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rajoutés par Infonucléaire.
Je ne suis pas militant contre les centrales nucléaires
J'ai travaillé pendant 20 ans dans des centrales nucléaires. Il y a toujours des polémiques sur les centrales nucléaires où les personnes disent qu'ils sont pour ou contre, ou alors que c'est dangereux ou pas.
Mais aujourd'hui, je veux simplement vous raconter ce qui se passe dans les centrales. Vous allez comprendre qu'il y a une grande différence entre la réalité et l'idée que vous en avez. Vous allez en même temps découvrir que les centrales nucléaires irradient (contaminent) tous les jours de plus en plus de personnes et sont à l'origine de discriminations.
Vous allez certainement découvrir des choses que vous n'avez jamais entendues. S'il vous plaît, lisez mes textes jusqu'à la fin et réfléchissez par vous-même. Quand on parle des centrales nucléaires, beaucoup de gens parlent du plan de construction. Mais personne ne parle des travaux effectués. Sans connaître le chantier, on ne peut pas savoir la réalité des centrales.
J'ai fait ma formation de tuyauteur dans les ensembles industriels et les grandes usines chimiques. J'ai été embauché pour construire (participer à la construction) les centrales nucléaires à la fin de mes vingtièmes années, puis j'ai longtemps travaillé comme chef de chantier. Je connais presque tout sur les centrales nucléaires, plus qu'un simple employé ne pourrait jamais savoir.
La sécurité, une perspective
chimérique
L'année dernière, le 17 Janvier 1995,
il y eut un grand tremblement de terre à Kobé. Et
le peuple japonais a commencé à s'inquiéter
si les tremblements de terre ne présentaient pas de danger
pour les centrales nucléaires japonaises. Résisteront-elles
vraiment contre tous les tremblements de terre? Ce n'est pas du
tout sûr. Le gouvernement et les compagnies d'électricité
soulignent que les centrales sont bien conçues et construites
sur des sols bien stables. Mais c'est une perspective chimérique.
Le lendemain du séisme, je me suis rendu à Kobé.
Les nombreuses relations entre les dégâts à
Kobé et la problématique des centrales nucléaires
m'ont dérouté. Jusqu'à ce jour, qui avait
imaginé que les rails du Shinkansen et les poteaux de l'autoroute
pourraient tomber?
En général, nous imaginons que les constructions
des centrales nucléaires, du Shinkansen ou des autoroutes
sont soumises à des contrôles rigoureux de l'administration.
Mais à Kobé, nous avons découvert des coffrages
laissés dans les poteaux en béton du Shinkansen.
Les armatures de l'autoroute avaient été mal soudées:
(elles avaient été collées par le métal
de la soudure mais les bords de l'armature eux-mêmes n'avaient
pas été fusionnés). Elles ont toutes été
disloquées avec le séisme.
Pourquoi une telle chose s'est-elle produite? Parce qu'on a accordé
trop d'importance au plan, au bureau, mais on a négligé
la surveillance sur le chantier. Si ce ne fut pas la cause directe,
on peut dire que cette négligence a provoqué l'ampleur
de la catastrophe.
Les centrales nucléaires construites
par des gens sans qualification
Comme pour les constructions de Kobé, il y a aussi trop
d'erreurs humaines dans les centrales nucléaires. Par exemple,
connecter des tuyaux en laissant des outils à l'intérieur.
Il n'y a pas beaucoup d'ouvriers très compétents.
Ils n'arrivent pas à suivre parfaitement un plan de construction
bien conçu. Ce plan chimérique part de l'idée
que ce sont des ouvriers experts qui le réalisent, mais
nous ne nous sommes jamais posé des questions sur la qualité
des ouvriers et leurs conditions de travail.
Pour les centrales nucléaires comme pour les autres chantiers,
la main d'uvre et même les inspecteurs sont constitués
par des gens sans qualification suffisante. C'est compréhensible
qu'un grave accident se produise dans les centrales nucléaires,
les Shinkansen ou sur les autoroutes.
La conception du plan des centrales nucléaires est bien
faite. Il y a de nombreuses mesures de protection et de secours
de prises. S'il y a quelque chose qui fonctionne mal, ça
s'arrête comme il faut. Mais ce n'est qu'au niveau du plan.
Les travaux de construction mal faits fragilisent ce plan.
Par exemple, pour construire une maison, même si le plan
est dessiné par un dessinateur de première qualité,
si elle est construite par des charpentiers et des plâtriers
qui ne sont pas compétents, on aura des fuites d'eau et
des cloisons mal installées. Malheureusement cette maison
ce sont les centrales nucléaires japonaises.
Avant, il y avait toujours un contremaître qu'on appelle
«Boushin» pour superviser les travaux. Il avait encore
plus d'expérience que le chef de chantier qui était
moins âgé que lui. Le Boushin était fier de
son travail et il considérait l'accident et la négligence
comme une honte. Il savait bien sûr la dangerosité
de l'accident.
Depuis environ 10 ans, il n'y a plus de manoeuvres compétents.
On ne demande aucune expérience au moment du recrutement.
Les ouvriers sans compétence ne savent pas le danger de
l'accident. Ils ne savent même pas quels sont les travaux
non réglementaires et mal faits. C'est la réalité
des centrales nucléaires japonaises.
Par exemple à la centrale de Fukushima de TEPCO, nous avons
démarré la centrale en laissant un bout de fil de
fer et on a échappé de peu à un grave accident
qui aurait pu avoir une répercussion sur le monde entier.
L'ouvrier savait qu'il avait fait tomber ce fil de fer mais il
ne savait pas à quel point la conséquence de son
acte était dangereuse. Dans ce sens, une centrale nucléaire
toute neuve construite par ces gens incompétents est aussi
bien dangereuse qu'une vieille centrale.
Depuis qu'il n'y a plus beaucoup d'ouvriers compétents,
on a standardisé la construction des centrales. Ça
veut dire qu'ils ne regardent plus le plan mais ils montent simplement
des pièces préfabriquées en usine, en assemblant
la pièce numéro 1 avec la pièce numéro
2 comme dans jeu de dominos. Alors ils ne savent plus ce qu'ils
sont en train de construire et à quel point ces travaux
doivent être précis. C'est une des raisons pour lesquelles
le nombre d'accidents et de pannes augmente dans les centrales
nucléaires.
Dans la centrale nucléaire, il y a aussi le problème
de l'irradiation qui empêche de former les successeurs.
Quand on travaille dans la centrale nucléaire, il fait
très sombre et chaud et avec la protection c'est impossible
de parler. Alors les ouvriers se communiquent par gestes. Comment
peuvent ils dans ces conditions transmettre leurs savoir faire?
En plus, on envoie d'abord les gens compétents travailler
et ils s'exposent très vite à la quantité
de radioactivité annuelle autorisée et ne peuvent
plus travailler, ça accentue encore l'incompétence
des ouvriers.
Par exemple pour les soudeurs, ils fatiguent leurs yeux en travaillant.
Après 30 ans, ils ne peuvent plus faire de travaux précis
et ils ne trouvent plus d'embauche dans la pétrochimie.
Et c'est comme ça qu'ils arrivent aux centrales nucléaires.
Vous avez peut-être une fausse image comme quoi les centrales
nucléaires sont quelque chose de très sophistiqué.
Mais ce n'est pas une construction aussi sûre qu'on l'imagine.
Je pense que vous avez bien compris pourquoi les centrales nucléaires
sont construites par des gens incompétents et que ça
ira de pire en pire.
Les contrôles et les inspecteurs d'apparence
Vous pensez peut-être que les contrôles
rigoureux évitent des problèmes même si les
ouvriers des chantiers ne sont pas assez compétents. Mais
ces systèmes de contrôle sont [là aussi] problématiques.
Pour les contrôles japonais, les inspecteurs viennent vérifier
la construction déjà achevée. C'est la raison
pour laquelle ça ne marche pas. Il faut venir regarder
les travaux en cours, sur place.
