Le Figaro, 18/2/2008:

Le réveil du nucléaire dans le monde

La Chine, l'Afrique du Sud, les États-Unis et un nombre grandissant de pays jouent la carte de l'énergie nucléaire.

Quel retournement de situation. Voici encore quelques années, le recours à l'énergie nucléaire cristallisait les critiques dans la plupart des pays. En toile de fond, les risques liés à l'insécurité, et donc la difficulté pour les opinions publiques d'accepter cette industrie. Aujourd'hui, presque chaque mois, un nouvel État annonce sa volonté de lancer un projet d'envergure dans l'atome civil.

Pierre Gadonneix, le président d'EDF, résume cette évolution spectaculaire : «Quand je suis arrivé à la tête de l'entreprise (en août 2004, NDLR), l'une de mes premières décisions a été de lancer l'EPR, le réacteur [dit] de troisième génération, de Flamanville (Manche). Alors que le premier béton nucléaire de ce gigantesque chantier a été lancé voici plusieurs semaines, nous sommes candidats à la construction de douze EPR dans le monde.»

[ Rappel: Où qu'on le construise, l'EPR sera dangereux.
- Il produit des déchets nucléaires qu'il faudra stocker durant des millions d'années. Pour chaque mégawatt d'électricité produite en un an, chaque centrale produit la radioactivité à vie courte et à vie longue d'une bombe d'Hiroshima. Deux EPR à 1600 MWe chacun produiraient la radioactivité de 3200 bombes d'Hiroshima.
- Partout où des hommes travaillent, les erreurs humaines sont possibles (lire :
"Embrouilles dans les centrales").
- L'EPR est grand, au lieu d'être sûr. L'organisation internationale des médecins pour la prévention d'une guerre atomique IPPNW dénonce la capacité de 1600 MW comme un abandon des normes de sécurité. C'est pour éviter une explosion des prix de l'électricité que Siemens & Areva privilégient le gigantisme au détriment de la sécurité.
- Les systèmes de sécurité passifs de l'EPR ne sont pas suffisants, armatures et pompes sont toujours entraînées par motrices, qui peuvent s'arrêter à la moindre panne de courant. La seule innovation de l'EPR est le réservoir destiné, en cas d'accident majeur, à recevoir et refroidir le coeur en fusion. Pour ce faire, il faudrait d'une part que le bassin soit absolument sec, sans quoi les risques d'explosion de vapeur sont très élevés, et d'autre part, il faudrait recouvrir d'eau le coeur en fusion, ce qui provoquerait justement ces explosions de vapeur à éviter...
- Et pour l'EPR, des gens mourront dans les mines d'extraction d'uranium (lire :
"Un scandale nommé COGEMA"), par les radiations proches des centrales, dans les usines de plutonium (dites de retraitement) et d'enrichissement d'uranium.
- Comme toute autre centrale nucléaire conventionnelle, l'EPR produira des rejets radioactifs lors de son fonctionnement dit « normal ».
- Destiné à l'exportation, l'EPR aggrave donc le risque que de nouveaux pays entrent en possession de la bombe atomique. Selon Jean-Jacques Rettig, du CSFR (Fessenheim), « l'Etat français n'a tiré aucune leçon de la vente d'une centrale nucléaire à l'Irak. Celui qui détient une centrale nucléaire est capable de construire une bombe. Pour des profits à court terme, EDF, EnBW, Siemens et Areva mettent la paix mondiale en danger ».
- Le projet EPR a commencé bien avant les événements du 11 septembre 2001. L'EPR n'est pas prévu pour faire face à une éventuelle attaque terroriste. Une attaque terroriste ou un accident nucléaire majeur rendraient une grande partie de l'Europe inhabitable pour toujours. Un pays possédant des centrales nucléaires est à la merci de tous les chantages.
- L'EPR n'est pas à l'abri du risque de fusion du coeur du réacteur. Tous les dispositifs de sécurité de l'EPR ne peuvent que contrôler des fusions à basse pression, dispositifs dont le fonctionnement est par ailleurs très controversé.
- L'EPR n'est donc pas un nouveau réacteur, tous les problèmes inhérents au P.W.R restent entiers. ]

EDF ne sera certainement pas retenu pour tous ces projets, mais le groupe français peut tirer parti de la vitrine française, unique au monde, avec 19 centrales (pour 58 réacteurs) qui produisent près de 80% de l'électricité du pays. À titre indicatif, l'EPR de Flamanville, prévu pour être opérationnel en 2012, a été décidé sur la base d'un KWh à 46 euros, incluant le coût de l'investissement, du combustible et de l'exploitation. Car quand le baril de pétrole brut voisine durablement les 100 dollars, l'énergie nucléaire redevient une énergie très compétitive.

Autre argument clé : c'est une source d'énergie ne produisant aucune émission de CO2. Un atout capital à l'heure où les préoccupations en matière de développement durable sont essentielles. Il est significatif que les pays les plus gros émetteurs de gaz à effet de serre (États-Unis, Chine, Inde, Russie) veuillent jouer la carte du nucléaire. [Lire: Nucléaire, l'escroquerie du discours sur l'effet de serre] Les pays du Moyen-Orient, qui ont des besoins énergétiques de plus en plus importants, cherchent également à préparer l'ère de l'après-pétrole.

