[Photos rajoutées par Infonucléaire]

Assemblée Nationale
Rapport

Fait le 24 janvier 1996

Au nom de la commission de la défense nationale et des forces armées sur la proposition de résolution (n° 2316) de M. Jean-Pierre Brard tendant à la création d'une commission d'enquête sur les éventuels risques pour l'environnement des essais nucléaires en Polynésie française.

par M. Michel GRANDPIERRE (Député)

 

Commentaire Gazette

Ce rapport a été refusé. Il n'y a donc pas eu création de Commission d'enquête. Le problème est pourtant toujours présent. De même qu'à la Hague il vient (juin 1997) d'être décidé de reprendre et d'améliorer les enquêtes épidémiologiques, il faut à Mururoa et alentour (Fangataufa, etc...) accepter de repartir sur les enquêtes pour faire le point. Des études avaient été sommairement menées dans les années 80 par une mission Tazief, puis Atkinson. D'autres ont suivi, Médecins sans frontières, les médecins contre la guerre nucléaire. Il a toujours été conclu au manque de données fiables et à la nécessité de coordonner une enquête longue et minutieuse. Le Parlement a refusé de créer une commission en 1996. Souhaitons-le plus réceptif en 1997.

Les essais ont certes été stoppés mais il n'en reste pas moins qu'il y a eu des essais aériens dans les années 70 et qu'il convient de faire les enquêtes pour répondre aux interrogations des populations. Comme il vient d'être publiés de nouveaux résultats sur Hiroshima et Nagasaki montrant que 50 ans après (et pour des bombes où juste 1 kg de matières a fissionné) on met en évidence l'impact des faibles doses de rayonnement. En effet le nombre de cancer montre une augmentation pour des doses de l'ordre de 50 milliSv.

Que nos nouveaux députés repartent en campagne, il faut certes s'intéresser à la France et à ses sites mais on ne peut pas ignorer ce que nous avons légué à des populations à qui nous n'avons pas dit la vérité et que nous laissons tomber sans vergogne.

 

I. - La recevabilité de la proposition de résolution

Les conditions de recevabilité des propositions de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête sont fixées par l'article 6 de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires et par les articles 140 et 141 du Règlement de l'Assemblée nationale.

L'article 6 de l'ordonnance précitée exige que deux conditions soient réunies pour permettre la création d'une commission d'enquête :

- la proposition de résolution doit déterminer avec précision les faits donnant lieu à enquête;

- les faits ne doivent pas faire l'objet de poursuites judiciaires; dès qu'une information judiciaire s'ouvre sur ces mêmes faits, la mission de la commission d'enquête doit prendre fin.

La présente proposition de résolution satisfait à ces deux conditions.

En application des dispositions de l'article 141 du règlement, le Président de l'Assemblée nationale a notifié le dépôt de la proposition de résolution de M. Jean-Pierre Brard au Garde des Sceaux, Ministre de la Justice, afin que celui-ci indique si des poursuites judiciaires étaient en cours sur les faits ayant motivé le dépôt. Le Garde des Sceaux n'a pas signalé de procédure judiciaire en cours sur de tels faits.

 

II. - L'opportunité de la création d'une commission d'enquête.

La proposition de résolution de M. Jean-Pierre Brard me paraît répondre à un réel besoin. En effet, depuis trente ans, aucune expertise, aucun document ou étude épidémiologique n'ont pu être rendus publics en France sur les répercussions des essais nucléaires effectués à Mururoa à l'égard des êtres humains et de l'environnement, en dépit des quatre missions scientifiques envoyées sur le site.

Une polémique s'est récemment développée suite à des informations faisant état, du fait de fissures importantes dans l'atoll de Mururoa, des risques d'une catastrophe écologique due aux essais nucléaires, passés ou présents, menés par notre pays. Selon une grande partie de la communauté scientifique internationale, le danger existerait bel et bien, ce que dément le ministère de la Défense.

Compte tenu des divergences de vues entre spécialistes et de la très grande émotion soulevée dans le monde par ces questions, la plus grande transparence devrait être recherchée; si les tirs ne représentent véritablement aucun danger comme l'affirme le ministère de la Défense, pourquoi les experts de l'Union européenne se sont-ils vus interdire l'accès au site de Fangataufa, alors qu'il serait au contraire essentiel que des commissions d'enquête indépendantes puissent se rendre sur les lieux ?

