Bonjour,
 
En France, la robustesse des cuves des réacteurs nucléaires est-elle assurée en cas d'accident grave ?
 
L'acier des cuves des 6 réacteurs du palier CP0 (2 à Fessenheim, 4 au Bugey) contient des zones ségrégées avec des hétérogénéités riches en phosphore appelées "veines sombres". Pour Fessenheim la question a été posée à l'Autorité de Sûreté Nucléaire: ces "veines sombres" peuvent-elles conduire à la rupture de cuve en cas d'accident grave nécessitant un refroidissement rapide du coeur ? (problème de l'évolution de la température de transition fragile-ductile suite à l'irradiation neutronique de l'acier de la cuve - choc froid sous pression avec rupture de la cuve) Pas de réponse de l'ASN pour l'instant... c'était avant Fukushima, lire ci-dessous l'article du bulletin n°120 du comité Stop Nogent, qui conclut (bien que le danger nucléaire ne concerne pas seulement les vieux réacteurs) que ces vieux réacteurs fragilisés sont à arrêter d'urgence !
 
Cordialement,
 
Comité Stop Nogent-sur-Seine, 12 janvier 2012.
http://www.dissident-media.org/stop_nogent

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La robustesse des cuves est-elle assurée en cas d'accident nucléaire grave ?

Le réacteur n°1 de Fessenheim et la question de prolongation d'exploitation pendant les 10 prochaines années.

 
L'acier des cuves des 6 réacteurs du palier CP0 (2 à Fessenheim, 4 au Bugey) contient  des zones ségrégées dont des hétérogénéités riches en phosphore appelées « veines sombres ». A propos de Fessenheim j'ai posé la question à l'Autorité de sûreté nucléaire : ne peuvent-elles pas conduire à la rupture de cuve en cas d'accident grave nécessitant un refroidissement rapide du coeur ? Cette hypothèse est-elle stupide ? Je n'ai pas eu de réponse à ma question. (C'était avant Fukushima).
    
 
I- Introduction
 
A la suite de l'accident survenu à la centrale de Fukushima Daiichi le 11 mars 2011 l'Autorité de sûreté nucléaire ASN a demandé que soient effectuées des évaluations complémentaires de sûreté (ECS) afin que des actions soient  entreprises pour améliorer la sûreté des installations nucléaires. C'est dans ce cadre qu'il faut replacer la Décision du collège de l'Autorité de sûreté nucléaire du 4 juillet 2011 [1] et de l'Avis de l'ASN du même jour [2], d'autoriser la prolongation durant dix ans de l'exploitation du réacteur n°1 de Fessenheim mais sous conditions :
- « que EDF renforce le radier [dont l'épaisseur n'est que de 1m,50] afin d'augmenter sa résistance au corium et, qu'en cas de perte de la source froide, que soient installés, au plus tard le 31 décembre 2012, des dispositifs techniques de secours permettant d'évacuer la puissance résiduelle du coeur 
- sous réserve des conclusions à venir des évaluations complémentaires de sûreté (ECS) engagées à la suite de l'accident de Fukushima ».
D'autres conditions ont été formulées par le directeur général de l'ASN dans l'annexe à la lettre du 8 juillet 2011 adressée au directeur de EDF [3] avec 4 demandes particulières, concernant :
- l'état de l'installation,
- les agressions : évaluation des marges de sûreté, la robustesse à l'inondation, séisme, prise en compte du cumul séisme et inondation
- les événements induits ou aggravants survenant dans l'installation et les agressions liées à l'environnement industriel des INB
- la gestion des accidents graves
En ce qui concerne le premier point, l'état de l'installation, l'annexe précise au directeur d'EDF « L'ASN vous demande pour le 15 septembre 2011 de proposer un plan d'action visant à s'assurer que la robustesse attendue des structures et composants n'est pas en cause dans leur état actuel».
 