Les inspecteurs doivent être spécialistes de la soudure
s'ils sont les inspecteurs pour la soudure. Et ils doivent être
capables de montrer le travail correct aux manoeuvres, en disant:
Non, il ne faut pas faire comme ça. Regardez comment je
fais. S'ils ne savent pas comment faire les travaux, comment ils
peuvent faire des contrôles corrects? En l'état actuel,
ils auditionnent l'entreprise qui a commandé la construction
et celle qui l'effectue, et ils leur demandent de fournir les
papiers nécessaires. Voilà le système de
l'inspection aujourd'hui.
Il y a quelques années, on a eu des accidents dans les
centrales nucléaires très souvent. Alors le gouvernement
a décidé d'envoyer des conseillers de sécurité
spécialisés dans chaque centrale nucléaire
pour donner l'autorisation du démarrage après la
construction ou [le] redémarrage après les contrôles
réguliers. Je savais que ces conseillers ne connaissaient
pas grande chose du nucléaire mais je n'imaginais pas à
quel point.
Quand j'ai fait une conférence à Mito, il y a un
homme du Ministère de la science et la technologie qui
s'est présenté en public en disant: «Je
me sens tellement mal à l'aise d'avouer ce fait, mais je
ne connais rien du nucléaire», et il a continué:
«De la peur d'être irradiés, les
inspecteurs n'ont pas voulu travailler dans les centrales en marche.
Comme on vient de supprimer des places dans le ministère
de l'agriculture avec le remaniement gouvernemental, ils ont envoyé
des fonctionnaires qui donnaient des conseils aux éleveurs
du ver à soie ou de la sériole (poisson),
sans aucune formation. Voilà pourquoi les conseillers qui
n'y connaissent rien du tout, donnent l'autorisation du
démarrage dans toutes les centrales. Le conseiller de la
centrale de Mihama, contrôlait la qualité du riz
jusqu'à il y a 3 mois».
Cet homme a raconté une telle histoire en donnant les noms
de ces conseillers. Est-ce que vous pouvez avoir confiance en
l'autorisation de démarrage accordée par tous ces
gens qui n'y connaissent rien?
Quand il y a eu un grave accident dans la centrale de Fukushima
de TEPCO qui a entraîné le démarrage du système
de refroidissement de secours, le quotidien Yomiuri a publié
un article «Le conseiller spécialisé n'a
pas pu participer à l'équipe de la centrale».
Effectivement c'était le journal qui lui a appris la nouvelle
de ce grave accident le lendemain matin. Pourquoi le conseiller
n'était au courant de rien? Parce que tous les gens de
TEPCO savaient qu'il n'y connaissait rien du tout. Dans la pagaille
totale, ils n'avaient pas le temps de lui expliquer de A jusqu'à
Z. Donc l'équipe ne lui a même pas demandé
de venir sur place.
Au-dessous de ces fonctionnaires irresponsables du ministère,
dans la hiérarchie nucléaire, il y a le service
de l'inspection nucléaire. Ce sont des gens du Ministère
du Commerce et de l'Industrie qui ont pris leur retraite et sont
embauchés dans ce service. Ils occupent des postes importants
et enrichissent le service en demandant des contrats à
des anciens subordonnés. Ils n'ont jamais travaillé
dans ce domaine. Ils possèdent tous les pouvoirs sur l'inspection
de la centrale nucléaire et on ne peut rien faire sans
leur autorisation bien qu'ils n'y connaissent rien. Ils viennent
au contrôle mais, bien sûr, ils ne font que regarder.
Malheureusement, ils ont quand même un pouvoir colossal.
Encore au-dessous de la hiérarchie, il y a les compagnies
d'électricité et les trois fabricants de réacteurs
nucléaires qui suivent: Hitachi, Toshiba et Mitsubishi.
Moi, j'ai travaillé chez Hitachi. Après les fabricants,
il y a encore des sous-traitants de la construction dont j'ai
parlé tout à l'heure. Ca veut dire qu'au dessus
des fabricants, ils ne sont pas compétents et au dessous
des fabricants non plus, il n'y a pas beaucoup de gens compétents.
C'est aussi pour cela que les compagnies d'électricité
ne peuvent pas expliquer les détails au moment des accidents.
Je disais toujours, avant et après ma retraite, qu'il faut
que ce soient des organismes compétents et indépendants
qui s'occupent de l'inspection mais non pas des entreprises nationalisées
ou des services où les anciens fonctionnaires du ministère
travaillent. Et indépendants de l'influence du Ministère
du Commerce et de l'Industrie qui préconise l'installation
des centrales nucléaires. Je disais qu'il fallait réclamer
toujours des conseillers qui ont de l'expérience et des
inspecteurs qui contrôlent et expliquent sur le chantier
pour trouver des mauvaises soudures ou des travaux mal faits.
Mais jusqu'à aujourd'hui, rien n'a changé. Vous
voyez à quel point les centrales nucléaires japonaises
sont administrées avec irresponsabilité et approximation!
Le plan antisismique bâclé
Après le grand séisme de Kobé,
on a très vite vérifié le plan antisismique
de toutes les centrales nucléaires du Japon. Le résultat
absurde publié en septembre 1995 disait que toutes les
centrales résisteront aux tremblements de terre de n'importe
quel niveau. Au moins pour celles dont je me suis occupé
pour mon travail, les premières centrales nucléaires,
on n'avait pas prévu le grand tremblement de terre. C'est
aberrant de confondre les nouvelles et les vieilles centrales
pour leur résistance contre les tremblements de terre,
en disant de n'importe quel niveau. En 1993 quand il y a eu le
séisme de degré 4, la centrale numéro 1 d'Onagawa
s'est arrêtée automatiquement suite à l'augmentation
subite de la puissance. C'était un accident très
grave. Très grave parce que la centrale qui a été
construite en 1984 pour que ça s'arrête à
un degré de sismicité 5 s'est arrêtée
avant d'atteindre le niveau. C'est comme si le blocage du frein
a arrêté la voiture subitement sur l'autoroute sans
appuyer sur le frein. Tohoku EPC ne reconnaît pas la gravité
de la chose en disant «tant mieux si ça s'est
arrêté». Mais l'affaire n'est pas si simple.
Si l'arrêt s'est effectué au degré 4 bien
qu'il avait été conçu pour que ça
s'arrête au degré 5, on ne peut pas nier la possibilité
que ça ne s'arrête pas au degré 5. C'est un
signe qu'il y a des choses qui ne fonctionnent pas comme prévu.
La centrale de Fukushima s'est arrêtée également
d'une façon imprévisible au moment du séisme
en 1987. Au Japon, il y a 10 centrales qui sont du même
modèle. C'est vraiment terrifiant quand on pense au danger
que les tremblements de terre présentent vis-à-vis
des centrales nucléaires.
Le contrôle régulier est fait
également par les gens incompétents
On arrête à peu près tous les ans
les réacteurs pour procéder au contrôle régulier.
Dans le réacteur nucléaire, la pression de l'eau
chaude et de la vapeur monte de 70 à 150 atmosphères,
mais ce n'est pas une simple eau chaude car la température
monte jusqu'à 300°C, elle circule très vite
et use les tuyauteries. Au moment du contrôle régulier,
on ne peut pas éviter la nécessité de changer
des tuyaux et des soupapes qui sont des fois usés jusqu'à
la moitié de leur épaisseur. Mais l'irradiation
accompagne inéluctablement cette procédure.
Le démarrage du réacteur émet plein de radioactivité
et de radiations. Les gens qui y travaillent subissent des radiations.
Avant de se rendre auprès du réacteur, ils se déshabillent
et se mettent en combinaison de protection. Peut-être vous
imaginez que cette combinaison protège le corps de la radioactivité
mais en réalité, ce n'est pas le cas. La preuve,
on place le radiamètre, sous la combinaison, sur le gilet.
La combinaison de protection est un simple vêtement de travail
qui sert à ne pas emporter la radioactivité à
l'extérieur mais il ne protège pas les manoeuvres
de l'irradiation. Donc après le travail, ils doivent se
mettre en slip pour vérifier s'ils ne sont pas contaminés.
