La radiotoxicité de l'uranium 238 et de ses composés
est systématiquement ignorée

Qu’il s’agisse des poussières d’oxyde d’uranium appauvri dues à l’emploi massif d’obus perforants au Kosovo (et auparavant en Irak), de l’oxyde d’uranium appauvri stocké en Limousin à Bessines, certaines notions liées à la radioactivité sont à préciser afin de permettre de comprendre leur nocivité.

Question : l’uranium n’est-il qu’un émetteur alpha ?

Réponse : oui, quand il est pur

Question : l’uranium peut-il exister à l’état pur ?

Réponse : oui, mais pas longtemps et il sera alors contaminé par des radioéléments émetteurs bêta, gamma. On doit tenir compte de ces radioéléments dans le calcul de l’activité totale qui est augmentée.

Ceci est vrai quelle que soit la forme chimique de l’uranium, qu’il s’agisse d’uranium métal ou de tout autre composé (oxydes, fluorures etc.).


 

Activité de l’uranium 238 (U238)

Il est émetteur alpha avec une période ou demi-vie de 4,5 milliards d’années (la période ou demi-vie d’un radioélément est le temps au bout duquel la moitié des noyaux se sont désintégrés). Sur les durées qui nous concernent, de quelques mois à quelques siècles on peut considérer que sa radioactivité ne change pas notablement la quantité d’uranium prise en compte, donc que son activité (mesurée en becquerels, c’est à dire en nombre de désintégrations par seconde) restera constante.

 

Le thorium 234 (Th234)

La désintégration de U238 donne du thorium 234 (Th234), radioélément dont la période est de 24 jours. Après un raffinage total donnant de l’uranium 238 pur au départ, il va se former au fur et à mesure du Th 234 et l’activité de ce Th234 présent dans l’échantillon sera, au bout de 5 périodes (120 jours), égale à 3% près à celle de l’U238 géniteur. Le nombre de becquerels de Th 234 est alors très voisin du nombre de becquerels de U238. (Annexe 2). Au bout d’un temps plus long encore, le nombre de désintégrations de Th234 sera quasiment égal au nombre de désintégrations de U238. On dira que le descendant Th234 est en équilibre radioactif avec son géniteur U238.

 

Le Protactinium 234

Le Th 234 est radioactif et se désintègre en protactinium 234 (Pa234), lui-même radioactif avec une période de 1,4 minutes. Ce Pa234 se concentrera dans l’échantillon avec quasiment la même vitesse que son ascendant le Th234 mais avec quelques minutes de retard. Il contribuera à l’activité radioactive totale d’une façon égale à celle de Th234 et quasi égale à celle de son grand-géniteur, l’uranium 238.

 

Th234 et Pa234 sont des émetteurs bêta, gamma

Ainsi, il est impossible d’avoir, même pendant des temps assez courts, de l’uranium 238 pur, c’est à dire qui ne serait qu’émetteur alpha. Les deux descendants Th234 et Pa234 sont des émetteurs bêta, gamma. Si on a affaire à un stock d’uranium il présentera toujours, en même temps que sa radioactivité alpha, une radioactivité bêta-gamma, produisant un débit de dose de rayonnement externe important loin de la source.

Le descendant du protactinium 234 est l’uranium 234 émetteur alpha de période 250 000 ans. Si on part d’U238 pur le 234 ne sera quasiment en équilibre qu’après plus d’un million d’années. (C’est le cas d’un uranium naturel non trafiqué, disons ni enrichi, ni appauvri). De plus tous ses descendants jusqu’au plomb 214 sont des émetteurs alpha. Il n’y a donc pas de production de rayonnement gamma à partir de U234 et ses descendants.

Remarquons que dans l’uranium naturel qui contient les 3 isotopes : 238 (majoritaire), 235 et 234, seuls U238 et U235 sont des " têtes de série ", à l’origine de deux chaînes de désintégrations conduisant à des isotopes stables de plomb (Pb206 et Pb207).

 

L’activité de l’uranium 238 est à multiplier par 3 : Puisque nous avons vu que très rapidement l’uranium 238 est en quasi équilibre avec ses deux descendants à vie courte Th234 et Pa234, l’activité de U238 n’est pas égale à celle de U238 seul mais doit être multipliée par un facteur voisin de 3. Ceci est valable pour tout matériau renfermant U238.

 

Activité de l’uranium 235 (U235)

Le descendant de l’uranium 235 est, par émission alpha, le thorium 231 (Th231). Ce dernier se désintègre par émission bêta gamma avec une période de 26 heures. Il sera donc très rapidement en équilibre radioactif avec son géniteur. Le descendant suivant est émetteur alpha avec une période assez longue (30 000 ans) pour qu’on puisse le négliger.

