La L.D.H. 04 dénonce la manière
scandaleuse dont se déroule le débat public à
propos du projet ITER prévu sur le site du CEA de Cadarache.
Trouble(s) et confusion(s).
Je me suis rendu, le jeudi 2 février 2006, au débat
public organisé à 18h au centre Regain de Sainte-Tulle.
La police et la gendarmerie se tenaient en force aux alentours
et à l'entrée de la salle. Tout le monde était
très calme : aucun slogan hostile... L'accès à
la salle était filtré : on laissait entrer certains
et pas d'autres. Il s'en suivit une petite bousculade. Les gens
protestaient : "Pourquoi eux et pas nous ?"
Manifestement tout opposant supposé était refoulé
et il fallait "présenter bien" pour accéder.
Suivant ces consignes, mon "look" devait me désigner
comme opposant puisque, bien que présentant ma carte de
ligueur et répétant ma qualité de Président
de la L.D.H., on m'interdit l'entrée. Tandis qu'au même
moment j'ai vu d'autres personnes autorisées à passer
et quelques unes encore après.
Débattons dans les roues...
Ces méthodes, qui rappellent les régimes autoritaires,
sont indignes d'un pays qui se veut démocratique. Un débat
citoyen où la salle, bouclée par les forces de l'ordre,
est bourrée de partisans et dont tout opposant présumé
se voit interdire l'entrée, n'est en rien public. II s'agit
d'une double discrimination : entre des citoyens en raison de
leur opinion, elle même supposée d'après leur
apparence. Doit-on rappeler que pour qu'un débat soit public,
il faut que tout citoyen puisse exercer effectivement son droit
d'accès. C'est un devoir des autorités de garantir
ce droit, non de le limiter ou le nier. Comment la Commission
du Débat Public peut-elle se prêter à un tel
simulacre?
C'est justement ce que dénonçaient les opposants
: "Ce débat est une
parodie de démocratie ".
On répondra que, justement, les opposants avaient perturbé
et interrompu la première réunion du débat
public sur ITER à
Aix le 26 janvier et qu'il fallait éviter que ce débat
citoyen puisse être empêché par une poignée
de personnes qui ne représentent qu'une minorité.
Mais où et quand a t-il été question de débat
? Quand les décisions sont déjà prises au
plus haut niveau par les managers politiques et les experts scientifiques,
techniques et économiques ; quand les appels d'offres sont
déjà lancés, le calendrier fixé et
les budgets votés, que reste t-il au débat ? Faut-il
rappeler que pour qu'un débat soit démocratique,
il doit avoir lieu avant et que les citoyens soient réellement
consultés sur le projet : puissent le discuter, l'amender,
le transformer, voire le récuser. Ici où est la
transparence ?
Encore une fois comment la Commission du Débat Public peut-elle
se prêter à un tel simulacre ?
Sens, contre-sens, non-sens...
Précisons encore que je me place du point de vue formel
des exigences démocratiques. Sans préjuger des opinions
des uns et des autres, on peut se féliciter que des citoyens
mettent le doigt là où ça fait mal. Ce n'est
pas le débat public qui a été empêché
à Aix, c'est une réunion au mieux d'information
voire de publicité, au pire de propagande, où le
projet ITER n'était pas en débat. ITER n'est un
projet que parce qu'il est en voie de réalisation et non
pas au sens démocratique où il resterait à
discuter et à décider de son opportunité.
Les citoyens qui dénoncent cette "parodie de démocratie"
ont tout au contraire remis du débat démocratique
là où on tentait de l'évacuer. Il faut les
en remercier toute en regrettant qu'il ne semble guère
y avoir de voix du côté des partisans d'ITER pour
dénoncer cette caricature démocratique. Les élus
de tout bord ont une lourde responsabilité dans cette imposture.
Se retrancher derrière la législation qui impose
un débat d'utilité publique pour tout projet de
cette importance est un détournement de procédure
et une hypocrisie. La législation est là pour organiser
la démocratie non pour la falsifier, la vider de son sens.
De plus il n'est pas prouvé que tous ceux qui récusent
cette parodie de débat soient des opposants à ITER.
Et quand bien même, cela ne retirerait rien à la
pertinence de leur dénonciation. Qu'ils soient une minorité
resterait à vérifier après un réel
débat démocratique, comme il reste à démontrer
que ceux qui ont décidé ITER sont une majorité.
Les citoyens qui dénoncent une mascarade démocratique
interpellent nos principes et notre responsabilité. Ils
nous rappellent que la démocratie ce n'est ni "ferme
là!", ni "cause toujours!", ni
les deux à la fois. Que la démocratie n'est pas
non plus qu'une architecture de textes et de réglementations.
Qu'elle ne peut mettre entre parenthèses les citoyens et
le peuple sans perdre son sens et se muer en instrument de contrôle
social au profit d'une élite dans une société
inégalitaire et policière.
Déraison d'espérer ?
Alors à quoi rime ce simulacre démocratique ? Tout
se passe comme si on essayait de préserver la fiction d'un
débat et par là même la fiction de la démocratie,
grâce à une couche de vernis citoyen destinée
à légitimer a posteriori la décision opaque
de quelques élus et experts. Tout se passe comme si on
méprisait les citoyens, ce peuple ignorant et irrationnel,
incapable de comprendre les "grands enjeux" et de décider.
Tout se passe comme si on voulait évacuer le débat
essentiel, proprement politique : quelle politique énergétique
voulons-nous ? Pour quelle production ? Quelle consommation ?
Quel environnement ? Quel monde plus juste et plus vivable voulons-nous
pour nous et nos enfants ?
Le soit disant débat public sur le projet ITER, décrédibilise
l'idée même de démocratie. C'est bien parce
qu'il n'est pas débat qu'il n'est pas public. C'est parce
qu'il reste encore quelques uns pour dénoncer ce déni
de démocratie qu'ont doit recourir au filtrage policier
des opposants... Les élus et la Commission du Débat
Public peuvent-ils le comprendre ? Et ce n'est pas l'idée
pathétique et grotesque d'un "débat sur
le débat" qui redonnera le moindre sens et le
moindre contenu à ce non débat. Bien au contraire,
cette proposition révèle la vacuité fondamentale
de la procédure et le désarroi de la Commission.
C'est précisément ce type d'initiative et de discours
simili - citoyens qui, se généralisant, produisent
la désaffection pour la chose publique, minent le peu de
confiance restant aux élus, consolident le fatalisme politique,
attisent la montée des discours sécuritaires, maximalisent
le repliement sur soi, le calcul individuel et le consumérisme
compulsif, nourrissent le sentiment de frustration et la défiance
généralisée.
Le débat public de fond sur ITER, et sur bien d'autres
sujets, reste encore à ouvrir et ses fossoyeurs ne sont
pas ceux qui en ont été exclus sans discernement
et dont l'opinion est de ce fait confisquée.
François SUEUR,
Président de la Ligue des Droits de l'Homme 04.