Qui pense encore que l'accident nucléaire est impossible en France alors que les autorités s'y préparent ?

Trois textes sont parus récemment au Journal Officiel qui montrent, d'une part la militarisation de la société engendrée par les risques nucléaires, et d'autre part donnent les niveaux d'intervention sanitaire en situation " d'urgence radiologique ".

- Protection du secret-défense *
Le premier texte, l'arrêté du 24 juillet 2003 publié au JO le 9 août relatif à " la protection du secret de la défense nationale " a suscité une rapide mobilisation d'individus et d'associations avec recours en annulation déposé devant le Conseil d'Etat par la CRIIRAD, Reporters sans frontières et Greenpeace. Cet arrêté va bien plus loin qu'une atteinte à la diffusion d'informations relatives aux transports de combustibles. Comme l'écrit la CRIIRAD dans son appel à mobilisation joint à la pétition nationale, cet arrêté implique une restriction considérable de la liberté d'expression et la lourdeur des sanctions pourrait réduire au silence n'importe quelle association. Cet arrêté s'inscrit dans un contexte qui entérine la main mise de la défense nationale dans la gestion d'accidents nucléaires ou radiologiques sur des installations civiles.

- La main mise de la défense nationale dans la gestion des accidents nucléaires civils est corroborée par la parution au JO d'un deuxième texte, le décret présidentiel n° 2003-865 du 8 septembre 2003 " portant création du comité interministériel aux crises nucléaires ou radiologiques " (CICNR).
Ce décret annule celui du 4 août 1975 ­ c'était avant Three Mile Island - qui instituait un comité interministériel de la sécurité nucléaire (CISN) et a été modifié à plusieurs reprises. Dans toutes ces différentes versions au cours des années (1) il y avait une constante : le secrétaire général de ce comité interministériel de la sécurité nucléaire (CISN) avait le rôle primordial d'assurer en permanence l'information du Président de la République et du Premier ministre lors de tout incident ou accident sur des installations civiles, c'est à lui que devaient aboutir les informations des ministres de l'intérieur, de l'industrie, de la santé, des transports. De plus, en cas d'incident ou d'accident sur une installation ou de transports relevant de la défense, le ministre de la défense prévenait le secrétaire général de la défense nationale et aussi le secrétaire du CISN. Ainsi ce dernier avait toutes les informations des secteurs tant civil que militaire.
Le rôle du militaire dans le nouveau décret créant le CICNR :
Avec ce nouveau décret qui fait explicitement référence dans les attendus aux attributions du secrétaire général à la défense nationale, celui-ci a un rôle prépondérant.
Art. 1er " En cas d'accident survenant dans une installation nucléaire de base une installation nucléaire de base secrète, au cours d'un transport de matières nucléaires ou radioactives intéressant le secteur civil ou la défense ou sur tout système nucléaire militaire, ainsi qu'en cas d'attentat ou de menace d'attentat ayant ou pouvant avoir des conséquences nucléaires ou radiologiques, le premier ministre peut réunir un comité interministériel aux crises nucléaires ou radiologiques (CICNR). Ce comité est chargé de proposer au Premier ministre les mesures à prendre () le secrétariat général à la défense en assure le secrétariat. " [souligné par moi]
Art. 2 () c'est " le secrétaire général à la défense nationale qui est informé sans délai de la survenue d'un accident, attentat ou d'une menace de nature nucléaire ou radiologique. Il assure alors la synthèse de l'information destinée au Président de la République et au Premier ministre ".

