Libération du 9 octobre 2003.

Le nucléaire revient l'air de rien

Près d'un an que le gouvernement tournait autour du sujet sans oser dire qu'il avait pris sa décision, organisant des débats et commandant des rapports dans un souci déclaré de «concertation»... Et, crac, la ministre déléguée à l'Industrie a dérapé. Comme si l'annonce lui brûlait les lèvres. Au cours d'une conférence de presse destinée à présenter un énième rapport parlementaire sur l'énergie, Nicole Fontaine a fait savoir, hier, que la France s'acheminait bel et bien vers la cons truction du réacteur nucléaire de troisième génération EPR pour renouveler son parc de centrales. «L'EPR a des avantages incontestables. Il est moderne et dix fois plus sûr que les centrales actuelles», a-t-elle souligné en commentant le rapport de Jean Besson, lui-même très favorable au nouveau réacteur. L'EPR «est plus compétitif de 10 % par rapport aux centrales actuelles, il va permettre de diminuer le prix de l'électricité. Il produit moins de déchets radioactifs»... «Je proposerai donc au Premier ministre de lancer l'EPR dans les meilleurs délais.» Coût d'un prototype : 3 milliards d'euros.

L'annonce a surpris tout le monde. «Une bourde», déclarait-on de source gouvernementale. «Une gaffe», notait un industriel. Il y a moins d'un mois, la même ministre affirmait en effet que le gouvernement ne souhaitait pas se presser et qu'il prendrait sa décision «en toute connaissance de cause», au début de l'année 2004. Les propos de Nicole Fontaine ont d'ailleurs provoqué un tollé chez les écologistes. Elle «affiche un profond mépris pour le processus de débat national sur l'énergie qu'elle a elle-même initié», a réagi Greenpeace. «La décision en faveur de l'EPR précède le débat parlementaire sur l'énergie, programmé à l'automne, cela me choque beaucoup», notait le président de la Crii-RAD, laboratoire indépendant sur la radioactivité. Nicole Fontaine n'a fait qu'exprimer son «sentiment personnel», se défendait hier son entourage, une décision «définitive» est attendue début 2004. Après s'être mise volontairement en retrait, la ministre aurait éprouvé le besoin de mettre les points sur les «i» et de «donner son avis».

La chose paraît de toute façon entendue. Le français Framatome (du groupe public Areva) et l'allemand Siemens auront leur nouveau réacteur, qu'ils réclament depuis des années pour assurer la continuité de leur plan de charge. Avec la bénédiction de Nicole Fontaine, ils ont même un atout dans la compétition pour un cinquième réacteur nucléaire en Finlande. Un appel d'offres qui doit être tranché dans les... semaines qui viennent. «Ce n'est pas un choix énergétique, c'est un choix industriel», s'est ému le député vert Yves Cochet, précisant que ce choix allait «coûter très cher à EDF», le client final. L'électricien français - qui doit faire face à l'ouverture à la concurrence - l'a à peine caché en déclarant hier dans un communiqué que «l'EPR devra être réalisé avec d'autres partenaires européens, afin de s'inscrire dans la trajectoire financière du groupe» public.

Alexandra SCHWARTZBROD

 

Un réacteur classique à sécurité renforcée
Les principales innovations de l'EPR concernent la sûreté.

«Ne parlez pas de prototype à propos du premier EPR.» Ce conseil de Jacques Bouchard, directeur de l'énergie nucléaire au CEA, résume le statut de ce nouveau réacteur. Nul besoin d'un prototype pour tester une technologie innovante, mais seulement d'une première réalisation pour ultimes réglages et démonstration commerciale. L'EPR (european pressurized reactor) représente une simple évolution du concept de réacteur à eau pressurisée en service dans les centrales d'EDF. Démonstration par la liste de ses traits principaux.

Modérateur. Tout ça ressemble furieusement aux centrales actuelles. Le combustible est à base d'uranium enrichi ou de plutonium récupéré du retraitement du combustible usé. Le réacteur est piloté par des barres de contrôle capables d'absorber les neutrons. Comme modérateur (1), de l'eau pressurisée. Qui sert également de caloporteur, transmettant l'énergie tirée du coeur à un circuit d'eau secondaire pour les générateurs de vapeur.

Pourtant, il y a quand même du neuf dans l'EPR, pour répondre aux exigences des autorités de sûreté française et allemande, ainsi qu'aux souhaits des exploitants. Côté sûreté, c'est ceinture et bretelles. Quatre dispositifs de secours indépendants sont susceptibles d'intervenir sur le réacteur pour éviter la fusion du coeur. Injections d'eau borée absorbant les neutrons, alimentation de secours des générateurs de vapeur et alimentations électriques de secours sont redondantes et pour certaines protégées dans des bâtiments bunkérisés. Malgré ce dispositif préventif, les ingénieurs ont pris en compte la possibilité de fusion, de manière à éviter un dégagement de radioactivité en cas d'accident. Si le coeur fondait, il serait récupéré dans un canal et une zone de refroidissement validés par des expériences menées à Cadarache par le CEA. Et l'eau du circuit primaire, radioactive, serait vidangée sans risque de partir à l'extérieur. En outre, l'enceinte de confinement est doublée, pour résister à d'éventuelles explosions, dont le risque est diminué par des extracteurs d'hydrogène.

