Yuri et Galina Bandazhevsky

Vidéo-interview réalisée par Wladimir Tchertkoff

Avril 2000

Wladimir Tchertkoff : - Regrettez-vous votre choix d’alors à cause de ce problème familial ?
Galina Bandazhevsky : - De quel problème parlez-vous ? Quand nous sommes venus habiter ici ?
W.T. : - Non, quand vous avez fait votre découverte et vous avez freiné.
G.B. : -Je n’ai pas freiné. Nous en avons parlé un jour et une nuit entiers pour décider. Longtemps. D’abord à la maison, puis, pour ne pas déranger les enfants, nous sommes sortis. Nous nous disputions très fort.
W.T. : - Dehors?
G.B. : - Dehors sur le banc, jusqu’aux larmes.
Yuri Bandazhevsky : - En général toutes nos décisions scientifiques étaient prises orageusement. Sans doute, par ce qu’elle est une femme, elle pressentait que cela ferait des ennuis pour la famille.
G.B. : - Il a décidé de participer à une émission et m’a dit: " Je dirai tout. Comment nous avons découvert ces altérations : la pathologie cardiaque causée par la radioactivité ". J’ai dit: " As-tu bien réfléchi? ", " Oui, j’ai réfléchi. ". Et quand cette émission est passée à la télévision, je suis rentrée à la maison et j’ai pleuré.
La première fois qu’on l’a montrée au Conseil Scientifique, ils ont tous applaudi : " Yuri Ivanovitch, vous avez réussi ! ". Et moi je suis rentrée en larmes. De nouveau la dispute. Et j’ai dit: " je pense qu’après ce film on te mettra les menottes. ". Et lui: " Qu’est-ce que tu racontes ?! ".
A ce moment, le réalisateur a téléphoné, il s’appelle Subat: " Galina Sergueievna, félicitations, le film a eu un grand succès, Yuri Yvanovitch a tout montré, et si clairement, ce film aura une grande résonance dans la population ! " Et moi je lui réponds : " Vous savez, je me demande… ", " Pourquoi n’êtes-vous pas contente ? ", " Si on lui met des menottes, Galina Sergueievna restera seule. ". Et lui : " Mais que dites vous ? Nous ne vous abandonnerons jamais. Vous êtes une femme et vous vous faites des idées. ". J’ai répondu: " Bien, le temps nous le dira. ". Et quand c’est arrivé, je suis restée seule… seule. Il y avait tout ces gens, les élèves dont voici toutes les thèses, les collaborateurs de l’Institut… Et quand je suis restée seule, je suis entrée dans notre appartement vide, je ne savais pas par où commencer. Où aller ? Chez qui ? Ma première idée, qui sait pourquoi : je dois aller au Ministère de la Santé, chez mon ministre… au Ministère, pour y trouver conseil ; que dois-je faire ?
Au Ministère on m’a dit : " Vous êtes venue trop tôt ; Et puis qu’avez-vous à dire ? " Dans l’antichambre du ministre : " Je vous dit simplement : Bandazhevsky n’a pas trempé dans la boue sa blouse blanche. Ne le jugez pas trop vite, ensuite vous pourriez le regretter. " Réponse: " Vous êtes venue trop tôt pour en parler. Trop tôt. "
Après quoi Subat, le réalisateur, me téléphone et me dit: " J’ai appris ce qui s’est passé, mais je sais que votre téléphone est contrôlé, je ne peux vous aider en aucune façon. " Simplement il a dit ça d’avance pour parer à toute éventualité.
W.T. : - C’est ce qu’il a dit?
G.B. : - Oui… c’est à dire qu’il s’est souvenu de notre conversation et a dit: " Je ne peux pas vous aider. Si vous voulez je peux téléphoner à une personne de la télévision russe. Je lui téléphonerai, je lui donnerai votre numéro, le reste vous regarde. Décidez ce que vous lui direz, comment vous lui présenterez votre situation, vous allez pleurer ou défendre quelque chose, mais moi… ne me mêlez pas à cette affaire ! "
W.T. : - Au bout de combien de temps avez-vous pu voir votre mari après être rentrée dans la maison vide ?
