La gestion des résidus issus de l'extraction et du traitement des minerais d'uranium

Extrait de INFO-URANIUM n° 81 (1996) (p. 155 à 240). Publication qui disparaît faute de moyens et pourtant que de travail !!!! Nous résumons cette partie du Rapport en suivant le plan de son auteur et en donnant plusieurs extraits (sans les notes de bas de page). Les titres, les sous-titres et les passages entre guillemets sont de C. Birraux.

"Les résidus de l'extraction minière et du traitement de l'uranium cumulent 3 handicaps :1/ ce sont des déchets ;2/ ils sont issus du secteur nucléaire; 3/ leur durée de vie radioactive en fait une menace potentielle pendant plusieurs siècles. Circonstance atténuante cependant: leur radioactivité massique est faible, comparable à celle des déchets très faiblement actifs évoqués ailleurs dans ce rapport. "

 

A - La maîtrise à moyen terme des risques sanitaires semble devoir être convenablement assurée

1/ L'évaluation de l'impact sanitaire des résidus apparaît soulever des difficultés gênantes.

C. Birraux parle des sites qu'il a visités: Limousin, USA (sites miniers COGEMA au Wyoming, site réhabilité d'Ambrosia Lake au Nouveau-Mexique), ex-RDA (sites WISMUT), Afrique du Sud. Il parle des déchets générés par l'extraction du minerai (stériles, radon...) et des résidus générés par le traitement des minerais (RT) ou par la lixiviation in situ. Il aborde ensuite la question de l'impact sanitaire des RT, en décrivant d'abord le contenu des RT en radionucléides et en activité massique.

"Dans ses rapports à l'Assemblée générale des Nations Unies, l'United Nations Scientific Committee on the Effects of Atomic Radiation (UNSCEAR) établit périodiquement un bilan des sources d'exposition auxquelles sont soumises les populations. Au sein de l'exposition due à l'ensemble des activités occasionnées par la production d'électricité, celle qui est due aux résidus miniers occupe une place privilégiée. Les radioéléments contenus dans les résidus sont susceptibles d'avoir un impact sur la population selon les trois voies d'exposition traditionnelles:

- exposition externe par rayonnement gamma: elle est due au bismuth 214 (chaîne de 1'U 238) à hauteur de 85 %;

- exposition interne par inhalation: le principal contributeur est le radon 222 ou plus exactement ses descendants à vie courte (Pb 214 et Bi 214 essentiellement); ceux-ci, sous forme solide, se fixent sur les poussières et aérosols et peuvent être déposés avec eux dans les bronches et les poumons; par ailleurs les particules fines composant une partie des résidus peuvent être mises en suspension dans l'air;

- exposition interne par ingestion: les éléments les plus pertinents pour évaluer le risque radiologique sont les concentrations en uranium et en radium 226 solubles."

Le rapporteur examine les textes qui s'appliquent aux usines de traitement et aux RT du point de vue de la protection de la population: décret modifié du 20 juin 1996 relatif aux principes généraux de protection contre les rayonnements ionisants, circulaire du 29 janvier 1986 relative aux installations classées pour la protection de l'environnement (instruction technique relative aux installations de traitement de minerai d'uranium), décret n° 90.222 du 9 mars 1990 complétant le règlement général des industries extractives (Rayonnements ionisants RI- 1R - 2° partie: Protection de l'environnement).

Il estime que l'existence de ces textes "laisse subsister plusieurs difficultés sérieuses":

- l'imprécision des moyens de mesure utilisés aujourd'hui,

- la détermination du niveau de l'exposition naturelle, surtout dans le cas de sites ouverts depuis de nombreuses années et avant l'ouverture desquels le niveau de l'exposition naturelle n'avait pas été évalué.

Le choix des stations de mesure dans l'environnement naturel a suscité des polémiques, particulièrement dans le Limousin, suite à l'Étude radioécologique réalisée par la CRII-RAD.

