être sauvée.
Pourquoi enlever les roues ?
Cependant, les concepteurs du Pamir-630D ont intégré
plusieurs solutions de conception visant à renforcer la
sûreté de l'ensemble du système. Premièrement,
tous les processus au sein de l'installation, dès le démarrage
du réacteur, étaient contrôlés et surveillés
par des ordinateurs de bord. Deux ordinateurs fonctionnaient en
parallèle, le troisième servant de système
de secours actif. Deuxièmement, un système de refroidissement
d'urgence du réacteur a été mis en oeuvre
grâce à un flux passif de vapeur traversant le réacteur,
de la section haute pression à la section du condenseur.
La présence d'une grande quantité de fluide caloporteur
dans le circuit de traitement permettait une évacuation
efficace de la chaleur du réacteur en cas, par exemple,
de panne de courant. Troisièmement, le matériau
modérateur choisi, l'hydrure de zirconium, est devenu un
élément de sûreté essentiel. Lors d'une
hausse de température d'urgence, l'hydrure de zirconium
se décompose et l'hydrogène libéré
plonge le réacteur dans un état profondément
sous-critique. La réaction de fission s'arrête alors.
Des années d'expérimentation
et d'essais s'ensuivirent, et ceux qui conçurent le projet
Pamir au début des années 1960 ne virent leur invention
se concrétiser qu'au cours de la première moitié
des années 1980. Comme pour TES-3, les concepteurs biélorusses
eurent besoin de plusieurs véhicules pour transporter leur
réacteur PAES. Le réacteur était monté
sur une semi-remorque MAZ-9994 à trois essieux d'une capacité
de charge de 65 tonnes, tractée par un MAZ-796. Outre le
réacteur et son blindage biologique, cette unité
abritait un système de refroidissement d'urgence, une armoire
électrique pour les services auxiliaires et deux groupes
électrogènes diesel indépendants de 16 kW.
Un ensemble similaire MAZ-767-MAZ-994 transportait également
le turbogénérateur et les équipements de
la centrale.
De plus, les camions KRAZ transportaient des composants du système
automatisé de contrôle, de protection et de surveillance.
Un autre camion de ce type transportait un groupe électrogène
auxiliaire équipé de deux générateurs
diesel de 100 kilowatts. Au total, cinq véhicules ont été
utilisés.
Le Pamir-630D, comme le TES-3, a été
conçu pour un fonctionnement stationnaire. À leur
arrivée sur le site de déploiement, les équipes
d'installation ont mis en place le réacteur et le turbogénérateur
côte à côte et les ont reliés par une
tuyauterie étanche. Les unités de contrôle
et la centrale électrique de secours ont été
positionnées à au moins 150 mètres du réacteur
afin de garantir la radioprotection du personnel. Les roues du
réacteur et du turbogénérateur ont été
retirées (les remorques étaient montées sur
vérins) et transportées dans une zone sécurisée.
Tout cela était prévu dans la conception, mais la
réalité fut tout autre.
Le réacteur tant redouté
Le démarrage électrique du premier réacteur
eut lieu le 24 novembre 1985, et cinq mois plus tard, la catastrophe
de Tchernobyl se produisait. Non, le projet ne fut pas immédiatement
abandonné, et le prototype expérimental PAES fonctionna
pendant 2 975 heures au total, sous différentes conditions
de charge. Cependant, lorsque, dans la vague de [...] qui déferla
sur le pays et le monde, l'existence d'un réacteur nucléaire
expérimental à 6 km de Minsk fut soudainement révélée,
un scandale majeur éclata. Le Conseil des ministres de
l'URSS créa immédiatement une commission chargée
d'étudier la faisabilité de la poursuite des travaux
sur le Pamir-630D. La même année, en 1986, Gorbatchev
limogea le directeur emblématique de Sredmash, E.P. Slavsky,
âgé de 88 ans, qui avait défendu avec ferveur
les projets de centrales nucléaires mobiles. Il n'est donc
pas surprenant qu'en février 1988, sur décision
du Conseil des ministres de l'URSS et de l'Académie des
sciences de la RSS de Biélorussie, le projet Pamir-630D
ait été définitivement abandonné.