Puissant. Ces dépenses de sûreté supplémentaires sont censées être compensées par une rentabilité supérieure. Puissant - 1600 MW électriques -, d'un rendement thermique légèrement amélioré, l'EPR sera surtout adapté à des combustibles plus denses en noyaux fissiles - et donc utilisables plus longtemps -, pour diminuer la fréquence des arrêts pour rechargement du coeur. Sa cuve de grande taille et dotée d'un réflecteur à neutrons en acier permettra également de le charger jusqu'à 100 % avec du combustible Mox - mélange d'uranium et de plutonium. Dans ce cas, il pourrait même diminuer le stock de plutonium à raison de 670 kg par an et par réacteur.

(1) Ralentisseur de neutrons, pour leur donner la vitesse favorisant les réactions de fissions nucléaires.

Sylvestre HUET


Hulot pour une consultation sur le nucléaire de 3e génération

PARIS - Nicolas Hulot, animateur de l'émission Usuhaïa sur TF1 et conseiller de Jacques Chirac pour les problèmes d'environnement, a déploré le manque de débat sur le réacteur nucléaire de troisième génération EPR et a souhaité une vaste consultation, voire un référendum, sur ce dossier.

La ministre déléguée à l'Industrie Nicole Fontaine a proposé mercredi au Premier ministre Jean-Pierre Raffarin le choix de l'EPR ((European Pressurized Reactor, réacteur européen à eau sous pression) pour renouveler le parc nucléaire français, choix qui suscite la colère des écologistes.

Interrogé sur RTL, Nicolas Hulot a estimé qu'il était "urgent de ne pas se presser" sur ce dossier.

"Les problèmes d'énergie, nos sources d'énergie, c'est quelque chose d'excessivement complexe, et attention de ne pas simplifier et de ne pas seulement réagir par sensibilité personnelle. La première chose, c'est qu'il est urgent de ne pas se presser", a-t-il dit.

"J'entends dire que l'on peut prolonger d'une dizaine d'années la durée de vie de nos centrales nucléaires. Si tel est le cas, profitons de ce temps précieux qui nous est donné pour organiser un véritable débat sur l'énergie, un véritable débat, et confronter les points de vue des uns et des autres", a-t-il ajouté.

"On nous engage pour des décennies, avec ces déchets dont on ne peut pas s'accommoder. L'objectif idéal de notre société ce serait de sortir du nucléaire. Le problème c'est: quand, et comment ? Comme on n'a pas de réponses, eh bien donnons-nous les instruments d'évaluation pour savoir si l'on peut, ou pas, mais faisons ce travail, sans a priori. Je ne pense pas qu'il ait été fait dans le dernier débat sur l'énergie en France", a estimé Nicolas Hulot.

Dans Le Monde, il demande une consultation de la population. "Je ne serais pas opposé à l'organisation d'un référendum car les choix qui nous sont proposés nous engagent durablement", dit-il.

"La population aurait dû avoir le droit à un vrai débat sur l'énergie où auraient été énoncés les inconvénients, les avantages, les risques. Il aurait fallu savoir s'il n'y avait pas d'autres options."


TOLLE CHEZ LES ECOLOGISTES

La proposition de la ministre déléguée à l'Industrie a provoqué de vives critiques chez les écologistes de tous bords.

Pour Noël Mamère, député Vert de la Gironde et ancien candidat de cette formation à l'élection présidentielle de 2002, il s'agit d'une "véritable provocation" qui va "plonger la France durant cinquante ans de plus dans l'hégémonie du nucléaire".

Pour Géraud Guibert, secrétaire national du PS chargé de l'environnement, "ce choix fait suite à une véritable parodie de débat sur la politique énergétique de la France".

"Avec une telle décision, le gouvernement prend le risque d'empêcher une réelle diversification énergétique pourtant tout à fait indispensable", dit-il dans un communiqué.

L'ancienne ministre de l'Environnement Corinne Lepage, présidente de Cap 21 (proche de l'actuelle majorité), dénonce elle aussi "l'absence de débat démocratique" sur la politique énergétique et affirme que la technologie de l'EPR "est d'ores et déjà obsolète et son coût est élevé".

Pour leur part, les rapporteurs de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques sont satisfaits.

Les députés Christian Bataille (PS) et Claude Birraux (UMP) déclarent dans un communiqué avoir "pris connaissance avec satisfaction" des déclarations de la ministre en faveur de l'EPR.

Ils soulignent que "le lancement rapide de la construction de l'EPR permettra d'acquérir, avec ce nouveau réacteur, l'expérience indispensable pour pouvoir, le cas échéant et le moment venu, placer les réacteurs d'EDF les plus anciens dans les meilleures conditions de sûreté et de performance économique".

Les deux élus rappellent que les déclarations de Nicole Fontaine vont dans le sens des conclusions de leur rapport sur "la durée de vie des centrales nucléaires et les nouveaux types de réacteurs" qui a été adopté à l'unanimité en mai par l'Office d'évaluation parlementaire.