 

2/ La maîtrise radiologique des sites réaménagés paraît pouvoir être raisonnablement assurée à moyen terme

2.1 Les travaux de réaménagement doivent prendre en compte dès aujourd'hui les recommandations de la CIPR 60

2.1.1 Les limites de dose au public recommandées par la ClPR 60 s'imposent aujourd'hui comme la référence naturelle des réaménagements

La question avait pu sembler ouverte pendant quelque temps... elle ne l'est manifestement plus. Lors de l'audition du 16 novembre 1995, M. Henry, directeur-adjoint de la Direction de la Prévention de la Pollution et des Risques (Ministère de l'Environnement) a clairement pris position. Dans les dossiers dont il aura à connaître, le Ministère de l'Environnement, responsable de l'application de la loi de 1976 sur les Installations classées pour la protection de l'environnement, demandera aux services extérieurs placés sous son autorité (DRIRE) d'appliquer les recommandations de la CIPR 60 en matière de limite de dose pour le public.

Je ne peux qu'approuver cette démarche. Elle est à la fois politiquement incontournable et tactiquement indispensable: les quelques mois (ou éventuellement années) qui nous séparent de l'introduction en droit français de la CIPR 60 sont peu de choses au regard de l'horizon temporel des stockages. COGEMA n'est d'ailleurs pas opposée à ce mouvement - ou n'y est-elle que résignée ?

La première conséquence concrète doit être la modification du mode de calcul du TAETA, qui ne se résume pas à une simple division par 5 de toutes les limites inscrites aux dénominateurs du TAETA. Les publications déclinant les recommandations de la CIPR 60 (ses décrets d'application, en quelque sorte) ont modifé divers paramètres intéressant les expositions internes. Les valeurs guides opérationnelles évoquées dans les paragraphes précédents sont également à modifier, tout en notant que la valeur guide pour le radium reste inopérante du fait de la limite fixée par ailleurs à 0,37 Bq/l. En revanche, la valeur guide pour l'uranium (1,2 mg/l) devient opératoire sous le régime de la CIPR 60 et de ses textes dérivés.

Limites futures pour les expositions ajoutées
 Limite  Mode d'exposition
 1 mSv exposition interne
 40 Bq émetteurs alpha à vie longue de la chaîne de l'U238
présents dans les poussières en suspension dans l'air et inhalés
 0,56 mj énergie alpha potentielle pour les descendants à vie courte
du radon 222 inhalés
 1,68 mj  énergie alpha potentielle pour les descendants à vie courte
du radon 220 inhalés
 4,5 kBq  radium 226 ingéré
 1 g  uranium incorporé

Dans son Étude radioécologique sur la division minière de La Crouzille, la CRII-RAD soulève une question intéressante. Étudiant les modes de contamination par voir atmosphérique, l'association critique la fixation de la limite réglementaire concernant les "émetteurs alpha à vie longue de la chaîne de l'U238 présents dans les poussières en suspension dans l'air". Pour la CRII-RAD l'utilisation des valeurs retenues par la CIPR dans ses publications consacrées à la contamination atmosphérique n'est pas valable dans le cas de la manipulation des résidus. En effet elles ont été définies pour la radioprotection dans les mines, donc fondées sur certaines hypothèses relatives, entres autres, à la forme physico-chimique des radionucléides contenus dans les poussières, à leur granulométrie, à l'équilibre de la chaîne radioactive.

La CRII-RAD rappelle que: 1/ suite au traitement du minerai, l'uranium a été extrait donc le matériau n'est plus en équilibre séculaire; 2/ les formes physico-chimiques retenues par la CIPR ne sont pas celles que l'on rencontre dans les résidus, pour certains radioéléments dont l'impact devient dominant du fait de l'extraction de l'uranium. Par ailleurs la CRII-RAD critique le fait que l'on ne prenne pas en compte les émetteurs alpha de la chaîne de l'U235, dont certains, dit-elle, ont un impact radiologique plus fort que ne le laisse supposer leur activité. En revanche la CRII-RAD ne s'étend pas sur la granulométrie des poussières; or la CIPR retient une valeur de 1 micro mètre. Cette valeur est-elle plus faible ou plus forte dans le cas des poussières de résidus ? Quel pourrait en être l'impact radiologique ? Il est dommage que la CRII-RAD n'ait pas répondu à ces questions complémentaires.