Je vais aborder très brièvement la question de la robustesse de l'acier des cuves, ou plus exactement celle de la possibilité du manque de robustesse de l'acier des cuves en cas d'accident nucléaire qui devrait faire partie du premier point concernant l'état de l'installation et du dernier celui de la gestion des accidents graves.
Mon objectif  n'est pas d'entrer dans les détails pointus de mécanique des solides, mais d'attirer l'attention sur ce qui me semble être un défaut grave d'assurance-qualité de l'acier des cuves.
En effet cet acier contient des ségrégations, dont certaines dites « veines sombres », sont des hétérogénéités très  riches en phosphore, dont je crains, c'est une hypothèse de ma part, qu'en cas de situation accidentelle nécessitant un refroidissement rapide du cœur par un déversement massif d'eau froide, elles puissent entraîner un « choc froid sous pression » avec rupture de la cuve (comme à Fukushima). En effet la température de transition ductile-fragile de ces veines sombres est plus élevée que celle de la matrice et avec le déversement d'eau froide pour refroidir le coeur on passerait rapidement dans le domaine fragile. Je m'appuie essentiellement sur des renseignements que m'a fournis André-Claude Lacoste [4]
Ces veines sombres existent : il est fait brièvement état des ségrégations et des veines sombres de l'acier dans les avis de l'IRSN et du Groupe permanent d'experts, par exemple l'Avis de l'IRSN, DSR/2009-369 du 15 décembre 2009, dans la Recommandation 4 de l'Annexe:
« L'IRSN recommande qu'un bilan des actions engagées par EDF pour évaluer l'influence des zones de ségrégations majeures et des veines sombres sur la fragilisation soit réalisé ».       
De même l'Avis du groupe permanent d'experts pour les équipements sous pression nucléaire (16 et 30 juin 2010) relatif à la démonstration de la tenue en service des cuves des réacteurs de 900 MWe après leur troisième visite décennale :
« En plus de la quantification des incertitudes liées à l'utilisation des codes de calcul de thermohydraulique EDF s'est engagé à compléter sa démonstration sur les aspects suivants :
-compréhension du comportement mécanique du métal de la cuve en présence de ségrégation majeure et du phénomène potentiel de ségrégation du phosphore.
Il faut disposer d'éléments complémentaires.
-détermination des contraintes résiduelles dans les joints soudés des viroles des cuves.
Pour l'analyse mécanique « le Groupe permanent souhaite que soit approfondi le caractère enveloppe de l'utilisation des propriétés mécaniques déterminées pour le métal de base en présence de veines sombres ».
EDF a peut-être fourni des réponses satisfaisantes mais je n'en ai pas eu d'écho ?
Le percement de la cuve est désormais ouvertement envisagé par l'ASN dans sa Décision du 4 juillet 2011. Il importe de ne négliger aucun paramètre susceptible d'y contribuer.
 
II- Le vieillissement de l'acier des cuves sous irradiation.  Le cas des cuves du palier CP0 (2 réacteurs à Fessenheim et 4 au Bugey).
 
Rappels sommaires.
L'acier des cuves du palier CP0
Une cuve de réacteur est un ensemble d'environ 330 tonnes et de 12 m de haut, comportant 2 viroles soudées entre elles, dont le fond est hémisphérique et le couvercle est une calotte sphérique. Une virole est une couronne cylindrique de 20 cm d'épaisseur, d'environ 4 m de diamètre et 2,5 m de haut [5]. Les parties les plus irradiées de la cuve, face à la partie active du cœur, sont la virole C1 et la partie soudée qui la joint à la virole C2. La cuve du réacteur-1 de Fessenheim est la seule qui comporte 3 viroles mais C1 est toujours la virole de coeur la plus irradiée.
L'acier est de nuance 16MND5, il contient comme impuretés du cuivre, du nickel et du phosphore qui sont des éléments fragilisants. (Des détails seront donnés plus loin au paragraphe veines sombres). 
L'acier des cuves est ductile -il se déforme sans casser- dans le domaine habituel de fonctionnement du réacteur entre la température ambiante et 300°C.
Avant irradiation il ne devient fragile -cassant- qu'à basse température, en-dessous d'une température dite « température de transition ductile-fragile » notée  RTNDT .
Au démarrage du réacteur 1 de Fessenheim la température de transition fragile-ductile est de -22°C pour la virole C1 et -20°C pour la partie soudée C1/C2, [6].  
 