G.B. : - Je l’ai vu la première fois…au bout de 50 jours, après l’arrestation… 50. C’était très officiel, je l’ai vu quand il était déjà hospitalisé. Le juge d’instruction avait autorisé officiellement l’entrevue, 50 jours après l’arrestation.
W.T. : - Vous avez frappé à beaucoup de portes ?
G.B. : J’ai frappé à beaucoup d’adresses…L’une des premières, c’était la radio de Gomel . Ils m’ont dit: " Il vaut mieux que vous ne veniez pas nous voir. Nous ne voulons rien savoir. Vous nous compromettez ; nous avons tous besoin de travailler ! ".
Après je suis allée au Ministère de la Santé… J’ai tout essayé.
Y.B. : -Elle est allée partout.
G.B. : -Partout toutes les portes étaient fermées. Et un seul mot: " Le temps le dira. "
Un grand merci à cet homme (elle se tourne vers Nesterenko), à cet homme qui le premier n’a pas eu peur, alors que plus que quiconque il devait avoir peur dans cette situation. Il fut mon soutien, tout le temps. Quand j’avais besoin d’un conseil, j’allais à Minsk, chez lui. Il m’a aussi aidée économiquement : " Galina, s’il te plaît, achète quelque chose pour les enfants. Ils me font de la peine. " .Il sortait l’argent de sa poche: " Prends, achète quelque chose. " Quand à tous les autres, je ne leur demandais pas de l’aide matérielle, " aidez moi à lui envoyer un colis en prison ".Je voulais simplement que les gens croient en lui. Que ces mêmes élèves avec lesquels… il a travaillé pendant dix ans ,sacrifiant sa famille. Pendant dix ans, de 7 heures du matin jusqu’à minuit… De 7 heures à minuit, il a fait un travail énorme. Les jours fériés? Je lui proposais: " Allons quelque part? ". Non, même pas les jours fériés, ni les jours de fête. Toujours : travail, travail, travail… et voilà le résultat du travail.
G.B. : Quand nous avons découvert qu’il y avait une corrélation entre les atteintes cardiaques et l’incorporation de césium radioactif, nous avons vécu un conflit familial, un conflit violent, parce que je refusais d’accepter ces altérations. C’était une découverte, nous découvrions quelque chose de nouveau,quelque chose qui n’était pas connu auparavant. Et lui m’a dit : " Non, c’est vraiment comme cela. Et nous allons rédiger ensemble ta thèse " - car il est directeur de thèses - " justement sur cette corrélation. ".
W.T. : - Qu’est-ce que vous refusiez d’accepter?
G.B. : - Vous savez… je refusais… j’avais peur. J’avais peur de cette découverte.
W.T. : - Pourquoi ?
G.B. : -D’abord, sans doute, par ce que c’était nouveau. Parce que…
W.T. : - Mais c’est un succès pour un scientifique !
G.B. : - Oui, c’est un succès, mais chez nous, on n’a jamais fait une telle publicité aux radiations.
Y.B. : - On n’en parlait pas.
G.B. : -Oui on ne parlait pas des effets de la radioactivité chez les enfants. Les commissions, les contrôles -je le vois chez moi en pédiatrie- viennent de différents pays et demandent : " Y a-t-il chez vous une pathologie des radiations ? ". Tout le monde répond toujours : " Oui, la glande thyroïde ".
W.T. : - C’est tout?
G.B. : - C’est tout.