En tout état de cause, et sans que soient pris en compte les effets dus à la granulométrie, la CRII-RAD estime que "dans les cas les plus pénalisants, les limites fixées par le décret 90-222 peuvent conduire à des doses près de 5 fois supérieures aux limites fondamentales fixées par le décret 66-450 modifié. Une fois encore les choix de radioprotection sont fondés sur des hypothèses optimistes qui sont loin de garantir la protection des populations exposées."

Sans prendre position sur le fond, il me semble que l'ensemble de cette question pourrait être utilement étudié par nos autorités sanitaires à l'occasion de l'introduction prochaine de la CIPR 60 et de sa traduction dans le mode de calcul du TAETA. Je remarque cependant que, si la logique de la CRII-RAD devait être poussée jusqu'au bout, on devrait déterminer des limites d'incorporation pour chacune des étapes du traitement du minerai, puisque à chacune de ces étapes les granulométries, les formes physico-chimiques et les équilibres radiologiques sont susceptibles d'être différents... "

NB. Par CIPR 60, il faut entendre la Publication 60 de la Commission Internationale de Protection Radiologique de 1990, qui a recommandé une diminution des limites de dose (cette question est traitée dans la 1er partie du Rapport de C. Birraux).

Le rapporteur discute ensuite de l'application de la CIPR 60 dans le cas des dépôts de résidus de traitement d'uranium (DR) et de leur réaménagement.

"Le débat s'articule souvent autour de la question: faut-il être réaliste ou maximaliste ?

Cette question a une acuité particulière dans le cas des stockages de déchets, et plus particulièrement des résidus miniers. Il s'agit en effet de la seule situation où les expositions procures au public sont susceptibles d'atteindre la valeur fatidique de 1mSv par an (souligné par C. Birraux), en ordre de grandeur. De plus, par définition, ces expositions sont prolongées: elles pourront être délivrées pendant une portion significative de la vie des individus, sinon leur vie entière.

Il y a donc, en matière de stockage de résidus miniers, une possible interférence entre le principe d'optimisation et le principe de limitation. Pour les activités nucléaires traditionnelles (amont du cycle, exploitation des réacteurs, retraitement), les impacts sanitaires sont si faibles que d'une part le principe de limitation n'a pas à intervenir, d'autre part le choix d'hypothèses maximalistes n'aura pas pour conséquence vraisemblable un trop grand gaspillage des ressources disponibles dans la société. Dans le cas des résidus miniers, la contrainte viendrait plutôt du principe de limitation. Le risque est alors que le choix d'hypothèses et de scénarios maximalistes (ou "pessimistes") ne conduise à s'éloigner trop de la solution véritablement optimale et n'implique un gaspillage des ressources."

C. Birraux termine cette première partie (A) par un examen des méthodes de réaménagement qui ont, selon lui, "un caractère quasi universel":

- remblayage et noyade des travaux miniers souterrains,

- mines à ciel ouvert: transformation en réservoir d'eau ou en plan d'eau, comblement avec des stériles ou des RT (l'auteur donne plusieurs exemples de réaménagement en France, aux USA, au Gabon)

- dépôts de résidus (DR): les divers types de DR, le recouvrement des DR par une lame d'eau et leur assèchement en vue du réaménagement final (recouvrement par des matériaux solides), les caractéristiques de la couverture, le stockage des matériaux contaminés issus du démantèlement de l'usine de traitement dans le DR.

 

B - L'acceptabilité des solutions retenue requiert de plus amples efforts partagés

1/ Des assurances raisonnables doivent être recherchées sur le plus long terme

- Le confinement des RT n'est pas parfait et une contamination des eaux souterraines peut se produire. C. Birraux donne plusieurs exemples d'insuffisances du confinement (DR de Jouac et de Bellezane notamment).

Le noyage des mines peut provoquer des pollutions "a priori temporaires". On apprend dans ce chapitre que la lixiviation in situ a été pratiquée dans les travaux miniers souterrains de l'Ecarpière (Loire-Atlantique).