On doit donc multiplier l’activité de U235 par un facteur 2 pour tenir compte de son descendant avec qui il est en équilibre.

 

Conclusion : ainsi, peu de temps après sa préparation, l’uranium naturel, (puis enrichi ou appauvri en U235), renferme, outre U238, U235, U234, trois autres radioéléments : Th234 et Pa 234 en quasi équilibre avec U238, et Th231 en équilibre avec U235. Ceci est valable quel que soit le composé chimique de l’uranium, à l’état massif ou en poudre, qu’il s’agisse d’un stockage d’oxyde d’uranium appauvri comme à Bessines ou de poussières d’oxydes d’uranium comme celles qui sont formées et dispersées après impact sur la cible d’obus perforants à uranium appauvri.  

 

La présence de l’uranium 236

Cet isotope n’existe pas à l’état naturel. Il provient de l’activation de l’isotope 235 dans un réacteur nucléaire. On le trouvera donc dans l’uranium de retraitement des combustibles usés, à la fois militaires et civils (et dans tous les composés qui en seront issus). On le trouvera aussi dans l’uranium enrichi obtenu à partir de cet uranium de retraitement et dans l’uranium appauvri qui en résulte.

Ce qui est généralement ignoré c’est que des normes commerciales sont en vigueur, basées sur le code américain ASTM (American Society for Testing and Materials). On peut supposer que ces normes s’appliquent aux " dérivés " de l’uranium appauvri que sont les flèches perforantes des obus américains... Mais ce qui est certain c’est que ce sont celles qui sont adoptées en France par la COGEMA ainsi que le spécifie un document du dossier COGEMA obtenu après l’enquête publique lors du projet de stockage de 265 000 tonnes d’oxyde d’uranium appauvri U3O8 à Bessines dans le Limousin. (Cet " entreposage " fut abaissé à 199 900 tonnes et accepté par le Préfet malgré l’avis négatif exprimé par la Commission d’enquête. Des containers sont déjà arrivés sur le site et stockés dans ce qui semble être de simples hangars agricoles). Ce dossier nous permet d’avoir quelques renseignements sur les pratiques industrielles, qu’elles soient civiles ou militaires.

 

En quoi consistent ces " normes ASTM " ? D’après ce document intitulé " Sur la prise en compte d’uranium 236 dans l’U3O8 appauvri ", cette norme " ASTM C787-90 " admet que l’uranium peut être considéré commercialement comme de " l’uranium naturel " si la concentration en U236 ne dépasse pas 20 ppm (0,0020 %, 2 10-5), l’U236 étant considéré comme une impureté car " comme pour toute substance ayant été manipulée et conditionnée, la pureté absolue ne peut être garantie ".

Cette norme ASTM serait en vigueur à l’usine Eurodif. Concernant l’usine W de Pierrelatte, (où s’effectue la défluoration de l’hexafluorure d’uranium), cette usine peut avoir des clients pour lesquels la norme C787-90 de 20 ppm n’est pas respectée et l’arrêté préfectoral de la Drôme (n° 4249 du 17 décembre 1991) fixe à 0,01 % la concentration maximale en U236. " Cette même teneur pourra se retrouver dans le sesquioxyde [appauvri] stocké ".

C’est donc une norme commerciale de l’American Society for Testing and Materials qui fait office de loi en France et transforme l’uranium appauvri en uranium appauvri " naturel " bien qu’il renferme de l’U236 !

Dans ce texte COGEMA il est spécifié que la norme ASTM, pour l’uranium issu du retraitement est beaucoup plus élevée et limite la teneur en U236 à 8400 ppm (0,84%).

Le premier résultat du laboratoire suisse ayant analysé des résidus d’obus tirés au Kosovo par l’OTAN indique une teneur de 28 ppm, soit 0,0028%. Ceci est troublant car cette teneur est proche de celle de l’uranium appauvri considéré comme " naturel " par les normes commerciales ASTM. (La plage d’erreur n’a pas été communiquée par le laboratoire). Il serait très important de connaître la teneur réelle en U236 des uraniums appauvris américains y compris de ceux issus du retraitement (voir plus loin).

U236 est un émetteur alpha dont la période est de 23,42 millions d’années. Sa désintégration produit du thorium 232 émetteur alpha dont la période est de 14,1 milliards d’années. Le Th232 ne contribuera pratiquement pas à l’activité alpha d’un uranium renfermant de l’U236, qu’il s’agisse de débris d’obus ou d’un stockage comme à Bessines. (Il faudrait attendre 70 milliards d’années pour que l’équilibre radioactif soit atteint).