Si la radioactivité reste uniquement sur la peau, c'est
ce qu'on appelle la contamination externe, on peut l'enlever presque
entièrement avec la douche. Ils se lavent minutieusement
jusqu'à ce qu'ils ne soient plus radioactifs avant de sortir
dehors.
Les manoeuvres mettent aussi des chaussures qui ont été
préparées par l'entreprise mais on n'est pas sûr
de trouver la bonne taille. Alors, leurs pas sont mal assurés.
En plus ils doivent mettre un masque qui couvre la tête.
Ils travaillent avec ces combinaisons et l'angoisse de la radioactivité.
Pratiquement, personne ne peut faire de bon travail avec cet équipement.
C'est complètement différent d'un chantier normal.
En plus, plus que 95% des personnes qui s'occupent de ce travail
n'ont aucune expérience. Ce sont des
agriculteurs et des pêcheurs désoeuvrés en
dehors de la saison. Ces gens qui n'ont pas d'expérience,
travaillent sans savoir le danger que ça représente.
Par exemple, pour serrer une cheville avec un écrou, on
dit au manoeuvre «serrez la en diagonale, sinon ça
fuit». L'opération se déroule dans une
zone de radiations contrôlée, un endroit très
dangereux plein de rayonnements. Les manoeuvres amènent
le radiamètre. Mais comme la quantité de radiations
varie d'une pièce à l'autre, la durée du
temps acceptable en minutes change chaque fois.
Avant de rentrer au chantier, on explique aux ouvriers le travail
d'aujourd'hui et la durée de ce travail décidée
en fonction de la quantité autorisée journalière
d'irradiation. S'ils vont travailler au chantier où on
peut rester 20 minutes, on leur donne une minuterie qui sonne
au bout de 20 minutes en disant «Vous devez sortir quand
ça sonne». Mais ils ne sont pas munis d'une montre
car elle serait polluée par la radioactivité. Ils
doivent donc deviner le temps restant. C'est comme ça qu'on
les envoie au travail.
Là-bas, ils n'arrivent pas à se concentrer pour
serrer la cheville car ils se demandent toujours combien de temps
est déjà passé. Est ce que c'est 10 minutes?
Ou peut-être déjà 15 minutes? Ils ont très
peur de l'alarme de la minuterie, cela les fait plus que sursauter.
Le bruit de l'alarme est assez fort pour rendre tout pâle
quelqu'un qui ne l'a pas jamais entendue. Quand ça sonne,
ils ont déjà reçu une irradiation équivalente
à des dizaines de radiographies. C'est bien normal qu'ils
ne puissent pas fournir des prestations assez correctes comme
tout simplement serrer des chevilles en diagonale. Pouvez-vous
imaginer les conséquences?
Le déversement de radioactivité
dans la mer
Le contrôle régulier se fait souvent en
hiver. Mais à la fin du contrôle, on verse dans la
mer des tonnes d'eau contaminée par la radioactivité.
Honnêtement, il n'y a pas beaucoup de poissons pêchés
en bordure des îles nipponnes que l'on peut manger sans
craindre le risque de la contamination radioactive. La mer du
Japon est déjà contaminée par la radioactivité.
Ce n'est pas uniquement au moment du contrôle régulier
que l'on effectue le rejet d'eau irradiée dans la mer.
Pour baisser la température que la centrale dégage,
au Japon, on utilise l'eau de la mer. Elle devient de l'eau chaude
qui contient de la radioactivité. Ainsi on rejette des
tonnes d'eau par minute à la mer.
Même s'il y a des accidents dans les centrales nucléaires,
les états déclarent immédiatement qu'il y
n'a aucun problème. D'ailleurs, les compagnies d'électricité
essayent de les cacher. Avec la population japonaise très
peu sensible à ce sujet, la mer du Japon se pollue sans
cesse. On lave d'abord les vêtements de protection couverts
de radioactivité à l'eau. On la déverse également
dans la mer. La quantité de la radiation mesurée
à l'orifice d'évacuation est très élevée.
Savez-vous que des sites d'élevage de poisson se trouvent
à proximité? Ainsi, les gens qui cherchent la nourriture
de bonne qualité doivent être intéressés
par la sûreté des centrales nucléaires. Si
on n'agit pas tout de suite, on ne pourra plus trouver de poissons
qui ne sont pas contaminés.
Il y a quelques années, à l'exposé du procès
qui demandait l'arrêt de la centrale de Shiga dans la préfecture
d'Ishikawa, une vieille colporteuse de 80 années toute
déconcertée, a raconté cette histoire. «Je
ne connaissais rien de la centrale nucléaire jusqu'à
maintenant. Mais aujourd'hui, une jeune dame qui était
toujours fidèle a refusé mes algues. Elle m'a dit
Je suis désolée mais je ne peux plus acheter
vos algues. La centrale de Shiga a démarré
aujourd'hui. Je ne connaissais rien au nucléaire, mais
maintenant je sais ce que c'est. Qu'est ce que je vais devenir
alors? » Même aujourd'hui, on continue de polluer
la mer du Japon sans que vous le sachiez.
Le plus horrible, c'est l'irradiation interne
(la contamination)
Dans le bâtiment de la centrale, tout devient
radioactif et émet des radiations. Parce que les radiations
peuvent traverser même une paroi de fer d'une grande épaisseur.
Les radioéléments qu'on reçoit sur la peau,
la contamination externe c'est horrible, mais le pire c'est la
contamination interne.
Par exemple, la poussière. Une simple poussière
qui se trouve n'importe où devient radioactive dans une
centrale nucléaire à cause de la radioactivité
qu'elle reçoit. Le fait d'inspirer cette poussière
radioactive par le nez ou la bouche, c'est de la contamination
interne. En faisant le nettoyage dans la centrale, on est exposé
le plus, au danger de la contamination interne. Avec cette contamination
interne on reçoit les radiations de l'intérieur
du corps c'est beaucoup plus dangereux que l'irradiation externe,
car le corps est en contact direct avec la source des radiations.
Les radioéléments sont évacués du
corps au bout de environ 3 jours par la voie transpiratoire et
urinaire. Mais pendant ces 3 jours, ils restent dans le corps.
En plus, quand on parle d'élimination, c'est un langage
humain, il en reste toujours un peu, et ça c'est très
dangereux. Même si ce sont des petites quantités
à la fois, elles s'accumulent dans le corps.
Vous devez le savoir, si vous avez déjà visité
une centrale nucléaire, c'est très bien nettoyé
où il y a des accès au public. Peut-être le
guide vous a même vanté «regardez, comme
c'est propre». Mais c'est bien normal. Ça serait
dangereux s'il y avait de la poussière radioactive dans
l'air.
Moi, j'ai développé un cancer à cause de
la contamination interne que j'ai reçu plus que cent fois.
Quand le docteur m'a diagnostiqué un cancer, j'avais très
peur. Mais je me suis rappelé ce que ma mère disait
toujours «rien est plus grand que la mort».
Ca m'a donné envie de faire quelque chose. Alors, j'ai
décidé de mettre au jour tout ce que je connais
des centrales nucléaires.
Rien à voir avec le chantier normal
La radioactivité s'accumule. Même si ce
sont des petites quantités, si vous travaillez 10 ans dans
une centrale, vous accumulez la radioactivité de 10 ans
et c'est très dangereux. Le règlement pris par le
gouvernement exige de ne pas dépasser la limite de 50 millisiverts
(mSv) par an. Cela veut dire que l'on peut tout faire si on respecte
cette limitation.
Par exemple, les travaux au moment du contrôle régulier
demandent environ 3 mois. Donc on divise la limite de 50 mSv par
cette durée des travaux pour avoir la limite autorisée
journalière. Mais, dans un endroit où il y a beaucoup
de radiations, on ne peut travailler que 5 à 7 minutes
par jour. On ne peut pas faire grand chose avec si peu de temps.
