Fondements de la sûreté nucléaire en France

La réponse par F. Cogné , J. Bussac et J. Pelcé : " Approche française en matière d'accidents graves et des problématiques du terme source " (International Topical Meeting on thermal reactor Safety, San Diego du 2 au 6 février 1986) (consultable dans la " Gazette Nucléaire " n° 73/74 de novembre 1986) : " En France nous estimons que les accidents graves ne doivent pas être pris en compte au niveau du dimensionnement des centrales ". Ça a le mérite d'être clair et franc.
Si on envisage la possibilité d'une catastrophe nucléaire, on ne construit pas de centrale ; donc pour bâtir un parc nucléaire, il est nécessaire d'écarter, en théorie, la possibilité de la catastrophe et de définir des scénarios d'accidents majeurs officiellement possibles, socialement, économiquement et politiquement acceptables. Le pire scénario d'accident envisagé devra donc avoir un processus d'évolution lent (de 1 à quelques jours), ce qui laisse le temps d'engager des procédures correctives et au pire ne relâcher dans l'environnement qu'une quantité de radioactivité en terme source ne nécessitant l'évacuation des populations que dans un rayon de 5 km et le confinement entre 5 à 10 km dans un délai de 12 à 24 heures après le début de l'accident avant tout rejet radioactif important*.
Mais si les experts de sûreté officiels se mettent à pondre des rapports qui décrivent des accidents possibles hors des dimensionnements définis et politiquement inacceptables, obligeant l'exploitant à des investissements dispendieux, il deviendrait alors préférable d'arrêter l'exploitation du parc et de changer radicalement de politique énergétique ou de construire dans l'urgence une nouvelle génération de réacteurs, sensée, en théorie, intégrer des dispositifs contenant toutes les parades aux dégradations accidentelles concevables. C'est peut-être là une des justifications réelles à l'empressement de construction d'un EPR de " démonstration ", bien que les modifications et innovations apportées ne semblent être que du bricolage des modèles existants et non une conception de type " 3è génération "


EN CAS D'ACCIDENT, LES PROCEDURES
" HORS DIMENSIONNEMENT " ET LES
" PROCEDURES ULTIMES " PREVUES.

La sûreté en matière de sûreté nucléaire est basée de longue date sur diverses procédures applicables en situation accidentelle ou situation incidentelle grave pouvant conduire à l'accident. Dans le texte de 86 cité ci-dessus on peut lire : " La sûreté des installations nucléaires repose d'abord et avant tout sur la prévention des accidents, ce qui justifie tout le soin à apporter à une bonne conception, à une réalisation correcte et à de bonnes règles d'exploitation. C'est aussi le rôle dévolu aux dispositifs de sauvegarde, prévu avec la redondance nécessaire, dans le cadre des règles de dimensionnement. Toutefois, on ne peut exclure comme ayant une probabilité négligeable, la défaillance simultanée d'un certain nombre de dispositifs importants pour la sûreté et/ou des manoeuvres inadaptées conduisant à des situations défavorables non retenues dans le cadre du dimensionnement : si ces situations, quoique très improbables, ne sont pas inconcevables, elles doivent être examinées et peuvent conduire à prendre des dispositions particulières pour diminuer soit leur probabilité, soit leurs conséquences, ces dispositions étant prises hors du cadre du dimensionnement proprement dit ".
Le dimensionnement a été défini par les autorités de sûreté en 1977 pour que la probabilité globale qu'un événement puisse être à l'origine de conséquences inacceptables soit supérieur à 10-6 (1 sur un million par réacteur et par an). Pour respecter cet objectif, les études ayant montré la nécessité de mesures venant en complément des systèmes automatiques normalement prévus, ont été élaborées cinq procédures spéciales d'exploitation dites " H " (hors dimensionnement) destinées à faire face à des évènements non pris en compte dans le dimensionnement des installations :

