Les pieds dans le plat
Bulletin d'information de la section syndicale FORCE OUVRIÈRE de l'UTO n°33, juillet 97.

Nucléaire: sans foi, ni loi!

C'est ainsi qu'aurait pu s'intituler "La Marche du Siècle" du 18 juin 1997, même si elle n'a pas épuisé le sujet.

Claude SERILLON avait également été contacté. Mais il n'a pas été sensible à la cause des 25 000 nomades du nucléaire et aux conséquences du management pervers d'EDF sur la Sûreté. Questionné sur la suppression de ce "C'est à suivre", lors de la séance du CMP du 31 janvier 1997, Monsieur HULLIN, Directeur des ressources humaines de la DEPT-EDF, répondit qu'il n'était pas question de cautionner une émission au cours de laquelle des propos partiaux seraient tenus à l'encontre d'EDF. Autrement dit, ceux qui ne sont pas d'accord avec la Direction d'EDF, n'ont pas le droit d'expression.

Jean-Marie CAVADA et son équipe ont relevé le défi. C'est tout à leur honneur, d'avoir accepté de faire une émission sur le nucléaire, domaine tabou sur lequel le Corps des Mines a mis une chape de plomb et que les parlementaires de tout poil ont fui jusqu'ici. Remercions J.M. CAVADA, malgré les critiques qui peuvent être formulées sur la préparation de l'émission et sur le direct. En effet, cette première sur la face cachée du nucléaire a le mérite d'exister. Non seulement elle peut donner l'envie à d'autres de s'intéresser au sujet (il y a d'autres désordres profonds à dénoncer et des propositions à formuler), mais elle ne laissera pas les responsables indifférents. En tout cas, ils ont matière à déclencher une enquête. Celle-ci peut permettre d'éviter une catastrophe à laquelle nous emmenaient tout droit les "magiciens" nucléocrates. Dans l'hypothèse où ni CHIRAC, ni JOSPIN, ni VOYNET, ne donneraient suite, la vidéo de l'émission est à conserver et à classer parmi les précurseurs de crises majeures dans l'électronucléaire français.

 

NUCLÉAIRE: LA POLITIQUE DE L'AUTRUCHE!

La direction d'EDF a menti! Elle a connaissance de nombreux dysfonctionnements liés à la sous-traitance et à sa politique productiviste !

- Les tracts syndicaux en relatent fréquemment. Ces tracts sont soigneusement collectés, puis analysés, par les antennes sociales de la Direction.

- Des courriers spécifiques ont été adressés à tous les niveaux de l'entreprise. Le plus souvent ils sont restés sans réponse ! Quand il y en a eu, elles étaient hors sujet !

- Si EDF a pris l'initiative de signer une charte de progrès avec les entreprises sous-traitantes, c'est dans le but d'enrayer l'idée d'une convention collective des sous-traitants du nucléaire. Cette revendication trouve son origine dans le refus des travailleurs d'un retour à l'esclavagisme (voir par exemple la récente incorporation de travailleurs clandestins dans une équipe de maintenance nucléaire). Mais la Direction a préféré signer une charte (un papier qui n'a aucune valeur juridique et que personne n'est obligé de respecter) avec les "manitous" des sous-traitants, plutôt que de négocier une convention collective avec les représentants du personnel.

- Depuis que la Direction d'EDF a décidé de décupler la sous-traitance (1990), plus d'une centaine d'articles ont été publiés dans les quotidiens nationaux et régionaux, sur les nomades, les négriers qui les exploitent, la vulnérabilité des intérimaires et les possibles conséquences sur la sûreté. Un recueil en sera fait prochainement.

- La Direction d'EDF n'ignore pas que le Sénat a été saisi en 1994, par Marie-Claude Beaudeau, sénatrice du val d'Oise. EDF a d'ailleurs participé à l'élaboration de la réponse de Gérard LONGUET alors Ministre de l'industrie. Questions et réponses figurent au J.O., ça peut servir un jour !

- EDF, "état dans l'état", s'assoit d'autre part sur les nombreux procès verbaux des Inspecteurs du Travail (notamment dépassements de la durée du travail) et sur les lettres de la DSIN réclamant par exemple une assurance de la sécurité et une meilleure prise en compte des facteurs humains. L'administration est conciliante avec EDF. Est-ce parce que les 2 entités ont les mêmes tutelles ? Est-ce parce qu'elles sont sous l'influence du Corps des Mines ?

- La Direction a, elle-même, porté plainte en justice pour des actes liés de près ou de loin à la sous-traitance, tels que fraudes sur des contrôles de matériels important pour la sûreté, sabotages, malversations financières...

