Le samedi 2 et dimanche 3 octobre 1999

L'accident nippon dû à un bricolage

Le gouvernement va revoir la sûreté nucléaire.

Par FREDERIQUE AMAOUA

Le Japon, client précieux pour la France «L'autre pays du nucléaire»... C'est ainsi que les promoteurs de l'électronucléaire français parlent du Japon. Non sans raison. Avec plus de 36 % de sa production d'électricité d'origine nucléaire, le pays du Soleil-Levant est également celui dont la politique officielle prévoit la poursuite à long terme du choix nucléaire. Le Japon compte aujourd'hui 51 réacteurs (dont 23 à eau pressurisée et 28 à eau bouillante) et un réacteur à neutrons rapides (type Superphénix) pour 43,2 Gigawatts de puissance installée. Un réacteur est en construction, quatre sont en commande. Les autorités et les compagnies privées (la Tepco, Kansai et Chubu) prévoient d'augmenter la puissance installée à 65 GW en 2015. Le Japon a, comme la France, fait le choix du retraitement du combustible pour en extraire le plutonium et alimenter ses réacteurs avec du combustible MOX (mixte uranium/ plutonium). Une usine du type de celle de La Hague est ainsi en construction, Rokkashomura, mais ne devrait pas entrer en service avant 2005. Les capacités japonaises en retraitement (une petite usine à Tokai-mura) et en fabrication de combustibles sont nettement inférieures à ses besoins, ce qui en fait un client précieux pour la Cogema. S.H.

Tokyo de notre correspondante

Calfeutrées chez elles, 300 000 personnes ont vécu vingt heures d'angoisse, après l'accident survenu jeudi matin dans l'usine de fabrication de combustibles nucléaires de Tokai-mura. Dès que le gouvernement a levé l'alerte, des milliers d'habitants se sont rués dans les centres de secours pour subir des examens de radioactivité. Ceux-ci n'ont révélé apparemment aucun cas de contamination. Les magasins ont aussi été pris d'assaut par des habitants assoiffés qui n'avaient pas de réserve d'eau potable chez eux au moment de l'alerte.

Valves endommagées.

Des équipes de spécialistes en tenue de protection ont travaillé toute la nuit pour stopper la réaction nucléaire incontrôlée. Ils n'y sont parvenus que vers 6 heures vendredi matin, soit une vingtaine d'heures après l'accident. Ils ont dû vider le système de refroidissement de la cuve contenant le mélange radioactif, car la présence de l'eau favorisait la réaction de fission. Ils n'y sont parvenus qu'en brisant un tuyau car les valves de sécurité avaient été endommagées.

Seau en étain.

L'accident aurait été provoqué par une incroyable succession d'erreurs humaines. Loin de rassurer, le détail des faits fourni hier vendredi par les dirigeants de JCO, la société propriétaire de l'usine, une filiale du groupe Sumitomo Metal Mining, fait froid dans le dos. L'usine transforme de l'hexafluorure d'uranium en sel d'uranium qui est ensuite utilisé pour fabriquer du combustible. Ce processus est en principe réalisé en trois étapes: dissolution de l'hexafluorure d'uranium dans une première cuve, puis pompage du mélange dans une deuxième, enfin transfert de la solution dans une cuve de décantation.

Les responsables de JCO ont affirmé hier que les trois employés irradiés, dont deux sont dans un état critique, auraient en réalité effectué directement le mélange non pas dans une cuve mais dans un simple seau en étain, puis transvasé le tout, à la main, dans le bac de décantation. Pour ne rien arranger, ils ont réalisé l'opération avec des quantités beaucoup trop importantes d'uranium, d'où la réaction de «criticité». Ce dépassement de masse critique - 16 kg d'uranium enrichi au lieu du seuil autorisé de 2,3 kg - a provoqué une réaction nucléaire de quelques heures, sans explosion mais avec émission de rayons dangereux à proximité immédiate du site.

Défaut de contrôle.

«Il y a eu violation des procédures élémentaires», a souligné hier le responsable de JCO lors d'une conférence de presse. «Il est possible que les employés aient voulu accélérer le processus», a-t-il ajouté très sérieusement.

Pour Jinzaburo Takagi, ancien président du Centre d'information nucléaire des citoyens, l'accident «montre que des accidents majeurs peuvent arriver y compris dans des installations réputées moins dangereuses que les réacteurs nucléaires».

A la différence de Tchernobyl, l'usine de Tokai-mura n'est en effet pas une centrale nucléaire mais une unité de taille relativement modeste où ne sont produites que de faibles quantités d'uranium enrichi. Celles-ci sont destinées à des réacteurs à eaux légères mais aussi au réacteur de recherche Joyo. Classé au niveau 4 sur l'échelle Ines (échelle internationale des événements nucléaires), l'accident n'en est pas moins le plus grave survenu dans l'histoire du programme nucléaire japonais. Cette catastrophe soulève naturellement des questions sur le respect des procédures de sécurité au Japon. «En principe, tout doit être prévu dans une installation de ce genre pour qu'un tel accident causé par une réaction en chaîne ne puisse absolument jamais se produire», explique Ikuro Anzai, professeur à l'université de Kyoto, spécialiste de l'énergie nucléaire et de la protection des radiations. «Permettre l'insertion d'un volume de matériaux nucléaires largement supérieur au seuil critique, ajoute-t-il, montre également un défaut majeur dans les procédures d'inspection.»

Révision des règles.

L'accident a fortement ébranlé la confiance du public dans les installations nucléaires. Selon un sondage réalisé en août, 68 % de la population se disait inquiète à propos de la sécurité dans les centrales. «Si une erreur d'un employé peut provoquer un accident aussi sérieux, c'est l'ensemble du dispositif de sécurité qui doit être revu», écrivait hier le journal Asahi. Le gouvernement japonais a réagi en annonçant qu'il allait engager une révision des règles de sécurité nucléaire portant sur l'ensemble des installations existantes, y compris les 51 réacteurs en fonctionnement.