Libération, 08/09/2004.

Alliot-Marie: défense de toucher au nucléaire
Guy Tessier (UMP) a suggéré une «pause» pour les crédits militaires; il a été rabroué.

Les Embiez (Var) envoyé spécial
MAM furax ! A peine débarquée de son hélicoptère pour une courte visite, hier matin, à l'université d'été de la Défense, la ministre a pris connaissance des déclarations de Guy Tessier (UMP, Bouches-du-Rhône), appelant à une «pause» pour les crédits consacrés au nucléaire militaire.

20 % du budget. D'habitude discret, le président de la commission de la défense de l'Assemblée nationale, organisateur de ces journées, s'est lâché, entre café et croissant : «Je crains que nous ne puissions supporter encore longtemps, et tout seul, le poids du financement du nucléaire et celui d'une armée classique.» Les dépenses consacrées à la dissuasion représentent environ 20 % du budget de la défense, soit plus de trois milliards d'euros par an. Guy Tessier a estimé que «nous devons aller vers une pause», mais pas avant 2015, une fois les programmes actuels réalisés. Il a refusé «une fuite en avant très coûteuse dans la sophistication» et évoqué un «partage du fardeau financier» avec les pays européens. «La dissuasion pourrait être partagée avec les Britanniques et concertée avec les Allemands», a-t-il souhaité. Sans toutefois se faire d'illusions : «Le lien de confiance n'est pas encore suffisamment fort avec les Britanniques...» Seul Etat européen avec la France à disposer d'armes nucléaires, la Grande-Bretagne est très liée aux Etats-Unis pour la mise en oeuvre de sa force de frappe.

Colère. Dans un domaine, où tous les mots sont pesés, les propos du député ont provoqué la colère de Michèle Alliot-Marie qui lui a expliqué en tête-à-tête qu'il était «à côté de la plaque». L'entourage de Guy Tessier attendait fébrilement l'engueulade de l'Elysée tandis que l'état-major des armées précisait laconiquement qu'«il n'y a pas de pause prévue». Après avoir fait asseoir Guy Tessier à ses côtés, MAM a publiquement rectifié le tir : «Alors qu'on voit de nouveaux pays se doter de l'arme nucléaire, est-ce le moment où l'on va se déshabiller ? Ce serait ahurissant, pas sérieux.» L'ambiance de l'université d'été était définitivement gâchée et Guy Tessier a dû rétropédaler, en rappelant que «la France ne renoncera jamais à ce moyen ultime de défense».

Le débat que Guy Tessier a lancé - sans aucune concertation avec les principaux responsables de la défense - rejoint pourtant les préoccupations de nombreux militaires. Dans l'ensemble, ils sont très critiques quant à l'importance des crédits consacrés au nucléaire. Ainsi, le programme de simulation nucléaire, lancé après la fermeture du site d'essais de Mururoa devrait coûter au total plus de trois milliards d'euros.

Plutôt que de nouveaux missiles nucléaires à longue portée M 51, les militaires préféraient que les crédits d'équipement servent à acheter des blindés, des avions ou des frégates. C'est-à-dire des équipements dont ils se servent tous les jours sur les nombreux théâtres d'opérations extérieures où ils sont engagés, contrairement à la bombe atomique, une «arme du non-emploi», selon la doctrine de dissuasion.

Grogne. Dans les casernes, la grogne contre le nucléaire est permanente, y compris parmi les nombreux officiers catholiques qui condamnent le principe même de la dissuasion. Dans un article de la revue officielle Défense nationale, le général Henri Bentégeat, chef d'état-major des armées, vient d'ailleurs de rappeler ce que les militaires appellent entre eux «la ligne du parti» : la dissuasion nucléaire reste le fondement de la défense nationale. «On ne fera pas l'économie de ce débat, persistait-on dans l'entourage de Guy Tessier. Mais ce sera sans doute avec le prochain président de la République...».

Jean-Dominique MERCHET

 

A lire:

"Commission d'enquête sur les essais nucléaires en Polynésie française"

et "La lutte des vétérans des essais nucléaires français"