Ni ici, ni ailleurs, Mais oÙ ?
Réponses à l'article paru dans le précédent numéro

 

 

Stop-Nogent dérange...

Dans le précédent bulletin, nous insistions sur l'inconséquence du slogan officiel de l'écologie politique concernant les déchets nucléaires, "ni ici, ni ailleurs", en insistant sur la logique implicite d'une telle attitude :
- accommodements avec la gestion du nucléaire
- ignorance ou cécité délibérée sur l'impossiblité absolue de réaliser à l'échelle industrielle la "transmutation" et sur l'absence de solution satisfaisante au problème des déchets radioactifs
- silence embarrassé sur la destination finale des déchets (qui iront nécessairement quelque part).
Comme nous l'écrivions, "il n'est pas possible de supprimer les effets néfastes de l'industrie nucléaire". On peut tout au plus les limiter, et jamais de façon satisfaisante. Cette vérité nous a attiré deux demandes impérieuses de "droit de réponse" d'origine politique. L'étonnant, c'est qu'elles émanent non seulement du même parti, les Verts, mais de la même "commission Énergies", bien que les deux positions défendues soient nettement divergentes.

Voici ces deux lettres, avec nos commentaires.

 


RÉPONSE DE LA COMMISSION ÉNERGIES DES VERTS À LA LETTRE D'INFORMATION DE STOP-NOGENT N° 79 DE JANVIER-MARS 1998

 

Le 26 avril 1998.

Il n'est pas question de reprendre ici le débat ouvert dans votre Lettre de juin 1997, à propos de l'accord préélectoral Verts-Parti Socialiste. Cependant, comme Henri D. de Chambéry, dont vous avez publié le courrier, on peut se demander si vos propos ne sont pas "plus anti-Verts qu'antinucléaires". Il se peut en effet que l'alliance des Verts avec la "gauche socialo-communiste" comme disent certains, vous soit insupportable. C'est votre droit.

Cependant, il y a dans votre Lettre de mars 98 des "oublis" qu'on ne peut laisser passer et des informations à préciser pour en assurer la cohérence.

1- A propos de la sortie du nucléaire proposée par la Commission Énergies des Verts, vous la qualifiez de "douce", mais rien ne vous permet cependant de dire " qu'elle n'a pas de sens", ni que la durée de vie des réacteurs voulue par EDF est "officielle". En effet, les réacteurs d'EDF sont des machines construites à l'origine pour résister 25 ans et nous souhaitons qu'aucune d'entre elles n'ailles au delà, que celles qui donnent des signes de fatigue avant soient arrêtées (comme le souhaite d'ailleurs Mme Rousseau de la DSIN, l'autorité de sûreté, dans la revue du CEA sur le sujet). C'est pourquoi nous avons demandé au Gouvernement que soient publiés les résultats de mesures décennales sur les éprouvettes de métal des cuves, éléments non interchangeables qui fixent la durée de vie des réacteurs. Nous souhaitons en outre, comme vous, que les réacteurs de Chooz et Civaux, inutiles à la consommation nationale, soient arrêtés, ce qui fait que le dernier en fonctionnement, s'il tient 25 ans, serait Golfech 2 en 2018.

2- La seconde proposition des Verts que vous contestez est l'entreposage du combustible usé en l'état, sur les lieux de production. Cette solution nous semble compatible avec la quantité de déchets de haute activité produits dans le cas d'une sortie à progression constante jusqu'à 2018.

Les 1200 tonnes de combustible usées par an dans les 56 réacteurs d'EDF représentent un volume brut d'environ 120 m3. Si on utilise les techniques de cisaillage mises au point pour le retraitement, on peut supposer un foisonnement de 2 au plus (vu la densité du matériau), ce qui ferait un volume à stocker annuellement voisin de 250 m3 (seulement 5 x 5 x 10 m). Si cet procédure était appliquée sur les 18 sites d'EDF, les transports de combustible usé vers La Hague seraient évités, au prix d'une aire de stockage en surface pouvant recevoir 140 m3 pour la durée que les réacteurs ont encore, au plus, à fonctionner. Sans compter qu'actuellement des piscines de refroidissement proches de chaque réacteur accueillent le combustible pendant au moins trois ans avant son transfert à La Hague. Nous ne voyons pas d'autre destinée acceptable pour chacun des 18 sites d'EDF et sites de la chaîne du combustible, qu'un enclos interdit et surveillé pour notre éternité, comme il en existe partout en France sous la responsabilité de l'Armée. Toute autre voie nous conduirait à accepter la notion de "dose-vie" pour les habitants, comme vous le dénoncez en Ukraine, ou celle de "seuil de libération" des déchets radioactifs décidée par le Gouvernement Européen et applicable en France avant 2002. Nous rejetons tous, semble-t-il, la banalisation du déchet radioactif, donc sa dissémination et son transport. De plus, qui dit "décontamination" dit "dilution" donc dispersion en mer, dans l'air, dans l'eau ou dans le sol. Quant à la réduction du volume des radioéléments par transmutation, nous vous proposons de partager les propos de Monique Séné à la récente assemblée générale du GSIEN : "Transmuter, incinérer sont juste des idées de physicien reprises par ceux qui veulent utiliser l'atome sans réfléchir".