 

LE MANAGEMENT PAR L'EXEMPLE

L'explication de cette attitude, c'est que la Direction est affectée de cécité sélective, comme Gérard TARALL a eu l'occasion de l'écrire au Président Edmond ALPHANDERY, en insistant sur l'existence de carences éthiques graves. Responsable au plus haut niveau de l'entreprise, de la sûreté nucléaire et du dialogue social, celui n'a pas répondu.

C'est d'ailleurs devenu un système de gouvernement : quand EDF ne veut pas traiter un problème, sa stratégie consiste à en nier l'existence (c'est l'une des caractéristiques des régimes fascistes!).

Le 15 mars 1995, le Conseil Supérieur Consultatif des CMP (Comité Central d'Entreprise) avait organisé un colloque national sur la maintenance et la sous-traitance nucléaire. La Direction d'EDF a refusé de venir débattre avec des délégués de toutes les entités nucléaires, et avec des représentants de la DSIN, de l'INSERM, du CEA... Cette journée a été vidéofilmée par l'IFOREP !

Refus de dialogue sur des questions concernant la sûreté et la santé, mensonge public dans un domaine comportant des risques majeurs, prise de décisions en lieu et place du Parlement, constituent des fautes graves. Seront-elles sanctionnées ? La rentrée de septembre nous permettra de savoir si le 1er Ministre fait le poids par rapport au lobby nucléaire.

 

NUCLÉAIRE: LA DICTATURE DU LOBBY

De l'aveu même de Jean-Marie CAVADA (exprimé pendant et après le direct), les pressions sur l'équipe de journalistes ont été considérables. Le rapprochement avec les pratiques des sectes a été fait. Nos collègues de la CGT parlent, dans un document intitulé "j'accuse" de "méthodes de barbouzes".

Étant donné les engagements de Lionel JOSPIN sur la nécessité d'un moratoire et le rétablissement de la morale civique, ce serait très inquiétant qu'une poignée de technocrates puisse continuer de faire la loi dans une entreprise publique, et maintienne le cap sur le "tout nucléaire", au détriment du Service Publie, de la sûreté et avec un coût humain insupportable.

EDF fait de la publicité (beaucoup d'argent qui pourrait être mieux utilisé) pour faire croire qu'elle défend l'intérêt des consommateurs. Dans les faits, les consommateurs et les citoyens sont soumis à la désinformation orchestrée par le lobby, alors que ce sont eux qui paient la publicité. Ils ne sont pas informés contradictoirement, ni appelés à s'exprimer démocratiquement et ce sont les technocrates qui continuent à décider seuls. Les parlementaires sont, en effet, soigneusement tenus en dehors du débat.

 

RESPONSABLE, MAIS PAS COUPABLE?

Le Directeur Général d'EDF, Pierre DAURES, était-il favorable à la tenue de cette émission, ou y était-il hostile ?

Dans cette seconde hypothèse, on ne voit pas comment Lionel JOSPIN, qui a pris des engagements, (cf. campagne électorale et discours de politique générale du 1er Ministre), pourrait appeler un homme opposé à la transparence, à la succession d'Edmond ALPHANDERY, succession qui semble ouverte.

Dans le cas où il était favorable au débat, les "méthodes de barbouzes" étaient alors des initiatives de la hiérarchie subalterne. Mais une Direction Générale qui tolère que ses subordonnés puissent mettre impunément en cause l'image d'EDF, en attentant au droit d'expression (malgré le risque nucléaire), est-elle vraiment à la hauteur ?

 

RETOUR SUR LE DIRECT

- De cette émission, il restera d'abord un reportage vidéo bien fait sur la vie des intermittents du nucléaire. C'est remarquable car si les anomalies sont fréquentes, les travailleurs qui acceptent de témoigner sont rares en raison des menaces de licenciement qu'ils subissent et des exemples réels qu'ils ont en mémoire.

- En revanche, ceux qui sont de la partie, ont pu trouver le débat décevant.

- Est-ce EDF qui a imposé 5 intervenants coté "pouvoir", contre 3 seulement coté contre-pouvoir ?

- Est-ce la raison qui a rendu le contre-pouvoir peu offensif? Nous ne développerons pas, dans le présent bulletin, les scandales qui, a minima, auraient dû être évoqués. Ils sont nombreux et l'on peut leur consacrer un livre et plusieurs émissions (avis aux amateurs).

- Pourquoi le contre-pouvoir est-il intervenu sur ce plateau, sans s'entourer de compétences notamment dans le domaine de la sûreté ? Pourquoi n'y avait-il pas de représentants d'autres organisations syndicales et d'associations de défense des citoyens et des consommateurs ?