Quand je suis arrivée ici, à Gomel, je me suis mise aussitôt à ausculter des enfants, des grands enfants. Les arythmies étaient tellement sévères, que certains enfants devaient recourir à une stabilisation médicamenteuse du rythme, aller à Minsk pour corriger ces troubles du rythme par des traitements. Ce qui, autrefois, était réservé aux adultes, à présent ce sont nos enfants qui en avaient besoin. Lorsqu’à Grodno, un enfant présentait une altération du rythme, c’était considéré comme quelque chose d’extraordinaire… Comme un phénomène exceptionnellement grave, qui nécessitait immédiatement un correction, un traitement, etc. Ici, à Gomel, cette pathologie somatique, exceptionnellement grave, on la rencontrait de plus en plus souvent. Je rentrais du travail avec Yuri et nous nous mettions à discuter. Il a dit : " Examinons les petits enfants en bonne santé, ceux qui vont au jardin d’enfants ". Nous avons commencé à examiner les nourrissons des crèches de Gomel et nous avons enregistré leurs électrocardiogrammes (ECG). Puis à Zhlomi, Svetlogorsk, la ville de Vetka. Nous avons découvert que les enfants sains, en bonne santé -plus de 60 %- présentent des altérations du tracé de l’ECG. Les ECG enregistrent des pathologies. Et quand nous avons inscrit, à coté de ces données, les quantités de radiations gamma mesurées dans l’organisme, c’est à dire émises par le césium137, et que nous les avons comparées avec ces ECG, nous avons constaté cette constante remarquable : les enfants ayant une concentration élevée de césium, -et nous considérons déjà comme élevée un taux supérieur à 20 Bq/kg, - présentent une altération de la conduction, une altération de la conduction cardiaque, qui se manifeste par des blocs : le bloc partiel de la branche droite du faisceau de His, les blocs auriculo-ventriculaires. Chez certains enfants les troubles de la conduction pouvaient se combiner avec des troubles de la repolarisation du muscle cardiaque. En fait, plus la concentration en césium était élevée, plus graves ou complexes étaient ces altérations révélées par les ECG.
W.T. : - Et vous avez vu le danger politique qu’entraînerait cette révélation ?
G.B. : -Oui. Vous savez, d’abord, j’ai eu peur… Oui ! j’ai eu peur pour ma famille. Je n’avais pas peur pour moi. Car le directeur de recherche, c’était lui. Je lui ai dit: " écoutes, et si tout à coup quelque chose n’est pas exact ? Si nous nous étions trompés quelque part ? Car nous présentons notre découverte au monde entier. " Il a répondu : " nous ne pouvons pas nous tromper, car nous nous basons sur une telle quantité d’électrocardiogrammes… "
Y.B. : -Il faut dire que Galina S. n’était pas la seule à étudier le cœur. Il y avait toute une série de thèses et de travaux d’autres chercheurs de ma Faculté, à l’Institut, et, comme je l’ai indiqué dans mon dernier livre, les examens anatomo-pathologiques et la recherche animale.
W.T. : - Pour vous, c’était certain ?
Y.B. : - Oui, une certitude scientifique basée sur tous ces travaux. Mais pour la première fois, en ce qui concerne le cœur, la pathologie liée à l’incorporation du césium radioactf, c’est avec elle que nous l’avons étudiée, sur la base de ses résultats après l’examen des enfants. Nous prenions par exemple, une pile d’électrocardiogrammes…(Y. sort une pile) - voilà comment ils se présentent - et nous écrivions, sur chacun d’entre-eux, la concentration des radionucléides contenus dans l’organisme… On sonne ?
G.B. : - Ce n’est rien, ce sont les enfants…
Y.B. : - Comme cela, vous voyez ? 29 Bq/kg, 34…
Ensuite nous les avons classés, en fonction des paramètres, ce qui donne ce résultat : le graphique traduit les résultats actuels… Nous l’avons réalisé à partir des données de tout le Bélarus, il ne s’agit pas seulement de Gomel, de Grodno, il y a aussi Minsk, des lieux différents, un échantillonnage énorme. Nous avons pu montrer qu’entre 0 et 5 becquerels par kilo de poids - plus ou moins, en tenant compte des marges d’erreur de l’instrument - un peu plus de 80 % des enfants ne présentent aucune altération de l’électrocardiogramme. Quand il n’y a pas de césium, nous pouvons garantir à 85 %, une évolution plus ou moins normale, une croissance normale. Mais si le césium s’accumule, le pourcentage d’enfants sains diminue proportionnellement suivant ces paramètres… d’enfants sains. Et si l’on mesure plus de 70 becquerels par kilo de poids de cet élément radioactif, on peut prévoir seulement 10 % de cœurs plus ou moins normaux.
W.T. : - C’est une corrélation constante?