- Le rapporteur évoque ensuite des études engagées par COGEMA et d'autres organismes ou universités et portant sur le réaménagement des sites miniers, et en particulier sur l'évolution des RT et des DR dans le temps.

- Il est nécessaire de trouver et de mettre en oeuvre des techniques permettant d'assurer une protection des RT sur le long terme. La stabilité des digues et la pérennité de la couverture sont deux points capitaux. Il paraît difficilement envisageable de reprendre les RT pour les placer dans un DR plus approprié.

- C. Birraux aborde enfin la question du contrôle institutionnel des DR dans le long terme. Selon lui, "seule la puissance publique peut éventuellement assumer une responsabilité sur plusieurs siècles." Il reprend la proposition faite, en 1992, par J.Y. Le Déaut dans son "Rapport sur la gestion des déchets très faiblement radioactifs" (voir INFO-U n° 57 p. 18/19 et n° 58 p. 1 à 7) et, en 1993, par le Rapport Barthélémy-Combes (voir INFO-U n° 68 p. 11 à 14) de confier à 1'ANDRA la charge et la surveillance des DR. Dans un premier temps, des servitudes d'utilité publique peuvent être instituées. Quant à la mise en place de dispositifs physiques permettant de signaler pour les générations futures l'emplacement et le danger des DR, le rapporteur n'y croit pas trop.

 

2/ L'autorité de l'État devrait ajuster les conditions de son intervention

2.1 Un contexte très conflictuel en Limousin

J'ai été surpris par le caractère si conflictuel des relations entre les associations de défense de l'environnement, COGEMA et les services extérieurs de l'État lors de ma visite en Limousin. Je regrette de ne pas avoir eu le temps de rencontrer les élus concernés par le dossier du réaménagement de Bessines et ses environs, car on sait que, sur les sujets soumis à mon intérêt, je souhaite profiter des éclairages de toutes origines. Les entretiens que j'ai pu avoir avec la FLEPNA, Fédération limousine pour l'Étude et la Protection de la Nature, se sont pour leur part révélés très fructueux.

Les informations fournies dans ce paragraphe 2.1 proviennent de l'entretien avec la FLEPNA. J'ai tenu à y porter également les appréciations, griefs et commentaires de toute nature qui ont accompagné la présentation de ces informations. J'ai souhaité traduire le plus fidèlement possible la forme très directe - parfois abrupte - sous laquelle ces arguments m'ont été exposés, car elle est révélatrice de l'état d'esprit de mes interlocuteurs. Afin d'éviter toute confusion, je veux cependant préciser que je ne reprends pas nécessairement à mon, compte tous ces arguments.

 

2.1.1 La FLEPNA: un contentieux de 20 ans avec COGEMA

Créée voici une vingtaine d'années, la FLEPNA rassemble aujourd'hui une soixantaine d'associations locales. Elle est membre de la Fédération nationale de l'Environnement et poursuit trois objectifs essentiels: la conduite d'études naturalistes, la défense du cadre de vie, la formation des personnes aux sciences de l'environnement. Parmi les associations fédérées au sein de la FLEPNA on trouve par exemple: la Commission Uranium-Énergie, déjà ancienne et qui a donc une bonne mémoire du passé; l'association Ceinture verte de Limoges, qui est intervenue sur des dossiers nucléaires depuis le dépôt par COGEMA d'un permis de recherches (retiré depuis) dans les environs proches de Limoges, l'AICIN (Association Intercommunale d'Information sur le Nucléaire); la CLAD (Coordination limousine anti-déchets), très active depuis 20 ans et qui dispose d'une "photothèque" fournie sur les activités de COGEMA.