 

Activité alpha de U236 par rapport à l’activité alpha de U238

A masses égales de ces deux isotopes, le 236 sera 192,4 fois plus actif que le 238

(4,468 109 / 2,342 107)x(238/236) = 192,4

Pour différentes compositions de l’uranium appauvri (UA) on a donc une activité alpha de U236 rapportée à celle de U238 suivant le tableau :

 

Nature du produit, teneur en U236

Activité alpha U236 (par rapport

à celle d’U238)

UA " naturel " Norme ASTM 2,0 10-5 

Mesure suisse ………….  2,8 10-5

UA de Pierrelatte….. 10,0 10-5

192,4 x 2,0 10-5 = 0,38%

192,4 x 2,8 10-5 = 0,54%

192,4 x 1,0 10-4 = 1,9 %

 

L’uranium appauvri accepté à Pierrelatte est ainsi relativement riche en U236. Sa contribution à l’activité alpha de l’uranium ne dépasserait pas 2% de celle de U238 et serait inférieure à 0,7% si l’on tient compte des descendants à vie courte de U238.

A partir des teneurs en U238,234,235,236, indiquées par COGEMA pour les uraniums appauvris on en déduit leur activité. L’activité calculée de l’UA dit " naturel " est de 40 millions de becquerels par kilo (40MBq/kg), celle de l’UA de Pierrelatte 46 MBq/kg. Ces deux valeurs sont légèrement inférieures à 50MBq/kg, activité de l’uranium naturel.

 

Présence de radioéléments parasites

Aucun traitement de purification chimique ne peut être réalisé avec un rendement de 100% qui éliminerait tous les éléments parasites présents au départ dans le matériau traité. Mais si l’on traite des composés d’uranium qui ne sont pas passés dans un réacteur nucléaire on est certain à 100% qu’il n’y aura ni U236 ni plutonium ou autres !

Le combustible usé contient un grand nombre d’éléments chimiques (produits de fission et produits d’activation). La présence de traces de plutonium est donc possible. Comme l’uranium appauvri déjà en cours de stockage à Bessines contient de l’uranium 236 issu du retraitement, on ne peut exclure la présence de traces de plutonium. (Il peut aussi exister des traces de Ruthénium106/Rhodium106, Ruthénium103 et de bien d’autres produits de fission émetteurs gamma).

Il faut mentionner que la concentration en plutonium (Pu) dans l’uranium de retraitement après purification chimique sera d’autant plus grande que la concentration en plutonium dans le combustible usé avant retraitement sera élevée.

Les USA ne retraitant pas le combustible usé des réacteurs civils, si les obus contiennent de l’uranium appauvri issu du retraitement (prouvé par la présence de U236) il s’agit d’un uranium en provenance de réacteurs nucléaires militaires.

En général, les militaires ne tiennent pas à avoir beaucoup d’isotopes de plutonium supérieurs au Pu239. Ceci exige un court séjour du combustible dans les réacteurs. Dans ces conditions le rapport Pu239/U238 devrait être plus faible dans les combustibles usés militaires que dans les combustibles usés des réacteurs civils qui séjournent plus longtemps dans les réacteurs.

Ainsi les " traces " de plutonium dans l’UA issu du retraitement des combustibles usés pourraient être plus importantes dans les stocks d’UA pollués de Bessines que dans les obus américains car l’uranium appauvri de retraitement provient essentiellement de combustibles usés de réacteurs civils.

Cependant on doit tenir compte du fait que sont autorisés dans le commerce des UA issus de l’enrichissement d’uranium de retraitement qui, d’après les normes ASTM, peuvent contenir des teneurs en U236 jusqu’à 8400 ppm soit 0,84%. Dans ce cas l’U236 devient majoritaire par rapport à U238, son activité alpha est 1,68 fois celle de U238. L’uranium retraité qui est enrichi contient, outre U236, de l’uranium 232 (Gazette Nucléaire 161/162 novembre 1997, p.17). Il en restera forcément des traces dans la fraction appauvrie. Or cet U232 est très radiotoxique. Pour ses composés insolubles tels que UO2 et U3O8 la limite annuelle d’incorporation (LAI) par inhalation varie de 10 Bq pour le bébé de 1 an à 27 Bq pour l’adulte (pour l’uranium 238 elle est respectivement de 34 Bq et 125 Bq). Cet U232 se distingue ainsi des isotopes U234,U236,U235 et U238 pour lesquels la LAI ne varie au plus que de 15% entre U234 et U238 dans chaque tranche d’âge pour l’incorporation par inhalation.

Quelle est la production à Pierrelatte de ce type d’uranium appauvri issu de l’enrichissement de l’uranium de retraitement de La Hague ? Où cette fraction appauvrie est-elle stockée ?