Alors on rassemble les temps de travail sur 3 jours ou une semaine
afin de travailler 10 ou 20 minutes de suite, bien que ce soit
une méthode inadmissible. Au moins, si les ouvriers savaient
qu'il y a un grand risque de leucémie ou du cancer Mais
les compagnies d'électricité n'avertissent d'aucun
de ces risques.
Une fois, une grande vis qui se trouvait sur le réacteur
s'est desserrée quand la centrale nucléaire était
en plein fonctionnement. Comme la centrale émet une colossale
quantité de radioactivité en état de marche,
on a préparé 30 personnes pour serrer une seule
vis. Ils ont fait la queue devant la porte. Ils devaient courir
jusqu'à la vis qui se situait à environ 7 mètres
de là. Après 3 secondes, l'alarme sonnait. Il y
eu même des ouvriers qui ont passé tout leur temps
ouvrable en cherchant la clé. Finalement, ça a coûté
4 millions de yens, l'équivalent de salaire de 160 personnes,
pour faire uniquement quelques tours de vis.
Vous vous demandez peut-être pourquoi on n'a pas arrêté
la centrale pour serrer la vis. Mais la compagnie d'électricité
veut l'éviter autant que possible car l'arrêt d'une
journée de la centrale lui cause des milliards de perte.
La radioactivité est quelque chose de très dangereux,
mais pour l'entreprise, l'intérêt financier passe
avant la sécurité humaine.
Le lavage de cerveau «absolument sûr»
qui dure 5 heures
Les gens qui travaillent où il y a de la radioactivité
s'appellent les ouvriers nucléaires. Au Japon, 270.000
personnes ont déjà travaillé comme ouvriers
nucléaires, dont la plupart dans les centrales nucléaires.
Ainsi, 90.000 personnes y travaillent aujourd'hui. Tous ces gens
assurent le fonctionnement des centrales nucléaires, comme
le contrôle régulier qui a le lieu une fois par an,
en subissant de la radioactivité.
Avant de commencer à travailler dans les centrales nucléaires,
on donne aux ouvriers 5 heures de cours de formation sur la sécurité
face aux radiations. Le but de ces cours est tout d'abord d'atténuer
leur angoisse. On ne leur dit jamais qu'il y a des dangers. L'Etat
surveille la quantité de la radioactivité et donc
il n'y a pas de danger, «les anti-nucléaires parlent
du risque de cancer et de la leucémie à cause de
la radioactivité mais ce sont que des gros mensonges, si
on respecte bien les normes imposées par le gouvernement
il n'y a aucun problème». Un tel lavage de cerveau
dure 5 heures.
Les compagnies d'électricité procèdent à
ce lavage de cerveau également avec les gens qui habitent
à côté des centrales. Elles font venir les
personnes connues pour faire des conférences, elles donnent
des cours de cuisine, ou insèrent des encarts publicitaires
imprimés en couleur dans les journaux. Peut-être
les accidents dans les centrales angoissent les habitants, mais
grâce à toutes ces propagandes de l'Agence de sécurité
nucléaire, ils ne peuvent pas penser autrement que «nous
ne pouvons pas nous passer du nucléaire pour avoir suffisamment
d'électricité»
Moi-même, pendant presque 20 ans en tant que responsable
de terrain, j'ai procédé au lavage des cerveaux,
une plus grande manipulation mentale que celles d'Asahara et d'Oume,
vis-à-vis des ouvriers. Je ne sais pas combien de personnes
j'ai tué. Il y a des gens qui me demandent si les ouvriers
ne sont pas inquiets. Mais comme ils ne sont pas avertis des dangers
de la radioactivité ou de la contamination, la plupart
ne sont pas inquiets. Ils ne pensent même pas que c'est
à cause de leur travail dans les centrales, quand ils tombent
malades. Tous les ouvriers sont irradiés quotidiennement.
Le travail des responsables consiste de cacher cette réalité
à ceux-ci et à l'extérieur de la centrale.
Si les ouvriers ou même n'importe qui s'inquiète
du problème de l'irradiation, vous n'êtes pas digne
d'être responsable sur place. Ainsi, sont les conditions
de travail dans les centrales nucléaires.
J'ai exercé un tel travail longtemps. Il m'arrivait souvent
que je ne pouvais plus le supporter sans aide de l'alcool et j'en
buvais de plus en plus. Ainsi, je me posais souvent des questions.
Pourquoi, et pour qui, il faut vivre des jours plein de mensonges?
Au bout de 20 ans, je me suis aperçu que mon corps lui
même était déjà gravement détruit
par les radiations.
Qui va sauver les ouvriers du nucléaire?
Une fois, dans la centrale de
Fukushima de TEPCO, un ouvrier s'est blessé gravement le
front avec un polissoir automatique. Comme il saignait beaucoup,
on a appelé l'ambulance pour l'emporter à l'hôpital
de toute urgence. Pourtant, ce blessé était plein
de radioactivité. TEPCO s'est tellement précipité
qu'ils n'ont pas ôté ses combinaisons de protection
ni l'ont lavé à l'eau. Les secouristes connaissant
peu de la contamination radioactive, alors ils l'ont fait entrer
dans l'hôpital sans enlever la radioactivité. Les
secouristes ont été contaminés, l'ambulance
a été contaminée, le docteur et les infirmières
ont été contaminés, et les clients de l'hôpital
ont été contaminés, et ils sont sortis de
l'hôpital avec de la radioactivité... Cet événement a pris une telle
ampleur qu'il a mis une ville entière dans la panique.
Ils voulaient tout simplement sauver aussi vite que possible un
homme qui portait une grande blessure. Mais comme la radioactivité
ne se voit pas, personne n'a eu le temps de penser à la
contamination radioactive.
Avec une seule personne, c'était déjà une
grande panique. Si un grand nombre d'habitants devenait contaminé
par la radioactivité à cause d'un grave accident,
qu'est ce que ça pourrait donner? Pouvez-vous l'imaginer?
Vous devez vous sentir concerné. Il s'agit de tout le monde
au Japon.
L'accident de la centrale Mihama a été
une mauvaise surprise
J'ignore si vous ne le savez pas ou si vous n'êtes
pas simplement intéressés, mais les centrales nucléaires
japonaises ont déjà connu plusieurs accidents qui
doivent faire peur à tout le monde. Ils pourraient être
équivalents à ceux de Three Mile Island et de Tchernobyl.
Par exemple, en 1989 dans la centrale de Fukushima Daïni,
la pompe de recyclage a volé en éclats. C'était
un accident qui n'était jamais été arrivé
dans le monde jusqu'à alors.
L'accident de la centrale de Mihama
de la compagnie de l'électricité du Kansai en 1991,
avec l'éclatement d'une canalisation, a [aussi] été
un accident très grave. Il a rejeté une énorme
quantité de radioactivité directement dans l'air
et dans la mer.
L'accident de Tchernobyl ne m'a pas beaucoup surpris. En construisant
des centrales nucléaires, je savais qu'on ne peut pas éviter
une telle catastrophe. «Par hasard, c'est arrivé
à Tchernobyl. Par hasard, ce n'est pas arrivé au
Japon». C'est ce que j'ai pensé. Mais au moment
de l'accident de Mihama, la peur a fait flageoler mes jambes et
je ne pouvais pas me lever de ma chaise.
On peut dire que cet accident a été très
grave car on a dû démarrer le système de refroidissement
de secours à la main. Ce système de refroidissement
est le dernier rempart pour protéger la sécurité
de la centrale nucléaire. Si ce système ne marche
pas, il ne reste plus rien à faire. Cet accident où
il a fallu utiliser le système de refroidissement de secours
est pour moi comme un autocar qui roule à 100km par heure
sur l'autoroute avec 120 millions personnes à bord, dont
le frein de service ne fonctionne pas, ni le frein à main,
et enfin on réussit à l'arrêter en le précipitant
contre le rocher.