La FLEPNA dénonce tout d'abord de multiples libertés que prendrait COGEMA vis-à-vis de la réglementation. Ainsi des photos prouvent que l'ancienne mine à ciel ouvert du Brugeaud a été remplie par des boues liquides, opération "couverte" par la DRIRE et par certains élus; pour l'association ce n'est pas étonnant car on note un désintérêt manifeste pour ces questions et d'ailleurs les élus concernés sont souvent des anciens de COGEMA. Le remodelage très rapide des sites s'explique par le fait que COGEMA veut profiter des "trous" dans la réglementation pour clore certains chapitres douteux de son histoire. Il est anormal que depuis des années des produits radioactifs aient transité par Bessines sans contrôle EURATOM (sont par exemple concernés les travaux de recherche menés par le CRPM sur les effets du radon dans ses installations de Razès). Enfin la FLEPNA dénonce le dépassement fréquent des niveaux normaux de radioactivité: des radioéléments ont été trouvés dans la Gartempe jusqu'à 70 km en aval de Bessines!

En fait la FLEPNA doit exercer une surveillance permanente et une vigilance de tous les instants sur ce que fait COGEMA, dans tous les domaines: l'exploitation, des mines et des installations de traitement de minerai, le stockage illicite de déchets (révélé par le rapport DESGRAUPES), les projets actuels de COGEMA comme celui concernant un stockage d'uranium appauvri à Bessines, la situation radiologique sur le site de l'usine SIMA de Bessines, etc. Les emprises minières de COGEMA sont immenses: il y a des dossiers à Limoges, en Corrèze... La FLEPNA n'a pas fait un dixième des procès qu'elle souhaitait faire !

D'ailleurs un grand nombre d'actions contentieuses sont souvent gagnées, au motif que les études d'impact sont insuffisantes ou que les autorisations de l'administration sont abusives ("excès de pouvoir"). Mais la FLEPNA souffre de nombreux vides juridiques et "nos juristes doivent parfois créer le droit!".

Pour la fédération le scandale principal vient d'une collusion entre COGEMA et la DRIRE chargée de la contrôler. Trois exemples parmi d'autres illustrent cet état de fait:

- l'"affaire" du générateur de radon de Razès: pendant une vingtaine d'années le CRPM a fait des études et expériences sur les effets cancérigènes du radon afin d'améliorer la protection radiologique des mineurs; le générateur de radon utilisait du thorium extrait à Madagascar et transféré à Bessines après avoir été traité à l'usine du Bouchet; quelques plaintes éparses avaient été déposées pour non respect de la réglementation... sans suite; selon la FLEPNA la DRIRE prétend n'avoir jamais remarqué le générateur de radon, qui aurait dû être déclaré (si ce n'est autorisé) au titre de la législation sur les installations classées; d'ailleurs elle se serait fait dire par COGEMA qu'elle n'était pas compétente sur cet appareil, et elle aurait avalisé cette rebuffade ! c'est seulement au moment où COGEMA a souhaiter fermer l'installation qu'elle a demandé une "mise aux normes administratives"; l'action judiciaire de la FLEPNA tendant à contester les conditions de fermeture a été classée par le Procureur de la République mais le dossier a rebondi récemment: la Faculté de Limoges s'est déclarée intéressée par l'installation et une enquête publique doit être organisée sur le dossier de transfert entre COGEMA et la faculté;

- les transferts mystérieux de fûts et autres déchets: selon la FLEPNA ces colis arrivaient la nuit du Bouchet (Essonne); l'association a recueilli de nombreux témoignages dans la population et ce fait a été confirmé par les révélations du rapport DESGRAUPES qui mentionne la présence de 200 000 fûts compactés; la DRIRE a toujours affirmé qu'elle n'en savait rien; de plus COGEMA ne sait pas où sont précisément les fûts et dit que la DRIRE était au courant, alors que la DRIRE nie savoir où sont ces fûts !

- les entourloupettes autour de la double étude relative à l'impact radiologique de la division minière de La Crouzille: les deux universitaires chargés de comparer les rapports préparés par ALGADE d'un côté, la CRII- RAD de l'autre, ont estimé que ces rapports sont compatibles et que leurs résultats "peuvent constituer la base sur laquelle pourrait s'appuyer une analyse ultérieure" (sur l'exposition des populations); lorsque la DRIRE a demandé aux experts de définir cette analyse complémentaire, ils ont choisi de s'appuyer sur le laboratoire d'ALGADE, en prétextant qu'il était le plus performant, et la DRIRE n'a rien trouvé à redire à cette démarche, incompatible avec la neutralité de l'expertise !