Le Parlement ne peut se satisfaire d'une telle situation, préjudiciable aux intérêts de la France. Dans le cadre de ses attributions concernant le contrôle de la sécurité nucléaire et la protection de l'environnement, il est proposé à l'Assemblée nationale de créer une commission d'enquête qui s'attacherait à faire la clarté sur ce sujet. La mise en place de cette commission démontrerait d'ailleurs utilement que la France n'ignore ni ne méprise le point de vue des autres pays et de l'opinion internationale dans une affaire aussi sérieuse.

 

A. - Les essais nucléaires à Mururoa : vingt-cinq ans d'expériences françaises

 

1. - Les essais nucléaires à Mururoa de 1968 à 1992

Cette période est marquée par deux phases successives :


a) De 1968 à 1974

Après avoir réalisé des essais aériens puis souterrains en Algérie, la France a, entre 1968 et 1974, effectué à Mururoa une quarantaine d'essais aériens, ce qui lui a été reproché par les autres grandes puissances nucléaires qui avaient mis en place un moratoire sur les essais atmosphériques.

L'argument avancé par les Etats-Unis, à l'époque, s'appuyait sur les conséquences des essais atmosphériques américains sur la santé de la population des îles Marshall. Parallèlement, les mauvaises conditions géologiques nécessitaient un changement de site. Au cours de la même période, la Grande-Bretagne abandonna les îles Christmas pour s'associer avec les États-Unis afin de réaliser ses essais dans le désert du Nevada.

S'appuyant sur le fait que les conditions géologiques du site de Mururoa étaient comparables à celles qui les avaient conduits à abandonner leurs sites d'expérimentation, les États-Unis et la GrandeBretagne cherchèrent à dénoncer conjointement la persistance des essais français dans l'atmosphère.

Cette démarche sera reprise par la Commission de l'environnement, de la santé publique et de la protection des consommateurs du Parlement européen en 1988, alors qu'elle manifestait, l'intention d'envoyer en Polynésie française une commission d'experts indépendante et internationale.

Il faut par ailleurs rappeler que, jusqu'en 1966, la France avait poursuivi ses essais en secret dans le désert algérien du Hoggar, ne diffusant, à l'époque, aucune information quant à leur nombre et à leur nature. Nous savons aujourd'hui que dix-sept essais, dont treize souterrains, ont été effectués en Algérie. Pourtant, la sécurité des êtres humains n'y était pas suffisamment assurée, comme l'a d'ailleurs révélé M. Pierre Messmer, Ministre de la Défense à l'époque, dans ses mémoires ("Après tant de batailles - Mémoires" Pierre Messmer, Albin Michel).

 

b) De 1975 à 1992

En 1975, la France abandonne les essais atmosphériques au profit des essais souterrains à Mururoa et à Fangataufa.

Au cours de cette période, les autres puissances nucléaires reprochent à la France de ne pas respecter l'accord de 1986 établissant une zone dénucléarisée dans le Pacifique sud, ainsi que le traité signé à Rarotonga que toutes les puissances nucléaires ont été invitées à ratifier.

Ces prises de position allaient au devant des voeux du Parlement européen qui voulait envoyer une commission d'experts à Mururoa au nom de la santé publique.

Pendant cette période, on assiste à une certaine diversification des lieux d'essais dans la mesure où sur une trentaine d'essais effectués, six l'ont été à Fangataufa, au sud-est de Mururoa.

La décision de réaliser des essais à Fangataufa fut prise après que l'on eut constaté que les tirs de forte puissance entraînaient des affaissements de la couronne corallienne de Mururoa.

On peut noter que les essais nucléaires français ont représenté 9,6% du total des essais effectués depuis 1945. Ces 9,6% représentent 172 essais nucléaires qui eux mêmes ont permis la production d'environ 800 têtes nucléaires et continuent de soutenir l'actuel stock d'environ 500 têtes nucléaires déployées.

Dans un rapport du "Natural Ressources Defense council" en date du 24 février 1989, il est insisté également sur le fait que les essais nucléaires souterrains français ont fracturé l'atoll de Mururoa, contaminé le site et les eaux avoisinantes. Mais il n'est précisé nulle part la source de ces informations.