Y.B. : - Oui, basée sur toutes nos données. Ce n’est pas un hasard si je dis qu’il s’agit de plus qu’une dépendance, c’est presque une loi scientifique. Une dépendance est un rapprochement entre plusieurs tendances. Dépendance proportionnelle entre la dose et les altérations. Cela a été montré auparavant. Alors que maintenant, quelle que soit la donnée que j’introduis, je vois qu’entre cette quantité et cette autre, -nous pouvons prendre n’importe quel groupe des altérations que nous observons, nous les introduisons ici (il montre son graphique),- et c’est conforme à ce paramètre. Ceci est déjà un élément d’une loi, vu la constance des symptômes dans cette corrélation. J’aimerais ajouter ceci : la même chose peut être observée en examinant les systèmes métaboliques, - activités enzymatiques, - non seulement dans le cœur, mais aussi dans le cerveau, et dans les autres organes. Mais malheureusement… je n’ai pas… Nous ne possédons pas en ce moment les moyens pour démontrer cela. Oui ! Nous n’avons pas les instruments. Cela demande un travail énorme. Je souligne que ce n’est qu’un début. Bien que j’ai ici les thèses de mes élèves : ces deux piles (il montre deux piles de cahiers), fruits de leurs recherches, pas toutes, mais la plus grande partie. Elles contiennent des données sur le cœur, sur d’autres organes internes…
G.B. : … par rapport au césium.
Y.B. : - Tout ce que nous avons pu réaliser, durant ces années, est contenu dans ces thèses. Elles ont une valeur énorme pour moi. Même plus que les livres, parce que chaque thèse repose sur du concret, un matériel unique, vérifié. C’est d’un très haut niveau.
W.T. : - Vous êtes donc arrivés à étudier d’autres organes ?
Y.B. : - Oui.
W.T. : -Vous parlez du cœur. Vous dites " malheureusement "…
Y.B. : - … nous ne pouvons pas continuer. Cela coûte très cher. Par exemple l’étude du système immunitaire. Ces études nécessitent des appareils spéciaux, très coûteux. Ensuite l’étude des enzymes… celle du système endocrinien, des enzymes du foie, des reins, qui peut nécessiter des biopsies. Et je ne parle même pas du système nerveux central… Ces études ne sont que des ébauches. Sans aucun doute ! Chaque domaine peut ouvrir une immense voie de recherche, qui peut livrer l’information au monde. Je suis loin de penser… - la science est illimitée dans sa recherche - je suis loin de penser que nous pouvons affirmer avoir tout découvert. Cela nous permettrait d’apporter une grande aide à la population.
Mais en ce qui concerne le cœur, vu que la mort cardiaque est très fréquente, nous voyons ce qu’il en est vraiment.
W.T. : - Vous rendiez vous compte du fait que vous refusiez une vérité scientifique ?
G.B. : - Oui.
W.T. : - Vous préfériez ne pas la découvrir…
G.B. : - Oui…, oui…, oui.
W.T. : - Pour vous protéger en quelque sorte ?
G.B. : - Oui
W.T. : - Comment cela s’est-il terminé?
G.B. : -Je lui ai dit : " il faut laisser tomber tout ça ". Et lui m’a dit : " alors tu n’es pas un médecin, tu peux mettre ton diplôme sur la table, et sortir pour balayer la cour "… (rires).Et, vous savez, cela m’a fait très mal d’entendre cela, car j’ai tellement rêvé de devenir médecin ! Il m’a fallu trois ans pour m’inscrire à l’Institut de médecine. C’était difficile. Et quand il a dit ça, j’ai pensé : " non ", (elle rit) et ce travail est devenu ma thèse de doctorat.
D’autres problèmes ont commencé, ma thèse était pratiquement rédigée. Elle était déjà reliée, et nous avons commencé à la présenter à nos scientifiques de Bélarus. Au conseil d’admission des thèses de Grodno. A Minsk aussi, il y a des conseils. Savez-vous ce qu’ils nous ont dit ? " Ce travail n’est pas mauvais…, mais changez un peu le titre. Il ne faut pas écrire : " en corrélation avec le césium radioactif ". Ecrivez simplement : " Etat fonctionnel du système cardio-vasculaire des enfants qui vivent dans les territoires contaminés par des radionucléides. "
Y.B. : - " Et ne mentionnez pas les doses ".
