Les scandaleuses perles de Morris Rosen,
Directeur de la Division de la Sûreté nucléaire à l'Agence Internationale de l'Energie Atomique (AIEA) de Vienne

     Les 8 et 9 janvier 1987 a eu lieu à Paris une audition parlementaire du Conseil de l'Europe sur les accidents nucléaires: protection de la population et de son environnement. Nous avons déjà indiqué la similitude des points de vue exprimés lors de cette audition par l'américain M. Morris Rosen et par M. Boris Semenov, Vice-Président du Comité National soviétique de I'Energie atomique:

M. M. Rosen: «Le nucléaire est le moyen le plus sûr de produire de l'électricité et que s'il fallait le remplacer les dangers seraient pires».

M. B. Semenov: «Les importants dommages dus à Tchernobyl sont comparables à d'autres catastrophes; si l'on remplaçait le nucléaire par une autre énergie, les risques augmenteraient sensiblement».


     Monsieur Rosen, au cours de la discussion, introduit un subtil distinguo entre les concepts «tolérable» et «acceptable». Avec lui l'inacceptable devient tolérable! «Les accidents comme Tchernobyl sont inacceptables mais les risques, comparés à ceux d'autres moyens de production d'énergie peuvent être tolérables pour la société». Il poursuit avec: «Un accident nucléaire grave n'est pas impossible mais il est très improbable. L'accident de Tchernobyl n'est pas acceptable, mais comparé à ceux que comportent d'autres sources d'énergie les risques qu'un tel accident se produise pourraient être tolérables».
     Il développe une argumentation particulièrement dangereuse qui bien souvent dans l'histoire a fait souffrir les individus au nom d'un impératif collectif supérieur: «Un accident nucléaire n'est certainement pas tolérable pour l'individu mais pourrait être tolérable pour la société».
     Le responsable de la sûreté nucléaire à l'AIEA tient à relativisar (pour lui cela revient à réduire à trois fois rien) la catastrophe de Tchernobyl: «... Il est essentiel de relativiser les dangers de l'énergie nucléaire. Il n'a pas craint lui-même de séjourner à Kiev trois jours après l'accident de Tchernobyl. Malgré un rayonnement ambiant cent fois supérieur à la normale - équivalent au double du rayonnement naturel pendant un an - le risque était pratiquement nul. De même, si un accident nucléaire se produisait en Europe, les conséquences seraient moins dramatiques que prévu».
     Peut-être est-ce là une critique très ferme de la panique qui s'est emparée des responsables soviétiques qui ont décidé l'évacuation rapide des enfants de Kiev. Peut-être exige-t-il que les soviétiques renvoient de force les 135 000 évacués de la région de Tchernobyl dans leurs foyers contaminés d'une façon «inacceptable» mais parfaitement «tolérable» pour M. Rosen ? «Inutile de dire qu'il y a au des mouvements divers dans l'assemblée... nous extrairons le propos de Mme Bakke (membre du Comité de l'Environnement au parlement Norvégien). Se référant à la déclaration de M. Rosen par laquelle il avait fait observer que «la vie est de toute façon dangereuse».
     Voici la façon dont le compte rendu de séance rapporte l'intervention de Mme Bakke «Certes, la mort est le terme certain de la vie des individus. Néanmoins, de tels propos ne conviennent pas pour parler de la destruction éventuelle de l'humanité. Elle avait auparavant grande confiance dans l'aptitude de l'industrie à prévenir les accidents nucléaires. il lui paraît donc particulièrement regrettable que M. Rosen ait déclaré qu'un futur accident de l'ampleur de Tchernobyl était inacceptable mais non intolérable pour la société. En d'autres termes, M. Rosen estime-t-i1 qu'un accident tous les cent ans n'est pas «intolérable» ou est-ce tous les trois ans? L'attitude que reflètent ces citations risque d'aggraver la crise de confiance déjà grave entre les hommes politiques et le public d'une part et les experts nucléaires de l'autre. Il faut faire en sorte qu'un accident comme Tchernobyl ne puisse plus jamais se produire. On pourrait pour cela, en dehors de normes de sûreté élevées, imposer par avance des règles imposant des indemnisations si lourdes au niveau international que les pays considéreraient comme un moindre mal de prendre les mesures de sûreté nécessaires»...
     Enfin quelques passages des interventions de M. Rosen qui montrent bien les conceptions en matière de sûreté nucléaire de ce haut «responsable» international:
     «Tchernobyl a déjà illustré ce qui pouvait se produire dans les pires conditions et la population soviétique a survécu. Quant au Japon, ce pays a l'un des programmes nucléaires les plus ambitieux au monde, en dépit des deux bombes atomiques qui ont été lachées sur lui pendant la guerre».

     Ainsi l'accident nucléaire ne serait intolérable que s'il conduisait à la destruction totale et définitive d'une région ! Soyons assurés qu'avec un tel responsable l'Agence de Vienne ne gênera guère ceux pour qui la sûreté est une condition secondaire, voire accessoire de l'industrie nucléaire.

Extrait de la Gazette Nucléaire n° 84/85, janvier 1988.