La question demeure de savoir si ce type d’uranium appauvri a été utilisé dans les obus au Kosovo. D’autres résultats d’analyses ont-ils été obtenus par rapport aux 28 ppm d’U236 qui laissent penser à de l’uranium appauvri commercialement dit " naturel " dont la teneur en U236 est voisine de celle de l’oxyde d’uranium stocké à Bessines ?

 


Conclusion

Nous avons voulu montrer combien tout un pan du cycle nucléaire n’est pas abordé par les médias. Une " valorisation " de certains déchets comme les 199 900 tonnes d’oxyde que COGEMA a commencé à stocker à Bessines serait du type obus à uranium appauvri ? Belle réussite !

La radiotoxicité de l’uranium 238 et de ses composés est systématiquement ignorée. Or elle conditionne tout le cycle du nucléaire civil, de la mine d’uranium au retraitement et on en voit l’aboutissement militaire par l’usage de munitions à uranium appauvri.

Roger Belbéoch, 30 janvier 2001.

 


ANNEXE 1

" Des mines d’uranium radioactives aux armes radioactives "

Des veuves de mineurs d’uranium du Nouveau-Mexique (USA) lancent un appel pour que soit bannie mondialement l’extraction de l’uranium.

Il s’agit de la bande annonce d’une vidéo de 25 minutes.

" Il faut le voir pour le croire ! Des individus de la Commission de l’énergie atomique [américaine] ont uni leurs efforts pour nier les effets mortels de l’extraction minière d’uranium chez les Navajo et la pollution de l’eau par les effluents radioactifs. Leur avocat, Stewart Udall dont dépend l’issue du procès, a été Secrétaire au ministère de l’Intérieur. Maintenant le Pentagone utilise de l’uranium appauvri (UA) dans des obus comme moyen supplémentaire de tuer. Et les graves effets nocifs sur la santé de nos soldats et sur celle des civils et soldats irakiens ne sont plus à démontrer. Les Nations-Unies ont lancé un appel à l’interdiction mondiale des armes à UA, appel ignoré par les Etats-Unis.

Les veuves de centaines de mineurs du peuple indigène [Navajo] du Nouveau-Mexique appellent à l’interdiction mondiale de l’extraction de l’uranium. Qui les aidera ? "

N’oublions pas que la France via la COGEMA exploite des mines d’uranium non seulement au Canada dans le Saskatchewan, mais aussi en Afrique. Il y a quelques années un journaliste anglais avait indiqué qu’au Niger des adolescents Touareg travaillaient dans les mines. Leur état de santé n’a intéressé personne. Voilà un uranium soit disant français qui a dû être particulièrement bon marché...

Un mot sur les mineurs d’uranium en France. Les responsables français ont bloqué l’étude sur le suivi de mortalité des mineurs d’uranium français lorsqu’elle a mis en évidence un excès important de cancers du poumon, du larynx, de leucémies. Le dernier bilan de mortalité publié est arrêté au 31 décembre 1985 (Gazette Nucléaire 129/130, décembre 1993).

 

 

ANNEXE 2

L’Uranium 238 en équilibre avec son descendant le Thorium 234

Nous avons vu qu’étant donné la période très longue de U238 on peut considérer que son activité restera constante. La désintégration de U238 donne du Thorium 234 (Th234), radioélément dont la période (ou demi-vie) est de 24 jours. En se désintégrant Th234 produit du protactinium 234 (Pa234) et le nombre de ces désintégrations est directement proportionnel à la quantité de Th234 existant.

Ainsi, si l’on part d’un U238 parfaitement pur il ne contient pas de Th234. Le temps passant il va apparaître des noyaux de Th 234 instable. La désintégration de ces derniers est proportionnelle à leur quantité. Au début ils ne seront pas très nombreux et la production des noyaux de Th234 (par désintégration de U238) est supérieure à leur disparition par désintégration (formation de Pa234). Au cours du temps le Th234 s’accumulera jusqu’à ce que sa quantité donne un nombre de désintégrations égal au nombre de noyaux produits. L’activité de Th234 sera alors égale à l’activité de U238, il est dit en équilibre radioactif avec son ascendant U238.

 

Nous avons représenté dans le tableau les résultats du calcul du régime transitoire avant l’équilibre.

Nous désignerons ici la période par T1/2 qui est liée à la constante de désintégration T par la relation : T = T1/2/Log2 = 1,44 T1/2 = 34,6 jours. (Logarithme népérien de 2=0,698)

 

Variation de la concentration en Th234 en fonction du temps

t/T1/2

t/T

exp(-t/T)

 

1

2

3

4

5

6

 

0,69

1,39

2,08

2,77

3,47

4,16

 

0,50

0,25

0,13

0,06

0,03

0,02

Après un raffinage total en uranium pur, l’activité du Th234 présent dans l’échantillon sera, au bout de 5 périodes (120jours), égale à 3% près à celle de l’U238 géniteur.