G.B. : - " Eliminez les doses et écrivez simplement que ces petits enfants présentent des altérations. Si vous le soumettez sous la forme actuelle, personne ne peut vous garantir que vous pourrez soutenir votre thèse. "
W.T. : - Sans explication ?
G.B. : - Oui. Sans explication.
Y.B. : -Je n’exclus pas que ce comportement dérive chez nous de la volonté de ne pas révéler… - car on écrit actuellement beaucoup de travaux de biologie médicale - de ne pas révéler justement ça. Ce problème. Ne pas laisser sortir cette publication, surtout maintenant, en dehors de la République.
Je suis opposé aux textes purement descriptifs. Quand on décrit seulement, ce n’est pas de la science, c’est un rapport statistique, du journalisme. La Science c’est quand on établit des corrélations. Quels que soient les paramètres, on doit suivre une logique.
W.T. : - Rechercher les causes ?
Y.B. : - Un lien de cause à effet, vous avez raison. C’est là, la découverte ! On peut recenser des paramètres, mais leur combinaison et l’établissement de leur corrélation, voilà qui est de la science. Elle est d’autant plus valable qu’il y a davantage de corrélations.
W.T. : - Ils veulent cacher Tchernobyl ?
Y.B. : - Je pense que oui. Certainement.
G.B. : -J’ai été triste pour notre pays.
Quand nous avons présenté ce travail, j’étais intervenue à un congrès auquel assistaient des Japonais. Quand ils ont entendu mon exposé, ils se sont immédiatement intéressés. Ils sont venus voir Yuri et lui ont demandé : " Pourriez-vous répondre à quelques questions, 5 minutes d’interview, et nous montrer vos graphiques qui illustrent ce texte ? ". Ils ont posé une question très intéressante : " Vous montrez qu’il y a des altérations des électrocardiogrammes, et en plus, que sur du matériel expérimental vous observez la destruction des cellules cardiaques N’êtes-vous pas allé plus loin ? A quel niveau cette cellule dégénère-t-elle ? Au niveau des mitochondries? ", etc. Ils avaient, probablement aussi, des recherches en cours, ou des hypothèses, et notre travail a servi de stimulant pour le développement ultérieur de leur réflexion. En tout cas, il a suscité un grand intérêt chez ces scientifiques japonais.
Y.B. : - Ils ont filmé.
W.T. : - Ils ont filmé et interviewé ?
G.B. : - Oui.
W.T. : - Vous leur avez montré vos documents ?
G.B. : - Oui.
Y.B. : - Ils ont travaillé avec nous…, avec Galina…, dans ma Faculté pendant deux jours sans interruption.
W.T. : - Que faisaient-ils exactement?
Y.B. : - Ils filmaient sans arrêt. Tout le déroulement de l’expérimentation, toute sa logique.
J’ai considéré que… - à l’époque nous avions bien sûr moins de résultats. Depuis, grâce à Dieu, nous sommes allés plus, loin. Mais cette logique ils l’ont enregistrée dans tous les détails. C’est l’une des principales chaînes scientifiques de la TV japonaise. L’émission était annoncée pour un horaire de grande écoute, sur le thème de Tchernobyl.
W.T. : - L’émission a eu lieu ?
Y.B. : - Je ne sais pas…
W.T. : - Vous ont-ils promis une cassette?
Y.B. : - Personne ne m’a rien promis.
W.T. : - Vous ne l’avez pas exigé ?
Y.B. : - Je leur ai simplement demandé : " On vous a autorisé ? " " Oui. " Ils les ont autorisés à filmer -" autorités locales? "
" Oui. "
W.T. : -Mais vous, personnellement, vous leur avez livré vos découvertes !
Y.B. : - Je leur ai demandés mais ils ont répondu " non ".
W.T. : - Non quoi ?
Y.B. : - Qu’en ce moment ils ne pensent pas nous donner le matériel, mais que plus tard ils nous l’enverront.
G.B. : -Ils devaient le monter…
W.T. : - C’était ?…
Y.B. : - En 1996.
Nesterenko : - Ils continuent de le monter !
W.T. : - Quatre ans ! Ils vous ont floués.