Pour la FLEPNA cette collusion n'est pas étonnante lorsqu'on sait par exemple que le président de COGEMA, J. SYROTA, est également vice-président du Conseil général des Mines. Il aurait donc la haute main sur la carrière des ingénieurs des mines, y compris ceux qui assurent des fonctions de contrôle dans l'administration centrale ou les DRIRE. La justice a été saisie mais avance trop lentement sur ce dossier au gré de l'association.

La FLEPNA nourrit donc une méfiance totale vis-à-vis des initiatives de COGEMA et de l'administration. La DRIRE n'a jamais demandé aucune expertise contradictoire sur les résultats de mesure annoncés par COGEMA; les seuls documents disponibles sont toujours ceux de COGEMA. La DRIRE fait une lecture totalement aseptisée des dossiers présentés par COGEMA: la FLEPNA explique ainsi que les arrêtés préfectoraux soient si "complaisants". En fait, pour l'association, cette crise de confiance est inscrite dans l'histoire de la région. De toute façon "la DRIRE est complètement dépassée par tous ces dossiers: incompétence ? confort ? esprit de corps ?" s'interroge la FLEPNA.

C'est donc tout naturellement que l'association nourrit les plus vives inquiétudes sur les objectifs et les moyens des réaménagements de sites entrepris par COGEMA.

 

2.1.2 Des inquiétudes très vives sur le réaménagement des sites en cours aujourd'hui

La FLEPNA vilipende tout d'abord les principes douteux du réaménagement. Elle estime que COGEMA veut faire rapide, pas cher, et "beau en surface":

- COGEMA aurait utilisé des travailleurs intérimaires pour démonter l'usine SIMO de Bessines et sortir les matériaux du chantier de démolition;

- les deux tentatives d'action en référé concernant les opérations menées au Brugeaud et à Lavaugrasse ont échoué car les deux bassins avaient été vidés entre temps dans la Gartempe et les travaux de réaménagement sont aujourd'hui très avancés;

- COGEMA refuse que la FLEPNA aille faire des investigations au fond de la MCO du Brugeaud; a-t-elle donc vraiment des choses "pas très nettes" à cacher ?

- COGEMA présente le site de Chanteloube comme un réaménagement "modèle"; en fait ce n'est qu'un trou rempli d'eau!

- à Montmassacrot le rapport de l'IPSN est très critique sur la stabilité de la digue;

- l'arrêt des pompages dans les mines entraîne une remontée des eaux; or il existe déjà de nombreux sites abandonnés (voir le rapport Castaing, 1983-1984) et on peut constater de nombreux problèmes dans les ruisseaux.

La liste des griefs ne s'arrête pas là. L'association reproche également à COGEMA d'avoir effectué des réaménagements en violation de la réglementation: il y a eu un rejet important de radioactivité dans un petit ruisseau affluent de la Gartempe en décembre 1994 et COGEMA n'a toujours pas fourni d'explication; certains sables de traitement auraient été réutilisés dans les soubassements d'ouvrages publics (par exemple sous un terrain de sport) sans que le préfet soit au courant (mais la Direction de l'Équipement aurait confirmé l'information); la FLEPNA dit savoir que certaines galeries noyées ont été remplies avec des résidus, elle s'attendait à ce genre d'opération car il y a beaucoup de place sous terre et il était tentant de vouloir éliminer de cette façon certains résidus.