Évolution de la température de transition fragile-ductile par irradiation neutronique.
Au cours de l’irradiation neutronique des défauts sont créés dans le réseau cristallin de l'acier et ses propriétés mécaniques se modifient. Les essais mécaniques s'effectuent sur des échantillons appelés « éprouvettes » placés près du coeur et dont les caractéristiques (dimensions, forme et entaille etc) sont très définies pour chaque type d'essais.
Avec l'augmentation de défauts l'acier durcit et ses caractéristiques de traction augmentent (limite d'élasticité et charge à la rupture). Par contre il se fragilise car on constate une diminution de la ténacité qui est l'aptitude d'un matériau à s'opposer à la propagation d'une fissure (les essais de ténacité sont des essais de traction sur des éprouvettes pré-fissurées par fatigue). Cette ténacité va diminuer au fur et à mesure qu'augmente la fluence (nombre total de neutrons reçus par 1 cm2 de la partie la plus irradiée de la cuve) ce qui va limiter la durée d'exploitation du réacteur.
Ainsi, par irradiation neutronique la température de transition ductile-fragile s'élève au fur et à mesure qu'augmente la fluence reçue par la paroi interne de la cuve.
Or l'hypothèse de la rupture de cuve -dite « hors dimensionnement »- n'a pas été retenue lors de la conception. Il faut donc que la température de transition reste suffisamment basse pour qu'en cas d'accident grave nécessitant le refroidissement rapide de la cuve par injection d'eau froide qui créerait un « choc froid sous pression », l'acier soit toujours dans le domaine ductile, sinon c'est la possibilité de rupture de cuve par le passage rapide dans le domaine fragile.
Par rapport à sa valeur initiale avant irradiation RTNDT, le décalage de la température de transition, noté Δ(RTNDT), en fonction de la fluence est déterminé à partir d'éprouvettes de résilience de type Charpy, la résilience caractérisant la capacité d'un matériau à absorber les chocs.
Dans la pratique toutes ces éprouvettes sont usinées à partir d'échantillons prélevés en pied de virole, avant le démarrage du réacteur et des éprouvettes sont également façonnées à l'aide de l'acier servant aux soudures. Elles sont placées plus près du cœur de façon à simuler précocement l'irradiation neutronique de l'acier de la cuve et sont prélevées périodiquement pour effectuer les examens de mécanique. C'est le programme de surveillance d'irradiation (PSI) [7].
Une formule empirique « FIS » relie ce décalage à des facteurs chimiques  (concentrations en impuretés cuivre Cu, nickel Ni, phosphore P) et à la fluence F. Cette formule a évolué au cours du temps. Le facteur fluence retenu en 1993 était  (F/1019)0,35.
D'après le rapport d'expertise GSIEN/ANCCLI relatif à la 3ème visite décennale de Fessenheim 1 [7] les valeurs anticipées par EDF pour 40 ans d'exploitation, à l'aide de la dernière formule empirique seraient 58°C pour la virole C1 et 85°C pour les soudures. Ces valeurs sont en désaccord avec les résultats provenant des dernières éprouvettes de contrôle du programme PSI  (respectivement 27°C et  63°C).
Quelle confiance accorder aux tests sur éprouvettes ? Les marges d'erreur sont délicates à déterminer non seulement parce que certaines soudures de joints ont été réparées par soudage à l'électrode enrobée (joints C1/C2 de Fessenheim 1 et 2 entre autres [6]), que pour certaines capsules contenant des éprouvettes et les dosimètres, l'anneau de support aurait fait de l'ombre faussant  les valeurs de fluence*, mais surtout parce que les éprouvettes du programme PSI ne représentent pas l'état réel de l'acier de la cuve. Cependant elles donnent un ordre de grandeur du phénomène vieillissement de l'acier au cours du temps.
Dans ma lettre du 2 janvier 1993 au responsable de la Direction de la sûreté des installations nucléaires j'indiquais entre autres «  (…) Le suivi de la température de transition s'effectue essentiellement à partir des éprouvettes Charpy. Une éprouvette Charpy est mince. Est-elle vraiment représentative de l'acier de épais de la cuve (que l'on suppose parfaitement détensionné). Que se passe-t-il dans le cas de ségrégations ? »
Dans sa lettre très détaillée du 24 septembre 1993 M. André-Claude Lacoste me l'a confirmé :   « Toutefois, comme vous le soulignez, ces éprouvettes peuvent, à cause de leurs petites dimensions, ne pas être représentatives de l'ensemble du matériau de la cuve. En effet les viroles forgées présentent des hétérogénéités chimiques (ségrégations) qui ont une influence sur leurs caractéristiques mécaniques ».
De plus il me donnait une description détaillée des 2 types de ségrégations dites majeures et mineures dont il va être question dans les paragraphes suivants.
 