 

2. - Le moratoire sur les essais nucléaires du 8 avril 1992

La suspension des essais nucléaires français a été décidée pour respecter le moratoire approuvé par l'ensemble des grandes puissances nucléaires mondiales, l'objectif final étant la signature puis la ratification à l'orée de 1996, d'un traité interdisant les essais nucléaires.

L'enjeu de cette suspension était double : il s'agissait non seulement de mettre en place un système de simulation qui soit performant, mais aussi d'assurer le respect et l'extension du moratoire par toutes les puissances concernées.

En effet, un moratoire sur les essais nucléaires exige que toutes les puissances nucléaires mondiales y participent. Or, dès le 5 octobre 1993, la Chine a procédé à un essai au centre de Lop Nor, dans la région autonome de Kinjiang. D'autres ont été réalisés depuis. Quant aux États-Unis, la suspension totale des essais américains annoncée par le Président Bill Clinton le 2 juillet 1993 a été prolongée. Les Russes et les Britanniques respectent également ce moratoire.

 

3. - La reprise des essais nucléaires

C'est le 13 juin dernier que le Président de la République a annoncé que la France reprenait ses essais nucléaires pour une dernière série de sept à huit tirs. A ce jour, cinq essais ont été réalisés; il semble que M. Jacques Chirac ait décidé de ne plus procéder qu'à deux essais d'ici à la fin du mois de février, ce qui portera à sept le nombre d'essais de cette supposée dernière campagne.

Cette décision a provoqué, en France et à l'étranger, un mouvement de réprobation générale; elle a gravement nuit à l'image et aux intérêts économiques de notre pays dans le monde.

Presque toutes les nations ont protesté et la France a été condamnée dans nombre d'instances internationales, y compris à l'O.N.U.

Pire encore, nos propres alliés de l'Union européenne nous ont critiqué à la quasi-unanimité; ils ont, par ailleurs, traité avec mépris l'offre de "dissuasion concertée" que leur faisait le Gouvernement.

La moindre des choses eut été, de la part du Président de la République, de prendre l'avis de nos partenaires avant cette reprise des tirs. Au contraire, la procédure suivie a marqué un grand mépris aux autres nations de la part de la France.

Cette décision était une mauvaise décision, prise et annoncée à la légère, et sans que des explications réellement convaincantes n'aient été données; il faut, en particulier, craindre que, sous couvert de simulation, il ne s'agisse en réalité que de mettre au point de nouvelles armes miniaturisées dont la France n'a aucunement besoin.

 

B. - Les répercussions des essais nucléaires français sur les êtres humains et l'environnement en Polynésie

Les répercussions des essais nucléaires français sur les êtres humains et l'environnement ont été étudiées par le Gouvernement français, mais ces études n'ont jamais été rendues publiques.

Ainsi, quatre missions scientifiques ont été envoyées sur place: la mission Tazieff en 1982, la mission Atkinson en 1984 [en 1983, voir photo ci-dessous], la mission Cousteau en 1987 et la mission A.I.E.A. (Agence Internationale à l'Énergie Atomique) en 1991. Bien que toutes ces missions aient été considérées uniquement comme exploratoires - le rapport Greenpeace de mars 1992 souligne cet aspect - elles n'ont pu apporter la preuve scientifique d'une quelconque situation alarmante. Cependant, les répercussions des essais nucléaires français sur les êtres humains et l'environnement restent un sujet controversé puisque, depuis 1988, la Commission de l'environnement, de la santé publique et de la protection des consommateurs du Parlement européen désire envoyer en Polynésie française une commission d'experts indépendante et internationale sans avoir, jusqu'à ce jour, obtenu gain de cause.

La première délégation de scientifiques étrangers conduite par le Pr. Atkinson est accueillie à Tahiti avant de s'envoler pour Mururoa. La visite sur l'atoll de Mururoa se déroula du jeudi 25 au lundi 29 octobre 1983.

 

1. - Les répercussions sur les être humains

a) Les répercussions des essais nucléaires sur les êtres humains dans le Pacifique sud en général
: une responsabilité partagée États-Unis / Grande-Bretagne / France

La commission internationale de protection contre les radiations ionisantes a présenté un rapport, publié par l'O.N.U., en 1980, estimant que 15 000 personnes pourraient à terme décéder dans l'hémisphère sud par suite des essais nucléaires effectués jusqu'en 1980 par les Américains, les Britanniques et les Français.