- H1 : perte de source froide externe à l'installation (par exemple obturation par des débris ou la prise en glace du bassin de prise d'eau, ou la rupture d'un ouvrage hydraulique aval de retenue d'eau)
- H2 : perte totale de l'alimentation en eau des générateurs de vapeur, normal et auxiliaire.
- H3 : perte totale des sources électriques internes et externes (en cas d'inondation par exemple, le transformateur électrique haute tension est situé en niveau bas, donc inondable, ainsi que les groupes électrogènes de secours)
- H4 : secours réciproque des systèmes d'aspersion de l'enceinte et d'injection de secours basse pression, pendant la phase de recirculation (c'est le cas des incidents cités plus eau, on sait donc que la procédure H4 peut très bien ne pas fonctionner)
- H5 : protection des sites en bord de rivière contre une crue dépassant la crue contre une crue dépassant la crue de référence millénale (on à vu en 99 au Blayais l'eau de la Gironde poussée par la tempête, monter largement au dessus des niveau prévus et il ne s'agissait que d'une petite marée de 77. De nombreuses erreurs de calculs ont sous estimé le niveau des crues sur bien des sites ainsi que la rupture d'un ouvrage hydraulique amont. A relier à la procédure H3)


LES PROCEDURES ULTIMES :

Elles s'appliquent en cas de détériorations graves de la sûreté qui dépassent les capacités des procédures " H " et " destinées à restaurer la fonction de sûreté défaillante pour amener l'installation dans un état sûr ". Il existe cinq niveau de procédures " U " (ultimes) :

- U1 : secours par tout moyen encore disponible pour éviter la dégradation du coeur ou, en cas de dégradation, maintenir le coeur confiné dans la cuve ;
- U2 : conduite à tenir en cas de défaut d'isolement de l'enceinte de confinement ;
- U3 : Mise en oeuvre de moyens mobiles extérieurs pour suppléer à la défaillance éventuelle à moyen terme de l'ensemble des systèmes d'injection de secours et d'aspersion de l'enceinte ; autres types de secours envisagés ;
- U4 : possibilité d'éviter tout relâchement direct via le dispositif de drainage au sein du béton du radier sous le puits de cuve ;
- U5 : possibilité de rejets contrôlés et filtrés au moyen d'un système de filtration spécial (gain sur les rejets de l'ordre d'un facteur 10, à l'exception des gaz rares) (le filtre " rustique ").

Ces mesures sont certes de bonnes intentions, mais la mise en oeuvre ou leur efficacité restent plus que douteuses. Cependant, elles prennent leur valeur lorsque l'on lit ce document au chapitre " terme source** ".
Politiciens et autorités de sûreté ont défini trois niveau de terme source :

- S1 : pour les accidents entraînant la rupture précoce de l'enceinte de confinement (quelques heures après le début de l'accident) et pouvant libérer d'assez grandes quantités de radioactivités dans l'environnement (quelques dizaines de pour cent du contenu du coeur hors gaz rares qui partent directement) ;
- S2 : pour des accidents conduisant à des rejets moins importants (quelques pour cent) hors enceinte, directs à l'atmosphère et différés, après un délai de un ou plusieurs jours ;
- S3 : pour des accidents conduisant à des rejets indirects (quelques pour mille) du fait de l'existence de voies de transfert avec rétention entre l'enceinte et l'atmosphère extérieure.

Le texte définit la possibilité d'accident en terme source S1 comme improbable et n'y attache aucune considération. Il ne retient au final que le terme source S3 compatible techniquement et politiquement avec les Plans d'Urgence Internes (PUI) et les Plans Particuliers d'Intervention (PPI). Pour faire bref, la probabilité d'un accident nucléaire a été limitée à l'ampleur d'une petite catastrophe politiquement, socialement, techniquement et économiquement gérable ; tout ce qui dépassait ce cadre a été classé dans les étagères de l'improbabilité, voire de l'impossibilité en terme de communication : " l'accident que nous ne pouvons gérer ne peut exister "! Telle pourrait être la devise des nucléaristes.
Mais la " fiction " d'un nucléaire sûr est régulièrement battue en brèche par les réalités : incidents dans les installations, vieillissement des matériaux, désintérêt évident de la culture de sûreté chez les personnels de l'exploitant et des sous traitants, rapports plus objectifs des experts de l'IRSN, font que le mythe tend à s'effondrer et la probabilité de catastrophe à s'accentuer.

Claude Boyer

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* Actuellement, les scénarios " rapides " sont étudiés dont on ne connaît pas les parades envisagées.
** Quantité de radioactivité rejetée dans l'environnement.