Sinistres messagers du destin sur les tombeaux de déchets nucléaires

Le Ministère de l'Energie (DOE) reçoit de temps en temps des conseils exotiques alors qu'il se prépare à créer un dépôt de déchets nucléaires de haute activité qui devrait durer des milliers d'années.

Il avait demandé au Batelle Memorial Institute de proposer des moyens qui permettraient de mettre le public en garde et de l'éloigner d'une telle installation pendant des siècles, dans le cas où toutes les archives auraient été détruites, où barrières et signes auraient totalement disparu et où la langue anglaise elle-même aurait muté en de nouvelles formes étrangères.

Une proposition pour le projet du Batelle vint d'un anthropologue de l'University d'Indiana, Thomas Sebeok. Il suggérait d'utiliser le "phénomène Toutankhamon". Il consiste à inventer des mythes d'esprit du mal, dans la filiation de "la malédiction des pharaons", afin de tenir à distance les intrus. Ces histoires, dit-il, pourraient se perpétuer par un "clergé atomique" de savants et d'érudits dont le renouvellement se ferait par cooptation quand les vieux membres viendraient à mourir.

Sebeok s'est plaint que son idée a été déformée par certains journalistes qui s'en sont inspirés pour en faire une divertissante plaisanterie. Il ajoute qu'elle était présentée en complément de ses deux principaux projets. Le premier consiste à inscrire des messages redondants sur l'emplacement du dépôt avec une démarche iconique (une suite picturale), établissant un catalogue de démonstrations physiques dans un langage symbolique. L'autre proposition consiste en un "système de relais" par lequel le site serait inspecté, peut-être chaque siècle, et les messages remis à jour dans le langage courant. Les mythes des esprits du mal serviraient pour ceux qui ne sauraient pas lire.

Les propositions de Sebeok correspondent bien aux plans du DOE qui prévoient d'ériger des monuments massifs en pierre à l'emplacement des dépôts, peut-être même des "pyramides miniatures" qui porteraient des messages gravés avertissant les passants par des pictogrammes et des symboles, de ne pas creuser dans la région. Des agents du ministère recherchent partout dans le monde des symboles écrits qui ont passé le test des millénaires. "Il n'y a pas beaucoup de gens qui ont étudié ce genre de communication avec les générations futures", indique Stanley Goldsmith du Batelle.

La communication avec les humanoïdes futurs n'est qu'une toute petite partie des préparatifs en cours pour la réalisation de ce premier cimetière de déchets de haute activité. Le Ministère de l'Energie signale que 2 à 3 000 scientifiques, ingénieurs et spécialistes des sciences sociales, effectuent des études exploratoires pour l'établissement des cahiers des charges pour les neuf sites considérés. On espère qu'un site sera sélectionné en 1992 et prêt à fonctionner en 1998.

Constance Holden,
Science, août 1984.