Au moment de l'accident, l'eau radioactive qui se trouvait dans
le réacteur s'est échappée dans la mer et
on était sur le point que le coeur se retrouve à
sec. Toutes les soupapes de sécurité, autrement
dit les innombrables mesures de précautions dont le Japon
était fier, n'ont pas donné suffisamment d'effet
et un autre Tchernobyl aurait pu se produire à 0,7 seconde
près. Heureusement, un ouvrier expérimenté
était là, bien que ce fut le samedi. Le système
d'arrêt automatique n'ayant pas fonctionné, c'est
lui qui a jugé la gravité de la situation et arrêté
manuellement le réacteur. Ainsi, on a échappé
de justesse à un grave accident qui aurait pu concerner
le monde entier. On peut dire que tous les japonais, ou même,
tous les humains ont eu vraiment de la chance ce jour-là.
Cet accident a été causé par une mauvaise
installation d'une des entretoises qui sert à tenir les
milliers de tuyaux d'un diamètre de 2mm pour qu'ils ne
se touchent pas à cause de la vibration. C'était
un défaut de construction. Cet accident a en même
temps dévoilé l'incertitude des contrôles
systématiques, car personne n'a remarqué cette mauvaise
installation pendant plus de 20 ans. On s'est également
aperçu que les ouvriers du chantier pratiquaient des choses
que le concepteur n'a jamais pu imaginer comme: si c'est trop
long on le coupe, si c'est trop court on l'allonge.
L'accident de Monju
Le 8 décembre 1995 à Kouga du département
de Fukui, il y a eu un accident grave, une fuite de sodium dans
le surrégénérateur de Monju,
du Centre de recherche des réacteurs et des combustibles
nucléaires. Ca faisait déjà plusieurs fois
qu'on avait des accidents à Monju. D'ailleurs, on m'a appelé
au chantier de Monju, 6 fois, car mes anciens subordonnés
y sont devenus directeurs ou superviseurs ou ouvriers de la construction
de Monju et ils m'appelaient chaque fois qu'ils avaient des problèmes.
A l'époque, j'avais déjà pris ma retraite,
mais je ne pouvais pas laisser tomber car je savais que même
un seul accident est inacceptable dans les centrales nucléaires.
Un jour, on m'a donc demandé de venir au chantier de Monju,
car ils n'arrivaient pas à emboîter les tuyaux. En
arrivant, j'ai bien constaté que tous les tuyaux qui sont
préfabriqués comme ceux qui sont faits sur commande
étaient de la bonne taille et installés en respectant
le plan. Mais ils ne pouvaient tout de même pas les emboîter.
J'ai beaucoup réfléchi mais je n'arrivais pas à
trouver la cause. En cherchant toute la nuit, j'ai enfin compris.
Monju était construit par plusieurs fabricants comme Hitachi,
Toshiba, Mitsubishi et Fuji. Et chaque fabricant employait des
normes de plan différentes.
Pour dessiner les plans, chez Hitachi où j'ai travaillé,
on négligeait moins que 0,5mm. Mais chez Toshiba et Mitsubishi,
on l'arrondissait à la valeur supérieure. Et chez
Nihongenken on arrondissait à la valeur inférieure.
Ce n'est que 0,5mm, mais quand il y a 100 fois, ça fait
une grande différence. C'est pour cela qu'on ne pouvait
pas emboîter les tuyaux bien que tous respectaient le plan.
Comme ça n'allait pas, on leur a fait refaire des pièces.
C'était le prestige du pays qui était en jeu. Pour
ça, on ne dépensait jamais trop d'argent.
Pourquoi une telle chose est arrivée? Parce que chaque
entreprise gardait ses savoir-faire et ses propres informations.
Ils n'ont pas discuté pour se mettre d'accord sur la façon
de traiter ces 0,5mm, pour garder leurs secrets. Je suppose aussi
qu'ils n'ont rien non plus discuté sur le thermomètre
qui a été la cause directe de l'accident de 1995.
Dans n'importe quel ensemble industriel, on installe le même
type de thermomètre dans les tuyauteries. Mais je n'ai
jamais vu de thermomètre qui était aussi long que
celui de Monju. Je suis sûr qu'il y avait quelqu'un qui
avait remarqué que c'était dangereux au moment de
la construction. Mais il n'a rien dit car ce n'était pas
son entreprise qui s'en occupait et il n'en était pas responsable.
Le fabricant du surrégénérateur était
formé d'une équipe composite comme le Centre de
recherche, lui même était une équipe composite
des compagnies d'électricité. Dans une condition
pareille, l'accident est inéluctable. Je ne vois pas comment
ça ne pouvait pas arriver.
Ce qui est encore incroyable, c'est que le gouvernement ne le
reconnaît toujours pas comme un accident bien que ça
a été un accident très grave. Il a expliqué
que «il y a eu un phénomène»
comme pour l'accident de la centrale de Mihama. Peu après
l'accident de Monju, j'ai été
appelé par le Conseil Général de Fukui. Dans
le département, on compte 15 réacteurs nucléaires.
Ce sont les députés du parti Libéral-Démocrate
qui les ont acceptés et je leur disais toujours «S'il
y a un accident, ce sera de votre faute. Ceux qui étaient
contre le nucléaire ne sont pas responsables».
Et bien cette fois-ci, ils m'ont demandé conseil en disant
«Cette fois, on a décidé de se battre contre
le Centre de recherche. On ne peut plus fermer les yeux».
Je leur ai dit d'abord «C'est un accident. Il ne faut
pas se laisser duper par le mot phénomène».
A la télévision, au moment du compte rendu fait
par le Centre de recherche au Conseil Général, le
porte-parole du Centre a employé le mot «le phénomène
de cette fois-ci», et aussitôt un député
a crié «Non, c'est un accident!». Mais,
si on n'avait rien dit, le Centre et le gouvernement l'auraient
passé comme un simple phénomène. Non seulement
les riverains, mais aussi tout le monde doit faire attention à
ce mot qui présente les choses à la légère.
Les peuples comprennent les choses d'une façon complètement
différente selon qu'on dit un accident ou un phénomène.
C'est parce que le gouvernement joue avec les mots que le peuple
japonais n'est pas sensible au risque d'accident nucléaire,
c'est une tromperie.
Le plutonium japonais dans les armes nucléaires
françaises?
Le plutonium qu'on utilise dans le surrégénérateur
de Monju est extrait, sur commande du Japon, à partir du
recyclage effectué en France. Le recyclage du combustible
nucléaire consiste à extraire du plutonium des déchets
d'uranium, déjà brûlés dans les centrales.
Le plutonium est une matière que l'on peut produire uniquement
de manière artificielle.
A Monju, on utilise environ 1,4 tonnes de plutonium (à
la fois dans le réacteur). La bombe de Nagasaki contenait
environ 8kg de plutonium. Alors, combien de bombes nucléaires
peut-on produire à partir du plutonium de Monju? Le plutonium
est une matière très dangereuse qui est capable
de provoquer le cancer des poumons à partir de quantités
très faibles [1/1 000 000 ème de gr de plutonium
inhalé suffit à provoquer un cancer]. Sa demi-vie
radioactive est de 24.000 ans, presque l'éternité
(pour nous). C'est ainsi que l'on a choisi le mot Pluton: le nom
du roi des Enfers, pour sa racine. On a bien raison de le considérer
comme la matière la plus dangereuse du monde.
Mais combien de gens savent qu'il y a une grande probabilité
pour que le plutonium japonais ait été utilisé
dans les essais nucléaires français effectués
dans le Pacifique Sud jusqu'en 1995? Dans le centre de recyclage
français, ils ne distinguent pas le plutonium destiné
aux armes nucléaires du plutonium à utiliser dans
les centrales. C'est donc quasiment sûr que du plutonium
japonais a été utilisé dans les essais nucléaires.
C'est la raison pour laquelle le gouvernement japonais ne pouvait
pas déclarer ouvertement son opposition contre les essais
nucléaires français. Si le Japon voulait arrêter
la France, c'était très facile. Il lui suffisait
de renoncer au contrat de recyclage. Mais il n'en a rien fait.
