Les retombées sur la liberté d'expression des scientifiques, de la publication de la carte de contamination de la france en 1986

Il était connu des initiés que des conflits existent à l'IRSN, (Institut de radioprotection et sûreté nucléaire) issu de la fusion de l'IPSN, (institut de protection et sûreté nucléaire, dépendant autrefois du CEA) et de l'OPRI (office de protection contre les rayonnements ionisants, ex-SCPRI du Pr. Pellerin) l'IRSN étant placé sous l'autorité du directeur de la DGSNR (direction générale de la sûreté nucléaire et de la radioprotection). Pour simplifier on peut dire que ces conflits opposent des scientifiques de l'IRSN, plutôt partisans de la "transparence" (mais sûrement pas tous) à ceux de l'OPRI ayant hérité de la rigidité de leur ancien directeur du SCPRI avec les mesures et interprétations données en 1986 par le Pr. Pellerin sur les retombées de Tchernobyl. Mais la position du directeur de la DGSNR, M. André-Claude Lacoste n'était pas apparue clairement jusqu'à maintenant.
Depuis quelques années, les carences des cartes officielles publiées en 1986 par le SCPRI qui minimisent la contamination post-Tchernobyl en France, ont été démontrées par la CRIIRAD. La plus caricaturale de ces cartes est la carte de contamination du césium-137 figurant dans l'Atlas européen de la Communauté européenne concernant le césium-137 total (retombées de Tchernobyl + retombées des essais nucléaires des années 60). Lorsqu'on déduit la contamination due aux retombées des essais nucléaires, certaines parties de la France auraient été "décontaminées" par Tchernobyl si l'on se fie aux cartes de contamination publiées par le Pr. Pellerin en 1986 ! On conçoit que c'est une situation difficile à vivre au sein de la communauté scientifique internationale pour les scientifiques de l'IPSN devenus IRSN.
Cependant, le feu aux poudres provient de la publication par l'IRSN, avec conférence de presse le 24 avril dernier pour le 17ème anniversaire de la catastrophe de Tchernobyl, de la dernière version de la carte de contamination de la France en 1986 car il y a désormais, globalement, convergence avec celle de la CRIIRAD ! Crime de lèse-majesté envers le Pr. André Aurengo qui avait été chargé par les ministres de la santé et de l'écologie du gouvernement Jospin et reconduit par Raffarin, d'établir une cartographie de la contamination du territoire français en 1986.
La polémique entre l'IRSN et le Pr. Aurengo a été révélée publiquement par Le Figaro du mardi 10 juin 2003, dans un long article de plus d'une page au titre évocateur en gros caractères "Nucléaire : la transparence muselée" et au-dessus "Sûreté Tchernobyl, séismes, liberté d'expression : enquête sur le malaise des gendarmes et experts de l'atome français".
Quelques brefs extraits : dans une lettre adressée à Mme Bachelot-Narquin, Ministre de l'écologie et du gouvernement, le Pr. Aurengo écrit "Je suis consterné que de tels résultats, méthodologiquement aussi contestables et très probablement faux, aient pu être diffusés sans aucune validation scientifique, au nom d'un organisme officiel en charge de l'expertise en radioprotection". Cette accusation du Pr. Aurengo contre les scientifiques de l'IRSN est grave.
Ce qui l'est encore davantage c'est que l'enquête des journalistes (Yves Miserey et Fabrice Nodé-Langlois) nous apprend que André-Claude Lacoste aurait souhaité empêcher purement et simplement la tenue de la conférence de presse, que cette réunion était "inopportune". Il y a tellement de remous au sein de l'IRSN que "nombre de personnes n'acceptent plus désormais de parler que sous couvert de l'anonymat".
Il n'y a pas que la carte de contamination mais aussi les doses reçues. L'article d'un chercheur de l'IRSN qui devait être publié par la revue Contrôle, de la DGSNR a été supprimé par M. Lacoste car il était indiqué qu'un enfant de Solenzara, en Corse aurait pu recevoir une dose de 150 millisievert, considérée comme trop élevée.
L'article du Figaro, révèle que la transparence est bien muselée, mais pas seulement sur les sujets relatifs à la radioprotection. Elle est muselée aussi sur la sûreté des réacteurs nucléaires comme sur la question des séismes soulevée par l'IRSN. "Les experts de l'IRSN ont réévalué la résistance des centrales aux tremblements de terre, en tenant compte notamment des dernières avancées de la sismologie. Ils estiment que pour que les centrales répondent aux normes, plusieurs d'entre elles devraient subir de très importants travaux. Analyse que contestent les experts d'EDF". A l'IRSN, les tenants de la ligne "transparence" "toujours sous le couvert de l'anonymat tant le sujet est brûlant en interne, dénoncent le fait de ne pas avoir été autorisés à communiquer sur le dossier séisme".
Voilà bien longtemps que nous dénonçons dans le Bulletin l'opacité de la "transparence" du nucléaire français. Pour les 25 ans d'existence de l'Autorité de sûreté un grand raout avait été organisé le 27 novembre 1998 sous le titre "Vers un nouveau contrôle du nucléaire". Au départ il y avait un point d'interrogation après "nucléaire" qui a disparu par la suite. Désormais on sait que pour le directeur de la DGSNR, M. André-Claude Lacoste il s'agit de contrôler la liberté d'expression des scientifiques chargés de l'expertise, tant de la radioprotection que de la sûreté des réacteurs.