Nous pensons que la fin de l'électronucléaire en France, ainsi que son remplacement par d'autres formes de production d'électricité, comme dans d'autres pays occidentaux, mérite un débat sérieux, sans passion partisane parasite.

Pour la Commission Énergies de Verts :
Marc Jedliczka et Jean-Pierre Morichaud

 

 

Commentaire du Comité Stop Nogent :

Cette première lettre est passablement tendue. Si ses auteurs savent que la transmutation est un tour de passe-passe technocratique, ils n'ont rien compris à notre texte puisque nous dénonçons le leurre de la transmutation. Ils se posent en contre-experts du cisaillage du combustible nucléaire. Ces velléités de bricolage sur les barres de combustible sont regrettablement conformes à la caricature médiatique des écologistes, régulièrement présentés comme de dangereux pieds-nickelés.

Ils devraient par ailleurs préciser dans quel texte EDF aurait annoncé une durée de vie de 25 ans pour ses réacteurs nucléaires alors qu'abondent ceux dans lesquels elle veut les faire durer 40 ans. Leur interprétation des propos ambigus de Mme Rousseau de la DSIN est très fantaisiste car celle-ci sait bien que tout dépend de la possibilité de remplacement, ou non, du matériel qui "fatigue". Ce qui amène au problème de la fragilisation de l'acier de la cuve qu'on ne peut pas remplacer

M.J. et J.-P.M. semblent ignorer que ce problème préoccupe déjà depuis quelques années des adhérents de Stop Nogent qui ont échangé à ce sujet informations et analyses avec un membre de la Commission Energies des Verts. Or, ils vont jusqu'à nous reprocher d'être partisans ("membre de parti"), inversant la réalité du rapport entre association et parti politique. Cette attitude, à la limite de la mauvaise foi, trahit en fait une vision qui perçoit tout en termes de concurrence et d'intentions cachées. Ces représentants de la commission Énergies des Verts estiment apparemment que nous avons marché sur leurs plates-bandes... Mais ils devraient se rassurer, notre association n'ambitionne pas de décrocher quelque poste que ce soit. Leurs concurrents se trouvent dans leur propre organisation.

 

 

 

RÉPONSE DE MARYSE ARDITI

 

Narbonne, le 14 mai 1998.

Ayant été mise en cause par la Lettre d'information de Stop Nogent, j'aimerais pouvoir y répondre, mais sur un ton moins polémique. En espérant que vous accepterez de publier cette lettre.
Le sujet de l'article " Ni ici, ni ailleurs " porte sur l'enfouissement des déchets nucléaires à grande profondeur. Sur le site du Gard, aux côtés des écologistes, sont aujourd'hui présentes d'autres forces, en particulier les viticulteurs AOC qui ont lancé une grande campagne sur le thème " Pas de poubelle nucléaire dans la vallée du Rhône ". Le " ni ici, ni ailleurs " répond un peu à ce slogan. Pour nous les Verts, enfouir profondément tous les déchets nucléaires dans un même lieu est beaucoup trop dangereux quel que soit le site. Il ne faut pas compter sur nous pour prendre des positions NIMBY (Not In My Back Yard, en Français, pas dans mon jardin).
Bien entendu, il faut proposer quelque chose. Les Verts demandent effectivement que les déchets soient stockés sur les sites de production. Sans être une solution géniale, elle a cependant plusieurs avantages :
- elle évite beaucoup de transports dangereux,
- chaque site ne stocke qu'une petite part de l'ensemble des déchets et non pas la totalité,
- la solution est réversible,
- le stockage est en surface et, tant que les réacteurs fonctionnent, il y a sur place le personnel compétent pour la surveillance.
Remarquons que, de toute façon, c'est déjà ce qui se fait durant un ou deux ans avant que le combustible ne prenne le chemin de La Hague.

Il est vrai que l'article n'évoquait pas la sortie du nucléaire. On ne répète pas la totalité du programme des Verts à l'occasion de chaque article. Nous sommes pour une sortie du nucléaire en 10 ou 15 ou 20 ans (pas de querelles de chapelle !), et nous savons que cela sera très difficile.

L'article de Stop Nogent évoque des " responsables Verts qui se sont propulsés auprès du Ministre de l'industrie et de la Recherche pour exiger que des crédits soient alloués pour les études de transmutation ". Je n'en ai personnellement pas connaissance et cela m'étonne un peu car, aujourd'hui, l'Industrie et la Recherche sont séparées. Cela veut dire qu'il s'agit du gouvernement précédent ! Etonnant !