Dans un pays comme le nôtre qui a connu la sombre histoire des Irlandais de Vincennes on peut s'inquiéter des définitions et interprétations concernant " les menaces d'attentat ayant ou pouvant avoir des conséquences ", s'inquiéter des dérives et de la perte de libertés que cela entraîne automatiquement. Mais le terrorisme existe, il ne faut pas faire l'autruche. La militarisation de la société est liée à la possibilité de l'accident nucléaire, c'est bien une des raisons qui nous ont conduits à être antinucléaires dans les années 70 (et à être considérés comme des catastrophistes par certains écologistes).
- Les niveaux d'intervention en situation d'urgence radiologique : mise à l'abri, prise d'iode stable, évacuation.
Les " contre-mesures ", actions de protection à entreprendre en cas d'urgence radiologique, étaient dans les tiroirs des préfets depuis un bon moment. Nous les avons indiquées fin 1998 : " Quand la transparence est opaque : les normes d'intervention en cas d'accident nucléaire grave " dans la Lettre d'information du comité Stop-Nogent (n°82, oct.1998-janv. 1999). Elles sont enfin sorties dans l' " Arrêté du 13 octobre 2003 relatif aux niveaux d'intervention en situation d'urgence radiologique " publié au JO (4 novembre 2003, 18766). L'arrêté est signé par A.-C. Lacoste, le directeur général de la sûreté nucléaire et de la radioprotection, par délégation pour le ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées.
Les niveaux d'intervention concernent la phase d'urgence dont la durée n'est pas précisée. (En général on considère qu'elle ne doit pas excéder 48 heures). L'arrêté fait état de l'article R. 1333-80 du Code de la santé publique. Si l'on s'y réfère on lit : " () des actions de protection de la population doivent être mises en oeuvre dès lors que les prévisions d'exposition aux rayonnements ionisants et leurs conséquences sanitaires dépassent les niveaux d'intervention définis par un arrêté du ministre chargé de la santé, après avis de l'institut de radioprotection et de sûreté nucléaire ". L'arrêté du 13 octobre indique qu'il y a eu un avis du 15 mai 2003 de l'IRSN, mais on ne le trouve pas sur le site internet de l'Institut. Quant aux niveaux d'intervention ils sont les suivants:
- une dose efficace de 10 mSv pour la mise à l'abri
- une dose efficace de 50 mSv pour l'évacuation
- une dose équivalente à la thyroïde de 100 mSv pour l'administration d'iode stable

Ce sont ceux que nous avions donnés il y a 5 ans !
Avec un radiamètre classique on peut mesurer, en temps normal, le débit de dose externe en un endroit déterminé et, en cas d'accident, voir comment ça grimpe et faire soi-même ses prévisions de dose externe mais il n'en est pas de même de la contamination interne. Il est préoccupant de savoir qu'il faudra se fier au terme source fourni par l'exploitant, se fier aux experts officiels faisant les calculs avec des modèles de diffusion des différents radionucléides émis, et que, d'après le code de la santé publique et son article R.1333-81 c'est " le préfet [qui] décide de la mise en uvre de tout ou partie des actions de protection en appréciant notamment si le préjudice associé à l'intervention n'est pas disproportionné par rapport au bénéfice attendu ". Quelle responsabilité pour le préfet de décider une contre-mesure Le bénéfice attendu c'est une meilleure protection de la population pour éviter les effets nocifs des rayonnements ionisants. Le préjudice c'est combien coûterait une évacuation ou un confinement (désormais appelé " mise à l'abri "), l'interruption de la vie " normale ". Sur quels critères seront faits ces calculs ?
Soulignons que dans l'arrêté les femmes enceintes et les jeunes enfants ne sont pas considérés à part pour la protection de la thyroïde et que pour ces catégories il n'est pas préconisé une dose équivalente à la thyroïde plus faible qui a été demandée en 1994 par le Dr Baverstock de l'OMS. Dans les recommandations de l'OMS de 1999 " Guidelines for Iodine Prophylaxis following Nuclear Accidents. Mise à jour 1999 " la prophylaxie par iode stable était recommandée dès 10 mGy (2) à la thyroïde pour les nourrissons, les enfants et adolescents jusqu'à 18 ans, les femmes enceintes et allaitantes.
On remarquera aussi que l'arrêté ne traite pas des interdictions de nourriture.

Dernière remarque : l'arrêté traite de la phase d'urgence et le premier but des actions de protection est d'éviter les effets déterministes (voir la lettre 82 déjà cité). Il n'y a pas d'arrêté publié sur les critères de gestion du moyen terme et du long terme. On conçoit tout l'intérêt qu'ont les autorités, aidées par d'éminents professeurs et académiciens, à nier les effets sanitaires post-Tchernobyl observés par les médecins locaux travaillant sur le terrain au Bélarus (ex-Biélorussie) notamment la dégradation de la santé des enfants et toutes les pathologies décrites par Youri Bandajevsky et son équipe qui sont la raison de son emprisonnement. Dans tous les domaines, sociologique, médical, médiatique, scientifique etc. qui va risquer sa carrière en France en disant qu'effectivement la santé s'est dégradée là-bas et que la contamination chronique par la nourriture est bien en cause ? Cette absence de dissidence, cette soumission auront un prix en cas de malheur nucléaire chez nous : on évacuera beaucoup moins d'habitants qu'en URSS en 1986, si on évacue.
Notre académie des sciences, l'académie de médecine sont, au monde, celles qui, depuis des décennies, minimisent les effets biologiques nocifs des rayonnements ionisants. N'est-ce pas une des raisons expliquant la nucléarisation massive de la France ?