De plus, une étude a montré que les essais atmosphériques dans le Pacifique sud ont entraîné, entre 1970 et 1975, une augmentation de la radioactivité dans le milieu océanique à proximité du Pérou, du Chili et de l'Équateur.

Divers isotopes ont été isolés dans des crustacés, le lait, l'herbe, les eaux de pluies; les isotopes les plus fréquemment trouvés étant le césium 137 et le strontium 90, éléments dont la période radioactive est de vingt-huit à trente ans.

 

b) Les répercussions des essais nucléaires sur les êtres humains à Mururoa

En 1966, en annonçant le premier essai atmosphérique, le Centre d'Essais du Pacifique (C.E.P.) lançait un avertissement aux aéronefs et aux navires, leur demandant d'éviter une zone dangereuse de 400 kilomètres autour de Mururoa; cependant, comme sept îles peuplées se trouvaient encore dans ce périmètre, il a été ramené à 222 kilomètres, englobant l'île de Turéia. De même, le 24 juillet 1963, lors du premier essai thermonucléaire à Fangataufa, la population de Turéia a été évacuée vers Tahiti peu avant le tir expérimental.

Ces faits laissent supposer que les essais nucléaires, et notamment les essais atmosphériques, qui avaient eu lieu de 1966 à 1975, auraient pu avoir des effets particulièrement néfastes sur les êtres humains de l'atoll de Mururoa et de ses alentours.

Par ailleurs, certains témoignages figurant dans le rapport du Parlement européen sur la volonté d'envoyer en Polynésie française une commission d'experts indépendante et internationale font état de maladies qui recouvrent nombre de points communs : chute des cheveux, lésions cutanées purulentes et décollement de lambeaux de peau. Ces maladies auraient touché certaines personnes après qu'elles aient mangé du poisson pêché dans l'atoll de Mururoa.

Selon le Gouvernement français, ces maladies ne sont pas dues à l'activité nucléaire française et à la radioactivité, mais à la ciguatera, maladie provoquée par la destruction des coraux et qui atteint l'ensemble de la chaîne alimentaire. Cependant, la fréquence des cas d'intoxication par la ciguatera n'a atteint un niveau vraiment préoccupant à Mururoa qu'après le début des essais nucléaires. Il est difficile de réunir les preuves scientifiques d'une véritable corrélation entre l'expérimentation nucléaire et le développement de cette maladie, mais les témoignages des populations devraient être pris en compte avec un peu plus de sérieux et tout au moins nous alerter sur les conséquences possibles des expériences françaises. Enfin, de nombreux cas de leucémie ont été relevés, à tel point que le sénateur de la Polynésie, M. Daniel Millaud parle lui-même de "leucémie polynésienne".

Il convient enfin de mettre en cause le contrôle militaire de l'information qui a pris, depuis la loi du 17 juillet 1986, une forme légale. En effet, cette loi prévoit que les fonctions d'inspecteur du travail seront exercées pour les personnels civils et militaires de tous les sites nucléaires de Polynésie par des agents relevant exclusivement de l'autorité du ministère de la Défense.

 

2. - Les répercussions sur l'environnement

a) Les effets géologiques et écologiques à craindre des essais souterrains

En 1981, l'ensemble des essais nucléaires souterrains pratiqués jusqu'alors avait creusé 46 puits le long des 23 kilomètres de corail. Selon le rapport du Parlement européen, ces cavités sont de l'ordre de 50 à 150 mètres de diamètre. D'après la direction des centres d'expérimentations nucléaires, ces mêmes cavités sont de l'ordre de 20 à 110 mètres de diamètre.

Quoi qu'il en soit, on peut s'interroger sur l'impact de ces cavités sur l'écosystème. D'après un rapport Greenpeace de mars 1992 portant sur ce sujet, elles seraient la raison de l'augmentation du nombre des essais nucléaires français à Fangataufa au lieu de Mururoa.

Jacques-Yves Cousteau et son équipe à bord du Vaimiti, la visite s'est déroulée du samedi 20 au jeudi 25 juin 1987.

Le rapport de la mission Cousteau de 1987 précise que " la cheminée dans laquelle les éléments radioactifs se retrouvent après l'explosion constitue un véritable boulevard vers la surface. Quant au socle corallien (dans lequel ont été effectués des essais avant qu'ils soient transférés sous le lagon), il est traversé par des flux ascensionnels capables de transporter ces éléments en surface en cinq à dix ans."