Y.B. : - Comprenez-moi bien : à l’époque, il était très important pour moi que les gens le sachent, c’était toute ma vie jusqu’au jour de mon arrestation. Peu importe qui le dira, Bandazhevsky, Bandazhevskaia, Siderov ou Petrov. Nos enfants sont en train de mourir !.. Nous pouvons aussi faire de la statistique. Je peux prendre des données, et analyser rétrospectivement ce qui s’est passé quelque part, autrefois. Et dire " ça nous servira plus tard ". Mais notre recherche aujourd’hui est plus importante. Elle nous montre comment continuer à vivre aujourd’hui, dès aujourd’hui. Cette science est utile aujourd’hui, et peut-être aussi demain… pour beaucoup d’autres peuples.
Je n’ai pas voulu jouer à ce jeu. J’ai considéré que j’avais affaire à des personnes honnêtes. J’étais totalement indifférent à la forme que ça prendrait. Nous avons travaillé avec eux du matin au soir, pendant deux jours…
G.B. : - Nous leur avons fait cadeau de notre découverte…
Y.B. : - Découverte ou pas découverte…
G.B. : - C’était une nouveauté ce que tu leur as montrés.
W.T. : - Vous leur avez aussi donné des documents écrits ?
G.B. : - Non. Ils ont filmé tout ce qu’il a montré.
W.T. : - Ils n’ont pas emporté des écrits ?
Y.B. : - Non.
G.B. : -Ils ont filmé des photos.
Y.B. : - Nous leur avons montré des photos. A l’époque il n’y avait pas encore des photos comme celles-ci. (B. montre des photos) Celles-ci sont déjà des photos très intéressantes, que j’ai déjà montrées à des symposiums, au Parlement. Ces cavités dans le tissu des reins, ces " glaçons fondus ". (Y. montre des vides autour de certains amas cellulaires), les voilà les " glaçons fondus ". Voilà la structure normale du néphron qui s’altère déjà. C’est une expérimentation sur le rat. Ici, il s’agit de tissu humain, avec un début d’atrophie. Cela, c’est le cœur d’un enfant, qui présente d’énormes cavités…
G.B. : - Enfant mort.
Y.B. : - C’est un enfant mort.
On voit ces mêmes hémorragies interstitielles, dans les espaces intra-musculaires chez les adultes.
W.T. : - On ne devrait pas voir ces espèces de branches ?
Y.B. : - Bien sûr que non, il s’agit de lacunes !.. Voici l’aspect d’un syndrome hémorragique généralisé. Troubles de la coagulation sanguine, de l’hémostase. Hémorragie dans la médullo et la cortico-surrénale chez l’enfant. Et ainsi de suite. Vous voyez encore des " glaçons fondus ". Des cas différents. Nous les avons photographiés et exposés sur de grands panneaux à l’Institut. Tout cela est illustré en images pour les étudiants, pour qu’ils le voient et le connaissent.
W.T. : - A-t-on enlevé cela? L’orientation didactique de l’Institut a-t-elle été changée ?
Y.B. : - Ils ont changé l’orientation, mais ils n’ont pas tout enlevé. Ils n’ont pas tout détruit… L’ordre a été donné…
G.B. : - A propos de l’orientation didactique, quand Yuri était en prison, - ici à Gomel - on a effectué un grand contrôle à l’Institut. Ils contrôlaient dans tous les domaines, y compris le domaine scientifique. Et la première conclusion de la commission fût que " le programme ne correspondait pas au programme d’une Ecole Supérieure ". (Ici il manque quelques secondes de la vidéo effacées par erreur)… et que manque une thématique de base, bien orientée, globale, qui corresponde au niveau d’une Ecole Supérieure. Il n’y avait, bien sûr, personne pour le défendre (elle montre son mari) et quand je me suis levée, j’ai dit cette phrase : " Chers collègues, vous êtes présents ici en grand nombre. Vous habitez tous dans ces territoires, vous y vivez, vous avez tous des enfants, vous élevez ces enfants, et vous aurez des petits enfants. En quoi donc la thématique de l’Institut ne vous convenait-elle pas ? Alors qu’elle étudiait et indiquait comment survivre dans ces conditions. " Ils ont répondu: " Galina Serguéievna, vous avez sans doute mal compris… mal compris, pourquoi la thématique n’est pas satisfaisante… simplement "… - c’est le nouveau recteur qui a parlé, - " simplement il faut une approche plus large, plus ample. La thématique était trop étroite. Je considère qu’elle n’est pas du niveau d’une Ecole Supérieure ". Voilà l’explication qui a été donnée. " Quant à vos récriminations, aux remarques que vous faites par rapport à vos enfants, à nos petits enfants… gardez-les pour vous. "
W.T. : - Des récriminations selon eux ?