B. Belbéoch, décembre 2003

(1) Modifiées soit par décret (en 1978, JO du 23 déc.) soit, après Tchernobyl, par des directives interministérielles non publiées au JO, les modalités ont été précisées " sur la coordination de l'action des pouvoirs publics en cas d'incident ou d'accident concernant la sécurité nucléaire " par la Directive interministérielle SGSN n°2201 du 30 juillet 1987, puis n°2002 du 13 juin 1989 ou celle du 1er juillet 1991 " relative à l'organisation des pouvoirs publics en cas d'accident touchant une installation nucléaire civile ".

(2) Dans le cas du rayonnement gamma 1gray (Gy)=1 sievert (Sv), 10 mGy= 10 mSv. Ainsi le niveau d'intervention de l'arrêté du 13 octobre 2003 est 10 fois plus élevé que celui préconisé par Baverstock.


La gestion d'un accident nucleaire
Le code de la sante publique et les intervenants en cas d'urgence radiologique

Extraits de la " Nouvelle partie Réglementaire " du Code la santé publique.. [Voir aussi le décret n° 2003-295 du 31 mars 2003].
Par définition " il y a urgence radiologique lorsqu'un incident ou un accident risquent d'entraîner une émission de matières radioactives ou un niveau de radioactivité susceptible de porter atteinte à la santé publique " (Art. R 1333-76).
Il y a plus de dix ans un article du Canard Enchaîné (19 juillet 1989) provoquait une forte émotion chez les travailleurs d'EDF car il indiquait que pour EDF tous les agents directement affectés aux travaux sous rayonnements seraient a priori considérés comme volontaires en cas d'accident. Depuis, il a été suggéré que soient établies des listes de volontaires sur chaque site. Il ne semble pas que cette opération ait été faite ou alors rien n'a transpiré à l'extérieur.
Le code de la santé publique s'intéresse aux intervenants.

LES INTERVENANTS.
Art. R 1333-84 " En vue de déterminer leurs conditions de sélection, de formation et de surveillance, les intervenants sont classés en deux groupes :
- le premier groupe est composé des personnels formant les équipes spéciales d'intervention technique, médicale ou sanitaire préalablement constituées pour faire face à une situation d'urgence radiologique
". [Si on se réfère à Tchernobyl, ces intervenants seraient nos " liquidateurs "].
Plus loin il sera précisé que les moins de dix-huit ans, les femmes enceintes et allaitant ne peuvent être intégrés dans ce groupe.
- " Le second groupe est constitué des personnes n'appartenant pas à des équipes spéciales mais intervenant au titre des missions relevant de leur compétence ". " Lorsque le risque d'exposition aux rayonnements ionisants est avéré, les femmes enceintes ou allaitant et les personnes âgées de moins de dix-huit ans sont exclues du périmètre du danger radiologique ".

LES DOSES
Art. R 1333-86 " Pour une intervention en situation d'urgence radiologique identifiée, des niveaux de référence d'exposition individuelle, constituant des repères pratiques, exprimés en terme de dose efficace, sont fixés comme suit :
La dose efficace susceptible d'être reçue par les personnes du groupe 1, pendant la durée de leurs missions, est de 100 millisieverts. Elle est fixée à 300 millisieverts lorsque l'intervention est destinée à protéger des personnes ;
La dose efficace susceptible d'être reçue par les personnels du groupe 2 est de 10 millisieverts.
Un dépassement des niveaux de référence du second groupe peut être admis exceptionnellement, afin de sauver des vies humaines, pour des intervenants volontaires et informés du risque que comporte l'intervention.
La dose efficace intègre l'ensemble des doses reçues par exposition interne et externe. Elle est évaluée selon les modalités définies en application de l'article R. 1333-10.
Les personnels appelés à intervenir doivent bénéficier de protections individuelles et être munis de dispositifs dosimétriques appropriés "

 Aux futurs intervenants, personnels des centrales nucléaires, pompiers, médecins et infirmiers, gendarmes etc. nous recommandons Le sacrifice d'Emanuela Andreoli et Wladimir Tchertkoff, VHS ou DVD de 24 minutes, version française sous-titrée.
(Tél 0041919451926 ; fax 0041919453546) eandreoli@vtx.ch