III- Dans la réalité : l'existence de ségrégations dans l'acier de cuve [4].
 
L'acier « 16 MND5 » de nos cuves REP est une nuance d'acier au carbone faiblement allié : à 0,16% de carbone à forte teneur en manganèse 1,4% et 0,5% de molybdène, choisi pour sa bonne résistance à la traction. Les impuretés sont essentiellement le nickel, le cuivre et le phosphore qui sont des éléments fragilisants. Si les concentrations de ces impuretés sont restées stables dans le métal de base, (teneurs maximales Cu 0,08% ; Ni 0,84% ; P 0,013%) celles du « métal déposé » -les joints qui soudent les viroles entre elles- (respectivement 0,13% ; 0,78% ; 0,019%) ont fortement diminué au cours du temps quand on compare les 6 réacteurs 900 MW du palier CP0  [4] aux 28 réacteurs 900 MW plus tardifs du palier CP1-CP2 .
Le phosphore joue un rôle important dans les ségrégations. Le rapport DES de l'IPSN [3] donnait une concentration élevée en phosphore de 0,019% pour le joint soudé de Fessenheim 1, la valeur la plus basse du palier CP0 s'élevant tout de même à 0,012% pour Bugey 2
La solidification d'un lingot d'acier s'effectue progressivement de l'extérieur du lingot vers l'intérieur et les impuretés tendent à se concentrer sous forme de ségrégations dans la région centrale qui se refroidit en dernier. On distingue 3 types de ségrégations :
les ségrégations majeures positives et négatives où la teneur en carbone est respectivement supérieure et inférieure à la teneur moyenne et, de plus faibles dimensions, les ségrégations mineures dites « veines sombres ». [5]. Après forgeage, qui évide la région centrale, les ségrégations ne sont pas éliminées en totalité. Elles vont donc se retrouver localisées sur la face interne de la virole sur laquelle est déposée une couche mince de 5 mm d'acier inoxydable. Ce revêtement a pour but de limiter la corrosion de l'acier de la cuve par l'eau du primaire contenant de l'acide borique, circulant sous une pression de 155 bars et qui doit refroidir le cœur (sa température est d'environ 290°C à l'entrée de cuve et 325 °C à la sortie).
Les veines sombres
Ce sont des ségrégations mineures de faible dimension par rapport aux ségrégations majeures. Elles se forment dans les grosses pièces de fonderie. Il y a une différence fondamentale entre les veines sombres et les ségrégations majeures positive et négative. Ces dernières, sont plus riches que le métal de base en cuivre et phosphore d'environ 10%  en moyenne mais elles restent homogènes par rapport à la matrice non ségrégée, elles ont le même mécanisme de rupture qui est transgranulaire (c'est du « clivage » par glissement d'un plan cristallin). Leur composition est simplement légèrement différente et elles vont modifier la température de transition ductile-fragile en changeant légèrement les compositions chimiques dans la formule FIS. 
Par contre les « veines sombres » représentent une phase distincte de la matrice. Elles sont très concentrées en impuretés fragilisantes dont la concentration peut être 3 fois plus élevée que la valeur normale. C'est 300% par rapport aux 10% des ségrégations majeures.
Le mécanisme de rupture est inter-granulaire dû à la plus forte concentration en phosphore qui a migré aux joints de grains. C'est donc une phase très différente du matériau homogène (matrice+ségrégations majeures).
Le point important est, je cite intégralement la lettre de M. André-Claude Lacoste et je mets mes interrogations entre crochets :
