NOGENT : AMIBES ANTHROPOPHAGES

Les protozoaires sont des organismes monocellulaires dune très grande utilité. Ils vivent à l’interface des environnements terrestres et aquatiques, à la surface des eaux stagnantes dans le bio film organique, les parois des étangs, vasières, piscines, dans la rhizosphère des sols humides et meubles. Ils se multiplient par division cellulaire non sexuée. L’importance de leur reproduction dépend de la richesse bactérienne du milieu (nutriment) et de la température. Leur rôle est essentiel, ils régulent la minéralisation des sols et la flore bactérienne ; leur présence est indispensable à l'écosystème et à la vie. Si le milieu devient défavorable, ils s’enkystent pour se protéger. Sous cet aspect, ils peuvent se déplacer au gré des courants aquatiques ou en suspension dans 1’air. Au contact d’un nouveau milieu favorable entre 20 à 30 °C et nourricier, le kyste redonne naissance à une nouvelle génération d’amibes. Il en existe une très grande variété, seules quelques espèces thermotolérantes à 40 °C sont potentiellement pathogènes. A l’exception de la redoutable Entamoeba histoytica, responsable d’amibiases dysentériques (2e fléau parasitaire mondial avec 500 millions de personnes infectées et 200.000 décès par an), les amibes pathogènes ne sont pas contaminantes par ingestion. Acanthamoeba Culbersoni et Balamuthia Mandrillaris provoquent des encéphalopathies granulomateuses par diffusion pulmonaires ou cutanées chez des sujets immunodéficients ou affaiblis (chez des sujets non immunodéprimés, i.e. en bonne santé aussi de source médicale américaine <http://www.ncbi.nlm.gov:80>) ; Acanthamoeba des kératites chez les porteurs de lentilles ou sur des cornées affaiblies. A l’inverse, certaines amibes comme Acanthamoeba polyphaga peuvent protéger des bactéries telles que Legionella pneumophila et en être le vecteur, une seule amibe pouvant receler plusieurs dizaines de bactéries. Sur des prélèvements effectués à Civaux, il a été décelé 10.000 légionelles par litre dans l’eau d’évaporation des aéroréfrigérants, ce qui nécessiterait une surveillance accrue des pneumopathies dans les communes riveraines des centrales. Parmi les amibes thermotolérantes, il y a Naegleria lovaniensis et N. australiensis ; cette dernière est considérée comme pathogène. Bien qu’EDF ne le révèle pas, d’autres variétés d’amibes pourraient aussi se développer dans les condenseurs des centrales nucléaires.
La variété qui nous intéresse, puisque liée aux centrales nucléaires, est Naegleria fowleri (NF). Dite d’origine australienne, bien que les 2/3 des cas aient été observés aux USA, elle n’a fait jusqu’à présent que 200 morts environ en 40 ans. Inoffensive à l’origine, cette amibe semble avoir muté, ou, pour reprendre l’expression du professeur JL. Jacquemin (laboratoire de parasitologie et épidémiologie tropicale de l’université de Poitiers), lors de l’AG de la CLI de la centrale de Nogent-sur-Seine du 6 décembre dernier, "changé de niche écologique". Une partie de ces dites amibes semble avoir préféré troquer leurs nutriments traditionnels contre des matières organiques et d’exfoliations d’origine humaine. C’est par inhalation qu’elles pénètrent l’organisme humain via les fosses nasales, puis vont s’installer dans le cerveau qui leur sert alors de garde-manger. C’est sous sa forme flagellée, qui lui permet de "nager" qu’elle s’introduit dans l’organisme ou lors d’une baignade en eau stagnante, étangs ou piscines, habituellement fréquentés par 1’homme, ou sous forme de kyste par inhalation. Pour reprendre les dires du Pr Jacquemin... " l’incubation est de courte durée, marquée par une rhinopharyngite d’aspect banal ou un saignement de nez pendant 3 ou 4 jours. En quelques heures s’installent des migraines atroces, une fièvre à 40 °C et des troubles sensoriels accompagnés de crises convulsives ou épileptiformes et de troubles du comportement. La période réalise un tableau méningétique avec des signes d’encéphalopathie sévère et coma. La mort survient au bout de 3 à 5 jours par apnée, collapsus vasculaire et arrêt cardiaque. L’évolution totale dure moins d’une semaine et son cours fatal n’est modifié par aucune thérapie". Quelques cas semblent avoir été soignés, mais les diagnostics étaient douteux. Les cas recensés sont, pour la plupart, issus de baignades dans des plans d’eau aménagés et fréquentés par l’homme ou en piscine. Certains cas sont spectaculaires avec 5 ou 6 décès d’un coup. L’amibe frappe sans distinction d’origine ethnique ou de sexe, mais semble préférer les jeunes entre 5 et 25 ans ; c’est aussi la tranche d’âge qui fréquente le plus les plans d’eau. Le Pr Jacquemin estime que ce phénomène récent est en évolution avec une augmentation régulière des cas de Nf pathogènes en 30 ans. Si le problème est aujourd’hui numériquement marginal, 1’acclimatation de Nf est en train de se faire sous nos yeux ; elle sera peut-être longue et il serait raisonnable que l’activité humaine ne vienne pas favoriser cette évolution.