Cependant, venons-en au cur de l'article qui est avant tout contre la transmutation. Tout d'abord, la transmutation existe, évitons de la comparer à l'alchimie du Moyen Age. Quelle est la position des Verts ? Notre objectif N° 1 est de s'opposer au plus dangereux et au plus immédiat, à savoir l'enfouissement. La loi Bataille prévoit trois filières de recherche : stockage en profondeur, stockage en surface et transmutation. Au début, tous les moyens humains et financiers ont été mis sur l'enfouissement. Nous avons donc exigé que les deux autres pistes soient prises en compte à égalité et que les moyens soient répartis. Ceci étant, notre position actuelle est le stockage de surface (ou sub-surface) réversible, ce qui est une position d'attente qui peut durer plusieurs décennies et qui sera d'autant plus facile à gérer que nous espérons voir le nucléaire décroître progressivement, puis s'arrêter. Bien entendu, la loi Bataille n'est pas notre tasse de thé, mais on fait avec les atouts que l'on a dans les mains. Ainsi, dans l'accord Vert-PS, nous n'avons pas pu aller plus loin, d'autant que la négociation se faisait avec Bataille.

Quant à questionner notre système et la façon dont fonctionne notre démocratie, nous le faisons tous les jours, à partir du nucléaire bien sûr, mais aussi à partir du sang contaminé, de l'amiante et de bien d'autres problèmes.

Une dernière remarque : nous avons besoin de rassembler toutes nos énergies pour tenter de faire échec à la décision sur les laboratoires souterrains, il ne nous paraît pas judicieux de commencer à casser le mouvement, même si chacun peut avoir un point de vue diversifié sur la meilleure façon de sortir du nucléaire.

 

 

Commentaire du Comité Stop Nogent :

La lettre de Maryse Arditi est d'un autre style. Mais tout en étant dans la même commission du même parti, elle semble croire à la transmutation à échelle industrielle comme solution au problème des déchets (en tout cas, elle veut qu'on y dépense des fonds importants), parle de sortir du nucléaire en "10, 15 ou 20 ans" (ce serait du détail sectaire que d'ergoter sur ces chiffres, mais elle semble ignorer que son parti en est maintenant à 25 ans et que la tendance est à la hausse) et, en bonne politique qui prétend gérer les luttes des autres, elle pousse la leçon de morale jusqu'à expliquer qu'il ne faut pas "commencer à casser le mouvement", car c'est connu, toute discussion sur le fond mène à la paralysie, etc. L'inconvénient pour ce genre d'affirmation, c'est que toute sa lettre se situe dans une perspective strictement gestionnaire.

Elle a même, depuis l'envoi de ce courrier, bénéficié d'une promotion puisqu'elle a été nommée à la tête de l'INERIS (Institut national de l'environnement industriel et des risques). L'amateurisme politique de ces écologistes de gouvernement semble irrémédiable. Ce poste est précisément celui qui a servi de placard doré à un personnage important du nucléaire, mais un peu gênant, Michel Lavérie, qui y fut placé en 1993 par D. Strauss-Kahn, alors ministre de l'Industrie dans le gouvernement Bérégovoy finissant. M. Lavérie avait été, jusque-là, à la tête de la Direction de la sûreté des installations nucléaires (DSIN), mais il refusait d'autoriser le redémarrage de Superphénix. Faut-il rappeler que le même Strauss-Kahn est le ministre le plus important de Jospin, et que les Verts font partie de cette alliance et du gouvernement actuel ?

Ces écologistes de gouvernement désirent ardemment cogérer tout ce qu'ils peuvent, y compris le nucléaire, et l'existence de quelques groupes comme Stop Nogent est, dans cette perspective, une épine dont ils se remettent assez mal.
Nés comme association antinucléaire, nous le sommes restés. Ce fut d'autant plus facile que nous ne nous soumettons à aucun accord politique.

La phrase de Maryse Arditi, " Il faut bien proposer quelque chose ", montre tout ce qui nous sépare. Les opposants au nucléaire n'ont pas à assumer l'héritage de la technocratie en faisant sa politique. Une gestion des déchets, que les autorités devront bien évidemment organiser, ne serait envisageable qu'après une décision politique effective de sortie rapide du nucléaire.

C'est à ceux qui ont généré ce désastre qu'il incombe de faire des propositions pour dépêtrer la société de cette impasse. Notre tâche consiste à surveiller les conséquences et à dénoncer les mensonges éventuels.

La position des Verts du "ni ici, ni ailleurs" est destinée à produire un slogan mobilisateur (en tout cas, qui rapporte des voix), mais la confusion qui en résulte ne peut, à terme, qu'avoir un effet inverse : faire croire qu'il peut y avoir une solution satisfaisante représente un risque énorme, pire, c'est un piège politique.

Il est clair que la population ne veut pas assumer le problème du nucléaire qu'elle n'a pas su empêcher de croître et d'embellir. Elle souhaite que les technocrates et leurs adversaires s'entendent pour régler cette question et ne plus en entendre parler.

Les écologistes de gouvernement sont prêts à accepter un tel marché de dupes dans l'espoir de se rapprocher de quelque position avantageuse, mais ces politiciens ambitieux et démunis seront amenés à cautionner des solutions illusoires. Et pour finir, ils seront rendus co-responsables de ce crime qu'est l'industrie nucléaire.