 « Les premiers résultats montreraient que les zones comportant des veines sombres présentent avant irradiation une température de transition de résilience plus élevée  d'environ 70°C  que celle du matériau non ségrégé [ce qui, pour la virole C1 au lieu de -22°C fait +48°C ? Ou s'il s'agit du joint soudé -20°C+70°C=50°C?]. L'irradiation provoquerait un décalage de leur température de transition de résilience de 70°C pour une fluence de 4,5 1019 neutrons/cm2 (E>1Mev) [soit 118°C? Ou 120°C?]. Après irradiation, leur température serait supérieure d'environ 40°C à celle du métal de base non ségrégé [soit 80°C pour le matériau de base?] (ce qui signifie que le décalage est moindre pour les zones avec des veines ségrégées) ».
Plus loin un bémol plus rassurant « Selon les résultats actuels, matériaux ségrégés et homogènes auraient une ténacité comparable à RTNDT donnée »
Ce qui me paraît inquiétant est :
1) qu'il existe des fissurations sous le revêtement d'acier inoxydable, que ces fissurations  sous le revêtement seraient survenues lors de son soudage sur la paroi interne de cuve.
2) que la température de transition des veines sombres présentes sur la paroi interne de la cuve est de l'ordre de 100°C et que EDF envisage une fluence fin de vie de 6,5 1019 n/cm2.
Même en admettant que ces calculs de 1993 étaient pessimistes pour une fluence de 4,5 106 n/cm2 on arrive aujourd'hui à une transition voisine de 80°C pour une fluence de 6,5  n/cm2 en fin de vie envisagée par EDF et ces zones « veines sombres » certes de petites dimensions ont une température de transition plus élevée que la matrice d'environ 40°C environ 120°C.
Que se passerait-il en cas d'urgence nécessitant un apport massif et rapide d'eau pour refroidir le coeur ? N'y aurait-il pas  un risque de rupture fragile de la cuve au passage de la transition par décohésion inter-granulaire se développant de proche en proche, prenant naissance à la paroi à partir des veines sombres, les fissurations existantes devenant actives ?
Comme le précise la revue Contrôle [8] « Cette fragilisation sous irradiation doit donc, pour rester acceptable, conduire, jusqu'à la fin de l'exploitation du réacteur, à une ténacité du matériau suffisante pour permettre la justification de la résistance à la rupture brutale de la cuve en toute situation de fonctionnement compte tenu de marges de sécurité prévues par la réglementation française. Si tel n'est pas le cas, le haut niveau de sécurité exigé pour la cuve n'est plus garanti et la mise à l'arrêt définitif du réacteur doit être effectuée ».
Il me paraît légitime de procéder à l'arrêt d'urgence des réacteurs à teneur élevée en phosphore dont l'acier présente des veines sombres.
C'est dans cet esprit que j'avais demandé en février 2011 -avant Fukushima, l'arrêt des réacteurs de Fessenheim [9] à M. Lignères, responsable de la division ASN de Strasbourg.
Cela renforce le bien-fondé des préoccupations des antinucléaires d'Alsace et d'Allemagne qui dénoncent depuis longtemps, et à juste titre, les risques que fait courir à la population la centrale de Fessenheim construite en zone sismique dont le séisme qui sert de référence date de 1356 et a détruit Bâle à moins de 50 km de la centrale. Au risque sismique s'ajoute le risque inondation, le séisme pouvant entraîner la rupture des digues du Grand canal d'Alsace et celle des barrages sur le Rhin car la plate-forme de l'îlot nucléaire est située en-dessous des niveaux d'eau du canal et du fleuve. Le risque inondation existe même sans séisme (acte terroriste par exemple)**.
 