Par ailleurs, en 1987-1988, le biologiste Abraham Behar a montré que les essais nucléaires effectués depuis vingt-deux ans à Mururoa avaient sérieusement endommagé la base volcanique du site et qu'il était devenu techniquement impossible d'effectuer beaucoup d'autres tirs compte tenu de la nécessité d'opérer à de plus grandes profondeurs dans la roche détériorée.

Enfin, les professeurs Hochstein et O'Sullivan, experts en mécanique des fluides géothermiques de l'université d'Auckland, fondant leurs estimations sur un modèle informatisé utilisant les profils de température et les données hydrologiques de Mururoa, ont affirmé que des atomes radioactifs, très dangereux et à longue période radioactive, remonteront vers le lagon de Mururoa dans un délai de dix à cent ans et non de mille ans, comme l'avait indiqué la mission Atkinson de 1984.

Plus récemment, le journal "Le Monde" a porté à la connaissance du grand public l'existence de failles dans le sous-sol de Mururoa. Malgré les explications embarrassées du Gouvernement, nul n'a été convaincu de l'innocuité de ces failles. Celles-ci existent bel et bien et il semble que les militaires eux-mêmes reconnaissent leur existence.

Ces failles prouvent que les explosions nucléaires sont une réelle menace pour l'existence, à long terme, de l'atoll, mais il y a plus grave. En effet, si ces failles dans le basalte s'aggravaient, elles pourraient atteindre les cavités dans lesquelles sont confinées les matières radioactives qui pourraient ainsi s'échapper dans l'océan Pacifique. Le risque pour l'environnement serait alors très préoccupant et malgré le manque de volonté de transparence du Gouvernement, nous devons affirmer qu'il y a bien là un risque majeur pour les générations futures vis-à-vis desquelles nous sommes redevables.

 

b) La pollution radioactive directe

Un rapport rédigé par d'anciens ingénieurs et techniciens C.F.D.T. travaillant à Mururoa, et publié par le quotidien "Libération" le 6 novembre 1981, comporte des informations quant à l'existence d'une décharge de 30 000 M2 et de 20 kg de plutonium à proximité. En mars 1981, cette décharge aurait été aménagée au nord de l'atoll pour y déposer divers déchets radioactifs scellés dans des sacs plastique étanches et des cylindres en acier (conformément à loi). Déjà, au début des années 1970, près de 20 kg de plutonium auraient été déversés sur le récif dans cette même zone et fixés par une couche de bitume.

Le danger tiendrait en particulier aux cyclones qui ont affecté l'atoll en 1980 et 1981, la violence des vagues arrachant une grande partie de la couche de bitume et dispersant dans l'océan du plutonium et d'autres déchets. Si ces faits s'avéraient vérifiés, les conséquences nuisibles des essais nucléaires français sur l'écosystème de l'atoll seraient réelles.

Enfin, M. Bruno Barrillot, chercheur et directeur du Centre de documentation et de recherches sur la paix et les conflits, indique dans un article paru dans la revue "Altenatives non violentes" de 1992 que l'atoll de Fangataufa est si contaminé qu'il est interdit de mettre les pieds sur sa couronne corallienne. Ainsi, les puits de tirs creusés sous le lagon à partir de la plate-forme "Super-Tila" seraient effectués par des personnels qui viennent directement de Mururoa en hélicoptère sans mettre pied à terre sur l'atoll.

 

CONCLUSION

Au terme de cette rapide présentation, on ne peut que constater l'absolue nécessité de la création d'une commission d'enquête parlementaire sur les éventuels risques pour l'environnement des essais nucléaires.

En juin 1993, l'Australie réclamait 75 millions de dollars de dommages et intérêts à la Grande-Bretagne pour nettoyer Maralinga, site nucléaire anglais vieux de trente ans, ainsi que 45 millions de dollars pour avoir privé une tribu aborigène de son territoire contaminé au plutonium. En décembre 1993, on apprenait que les États-Unis avaient procédé à des expériences sur des sujets humains dans les années 1950, concernant les effets des radiations nucléaires : adolescents handicapés mentaux, prisonniers ou malades incurables ont été leurs cobayes. Il en va de même des récentes révélations faites à propos de l'ex-U.R.S.S. Tout cela ne fait que rendre plus forte l'exigence de transparence

Or, la France s'inscrit dans une démarche contraire à celle des autres grandes puissances nucléaires puisque, malgré les engagements internationaux auxquels elle a souscrit, elle refuse obstinément de se soumettre aux exigences de la transparence.