L'une des principales raisons, comme indiqué dans le document,
était « l'insuffisance de justification scientifique
pour le choix du liquide de refroidissement ».
Oleg Makarov
Atomicinsights, 1er février 2019:
Le réacteur expérimental ML-1
était unique en son genre. Il ne s'agissait pas d'un réacteur
à eau pressurisée avec un système de conversion
d'énergie à la vapeur. Le ML-1 était en revanche
le premier réacteur refroidi à l'azote et modéré
à l'eau, doté d'un système de conversion
d'énergie par turbine à azote. Son principal critère
de conception était la compacité.
La vidéo promotionnelle ci-dessous utilise des maquettes
pour illustrer l'aspect final du système. Elle débute
par une brève explication illustrée des problèmes
que ML-1 visait à résoudre. Elle présente
des arguments convaincants qui soulèvent inévitablement
la question : pourquoi ce programme naissant a-t-il été
interrompu si tôt dans son développement ?
Le ML-1 pouvait être emballé dans
quatre colis de transport : une remorque transportant deux patins
connectés pour le réacteur et le système
complet de conversion de chaleur, une caisse d'expédition
pour la salle de contrôle et deux autres pour le câblage,
le stockage et la manutention des gaz auxiliaires, ainsi que divers
outils et fournitures critiques.
Les deux conteneurs principaux devaient peser au maximum 15 tonnes
chacun, tandis que les quatre conteneurs supplémentaires
pouvaient peser entre trois et quatre tonnes chacun. Le poids
total du système serait d'environ 38 tonnes. Ces systèmes
étaient conçus pour être transportés
par tous les moyens de l'armée, notamment les avions C-130,
les camions standard et les trains.
Afin de réduire le poids du blindage à transporter,
le réacteur a été conçu pour être
installé avec une zone d'exclusion humaine de 500 pieds.
Défis de conception
Afin de minimiser le volume et la masse du
moteur, il a été décidé de l'alimenter
en azote sous une pression d'environ 9 bars (soit 9 fois la pression
atmosphérique normale) à l'entrée du compresseur.
Ce choix, bien qu'ayant permis de réduire quelque peu la
taille des échangeurs de chaleur et des turbomachines,
a rendu la conception particulièrement complexe.
Pratiquement toutes les autres turbines à gaz construites
ont fonctionné avec de l'air à pression atmosphérique
comme fluide de travail. Les concepteurs de la ML-1 ont dû
relever le défi de taille d'obtenir les performances souhaitées
avec un fluide de travail à haute densité. Ceci
a nécessité la réduction des jeux critiques
et a rendu l'équilibrage précis beaucoup plus crucial
pour un fonctionnement fiable et durable.
Une autre décision de conception, qui a complexifié
la construction du moteur, a été l'ajout d'un récupérateur
de chaleur. Bien que les récupérateurs aient démontré
leur capacité à améliorer le rendement des
turbines à gaz de plusieurs pourcents dans les applications
stationnaires, ils sont rarement utilisés dans les moteurs
mobiles, car l'échangeur de chaleur supplémentaire
engendre un surpoids et un encombrement disproportionnés.
Le système de chauffage du réacteur a également
nécessité une adaptation des technologies existantes.
Afin de minimiser la taille du réacteur, les concepteurs
ont opté pour l'utilisation d'eau circulant dans des tubes
sous pression comme modérateur de neutrons. Pour éviter
l'ébullition, l'eau était mise en circulation afin
de maintenir sa température en dessous de 121 °C (250
°F).
Les tubes d'eau étaient répartis dans tout le cur
du réacteur, entre les assemblages de combustible. L'azote
gazeux circulait à la fois autour des tubes d'eau et des
assemblages de combustible, sa température variant de 800
°F à l'entrée du cur à 1200 °F à
la sortie. La distance entre l'entrée et la sortie étant
inférieure à deux pieds, ces températures
extrêmes rendaient le choix des matériaux crucial.
