Démantèlement de Tchernobyl: une opération délicate étalée sur des décennies

PARIS, 7 déc 2000 - Le démantèlement de la centrale de Tchernobyl, à l'origine de la plus grande catastrophe de l'histoire du nucléaire civil, est un processus long, coûteux et délicat qui s'étalera sur plusieurs décennies, ont souligné jeudi des experts français.
Pour éviter toute nouvelle contamination, la mise à l'arrêt définitif de la centrale, qui doit intervenir le 15 décembre, va se faire selon un scénario complexe, grâce à une importante aide occidentale.

L'accord signé en 1995 entre l'Ukraine et les pays du G7 a chiffré l'ardoise de la mise à l'arrêt et de la sécurisation à 2,3 milliards de dollars, dont 1,4 milliard a déjà été investi à ce jour par les pays occidentaux et les organismes internationaux, ont rappelé au cours d'une conférence de presse les experts de l'Institut de protection et de sûreté nucléaire (IPSN, France), qui participe sur place avec d'autres organismes européens aux évaluations de sûreté.

Problème numéro un pour les experts nucléaires: sécuriser le "sarcophage", une structure de béton construite à la hâte au-dessus du réacteur accidenté en 1986 et intégrant tout ce qui traînait sur place. Une très grande partie des 190 tonnes du combustible du réacteur s'y trouvent toujours.

Le but de cette structure était d'empêcher que la radioactivité se disperse, d'éviter que l'eau de pluie pénètre et de permettre la poursuite de l'exploitation de deux réacteurs voisins. "C'est une structure à la fois simple et efficace, depuis seize ans ça tient, mais personne ne sait si ça peut tenir longtemps", a souligné Xavier Conte, expert de l'IPSN.

Effondrement

Les experts craignent surtout l'effondrement du sarcophage, qui provoquerait un nuage de poussières radioactives exposant gravement le personnel du site. Les experts n'excluent pas non plus totalement, même s'ils le considèrent comme hautement improbable, le risque de criticité, c'est-à-dire le redémarrage spontané d'une réaction en chaîne dans le combustible fondu.

Des travaux de renforcement de cette structure ont déjà été réalisés, mais seuls les plus urgents ont été menés à terme. Un projet baptisé SIP (Shelter Implementation Plan) a été lancé en 1998 pour huit ans, pour un montant actuel de 760 millions de dollars, dont 50 millions du gouvernement ukrainien. "Le principe d'un second sarcophage a été décidé, mais on ne sait pas encore comment il sera réalisé", selon l'expert français.

Les spécialistes tentent également de réunir un maximum de données fiables sur ce qui a été construit dans l'urgence, pour pouvoir travailler le plus possible par la suite sur des modèles informatiques.

D'autres chantiers destinés à sécuriser la centrale après qu'elle ait produit ses derniers kilowatt/heures sont également prévus. La construction d'une nouvelle installation d'entreposage de combustibles irradiés a démarré en juin et doit être opérationnelle en 2003. Constituée de 256 "casemates" en béton, la structure pourra abriter l'ensemble des combustibles nucléaires ayant servi dans la centrale, et qui se trouvent encore dans les réacteurs ou refroidissent en piscine. Le coût de ce projet est de 80 millions d'euros.

Une installation de traitement des effluents liquides, essentiellement les eaux contaminées utilisées par exemple pour le refroidissement des réacteurs, est également en construction.

Prévu pour 2002, cet atelier transformera les eaux contaminées, actuellement stockées dans des cuves, en colis de déchets solides. Le montant de ce projet est de 25 millions d'euros.

 

Tchernobyl ferme ses portes mais la menace persiste

KIEV, 12 déc 2000 - La centrale ukrainienne de Tchernobyl, théâtre du plus grave accident nucléaire de tous les temps, fermera ses portes vendredi sous les applaudissements de la communauté internationale mais restera une menace pendant encore des décennies.
Des délégations d'une dizaine de pays -- notamment des Etats-Unis, d'Allemagne, de Russie et du Japon -- assisteront à la mise à mort du monstre nucléaire dont l'explosion du quatrième réacteur en avril 1986 avait contaminé les trois-quarts de l'Europe et frappé des millions de personnes.

Près de 15 ans plus tard, seul le troisième réacteur est encore opérationnel -- sur les quatre tranches d'origine. De conception soviétique ancienne, il est au bout du rouleau et des pannes le paralysent régulièrement.

En 1999, des dizaines de fissures avaient été découvertes dans son circuit de refroidissement, poussant l'Occident à exiger sa fermeture.

Le réacteur numéro deux a été arrêté en 1991 à la suite d'un incendie et le numéro un a été mis hors service en 1996 dans le cadre d'un accord international.

Tchernobyl fait d'autant plus peur que ses réacteurs, de type RBMK (Reaktor Bolchoï Mochnosti Kanalny -- réacteur de grande puissance à tubes de force), sont considérés comme peu fiables.

Des vices de conception les rendent notamment instables à faible puissance. En outre, ils sont dépourvus d'enceinte de confinement capable de contenir la radioactivité dans le cas d'une forte explosion. (En France, l'enceinte est censée résister à une explosion, mais après Tchernobyl une soupape de sécurité appelée " filtre à sable " a commencé à être installée preuve que la résistance de l'enceinte n'est pas suffisante en cas d'explosion violente)

Après des années de tergiversations, l'arrêt définitif de la centrale maudite représente donc une victoire indiscutable pour la sécurité nucléaire de l'Europe.

La note en est cependant élevée. Kiev n'a accepté de condamner l'installation nucléaire qu'en échange d'une aide des sept pays les plus industrialisés (G7) de 2,3 milliards de dollars.

Ces fonds serviront essentiellement à construire en Ukraine deux nouveaux réacteurs visant à remplacer la production de Tchernobyl, à financer des programmes sociaux et à accroître la sécurité dans les quatre autres centrales du pays (Rivne, Khmelnitsky, Pivdenno Ukrainska et Zaporijia).

Mais cette victoire n'est que partielle. La menace persistera pendant encore des décennies car trop de questions restent en suspens. (La menace persiste à cause des dangers du nucléaire, pas à cause de questions !)

Le problème le plus alarmant est le délabrement accéléré de la chape de béton -- baptisée sarcophage -- qui recouvre les ruines du quatrième réacteur. Cette structure -- montée à la va-vite entre mai et novembre 1986 dans des conditions hasardeuses -- est aujourd'hui fissurée et menacerait de s'écrouler, exposant alors un magma radioactif de 160 tonnes à l'air libre.

Son renforcement est une opération délicate qui prendra au moins dix ans. Grâce à des dons internationaux, les 760 millions de dollars nécessaires ont été presque entièrement réunis et les travaux viennent d'être lancés.

Les experts n'excluent pas non plus la possibilité d'une réaction nucléaire au sein du combustible fondu qui couve sous le sarcophage dans une atmosphère saturée d'humidité. Ce serait alors l'explosion. Un Tchernobyl bis aux conséquences imprévisibles.

Ces dernières années, les émissions de neutrons et de rayons gamma s'étaient d'ailleurs inexplicablement emballées à deux reprises. Puis tout était rentré dans l'ordre.

Enfin, les déchets, accumulés au fond du quatrième réacteur, pénètrent lentement les sols, menaçant (contaminant) rivières et fleuves environnants qui, en aval, alimentent en eau potable des millions de personnes.

Pourtant, l'extraction et le stockage en lieu sûr du magma nucléaire ne sont toujours pas d'actualité. L'opération est jugée trop difficile, trop dangereuse et surtout trop coûteuse.