L'attitude américaine en ce domaine peut constituer, une fois n'est pas coutume, un exemple pour la France dans la mesure où sont enfin publiées des informations tangibles quant aux répercussions des essais nucléaires sur les êtres humains ou les écosystèmes. La part nécessaire de responsabilité de chacune des puissances nucléaires doit permettre à notre pays d'aller au-delà de sa pesante tradition de secret administratif. C'est pourquoi, même dans le domaine de la défense, la France ne peut se soustraire aux efforts déjà réalisés par les administrations civiles dans le domaine de la transparence et de l'accès aux documents administratifs, et sur ce plan, le Commissariat à l'Énergie Atomique a un rôle déterminant à jouer.

Cette transparence est d'autant plus nécessaire si nous voulons que le traité en cours de négociation sur l'interdiction des essais nucléaires soit élaboré dans de bonnes conditions et ratifié par toutes les parties.

En créant une commission d'enquête, il ne s'agit pas, quelle que soit l'opinion des uns et des autres sur ce sujet, d'engager une polémique sur la politique de la France en matière d'expérimentations nucléaires. Même si nous nous opposons vigoureusement à la décision du Président de la République, c'est un autre sujet. Il s'agit simplement de rendre l'information plus accessible, par la transparence, aux responsables politiques et aux citoyens, et de répondre enfin aux doutes qui subsistent dans l'opinion publique sur l'effet de ces essais.

Telles sont les raisons qui conduisent votre Rapporteur à vous proposer d'adopter la présente proposition de résolution.

 

EXAMEN EN COMMISSION

Lors d'une réunion le 23 janvier 1996, la Commission a examiné la proposition de résolution (n° 2316) de M. Jean-Pierre Brard tendant à la création d'une commission d'enquête sur les éventuels risques pour l'environnement des essais nucléaires en Polynésie française, sur le rapport de M. Michel Grandpierre.

Le Président Jacques Boyon a tout d'abord rappelé les conditions réglementaires dans lesquelles la Commission de la Défense était saisie de cette proposition de résolution en indiquant que celle-ci s'était prononcée en avril 1994 sur une proposition de résolution proche.

M. Michel Grandpierre a regretté qu'aucun document n'ait été jusqu'à présent rendu public sur les conséquences des essais nucléaires réalisés à Mururoa sur l'environnement, en dépit des quatre missions scientifiques envoyées sur le site. Une polémique s'est récemment développée à la suite des révélations du journal Le Monde concernant des fissures dans le sol de l'atoll. Les risques de catastrophe écologique existent comme l'ont reconnu un certain nombre de scientifiques. En tout état de cause, la transparence est plus que jamais nécessaire et le Parlement ne peut se satisfaire de la situation d'opacité actuelle. C'est dans le but de parvenir à cette transparence qu'est proposée la création de cette commission d'enquête.

Un rapport publié par l'O.N.U. en 1980 estimait, en particulier, que 15 000 personnes pourraient, à terme, décéder par suite des essais effectués par les Américains, les Britanniques et les Français.

Les répercussions des essais nucléaires sur les êtres humains à Mururoa pourraient être très graves. A l'époque des essais atmosphériques, des populations entières étaient déplacées vers Tahiti immédiatement avant les tirs, ce qui montre leur caractère dangereux. Certains témoignages font état de maladies qui recouvrent de nombreux symptômes communs (chute des cheveux, lésions cutanées purulentes, décollement de lambeaux de peau) touchant des personnes ayant mangé du poisson péché à Mururoa.

Les effets géologiques des explosions peuvent être redoutables dans l'avenir. En particulier, nul ne sait comment évolueront les cavités provoquées dans le socle basaltique de l'atoll par les explosions. Des cas de pollution radioactive directe ont été relevés comme l'a indiqué le journal Libération qui faisait état d'une décharge radioactive aménagée au nord de l'atoll et qui pourrait gravement polluer le site en cas de cyclone.

L'ensemble de ces éléments ne peut qu'engager l'Assemblée nationale à créer une commission d'enquête sur les éventuels risques pour l'environnement des essais nucléaires. La transparence est aujourd'hui nécessaire si nous voulons que le futur traité sur l'interdiction des essais soit ratifié par l'ensemble des parties. Il ne s'agit pas là d'engager une polémique sur la reprise des essais nucléaires mais simplement informer les responsables politiques et les citoyens.