Le marché du recyclage nucléaire prend la deuxième
place dans l'ensemble des transactions commerciales entre ces
deux pays. A quoi cela sert de crier «non aux essais
nucléaires» sans savoir cette réalité?
Le Japon avance son statut de seul pays irradié. Mais nous
avons certainement contribué indirectement à irradier
les habitants de Tahiti et à contaminer l'Océan
Pacifique.
La communauté internationale a déjà abandonné
le plutonium. Il n'y a que le Japon qui persiste à essayer
de produire de l'électricité avec une matière
si dangereuse. Ils essaient maintenant d'utiliser le combustible
MOX, mélange d'uranium et de plutonium,
dans les réacteurs ordinaires. Mais c'est excessivement
dangereux, c'est un peu comme brûler de l'essence dans un
chauffage à fioul. Les centrales n'ont pas été
conçues pour brûler du plutonium. La fission nucléaire
du plutonium dégage beaucoup plus d'énergie que
celle de l'uranium. C'est pour cette raison qu'on l'utilise pour
fabriquer la bombe atomique.
Le Japon est un pays qui ne possède pas beaucoup de ressources
énergétiques naturelles. Mais cela ne justifie pas
une telle erreur. Si l'on n'arrête pas les centrales nucléaires,
si l'on n'abandonne pas le plutonium, le nombre des gens irradiés
va augmenter partout dans le monde.
Le Japon qui n'ose pas interrompre le projet
Dans le monde, le temps de l'énergie nucléaire
est bientôt terminé. En février 1996, les
Etats-Unis ont déclaré leur projet de diminuer le
nombre de centrales nucléaires américaines de moitié
d'ici 2015. Le président a également ordonné
d'arrêter l'extraction du plutonium. Il est si redoutable
qu'ils ont arrêté même les recherches scientifiques.
Les Etats-Unis, comme l'Angleterre et l'Allemagne, ont déjà
arrêté les centrales surrégénératrices
où l'on brûle du plutonium comme celle de Monju.
L'Allemagne a stoppé celle qu'elle avait achevée
(Kalkar) et a construit un parc de loisir (Wunderland) à
la place. La plupart des pays ont renoncé car ils ont compris
que c'est impossible de produire de l'électricité
à partir du plutonium. Le gouvernement japonais doit savoir
qu'il a commis une erreur. Mais il n'a pas encore abandonné
le plutonium. Il a même annoncé la reprise du projet.
Pourquoi le Japon n'abandonne pas? Parce que c'est un pays qui
n'a pas assez de courage pour interrompre les projets déjà
votés. C'est vraiment dangereux, mais je peux vous donner
beaucoup d'exemples montrant ce caractère du gouvernement.
La politique nucléaire du Japon est vraiment mal organisée.
Le gouvernement n'a pas réfléchi aux conséquences.
Il espérait toujours que la situation s'arrangerait avec
le temps. Il était toujours irresponsable dans ses décisions.
Des décennies sont déjà passées, et
il n'a même pas trouvé de solution pour traiter ses
déchets nucléaires.
Un autre problème: auparavant, il y avait toujours beaucoup
d'étudiants dans le domaine de l'énergie nucléaire.
Désormais, les jeunes ne choisissent plus cette spécialité,
qui a disparu de presque toutes les universités, comme
de l'Université de Tokyo. Les étudiants ne veulent
même plus faire de recherche fondamentale dans ce domaine.
Ainsi les laboratoires de recherche d'Hitachi et Toshiba ont été
réduits par trois. Ils se consacrent plus pour la recherche
sur les turbines à gaz de la cogénération,
des réacteurs plus efficaces pour produire de l'électricité
et de l'eau chaude en même temps. Même les fabricants
commencent à abandonner le nucléaire.
Mr Takehisa Shimamura, ancien chef du Centre du nucléaire,
a publié un livre intitulé «Le sermon du
nucléaire». Il y écrit: «Le gouvernement
japonais s'amuse à justifier ses actes du passé
sans réfléchir. Ce n'est pas qu'il n'y a pas assez
d'électricité. C'est qu'il possède trop d'uranium
et de plutonium inutiles, l'uranium et le plutonium qu'il n'a
pas osé refuser. Et maintenant, pour prouver qu'il ne produit
pas des armes nucléaires, il construit de plus en plus
de centrales, la démonstration de l'utilisation pacifique
de l'énergie nucléaire». Je pense qu'il
décrit très bien la nature de ce pays.
On ne peut ni démonter, ni démolir
La première centrale nucléaire commerciale
au Japon a démarré en 1966 dans la commune de Tokaido,
dans le département d'Ibaraki. C'était un réacteur
anglais d'une puissance de 160 mégawatts. Depuis, des centrales
américaines ont été installées, et
le Japon s'est même mis à construire ses propres
centrales. Actuellement, 51 centrales nucléaires fonctionnent
dans ce petit pays, la plus grande étant de 1.350 mégawatts.
On les a mises en route sans savoir concrètement comment
les démonter ni les démolir, ni comment traiter
leurs déchets. Le réacteur en acier, bien que d'une
grande épaisseur, se fragilise à cause des quantités
colossales de radioactivité, on les avait donc construites
pour une exploitation de 10 ans, après quoi le démantèlement
et la démolition étaient prévus. Mais en
1981, on s'est aperçu que les plans de démantèlement
et de démolition de la centrale nucléaire de Fukushima,
qui avait alors fonctionné 10 ans, n'étaient pas
du tout réalisables. Le Parlement a même discuté
sur le fait que ce réacteur ne pouvait plus résister
aux rayonnements ionisants.
A l'époque, j'ai participé aussi à la recherche
de solutions. Nous avons tous les jours étudié différents
modes de démolition. Mais nous avons seulement compris
que, pour démonter et démolir cette centrale nucléaire
pleine de radioactivité, des dépenses représentant
plusieurs fois le budget de sa construction seraient nécessaires,
et qu'une irradiation trop importante des ouvriers serait inévitable.
Car on ne peut travailler que quelques dizaines de secondes près
du réacteur si l'on veut respecter la norme.
Tout est réalisable sur le papier, mais concrètement,
les ouvriers doivent tout faire à la main, avec l'irradiation
que cela implique. On ne peut donc rien faire avec cette radioactivité,
ni démonter, ni démolir la centrale. Certaines personnes
parlent d'envoyer des robots, mais les nombreuses recherches n'ont
pas encore réussi à produire des robots qui ne se
dérèglent pas à cause de la radioactivité.
Finalement, concernant la centrale de Fukushima, on a conclu que
la démolition était irréalisable. Le fabricant
américain qui a vendu cette centrale a envoyé des
ouvriers au Japon, et il les a fait réparer le réacteur
en les exposant à des quantités de radioactivité
inimaginables par rapport à la norme japonaise. Aujourd'hui,
cette centrale fonctionne toujours.
Alors qu'on avait prévu de l'utiliser 10 ans, elle a déjà
fonctionné plus de 30 ans. Au Japon, il y a 11 centrales
que l'on exploite toujours malgré leur vieillissement,
cela m'inquiète beaucoup.
Le réacteur nucléaire de 100 kilowatts destiné
à la recherche s'est arrêté suite à
une fuite de radioactivité dans l'Université Industrielle
Musashi à Kawasaki, dans le département de Kanagawa.
On estime qu'il aurait fallu 2 milliards de yens pour la réparation
et 6 milliards de plus pour le démantèlement. Le
budget annuel de l'Université ne suffit même pas
pour la démonter. Ils sont donc obligés de l'arrêter
et l'entretenir jusqu'à ce qu'il n'y ait plus de radioactivité.
Si cela avait été un grand réacteur de 1.000
mégawatts, on n'aurait vraiment rien pu faire.
La surveillance et l'entretien après
la fermeture
Pourquoi on ne peut pas démonter une centrale
nucléaire? Comme elle fonctionne avec de l'eau et de la
vapeur, on ne peut pas la laisser sans entretien après
l'arrêt. Elle se rouillerait très vite et il y aurait
des fuites de radioactivité par des trous. Un seul démarrage
avec du combustible nucléaire suffit pour polluer la centrale.