B. B.


La CRIIRAD demande aux ministres de la Santé et de l'Ecologie de prendre clairement position, de trancher entre le Pr. Aurengo et l'IRSN.

(www.criirad.com) Par lettre envoyée le 17 juin 2003 aux Ministres de la santé et de l'Ecologie, la CRIIRAD analyse l'évolution des cartes de contamination des sols français, des cartes SCPRI de mai 1986 à la carte IRSN d'avril 2003 qui sont en contradiction flagrante, la carte de l'IRSN ayant provoqué une réaction violente du Pr. Aurengo.
La CRIIRAD demande aux ministres de trancher. En effet par rapport aux précédentes cette dernière carte officielle s'inscrit en rupture avec la gestion de 1986 du SCPRI et peut être utilisée dans le cadre des actions en justice en cours.
Extrait de la dépêche AFP du 17 juin :
"() Il est très important de sortir de 17 ans de mensonges pour ne pas retomber dans une polémique stérile" a déclaré devant la presse Roland Desbordes, président de la Commission de recherche et d'information indépendante (CRIIRAD), un laboratoire privé créé après l'accident de la centrale ukrainienne du 26 avril 1986.
() Selon l'association, la carte établie par l'IRSN "donne une représentation acceptable des ordres de grandeur et de la répartition spatiale de la contamination ". "C'est à nos yeux, poursuit la CRIIRAD dans sa lettre aux deux ministres, la première étape, incontournable, vers l'établissement d'un vrai bilan de l'accident et sa gestion par les autorités françaises ".
Cette carte permet de quantifier et de situer les dépôts sur les sols de radioéléments comme le césium 137. "A partir de là, il est possible de reconstituer la chaîne alimentaire et d'établir des scénarios de contamination", estime Roland Desbordes. "On va pouvoir s'appuyer sur ce document en justice, alors qu'il n'y avait jusqu'à présent aucune carte officielle pour remettre en cause les informations données en 1986 ", ajoute-t-il.
Plusieurs actions en justice sont en cours sur les conséquences sanitaires du passage en France du nuage radioactif. Selon les plaignants, l'absence de mesures de précaution aurait entraîné notamment
Une recrudescence de cancers de la thyroïde"
[Plainte contre X instruite par le juge Marie-Odile Bertella-Geffroy déposée par l'Association française des malades de la thyroïde, par la CRIIRAD et individuellement par plusieurs centaines de malades].