- Le docteur BAILLEUL, médecin du travail imposé, la veille de l'émission, par la Direction d'EDF, aura sans nul doute une promotion rapide. Cela arrangera bien ses affaires car son crédit auprès du personnel de TRICASTIN, a dû en prendre un sérieux coup.

- Jo DAIRIN, représentant le GIIN, est si unique en son genre, qu'EDF a fait spécialement affréter un hélicoptère pour aller le quérir (quand on aime, on ne compte pas! )

- Laurent STRICKER, s'est engagé devant des millions de français: il traitera "personnellement" les cas qui lui seront soumis. Malheureusement, il ne pourra pas tenir ses promesses, puisque la Direction a déjà annoncé qu'il allait quitter le secteur nucléaire pour prendre en charge le pôle classique. D'ailleurs, tant que le gouvernement n'aura pas nommé une Direction qui soit digne de la confiance du personnel, il vaut mieux envoyer les anomalies dont vous avez connaissance, aux "canards" et aux "Politiques". C'est plus efficace et c'est moins risqué pour les individus car les carences éthiques sont toujours là!

En parlant de carences éthiques, pour les détails sur le "savon" passé par J.M. CAVADA aux dirigeants d'EDF présents au pot traditionnel qui suit l'émission, lire "Le Canard Enchaîné" du 2 juillet.

- Le "gendarme du nucléaire", André-Claude LACOSTE a parlé avec précaution. On ne peut pas vraiment lui reprocher d'avoir menti, sauf probablement par omission et par ignorance. Il a raison de prêcher pour une centralisation et une meilleure organisation de tout ce qui concerne le contrôle externe du nucléaire. Mais ce n'est pas suffisant pour en garantir l'efficacité et la fiabilité : il faut en plus couper les liens avec le lobby dont les intérêts ne se confondent pas avec ceux du Service Public.

- Claude BIRRAUX, député et rapporteur de l'Office Parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, a dénoncé la faillite de l'État. En revanche, pour la question de la sûreté nucléaire, l'Office Parlementaire apparaît de moins en moins utile : il n'est pas indépendant et ne va pas au fond des choses (il faut plus de courage pour dénoncer les failles du management d'EDF que pour dénoncer la faillite de l'État).

 

REFUSER UNE SOCIÉTÉ DÉCADENTE!

Cette émission illustre à sa façon, les limites de la société de consommation que nous ont imposée nos élites.

Entre : les industriels qui trichent, les dirigeants qui provoquent, les Hauts Fonctionnaires qui copinent, les parlementaires qui se défilent, la justice qui se complaît dans le manque de moyens, et les Gouvernements qui tergiversent, il est clair que notre société n'a pas la maturité nécessaire pour assurer la maîtrise des systèmes complexes, et a fortiori la gestion de situations dégradées résultant de la déstructuration sociale provoquée par la "secte" néo-libérale.

Même si Dominique VOYNET gagne la partie qu'elle a, paraît-il, engagée pour rendre le contrôle du secteur nucléaire indépendant du lobby, elle ne devra pas s'en contenter. Il lui faudra en plus rétablir la cohésion du corps social et mettre de l'ordre dans la maison EDF. Dominique LA VERTE et Lionel LE JUSTE, laisseront-ils en poste les cadres supérieurs, ayant largement dépassé l'âge de la retraite et disposant de revenus plus que confortables.

Parmi eux se trouvent beaucoup d'adeptes des thèses néo-libérales. Ils ont le cynisme d'exercer des pressions sur les salariés ayant de faibles revenus, pour qu'ils "choisissent" les 32 H avec pertes de salaires. Ils continuent de déstabiliser le corps social et d'accroître la précarité et les inégalités, (sans parler des autres politiques néfastes au Service Public).

 

ET DEMAIN?

Si le gouvernement ne prenait pas rapidement ses responsabilités, des crises accidentelles et/ou médiatiques frapperaient le nucléaire civil. Ce serait désastreux pour la France (population et économie) ainsi que pour EDF (travailleurs et entreprise).

 

A QUI PROFITE LE CRIME?

Il n'y a pas de loi concernant le secteur nucléaire, dans le pays qui arrive au deuxième rang des pays les plus nucléarisés de la planète, et au 1er rang pour le pourcentage d'électricité d'origine nucléaire et au 1er rang pour le pourcentage d'électricité d'origine nucléaire (75%) !.

La Gazette Nucléaire n°159/160, novembre 1997.