Deux attitudes sont inacceptables aux yeux de l'association. Tout d'abord l'arrogance alléguée de COGEMA, qui ne se priverait pas de travestir la réalité à son profit. En témoigne l'affaire des fûts de thorium et autres multiples déchets enfouis un peu partout sur les sites; COGEMA profite de ce que l'ANDRA ne se déplace pas. L'association dénonce également le calcul "mensonger" du TAETA:

1/ l'une des stations de référence est techniquement inadéquate - car positionnée sur un "point chaud" - et politiquement douteuse - puisque implantée sur un terrain appartenant à un directeur d'ALGADE;

2/ l'exposition est calculée sur des périodes allant de 2 000 à 7 000 par an alors qu'une année compte 8 760 heures;

3/ COGEMA utilise une limite de 5 mSv par an alors que les normes internationales sont de 1 mSv par an. "COGEMA était tellement triomphante à certains moments que ses ingénieurs ont révélé le pot aux roses sur la station de référence !"

Deuxième attitude inacceptable: la volonté de COGEMA de se débarrasser de la responsabilité de gérer les problèmes futurs. La FLEPNA m'indique ainsi que COGEMA a vendu pour le franc symbolique plusieurs terrains à des associations, des municipalités... dans l'objectif de rétrocéder la moitié de son patrimoine. Deux risques sont dénoncés: la banalisation de facto des sites de stockage de déchets TFA, et l'obligation pour les nouveaux propriétaires d'assumer la charge des problèmes futurs qui sont susceptibles d'apparaître.

La FLEPNA regrette enfin que la mobilisation de la population soit encore trop faible. En 1992 la publication d'un article sur les déchets TFA dans Science et Vie aurait provoqué une forte émotion, qui serait retombée depuis. Les élus eux-mêmes sont très peu sensibilisés, même en aval de la Gartempe. Enfin les défenseurs de l'environnement "ont toujours été traités comme des gamins": une association avait demandé que le bassin de Lavaugrasse soit transformé en réserve naturelle humide pour les oiseaux migrateurs, mais COGEMA a tout vidé !

Cette dernière remarque m'amène à souligner la difficulté d'articuler les exigences de protection de la nature et de protection des personnes. Il est en effet reconnu par tous que la stabilité mécanique des stockages de résidus - une composante de la protection à long terme des populations - est grandement améliorée par l'évacuation de leur eau interstitielle. Je ne peux pas supposer que ce fait ait échappé aux scientifiques de la FLEPNA."

- C. Birraux examine les procédures relatives à l'arrêt des travaux miniers et des installations de traitement, puis aborde deux points particulièrement importants qui ont fait l'objet de polémiques entre les associations, la COGEMA et les pouvoirs publics (polémiques dont INFO-URANIUM a rendu compte dans les n° 55, 65, 70 et 71 notamment):

a/ le fait que l'exploitant commence souvent le réaménagement du site AVANT que le préfet prenne un arrêté concernant ce réaménagement: C. Birraux montre que l'exploitant en a le droit mais que cela pose tout de même des problèmes. Aussi fait-il des propositions pour les sites du Limousin et celui du Lodévois.

b// le classement des DR dans la catégorie des Installations Nucléaires de Base (INB): le rapporteur fait une analyse intéressante des textes et en conclut que "la réglementation actuelle n'est pas simplement obscure mais bien plutôt inopérante car incohérente."

- Sans remettre en cause la législation actuelle (Installations classées), il paraît nécessaire d'élaborer une "doctrine" permettant une homogénéisation des traitements administratifs pour le réaménagement des DR. On peut commencer à élaborer cette doctrine dès maintenant.

- Enfin C. Birraux se demande "comment retrouver une légitimité pour l'action de l'État" et fait quelques propositions:

* "ouvrir l'expertise de contrôle", afin de permettre à l'administration et au public de disposer de données et d'analyses qui n'émanent pas seulement de l'exploitant (il fait référence aux expertises des sites de l'Ecarpière et du Limousin, auxquelles a participé la CRII-RAD)

* "développer et renforcer les lieux de débat", la meilleure solution consistant à renforcer le rôle des COMMISSIONS LOCALES D'INFORMATION (il évoque longuement le cas de la CLI du Limousin et des difficultés de son fonctionnement)

* "convaincre qu'il y a un arbitre impartial en dernier recours": I'État doit apparaître comme "le gardien suprême de l'intérêt public"; il doit être rigoureux dans l'examen des dossiers, la délivrance des autorisations et l'établissement des prescriptions; il doit être vigilant quant au respect de ces prescriptions et exercer un contrôle réel sur les activités de l'exploitant.