 

Un débat a suivi l'exposé de M. Michel Grandpierre.

M. Jean-Pierre Brard a souhaité qu'une commission d'enquête puisse réaliser une travail objectif et rigoureux pour que l'Assemblée nationale dispose de tous les éléments de jugement. Il a souligné qu'un article paru aujourd'hui même dans le journal Le Monde faisait état de fuites radioactives à Mururoa.

M. Daniel Colin, après avoir jugé recevable la proposition de résolution, a rappelé qu'une délégation de la Commission de la Défense s'était récemment rendue à Mururoa et à Fangataufa. Cette mission a effectué sérieusement son travail d'enquête et n'a rien relevé d'anormal sur l'un ou l'autre des atolls où la faune et la flore se développent parfaitement normalement. La France est le pays qui a le plus fait pour la transparence en matière d'essais nucléaires. La prétendue augmentation du nombre des cancers de la thyroïde en Polynésie n'est fondée sur aucune statistique médicale sérieuse. De nombreuses missions scientifiques comprenant notamment des experts néo-zélandais et australiens ont été organisées et aucune n'a relevé de risque spécifique. Certaines critiques s'apparentent à des fantasmes : il faut aujourd'hui cesser de confondre la barrière de corail qui présente, comme c'est normal, des fissures et le socle basaltique dans lequel sont piégées les matières radioactives qui, même en cas de tremblement de terre improbable dans cette zone, ne pourraient s'échapper.

M. Charles Cova a souligné qu'il avait pu constater l'excellence de la situation écologique tant à Mururoa qu'à Fangataufa. Il a par ailleurs rappelé que les essais français avaient lieu à 1200 km de Tahiti alors que le champ de tirs de Névada n'est situé qu'à 150 km de Las Vegas.

M. Paul Merceria s'étonnant qu'une mission de la Commission de la Défense ait été envoyée à Mururoa sans que le groupe communiste n'en ait été informé, a souhaité savoir pourquoi la pluralité n'avait pas été respectée.

Le Président Jacques Boyon a indiqué que la composition de cette mission avait été fixée dans les conditions prévues par le bureau de l'Assemblée nationale, c'est-à-dire à la proportionnelle des groupes.

M. Jean-Pierre Brard, regrettant les réactions idéologiques de MM. Charles Cova et Daniel Colin, a rappelé que des expériences sur les êtres humains avaient été organisées lors de certains tirs nucléaires aux États-Unis.

M. Daniel Colin a indiqué que l'on mesurait plus de radioactivité dans certaines régions de métropole qu'à Mururoa et qu'il constatait beaucoup de mauvaise foi dans les arguments du groupe communiste.

M. Gaston Flosse a considéré qu'il était absolument faux de prétendre que les essais nucléaires étaient dangereux pour la santé. Il a rappelé les différentes missions comprenant des scientifiques de différentes nationalités qui avaient été envoyés à Mururoa : chacune de ces missions a rendu un rapport qui conclut à l'innocuité des essais pour l'environnement. Il a, par ailleurs, indiqué que le Président de la République souhaitait qu'une nouvelle mission soit organisée après la dernière de nos expérimentations. Il a fait part de son expérience personnelle qui l'avait conduit à assister à des tirs aériens il y a plusieurs années et souligné que ces tirs n'avaient eu aucune conséquence sur la santé de ceux qui y avait assisté. Il a regretté le déchaînement médiatique qui avait accompagné la reprise des essais, ce qui avait permis aux indépendantistes de proférer des déclarations irresponsables. Les Australiens se sont opposés à la France pour des raisons purement politiques car ils souhaitent faire du Pacifique sud une zone de laquelle notre pays serait exclu.

M. Gaston Flosse a ensuite rappelé qu'il était père de famille nombreuse et qu'en tant que Président du Gouvernement du Territoire de la Polynésie française il avait la responsabilité de la santé de 200 000 Polynésiens : nul ne pouvait croire qu'il pourrait laisser cette population en danger.

La Commission a ensuite repoussé la proposition de résolution (n° 2316) de M. Jean-Pierre Brard tendant à la création d'une commission d'enquête sur les éventuels risques pour l'environnement des essais nucléaires en Polynésie française.

Gazette Nucléaire n°159/160, juillet 1997.