Conclusion
Les vieux réacteurs sont à arrêter d'urgence. Mais le danger nucléaire ne concerne pas seulement les vieux réacteurs. Le réacteur n°1 de Civaux, d'une puissance nette de 1495 MWe, a inauguré la saga des fissures du palier N4, 2 réacteurs à Civaux et 2 à Chooz, censés être  le fleuron du nucléaire français... L'incident de Civaux, inondation par rupture de tuyauterie, a eu lieu 4 mois 1/2 après la mise en service. Un record ! Après diverses interprétations on s'est aperçu que les tuyauteries se corrodaient partout où il y avait un mélange d'eau chaude et d'eau froide. La corrosion existait aussi à Chooz. C'est le réacteur en fonctionnement qui permet de valider, ou ici invalider, un changement de tracé de tuyauterie, une augmentation du taux de combustion, le choix d'un alliage des gaines combustibles etc.
Un réacteur nucléaire est d'une complexité recouvrant tellement de champs, tant théoriques que technologiques, que sa réalité échappe complètement aux citoyens ce qui devrait sceller définitivement le sort du nucléaire. Les accidents majeurs montrent que la réalité échappe aussi, malheureusement, aux concepteurs, aux exploitants et aux autorités chargées de la sûreté nucléaire. La seule réalité tangible c'est la catastrophe et ses conséquences qui nécessitent  l'arrêt d'urgence de la production d'électricité par les réacteurs nucléaires en utilisant tous les moyens disponibles actuellement, dont les combustibles fossiles gaz, charbon et fioul.
 

Bella Belbéoch, septembre-novembre  2011.                                    

 
Notes
* Ceci figure dans un document de la Cie Duquesne adressé à la NRC, l'autorité de sûreté nucléaire américaine, concernant le réacteur 1 de Beaver Valley (Etats-Unis) qui m'a été communiqué par l'Union of Concerned Scientists  « From a French source (…) The core barrel support rings may be shadowing surveillance capsules and the dosimeters within them ».
**Des risques similaires existent pour les installations nucléaires de Tricastin et Cadarache situées en-dessous du niveau des plans d'eau voisins.
 
Références
 
[1] Décision de l'Autorité de sûreté nucléaire n°2011-DC-0231 du 4 juillet 2011 fixant à Électricité de France –Société Anonyme (EDF-SA) les prescriptions complémentaires applicables au site électronucléaire de Fessenheim (Haut Rhin) au vu des conclusions du troisième réexamen de sûreté du réacteur n°1 de l'INB n°75.
[2] http://www.asn.fr/index.php/content/download/30385/194907/file/2Avis-n-2011-AV-0120.pdf
[3] La lettre de l'ASN à EDF du 8 juillet 2011 référencée CODEP-DCN-038887 signée Jean-Christophe Niel. La page ne s'ouvre plus.
[4] Lettre du 24 septembre 1993 adressée à Mme Bella Belbéoch secrétaire du GSIEN avec copie à Mme Sené Présidente du GSIEN par M. André-Claude Lacoste.
(J'avais écrit à Michel Lavérie, directeur de la DSIN (Direction de la sûreté des installations nucléaires) et c'est André-Claude Lacoste qui m'a répondu car, entre-temps, en fin de législature socialiste, le ministre de l'industrie Dominique Strauss-Kahn avait démis Michel Lavérie de ses fonctions en le remplaçant par André-Claude Lacoste).
[5] Jean-Pierre Thomas et Claude Cauquelin, « Construction des centrales REP. Equipements primaires » BN 3270.
[6] Rapport DES 218 (IPSN), p.13 et 22. Communiqué par Raymond Sené, représentant du GSIEN au CSSIN.
[7] Rapport sur la visite décennale n°3 du réacteur 1 du CNPE de Fessenheim (expertise à la demande de la CLIS de Fessenheim), Jean-Marie Brom, Gérard Gary, Monique Sené, Raymond Sené (Groupement de Scientifiques pour l'Information sur l'Energie Nucléaire) et David Boilley, (Association Nationale des Commissions et Comités locaux d'information).
Dans ce rapport les auteurs font une analyse critique de l'ensemble de ces essais effectués sur ces éprouvettes de contrôle.
Il n'est pas fait état de l'existence de veines ségrégées "veines sombres" dans l'acier..
[8] Laure Monin, Bernard Monnot, Stéphane Gitkoff, « Un équipement sous haute surveillance : la cuve des réacteurs » Contrôle n°186, février 2010, p.9-13.
[9] Lettre à M. Pascal Lignères, 14 février 2011 :