Une opportunité pour les Français. La carte du nucléaire du futur se dessine donc peu à peu. En marge de la France, certains pays sont plus en avance que d'autres. La Chine appartient à ce club. Elle prévoit de construire plusieurs dizaines de nouvelles centrales. À la fin de l'année dernière, la visite de Nicolas Sarkozy a été marquée par la concrétisation d'un accord entre l'électricien chinois CGNPC et le français Areva, numéro un mondial du nucléaire, pour la livraison de deux EPR. Un projet auquel participe également EDF, qui a pris une participation dans la coentreprise (avec CGNPC) qui construira et exploitera les deux centrales en question. De son côté, l'américain Westinghouse, filiale de Toshiba et grand rival d'Areva, a remporté un contrat portant sur deux EPR.

La tentation est grande d'opposer les deux entreprises françaises, EDF et Areva. Une rivalité alimentée, il est vrai, par les petites phrases des uns et des autres. Toutefois, en pratique, les deux groupes se révèlent d'abord et avant tout complémentaires. Tandis que l'un, Areva, construit les réacteurs, l'autre, EDF, est à la fois architecte-ensemblier et exploitant de centrales. Preuve concrète de cette addition de compétences, les deux entreprises viennent de remettre une offre commune pour deux EPR à la fois en Grande-Bretagne et en Afrique du Sud. Aux États-Unis, enfin, elles se sont associées avec le même partenaire, l'électricien Constellation.

D'autres entreprises françaises sont également décidées à tirer parti de ce renouveau du nucléaire. Suez, directement concurrent d'EDF, est décidé à posséder et à exploiter des centrales de troisième génération à l'horizon 2020. En attendant, le groupe dirigé par Gérard Mestrallet s'est associé à Areva et Total pour fournir deux EPR à Abu Dhabi. Bouygues et Alstom avancent également leurs pions. Le premier est un spécialiste du génie civil, l'autre des turbines, deux savoir-faire clés pour un chantier nucléaire. Tous les deux sont également de fervents partisans d'une recomposition de la filière nucléaire française qui se traduirait par l'émergence d'un géant AREVA (CI)-Alstom-Bouygues.

Selon les partisans de ce rapprochement, vendre une centrale exige de présenter une offre intégrée, du génie civil à l'îlot nucléaire. Anne Lauvergeon, la présidente du directoire d'Areva, a un avis totalement différent. Selon elle, un client n'a pas forcément envie de trouver chez un seul et unique fournisseur toutes les composantes d'un chantier nucléaire. Le débat va diviser les milieux industriels français jusqu'au jour où l'Elysée tranchera.

Frédéric de Monicault

 

Le Monde, 6/2/2008: 

La Chine, "élève" des Français dans le nucléaire, veut devenir le "maître"

L'électricien CGNPC est déjà capable de construire des réacteurs classiques et demain les EPR d'Areva

Quian Zhimin nourrit de grandes ambitions. Cet homme de 47 ans, PDG de la compagnie publique d'électricité CGNPC (China Guandong Nuclear Power company), a récemment commandé au groupe français Aeva deux EPR et le combustible nécessaire au fonctionnement des réacteurs français [dit] de 3e génération pour un montant de 8 milliards d'euros.

Ce patron affable et francophile sait dire à Pierre Gadonneix, le PDG d'EDF, partenaire de CGNPC depuis 25 ans dans les centrales de Daya Bay et Ling Ao en service près de Canton, que ces opérations "entre professeur et élève" ont vécu et que l'heure est maintenant à une "coopération stratégique" entre leurs sociétés. Le chef d'entreprise voit déjà son entreprise dans le trio de tête des exploitants de centrales nucléaires, aux côtés d'EDF et du japonais Tepco
[qui s'enfonce dans le rouge]...

Le groupe français a encore une bonne longueur d'avance avec l'EPR déjà en construction en Finlande et en France [en fait pour le chantier en Finlande il y a déjà 2 ans de retard dont les pénalités seront payées par l'ensemble des Français grâce à la COFACE !!!]. Jusqu'à présent, il avait assisté CGNPC dans la construction des 4 réacteurs de Daya Bay et Ling Ao. Il a franchi une nouvelle étape - une première pour un groupe d'énergie étranger - en investissant 600 millions d'euros (environ 30 % du capital) dans une co-entreprise avec CGNPC. Ce joint-venture va bâtir et exploiter les deux EPR vendus par Areva sur le site de Taishan, près de Macao.

Il a beau être un "ami" de 25 ans, EDF a dû convaincre CGNPC qu'il refusait d'être un partenaire dormant, refusant les 15 % du capital que les Chinois lui proposaient au départ. "Investir et exploiter, c'est la condition que j'avais posée", explique M. Gadonneix. Il exigeait aussi un droit de veto sur des choix sensibles (sûreté des installations, grands contrats, calendrier des travaux). C'est avec ce précédent qu'EDF et CGNPC comptent vendre avec Areva d'autres EPR en Chine et en Asie du Sud-Est.