Et une fois polluée, on ne peut plus la laisser se reposer,
ni la démonter, ni la démolir.
Il y a beaucoup de centrales nucléaires qui ont été
fermées dans des pays développés. Elles sont
fermées car ils ne peuvent pas les démonter ni les
démolir. Fermer une centrale nucléaire, ça
veut dire qu'on arrête de produire de l'électricité
et qu'on retire le combustible. Mais il y a encore beaucoup de
choses à faire.
Actuellement, le Japon compte 54 réacteurs nucléaires
pour produire de l'électricité, 51 en fonctionnement
et 3 en construction. Il y en a plusieurs qui sont trop dangereux
pour continuer à les exploiter. Il ne faut pas oublier
les réacteurs pour la recherche possédés
par des universités et des entreprises. Donc dans tout
le Japon, il y a 76 réacteurs, de 100 kilowatts à
1.350 mégawatts.
Mais je me demande si les compagnies d'électricité
vont continuer à surveiller sérieusement les centrales
fermées qui ne produisent plus d'électricité
ni d'argent. D'un autre côté, elles cherchent à
construire de nouvelles centrales et à agrandir celles
qui sont déjà construites. Par exemple, elles veulent
ajouter un 5ème réacteur sur le site de Hamaoka
qui se trouve sur un endroit très dangereux par rapport
à la faille qui provoque souvent des tremblements de terre
dans la région de Tokai. A Fukushima, elles ont ajouté
un nouveau réacteur sur le terrain de football. Pour des
nouvelles installations, elles veulent construire des centrales
à Makimachi dans le département de Nigata, Ashihama
du Mie, Kaminoseki du Yamaguchi, Suzu du Ishikawa, et Ooma et
Toudu d'Aomori. Elles envisagent d'avoir de 70 à 80 réacteurs
d'ici 2010. J'ai peur que mes mots soient brutaux mais je n'arrive
pas à m'empêcher de penser que ce pays est devenu
fou.
Bientôt, la fermeture des vieilles centrales nucléaires
va sûrement venir. C'est un grand problème. Imaginez
des centrales nucléaires fermées qui apparaissent
partout dans le Japon dans l'avenir assez proche. Vous ne pensez
pas que c'est non seulement inquiétant mais macabre?
Les déchets nucléaires qu'on
ne sait même pas traiter
Il faut aussi parler des déchets nucléaires
qu'on produit chaque fois qu'on fait tourner les réacteurs,
ça veut dire tous les jours. En parlant déjà
des déchets nucléaires de faible activité,
il y en a 800.000 fûts dans le Japon. On utilise le mot
faible mais il y en a qui sont tellement forts en radioactivité
qu'on peut recevoir la dose létale en restant uniquement
5 heures à côté.
Depuis le démarrage de la première
centrale nucléaire au Japon jusqu'en 1969, dans toutes
les centrales, on mettait tous les déchets nucléaires
dans des fûts et les jetait dans les mers à proximité.
A l'époque, c'était normal. Quand je travaillais
dans la centrale de Tokai du département d'Ibaraki, les
sous-traitants emportaient les fûts en camion et ils les
jetaient au large de Chiba en bateau.
Mais justement c'est avec cette histoire que j'ai commencé
à douter qu'il y a quelque chose qui n'est pas clair dans
les centrales nucléaires. Les fûts métalliques
se rouillent au bout de 1 an dans la mer. Je me suis demandé
ce qui se passerait avec les déchets nucléaires
qui étaient dans les fûts et les poissons qui habitent
dans la mer.
Maintenant, on rassemble les déchets nucléaires
à Rokkasyo dans le département d'Aomori. Ils prétendent
surveiller 3 millions de fûts de déchets nucléaires
pendant 300 ans. Mais je me demande déjà s'il existe
le fût qui fait de l'usage pendant 300 ans. Et durera-t-elle
aussi cette entreprise sous-traitante pendant si longtemps? Qui
peut assurer tous ces problèmes?
Et puis, parlons des déchets nucléaires de haute
activité. C'est le déchet qui reste après
l'extraction du plutonium du combustible usé. Le Japon
commande cette extraction à l'Angleterre et à La
France. En 1995 la France a retourné 28 barres de déchets
de haute radioactivité. Ce sont des mélanges de
déchets de haute radioactivité et de verre enfermés
dans un container métallique. J'ai entendu que le fait
de rester 2 minutes à côté de ce container
suffit pour tuer quelqu'un. Le gouvernement dit qu'il va garder
ces barres fortement radioactives pendant 30 ou 50 ans tout en
les refroidissant à Rokkasyo du département d'Aomori
et les transporter quelque part ailleurs pour les enfouir en profondeur.
Quelque part qu'il ne sait pas encore où ça pourrait
être. Dans tous les autres pays, ils planifient l'enfouissement
des déchets nucléaires de haute radioactivité,
mais il y en a aucun qui l'a déjà accompli. Personne ne connaît la solution.
Pour le bâtiment de la centrale nucléaire elle même,
le gouvernement japonais envisage de la fermer hermétiquement
pendant 5 ou 10 ans et l'enterrer en dessous du terrain où
la centrale a été, après l'avoir démolie
en petits morceaux et mis en fûts métalliques. C'est
un projet très optimiste mais la démolition d'un
seul réacteur donnera des dizaines de milliers de tonnes
de déchets plein de radioactivité. Comment peut-on
trouver la place pour tous ces déchets dans un pays où
on manque même de place pour jeter les ordures ménagères?
En tout cas, c'est bien clair que le Japon sera encombré
de déchets nucléaires un jour. Il faut faire quelque
chose. Il faut qu'on arrête les centrales nucléaires
aussi vite que possible.
Il y a environ 5 ans, j'ai été faire une conférence
sur mon travail à Hokkaido. Quand j'ai dit «on
va continuer à surveiller les déchets nucléaires
pendant 50 ans ou 300 ans», une collégienne a
levé sa main. Elle a crié «J'ai une question.
En parlant de la surveillance des déchets qui dure 50 ou
300 ans, est ce que c'est vous qui allez le faire? Non, ce n'est
pas vous, les adultes d'aujourd'hui, c'est nous, la prochaine
génération, et les générations qui
suivent. Mais nous, nous n'avons pas envie de le faire !»
Est-ce que quelqu'un peut donner une réponse à cette
fille?
Quand on dit «surveiller 50 ans ou 300 ans»,
peut-être ça vous donne l'impression que tout sera
fini au bout de ces durées. Mais s'il y a toujours des
centrales nucléaires qui fonctionnent, ce sont des 50 ans
et 300 ans qui se renouvellent pour toujours.
L'irradiation et la discrimination affreuse
des habitants
Le gouvernement et les compagnies d'électricité
ont menti pendant des dizaines d'années en disant que les
centrales nucléaires japonaises n'avaient jamais émis
de radioactivité à l'extérieur. Mais depuis
quelque temps, ils ne peuvent plus continuer leurs mensonges.
Il y a de la radioactivité qui sort des cheminées
très hautes des centrales nucléaires. Très
précisément, c'est la compagnie qui la rejette volontairement.
Comme elle la rejette 24 heures sur 24, les habitants à
côté prennent de la radioactivité tout au
long de l'année
J'ai reçu une lettre d'une jeune femme de 23 ans. J'ai
vu des traces de larmes sur l'enveloppe. Elle m'a écrit
«J'ai trouvé un travail à Tokyo et rencontré
un homme. Nous nous sommes fiancés et nous avons déjà
fini la pré-cérémonie du mariage avec la
famille. Mais il a subitement rompu nos fiançailles. Il
m'a expliqué que ce n'est pas du tout de ma faute et il
aimerait bien aussi se marier avec moi. Mais ses parents se sont
aperçus que j'ai grandi à Atsuga dans le département
de Fukui et qu'il y a plus d'enfants leucémiques à
côté des centrales nucléaires. Comme
ils n'ont pas envie d'avoir leur petit enfant leucémique,
ils ne sont plus d'accord avec notre mariage. Dites-moi, pourquoi
je dois subir une telle chose?». Qui a droit de faire
vivre un tel drame à cette jeune femme? En plus, je connais
plein d'autres histoires pareilles.