Comme d'habitude, à la fin du Rapport, C. Birraux fait une synthèse des RECOMMANDATIONS relatives aux différents sujets traités.

Voici les 14 RECOMMANDATIONS concernant la gestion des résidus de l'extraction et du traitement du minerai d'uranium:

1/ Les réaménagements des sites de stockage de résidus doivent prendre en compte dès aujourd'hui les recommandations de la CIPR 60.

2/ Les ambiguïtés du décret 66-450 du 20 juin 1996 relatives au régime des "substances radioactives naturelles" doivent être supprimées, en particulier pour la définition de ces substances et le régime juridique applicable à la radioactivité des "têtes de chaînes";

3/ L'autorité de radio protection est invitée à préciser la notion d'"impact radiologique" acceptable, inscrite dans le décret 90-222 du 9 mars 1990.

4/ L'autorité de radioprotection, avec ses appuis techniques, est invitée à examiner la pertinence de la limite actuellement utilisée pour les "émetteurs alpha à vie longue de la chaîne de l'U 238 présents dans les poussières en suspension dans l'air et inhalés", au cas des résidus miniers.

5/ Le Ministère de l'Environnement est invité à réfléchir à la mise en place, dans la législation des institutions classées, d'une évaluation relative à l'état initial du site indépendante de celle pratiquée par l'exploitant, notamment pour les institutions classées importantes (en particulier le niveau naturel de radioactivité dans l'environnement pour les institutions : classées nucléaires). Le Ministère de l'Industrie est invité à se joindre à cet effort, pour les parties du Règlement général des industries extractives qui concernent la protection radiologique de l'environnement.

6/ Le Ministère de l'Environnement, avec l'aide des appuis techniques ad hoc, est invité à préciser quels éléments doivent traduire dans les faits les conclusions du Rapport BARTHELEMY, qui avait pour objectif de permettre l'élaboration de prescriptions générales applicables par les préfets aux sites de stockages de résidus, dans le cadre de la législation sur les institutions classées.

7/ L'IPSN est invité à développer ses capacités d'expertise et d'évaluation sur les dossiers de réaménagement, en s'appuyant en particulier sur les expériences étrangères et sur les évaluations effectuées par ses homologues.

8/ Les DRIRE sont invitées à développer leurs échanges et contacts sur les dossiers relatifs aux réaménagements de sites miniers et de traitement d'uranium, pour mettre en oeuvre (avec les appuis techniques adéquats) une approche commune et cogérante des dossiers soumis à leur examen.

9/ L'OPRI est invité à poursuivre ses actions visant à constituer dans les services extérieurs de santé de l'État un réseau de compétences en expertise radiologique.

10/ Le Ministère de l'Environnement est invité à contribuer au développement des capacités d'expertise de contrôle, en s'appuyant sur un réseau de laboratoires agréés.

11/ Il appartient aux administrations concernées de veiller à ce que, dans tous les dossiers soumis à leur approbation, les conséquences inévitables du noyage des mines soient correctement évaluées et surveillées (quelle que soit la nature du minerai extrait), et que les possibilités d'intervention soient préservées pour assurer si nécessaire la protection sanitaire des populations.

12/ L'ANDRA est invitée à se joindre rapidement aux réflexions entreprises sur l'avenir des stockages de résidus, dans la perspective d'une prise en charge future de ces sites au nom de la puissance publique.

13/ Les autorités et COGEMA sont invitées, en liaison avec les services publics concernés en Limousin et sur financement partagé, à mettre en place quelques sites pilotes "sur-instrumentés" pour l'évaluation in situ des évolutions d'un stockage de résidus, avec le concours de laboratoires agréés.

14/ COGEMA pourrait utilement déposer auprès du Ministère de l'Environnement un document comparant les pratiques internationales en matière de couverture des résidus, justifant ainsi dans une perspective très large les options envisagées ou retenues pour les sites français.

La Gazette Nucléaire n°155/156, janvier 1997.