A Pascal Lignères, chef de la Division de Strasbourg de l'Autorité de Sûreté Nucléaire

 
Monsieur,
 
Je me permets de vous adresser quelques remarques concernant la cuve du réacteur Fessenheim-1. La fragilisation de l'acier de la cuve sous irradiation neutronique représente un problème des plus  préoccupants pour la poursuite de l'exploitation de l'installation.     
 
I - Acier de la cuve de Fessenheim. Eprouvettes de contrôle. Zones ségrégées et modes de rupture
Des éprouvettes de contrôle de type Charpy sont placées près du coeur et sont retirées périodiquement pour permettre de suivre l'évolution de la fragilisation par l'élévation progressive  de la température de transition fragile-ductile en fonction de la fluence.
Mais est-ce l'état réel de l'acier de la cuve ? Ces éprouvettes sont minces et de petites dimensions, elles ne sont pas représentatives de l'ensemble du matériau de la cuve (épaisseur 20 cm) et elles sont d'autant moins représentatives que des zones de ségrégation sont présentes dans l'acier.
Je résume : Les viroles de cuve sont forgées et présentent des hétérogénéités chimique (présence de ségrégations) qui ont une influence sur les caractéristiques mécaniques. C'est lors de la solidification de l'acier que ces ségrégations sont formées.
Elles sont de deux sortes dites majeure et mineure, avec des modes de ruptures différents.
La ségrégation majeure est due au gradient de température dans le lingot au cours du refroidissement, les zones qui se solidifient les dernières s'enrichissent en éléments qui abaissent leur point de fusion. La ségrégation s'effectue à l'échelle du lingot, les zones ségrégées s'enrichissent en éléments fragilisants comme le cuivre et le phosphore. 
Le point qui me paraît important est que, le mécanisme de rupture de ces zones est transgranulaire (la rupture suit des plans cristallographiques -plans de clivage) comme la matrice initiale non ségrégée.
On peut dire, en gros, qu'on a affaire à un phénomène qui ne modifie pas l'homogénéité globale du matériau. Il en va tout autrement de la ségrégation mineure.
La ségrégation mineure (dont il est rarement question).
Sur les grosses pièces forgées la « ségrégation mineure » se présente sous la forme de « veines sombres » très concentrées en impuretés. Les éléments à bas point de fusion sont repoussés vers le front de refroidissement du lingot et donnent naissance aux veines sombres. Elles sont de faibles dimensions mais les concentrations en éléments fragilisants peuvent être 3 fois plus élevés que la normale. Point important, dû à la présence du phosphore, contrairement au cas précédent :
Le mécanisme de rupture de ces zones est intergranulaire.
 
Hypothèse : En cas de choc froid sous pression, ces zones, bien que de petites dimensions, ne peuvent-elles pas être à l'origine d'une fissure par décohésion intergranulaire suivie d'une rupture de cuve ?
 
II- Contrôles par ultra-sons
Il y a eu, juste avant le démarrage de Fessenheim-1, un contrôle par ultra-sons de la cuve par un des meilleurs spécialistes de l'époque, François Papezyk.
Certes la technique a évolué depuis 1977 mais après découverte du défaut sous revêtement a-t-on comparé les résultats à ceux obtenus lors du démarrage ?
 
J'estime qu'il faut arrêter Fessenheim-1.
 
Avec mes salutations distinguées
 

Bella Belbéoch,
retraitée du CEA (1956-1968 Département de métallurgie ;
1969-1986 Physique du solide et Résonance magnétique).

 
Copies à : André-Claude LACOSTE, Président de l'Autorité de Sûreté Nucléaire.
Jean-Christophe NIEL, Directeur Général de l'ASN.
Jean-Paul Lacote, membre du bureau de la CLIS de Fessenheim.