G.B. : - J’ai dit : " Je regarde peut-être du côté des enfants, parce que je suis pédiatre. En premier lieu je défends l’enfance, ce qui concerne les enfants, et l’avenir de notre pays. Le premier souci doit être : que laisserez-vous à ces enfants ? ".
Mais chez nous on pense différemment. Le thème qu’on finance le mieux… - car notre thème n’a pas été financé…
W.T. : - Justement, comment avez-vous fait ?
G.B. : - Vous savez comment ? Nous nous sommes " enrichis ", c’est ce que la police veut faire croire.
Y.B. : - Il ne faut pas parler de ça…
G.B. : - Non, qu’on l’enregistre à mon compte. Nous nous serions " enrichis ", ici à Gomel. En quoi ? Le fait que nous soyons venus d’une zone propre ? Que nous ayons amené ici la famille ? Le fait que l’Etat nous ait donné cet appartement plus ou moins suffisant ? Où est notre richesse ? Le fait que nous souffrons de maladies chroniques ? Opération de la thyroide…
W.T. : - Vous même?
G.B. : - Oui. Et une autre opération également pour une tumeur gynécologique. (Dans un rire) : voilà toute la richesse que nous avons accumulée en dix ans !
D’autres disaient comme ça : " Il faut obtenir une bonne bourse, choisir un bon thème, qui sera financé, même s’il est nul. Mais comme c’est bien payé, nous allons y travailler. " Voilà l’orientation actuelle de notre institut : de bons financements. Le nouveau recteur - je ne veux en dire aucun mal, c’est peut-être un très brave homme, - mais il dit " Nous allons créer maintenant une banque de services… une banque de données. Nous les mettrons dans l’ordinateur, et elles pourront servir à quelqu’un ". Je dis : " comment cela ? ". " Eh bien, Galina Sergueievna, vous irez examiner une population d’enfants ". Je dis : " J’irai bien volontiers, la région de Vietka nous est assignée. J’irai, mais d’abord, donnez-moi les appareils pour les examiner. Je n’ai rien. Je n’ai pas d’ordinateur, pas même de papier pour les électrocardiogrammes. " " Eh bien, vous trouverez peut-être quelques commanditaires, et sinon, simplement à l’oreille vous écouterez les enfants ". Mais c’est justement ainsi que nous travaillons ici ! Nous n’avons pour travailler que nos mains et le stéthoscope.
Nous ne nous étions pas concertés avec le professeur Nesterenko, quand nous avons examiné la même région placée sous contrôle rigoureux… Lui est allé mesurer le césium dans l’école de Svietilovotchi, et nous, nous sommes allés ausculter les enfants. Mais à cause du manque de papier pour les électrocardiogrammes, nous avons sélectionné les enfants : nous écoutions l’enfant, quand le cœur était mauvais à l’oreille, s’il y avait des bruits , nous le notions. Quand ça allait plus ou moins bien, nous ne le notions pas. Et quand nous avons reporté sur nos fiches, les doses du professeur Nesterenko, il est apparu que nous avions choisi les enfants avec des doses très élevées. Ceux qui en avait peu avaient été écartés, et les doses élevées correspondaient aux 30 électrocardiogrammes que nous avions enregistrés. Et maintenant nous convoquons ces enfants pour un examen médical. Ce qui est très bien, étant donné que la pathologie cardiaque, - je le répète, - domine le tableau clinique. Le cœur des enfants est malade : il est assourdi. Les deux temps du cœur ne sont pas distincts, on entend des bruits. Ces fortes doses, ces altérations… Que pouvons-nous faire ? Constater et diagnostiquer la cardiopathie fonctionnelle. Nous définissons encore ces altérations comme fonctionnelles, mais comment aider ces enfants pour qu’elles ne deviennent pas organiques ? Ce problème n’inquiète personne.