Expérience de test
Les concepteurs du ML-1 décidèrent de tester deux
moteurs thermiques différents, chacun pouvant être
raccordé à la source de chaleur du réacteur.
L'une des machines était équipée d'un compresseur
axial à 11 étages, conçu et construit par
Fairchild-Stratos Corporation, tandis que l'autre comportait un
compresseur centrifuge à deux étages, conçu
et construit par Clark Brothers Company.
Aucun des deux moteurs thermiques n'a pu atteindre la puissance
nominale, car aucun des compresseurs n'était en mesure
de produire le débit requis à la pression différentielle
nécessaire. Au lieu d'une puissance de 300 kW, le système
testé n'a pu fournir qu'une puissance inférieure
à 200 kW. Des évaluations techniques ont indiqué
que quelques ajustements mineurs permettraient d'améliorer
les performances de la machine, mais il ne ressort pas des archives
que ces modifications aient été effectuées.
Un second problème, apparu lors du programme d'essais,
concernait les tubes d'eau du modérateur. Les fortes contraintes
thermiques et de température subies par ces tubes, combinées
à des défauts de fabrication, ont provoqué
des fissures dans les soudures. Ces fissures ont permis à
l'eau de s'infiltrer dans le circuit de refroidissement, ce qui
a nécessité une interruption prolongée du
programme d'essais afin de résoudre le problème.
Un dernier problème ayant eu un impact majeur sur le système
a été la défaillance de l'isolation interne
du régénérateur. Celle-ci avait été
installée dans l'optique de réduire les pertes de
chaleur et d'améliorer ainsi les performances. L'isolation
consistait en une couche de fines particules recouverte d'une
feuille métallique. Cette feuille s'est déchirée
sous l'effet des turbulences aérodynamiques lors des essais,
entraînant la dispersion des fines particules dans tout
le système. Une fois la poussière retirée
du moteur, les essais ont pu se poursuivre sans l'isolation.
Leçons apprises
Bien que les difficultés rencontrées par les testeurs
du ML-1 fussent du type courant lors du premier exemplaire d'une
machine complexe, elles se sont avérées fatales
pour le programme et ont contribué à anéantir
tout intérêt naissant pour les turbines à
gaz nucléaires.
En raison des dépenses croissantes liées à
la guerre du Vietnam, le budget de recherche et développement
de l'armée pour les équipements non liés
à l'armement fut fortement réduit. En 1963, le financement
des systèmes nucléaires expérimentaux, notamment
ceux qui présentaient de nombreuses difficultés
nécessitant des améliorations, était très
limité.
Bien que l'armée se soit désintéressée
du programme, la Commission de l'énergie atomique (CEA),
chargée du développement technique du système
de production d'énergie du réacteur, souhaitait
poursuivre le programme de recherche et développement afin
de résoudre les problèmes techniques susmentionnés.
Elle a donc élaboré un programme et un budget pour
amener le système à un stade où il pourrait
être prêt pour un essai sur le terrain.
Ce programme n'a pas été financé. Certains
ont suggéré un programme plus modeste et un essai
préliminaire du système sur le terrain, mais cette
proposition n'a pas non plus été mise en uvre, en
partie à cause d'une prudence justifiée quant à
la mise sur le terrain prématurée des produits.
(L'expérience
du SL-1 était encore fraîche dans les esprits
des dirigeants de l'AEC.)
Lors des audiences d'autorisation de la Commission de l'énergie
atomique (CEA) pour l'exercice 1967, Milton Shaw, responsable
du développement des réacteurs de la CEA, a présenté
une description du programme ML-1 et des raisons pour lesquelles
la Commission avait décidé de l'annuler, ne demandant
que les fonds nécessaires à sa liquidation. [...]
Rod Adams
(Ancien officier ingénieur de sous-marin et fondateur d'Adams
Atomic Engines)