Le nucléaire à la recherche d'une opposition institutionnelle

Dans l'éditorial du Courrier International du 14 janvier 1999, Alexandre Adler, chef de la direction éditoriale, craignait que Cohn-Bendit " n'entraîne un rejet de masse des industries nucléaires ". c'était en janvier et ce nucléophile convaincu était sous le coup de gueule des Verts allemands, il craignait une contamination sur les Verts français. Il a dû certainement se rassurer assez vite. Mais un autre souci apparaît dans son article. Il écrit : " une industrie comme le nucléaire a besoin d'une forte opposition permanente pour être contrainte à développer les mesures adéquates de sécurité ". Il ajoute à la fin du texte " plusieurs Dominique Voynet peuvent contribuer à réfréner un nouveau choc pétrolier ", sous-entendant par là leur contribution à la prospérité du nucléaire.
Si on se reporte au rapport d'activité de 1998 de la Direction de la Sûreté des Installations Nucléaires (DSIN), il est clair que cette autorité en sûreté nucléaire se préoccupe énormément des problèmes de communication. Après avoir stigmatisé EDF et Cogéma, le directeur de la DSIN désire que ses collaborateurs communiquent mieux, ils devront subir des cours de communication. On aurait pu penser que s'il y a des problèmes de sûreté nucléaire, des cours de métallurgie (consacrés aux diverses façons dont peuvent se fissurer les matériaux) ou de radioprotection (sur les effets biologiques du rayonnement) pourraient, entre autres, être plus utiles. Faut-il suivre des cours pour dire tout simplement la vérité ? Cela paraît étrange. Par contre il faut un certain entraînement pour que les mensonges soient crédibles. Pourquoi faut-il être particulièrement crédible ? Mentir lors d'événements peu graves ne porte pas à conséquence si la population n'accepte pas le mensonge. Par contre, en cas d'accident grave la situation est toute différente. Il y a des risques de dérapage, ce que les experts en catastrophe dénomment des turbulences sociales. Bien sûr dans de telles situations on peut toujours attaquer et neutraliser les turbulents mais cela serait un sale coup porté aux simulacres démocratiques de notre société. Si on arrive à calmer la fureur de la population qui suivrait une catastrophe nucléaire en la bernant d'une façon crédible sur les conséquences, alors le virtuel démocratique pourrait continuer.
L'électronucléarisation s'est faite dans un tissu de mensonges avec l'accord, voire la complicité, des différents corps intermédiaires : du corps médical (sauf quelques médecins complètement isolés), des médias, des syndicats (à l'exception de quelques uns et des réticences de la CFDT qui n'ont pas duré), du corps des scientifiques (mis à part une poignée d'entre eux) et la bénédiction de l'académie des sciences, d'associations diverses etc. Le mensonge ne prend plus, la population est inquiète et cela n'est pas rassurant pour les responsables qui pensent qu'ils pourraient avoir à gérer des situations graves, voire, catastrophiques.
La solution urgente évidemment pour ces responsables est de changer le discours. Distiller quelques vérités, se montrer fermes (médiatiquement évidemment) lors d'événements assez mineurs qu'on élève au rang d'événements graves, cela peut déranger l'establishment nucléaire mais ce n'est pas trop dramatique si en retour ils gagnent en crédibilité. C'est en somme un bon investissement pour le futur. Mais ce volet de ce qu'on appelle " transparence " n'est pas suffisant. La gestion douce d'une catastrophe nucléaire ne peut se faire sans l'aide d'une opposition institutionnalisée. L'expression peut paraître curieuse car, par définition, toute activité institutionnalisée ne peut s'opposer à l'institution. Cette forte opposition est nécessaire au fonctionnement de l'institution ne serait-ce que pour en pointer les dérives et carences les plus criantes, mais elle doit s'intégrer harmonieusement dans le cadre institutionnel.

Les autorités de sûreté nucléaire avancent leurs pions de la transparence pour renforcer l'opposition nucléaire en lui rognant les ailes, en l'institutionnalisant. Quelques exemples :

1) Le Conseil Supérieur de la Sûreté et de l'Information Nucléaire s'est vu renforcé par l'injection de nouveaux membres : un représentant du Forum Plutonium, un responsable de l'ACRO, un membre de la SEPANSO, (protection de la nature), plusieurs directeurs de recherche au CNRS, un paquet de journalistes. Cet organisme, au départ Conseil supérieur de la sûreté nucléaire, risque fort de n'être qu'un conseil supérieur de l'information nucléaire. Il faut communiquer mais il faut bien avoir en tête ce que nous dit le dictionnaire : un des sens du mot " communication " est " contagion ".
2) Les autorités de sûreté ont organisé il y a quelques mois une réunion ouverte aux opposants où des opposants notoires (Robin des Bois, Wise) étaient conviés à s'asseoir à des tables rondes à " égalité " avec les responsables ce qui peut défouler certains en leur donnant le droit à la parole. Cela a déchaîné un participant pronucléaire de la salle renforçant l'impression de transparence que les autorités de sûreté veulent donner. Ce qui nous importe c'est le droit à la décision. Ce genre de " show " n'a aucun impact sur l'évolution des fissures dans les tuyauteries des circuits des réacteurs, ni sur les incidents et dysfonctionnements de plus en plus nombreux, ni sur le non respect des normes de sûreté avalisé par les autorités de sûreté comme on l'a vu lors du redémarrage de Belleville alors que l'enceinte n'était pas conforme.
3) On voit se multiplier les audits ouverts démocratiquement à la contestation. Cela permet de la rendre polie et de l'utiliser c'est à dire de l'institutionnaliser pour assurer la permanence du nucléaire. A quoi peuvent servir les audits sur les déchets nucléaires quand il est évident qu'on ne peut les anéantir et qu'il est bien trop tard pour qu'ils n'aient pas été produits ? A quoi peut servir un audit sur les normes de radioprotection quand on sait que pour l'essentiel elles sont déjà fixées ? Que localement les responsables ont connaissance des niveaux d'intervention fixés pour la gestion des accidents nucléaires majeurs. Spectacle pour assurer le simulacre de démocratie dont ont besoin les responsables.

Cette institutionnalisation de l'opposition nucléaire pourrait bien signifier la fin de l'antinucléaire mais cela ne suffira peut être pas à calmer les turbulents si des événements graves se produisaient.

R. Belbéoch, 21 octobre 1999