Mais l'avance technologique française [voir ci-dessus en rouge, il n'y a pas d'avance] ne sera pas éternelle. CGNPC, qui a développé de fortes compétences en ingénierie, peut déjà dupliquer les centrales de 2e génération que lui a vendues la France dans les années 1980 après les avoir "sinisées". C'est de bonne guerre : dans les années 1970, EDF et Framatome ont acquis la licence du réacteur à eau pressurisée de Westinghouse, avant de le "franciser". Le groupe américain, racheté en 2006 par le japonais Toshiba, est encore le premier rival d'Areva sur le marché mondial.

"On avait vendu la centrale de Daya Bay clés en main, se rappelle Hervé Machenaud, directeur de la branche Asie-Pacifique d'EDF. Ling Ao 1 était déjà 30 % chinois et Ling Ao 2 le sera à 70 %." Il estime que la construction des deux premiers EPR achevée, "les Chinois seront capables de les construire". Avec l'appui technique d'EDF, la Chine va être l' "expérience export du réacteur de troisième génération EPR" dans le Sud-Est asiatique, pronostique-t-il. Des travaux d'approche ont commencé au Vietnam, qui prévoit de s'équiper de centrales nucléaires. La Thaïlande pourrait être intéressée.

Les ingénieurs chinois travaillent aussi bien que leurs collègues français qui les ont formés à la construction des centrales. Et parfois mieux. A Ling Ao 2, le calendrier de construction des deux réacteurs supplémentaires est bien tenu. Sauf par Areva, qui a pris un retard de plusieurs mois dans la fabrication de la cuve du premier réacteur, s'inquiète poliment Zheng Dongshan, le patron de la filiale ingénierie de CGNPC.

DÉVELOPPEMENT "ACCÉLÉRÉ"

Quand son patron Quian Zhimin reçoit les journalistes, il leur fait distribuer au préalable un document qui rappelle l'ambitieux programme électronucléaire de la Chine. Et sa méthode : "Acquérir la technologie grâce à l'ouverture du marché, importer la technologie avancée de l'étranger, en coordonner l'assimilation et favoriser l'innovation afin de devenir autonome dans la conception." A terme, ajoute le document, CGNPC doit "acquérir les compétences nécessaires pour construire des centrales 100 % chinoises".

A ceux qui jugent que ces pratiques relèvent du pillage, Nicolas Sarkozy a répondu, fin novembre 2007, lors de sa visite à Pékin. "Les transferts de technologies ne me font pas peur, avait souligné le chef de l'Etat [il n'a peur de rien comme nous le savons... même pas de la prolifération]. Nos meilleures technologies, nous les partagerons avec vous." Le partenariat avec EDF et Areva sur l'EPR permettra à CGNPC d'être "à la pointe de la technologie au niveau mondial" d'ici à 15 ans, selon ses dirigeants. Compte tenu de l'importance stratégique de son programme nucléaire, la dépendance aux technologies étrangères est inacceptable pour la Chine. Les industriels étrangers n'ont d'autre choix que de partager.

Avant 2004, le slogan des autorités chinoises était "le développement nucléaire approprié", raconte Alain Tournyol du Clos, conseiller nucléaire de l'ambassade de France à Pékin. Depuis, "accéléré" a remplacé "approprié". En 2020, la capacité installée devrait atteindre 40 000 mégawatts (MW) - soit cinq fois celle de 2007 - et 18 000 MW supplémentaires seront en construction, mais seulement 4 % de l'électricité produite en Chine. Le groupe de Quian Zhimin sera alors le numéro un chinois.

"Il est peu crédible que cette part reste à un niveau aussi bas à long terme", analyse Luc Oursel, président d'Areva NP, qui fabrique l'EPR. Le pays met chaque année en service l'équivalent du parc français (nucléaire, thermique, hydraulique), surtout avec des centrales au charbon. Des officiels reconnaissent qu'à terme, ils souhaitent rejoindre la moyenne mondiale de 17 % d'électricité nucléaire. La Chine aurait alors 250 réacteurs !

[ Rappel: au niveau mondiale (nombre de réacteurs de 1999), les reserves ne sont que pour 50 à 70 ans de production environ.

Calculs avec les chiffres donnés dans le mémento du CEA:
- réserves d'uranium dans le monde fin 1996 (ressources connues + ressources estimées: 4.299.000 t
- consommation mondiale actuelle annuelle: 56.250 t,
- durée de la vie de la production d'énergie nucléaire: 76 ans.

Si grâce à Areva, Westinghouse and co. on triple la production mondiale de l'électricité nucléaire actuelle - pour lutter contre l'effet de serre - alors, la durée de la vie des réserves se réduit à 25 ans. C'est moins de temps que promit le soi-disant "sortir du nucléaire" allemand...

Sources: (L'énergie en France, édition 2000, ministre de l'économie des finances et de l'industrie) et dans "Mémento sur l'énergie", 1999]