Notre amibe pathogène semble préférer les milieux calcaires, contenant fer et manganèse, ainsi que la chaleur. Elle est peu sensible au pH ou aux injections de 30 tonnes par jour et plus d’acide sulfurique dans les circuits de réfrigération et condenseurs. Elle ne tolère pas le cuivre, ce qui évitait aux exploitants des centrales électrothermiques à flamme ou nucléaires d’avoir à se préoccuper du problème ; les condenseurs étant généralement fabriqués en laiton. L’usure de ces condenseurs a incité EDF à construire de nouveaux modèles en acier inoxydable. Ainsi les dernières tranches nucléaires mises en service ne comportent plus de cuivre dans le circuit de refroidissement (Golfech, Chooz et Civaux). Pour d’anciennes tranches, les vieux condenseurs en laiton ont été remplacés par de l’inox ; c’est le cas de Dampierre où les rejets de cuivre (biocides) des tranches non modifiées ne compensaient pas les rejets d’amibes des tranches modifiées. Dans le cas particulier de Nogent-sur-Seine, qui a usé ses condenseurs en l’espace d’une décennie, compte tenu de la mauvaise qualité de 1’eau (mauvais choix géographique et hydrologique du site), des quantités importantes d’acide sulfurique injecté (37 tonnes/jour avec des pointes à 65 tonnes/jour), la centrale perdait jusqu’à 22 tonnes par an de laiton (2/3 cuivre, 1/3 zinc). La pollution en cuivre de la rivière était devenue largement supérieure à ce que la bienveillance de l’arrêté préfectoral autorisait.
Le seul biocide efficace contre 1’amibe Nf semble être le chlore, mais son utilisation est limitée 4 fois par an à 9 m3 d’eau de javel à 48° de chlore, ce qui ne garantit rien hors de ces injections. Faute de mieux, le choix s’est donc fait sur la monochloramine qui est moins toxique que l’eau de javel, compte tenu des impératifs de traitement en continu (arrêté DSIN du 13 avril 01, JO du 27 mai 01 - même date pour Chooz et Golfech). Le produit semble fabriqué sur site par l’exploitant par mélange d’eau de javel et d’ammoniaque sous critère de température strict. Le biocide ne doit pas être utilisé avec un débit de rivière inférieur a 15 m3/s. L’exploitant doit en outre mesurer en continu en période de traitement (chaleur) la concentration de Nf dans les rejets en Seine et toutes les 2 semaines en amont et en aval du site. Le problème est posé du temps de retour de l’analyse (5 jours ?) dont la culture en milieu naturel est peu performante, plus efficace sur lignées cellulaires. Ces analyses sont le plus souvent confiées au laboratoire de la faculté de pharmacie de Lyon qui possède de nombreuses souches de Nf, y compris en provenance de la centrale de Chooz. Le système de détection sur site par immunofluorescence ne semble toujours pas validé par le CSHPH (Conseil Supérieur d’Hygiène Publique de France). Les résultats sont par ailleurs propriété d’EDF qui communique ce qu’il désire communiquer ! La meilleure des solutions étant l’arrêt de production des tranches nucléaires dès que la météorologie indique des conditions de températures favorables au développement de Nf dans les circuits de refroidissement ; ce qui ne convient en rien aux critères de production d’EDF. L’exploitant est quand même tenu par l’arrêté à rechercher de nouveaux procédés de traitement moins nocifs pour la faune et la flore en aval du site. Pour Civaux, le débit de la Vienne étant trop faible, c’est un traitement par ultraviolets qui a été mis en place. Mais ce procédé est coûteux et peu fiable, la turbidité de l’eau pouvant réduire fortement l’efficacité. D’autre part il n’existe pas de certitudes sur l’état des Nf rejetées : mortes ou enkystées ? Le cas le plus problématique serait un orage par forte chaleur faisant déborder une station d’épuration à l’amont : milieu riche en nutriments, chaleur, eau calcaire, turbidité de l’eau... forte prolifération et efficacité du traitement nulle. Stop-Civaux nous à signalé des pannes des UV à plusieurs reprises en 2001, dont une à la suite d’un orage, avec des concentrations en aval dans la Vienne de plusieurs centaines de Nf par litre au bout de 3 jours de panne. La normale étant de 10 Nf par litre, 90 en cas de situation dégradée. Le CSHPF recommande la poursuite des études sur la reviviscence des amibes après traitement par les UV, l’incertitude persiste. L’autre forme de rejet qui n’est pas traité est la voie atmosphérique : les amibes peuvent partir avec la vapeur d’eau des aéroréfrigérants, s’enkyster dans l’atmosphère et retomber sous le vent.

Claude Boyer