Cette histoire n'est pas arrivée à côté
d'une centrale nucléaire. Elle est arrivée à
Tokyo. Est ce que vous pouvez approuver sans aucun souci le mariage
entre un homme qui a déjà travaillé dans
les centrales nucléaires avec votre fille ou la femme qui
a vécu à côté d'une centrale nucléaire
comme elle avec votre fils? Les jeunes doivent également
se sentir concernés car vous pouvez très bien tomber
amoureux de quelqu'un d'irradié. Je sais qu'en parlant
de cette discrimination, je pourrais provoquer encore plus de
discrimination. Mais il faut que je vous informe. Pour les gens
qui sont déjà opposés aux centrales nucléaires,
j'aimerais bien que ce problème soit un de leurs arguments
et pas seulement parce qu'ils ont peur des accidents. Ce n'est
pas seulement la Nature et la santé humaine que les centrales
nucléaires détruisent, elles détruisent aussi
le coeur des hommes.
Puis-je avoir des enfants?
Pour finir, je vous raconte une histoire qui m'a beaucoup
choqué. Une histoire qui m'est arrivée au cours
d'une conférence organisée par le syndicat des instituteurs
à Kyowa de Hokkaido qui se situe à côté
de la centrale Tomari. Je ne manque pas d'en parler chaque fois.
J'aimerais bien que vous vous rappeliez de cette histoire même
si vous oubliez les autres.
La conférence a eu lieu le soir. Il y avait environ 300
personnes, à peu près moitié de parents et
moitié d'instituteurs et professeurs. Mais il y avait aussi
quelques collégiens et lycéens car ils pensaient
que les centrales nucléaires sont des problèmes
de leur génération et pas seulement ceux des adultes.
Une fois que j'ai eu fini mon discours, j'ai demandé s'il
y avait des questions. Une fille de deuxième année
de collège a levé sa main en pleurant et elle s'est
exprimée:
«Vous, les adultes qui se sont réunis ce soir,
vous êtes tous des menteurs et des hypocrites. Je suis venue
ici aujourd'hui pour voir quelle tête vous faites. Les adultes
d'aujourd'hui, notamment ceux qui sont là, vous êtes
toujours en train de faire semblant d'agir pour les enfants pour
tous les choses. Le problème des pesticides, les
terrains de golf, les centrales nucléaires. Moi, je vis
à Kyowa juste à côté de la centrale
de Tomari. Je reçois de la radioactivité sans cesse.
J'ai lu qu'à Sellafield en Angleterre, à côté
de l'usine nucléaire, il y a plus d'enfants leucémiques
qu'ailleurs. Moi, en tant que fille, je rêve de me marier
un jour. Est ce que je peux avoir des enfants?»
Cette fille a demandé en pleurant aux 300 adultes qui se
trouvaient devant elle. Mais personne ne pouvait lui répondre.
Elle a continué: «Si vous savez que les centrales
nucléaires sont dangereuses, pourquoi vous n'avez pas manifesté
au moment de la première construction? Pourquoi vous ne
manifestez que maintenant? En plus, vous avez même laissé
construire le deuxième réacteur. Je préfère
ne pas avoir d'électricité qu'avoir la centrale
nucléaire». Justement, le deuxième réacteur
de la centrale Tomari venait d'entamer sa mise en route.
«Je ne comprends pas pourquoi vous faites cette conférence
si tard. Si j'étais un adulte qui avait des enfants, j'arrêterais
la centrale même au risque de ma vie». Elle a
ajouté en pleurant «Maintenant avec le deuxième
réacteur, je reçois 2 fois plus de radioactivité.
Mais je n'abandonnerai pas Hokkaido».
Je lui ai demandé si elle avait déjà confié
son inquiétude à sa mère ou à son
professeur. Elle m'a répondu «Je sais que ma mère
et mon professeur sont ici aujourd'hui. Je ne leur ai jamais posé
des questions. Mais entre les filles de la ville on en parle tout
le temps qu'on ne peut pas se marier ni avoir des enfants».
Les professeurs n'étaient pas au courant que leurs élèves
ressentaient une telle inquiétude.
Ce ne sont pas uniquement les 8 ou 10 km de rayon autour de la
centrale qui sont concernés. Beaucoup de collégiens
et lycéens ressentent la même chose dans la zone
des 50 ou 100 km autour de la centrale. J'aimerais bien que vous
pensiez toujours à ces jeunes.
On ne peut jamais être en sécurité
si la centrale nucléaire ne disparaît pas.
J'espère que vous avez bien compris ce qu'est une centrale
nucléaire, en lisant ce texte.
Certainement, l'accident grave de Tchernobyl a aussi effrayé beaucoup
de Japonais. Mais j'imagine que beaucoup de gens, surtout ceux
qui habitent au loin, dans les grandes villes, ont peur de manquer
d'électricité si on ferme les centrales nucléaires.
Mais c'est le résultat des propagandes qu'ils font en dépensant
beaucoup d'argent. «Les centrales nucléaires,
c'est une utilisation pacifique de l'énergie atomique»
«Vous n'avez pas besoin d'avoir peur. Les accidents n'arriveront
jamais dans les centrales nucléaires japonaises»
«Le Japon manque de sources d'énergie. Les centrales
nucléaires nous sont indispensables». Ce sont
des propagandes du gouvernement et des compagnies d'électricité.
Et la réalité, comme l'accident de Monju, ils essayeront
toujours de la cacher.
C'est bien vrai que les centrales nucléaires produisent
de l'électricité. Mais j'ai constaté en travaillant
20 ans, avec mes yeux et même avec mon corps qu'elles fonctionnent
toujours en irradiant les ouvriers. Et puis les gens qui habitent
à côté souffrent, en se débattant entre
ceux qui sont pour et contre avant l'installation, et en étant
irradiés et discriminés après la construction.
Vous ne devez pas croire qu'un accident dans une centrale nucléaire
ne provoque pas des terribles conséquences, ni qu'il n'y
a pas de problème si jamais l'accident arrive, ni que c'est
une utilisation pacifique!
Non, tout cela n'est pas vrai. Ce n'est pas pacifique s'il y a
des ouvriers qui meurent à cause de l'irradiation, comme
moi, et des gens qui souffrent à côté des
centrales. En plus, il ne faut pas confondre la sûreté
et la sécurité. S'il y a des centrales nucléaires,
il n'y a plus rien de sûr.
En plus, même si le nucléaire produit de l'électricité
en ce moment, l'entretien des déchets nucléaires
pour des dizaines de milliers d'années demandera une énorme
quantité d'électricité et de pétrole.
C'est sûr que ça demandera plus d'énergie
qu'on en a produit jusqu'à maintenant grâce au nucléaire.
D'ailleurs, ce sont nos descendants qui seront obligés
d'entretenir toutes les centrales fermées et leurs déchets.
Pour toutes ces raisons, je vous demande de regarder le visage
de vos enfants et vos petits-enfants tous les matins, et réfléchir
si le Japon peut continuer à construire des centrales nucléaires.
Ce n'est pas uniquement le risque de l'accident, mais il y a aussi
le risque du tremblement de terre. Le désastre irrémédiable
va arriver si on continue ainsi. Je veux que vous sachiez cette
réalité.
Je manifeste pour ne plus construire de centrales nucléaires.
Je suis contre les nouvelles installations de centrales nucléaires
avec conviction. Et je pense qu'il faut arrêter celles qui
sont en fonctionnement.
Tant que les centrales nucléaires existeront, la tranquillité
n'existera pas sur la Terre.
Laissons la Terre jolie pour nos enfants.
HIRAI Norio.
Traduction du Japonais en Français effectuée par
Tomomi DUFILS en avril 2011.
Voir également: «A Dangerous Mix: Earthquakes and Nuclear Power
Plants»