Les escrocs du langage

L'énergie nucléaire a nécessité, pour éviter des problèmes de santé mentale dans la population de créer des mots nouveaux, de détourner des expressions trop dangereuses.
Quelques exemples :

Les déchets radioactifs sont devenus des « colis ». Il est vrai qu'ils sont expédiés aux générations futures. Les déchets sont caractérisés par leur volume et non pas par leur toxicité. Pour les nucléocrates réduire le volume des déchets est bénéfique alors que dans ce nouveau volume plus petit la toxicité sera plus grande donc plus dangereuse. Il ne peut pas y avoir d'explosion nucléaire dans un réacteur mais une simple « excursion nucléaire ». La catastrophe nucléaire n'existe pas dans les textes officiels il n'y a que des « urgences radiologiques ». Le mot « confinement » en cas « d'urgence » pourrait déclencher des problèmes respiratoires de suffocation, un expert en sécurité civile a proposé l'expression « mise à l'abri ». Démanteler un réacteur suggère beaucoup de travail, on préfère le « déconstruire ».

Lorsqu'on a appris que les scientifiques, les ingénieurs, les techniciens du centre d'études nucléaires de Saclay se débarrassaient de leurs déchets dans un terrain abandonné de Saint-Aubin juste au-dessus d'un centre aéré on l'a nommé « déposante » (terme inexistant dans les dictionnaires) alors qu'il s'agissait d'une décharge et même plus exactement d'un dépotoir.
Décontaminer un terrain laisse entendre que la contamination radioactive a été éliminée alors qu'elle a tout simplement changé de place.

Libération a un jour remplacé le terme « liquidateur » désignant les intervenants de Tchernobyl par le terme « réparateur », il est vrai qu'en fait les liquidateurs ne liquidaient rien (mais déplaçaient simplement la contamination) mais ne réparaient rien non plus.

Les effets du rayonnement aux doses faibles conduisent à des problèmes sanitaires dits « stochastiques » c'est-à-dire aléatoires, probables (cancers et effets génétiques). Ces effets sont différés, ils dépendent des individus et il est impossible de prédire exactement ces effets pour un individu particulier mais on peut les prédire avec une certaine précision pour un groupe d'individus pris dans leur ensemble comme quand on lance un dé un grand nombre de fois. Le terme stochastique utilisé dans les recommandations de 1990 de la Commission internationale de protection radiologique, (publication CIPR 60), a été traduit par nos experts par « incertain » dans un article de la « Recherche » de 1992 alors qu'il n'y a pas lieu de le traduire car le mot existe en français.

Le CEA publie chaque année un fascicule « Elecnuc, les centrales nucléaires dans le monde ». Dans son édition 2004 les réacteurs RBMK (comme ceux de Tchernobyl) de mauvaise réputation ont été rebaptisés LWGR (réacteurs à graphite et eau légère). Il reste encore14 de ces réacteurs en Russie.

Ce qui est plus curieux c'est que les sites nucléaires où il y a eu de gros accidents ont changé de nom : l'accident de Windscale de 1957 maintenant a eu lieu à Sellafied. Le désastre nucléaire dans l'Oural à Kychtym de 1957 a eu lieu à Tchéliabinsk. On parle aussi de Mayak. Il est probable que dans quelques années Tchernobyl aura changé de nom.

L'énergie nucléaire apporte des possibilités importantes aux linguistes en vue de tranquilliser les populations en évacuant certains mots inquiétants. Cependant si les pronucléaires veulent éviter les « problèmes de santé mentale dus à l'énergie nucléaire » ils feraient bien de sélectionner des linguistes plus compétents dans la magouille car remplacer RBMK par LWGR n'aura guère de conséquences.

R. B. mai 2006.