Les déchets de faible activité (?)

Le problème des déchets de faible activité est-il un simple problème médiatique ainsi que le suggère Ph. Vesseron, le nouveau directeur de l'IPSN, faisant ainsi chorus avec la plupart des (ir)responsables.
Il est vrai que sans le support des médias, sans leur aptitude à faire exploser les scandales, il n'y aurait pas de problème. Il n'y aurait pas eu de décharge à côté de l'usine du Bouchet, de "déposante" à St Aubin en provenance du Centre d'Etude Nucléaire de Saclay, il n'y aurait donc pas eu de groupe de travail présidé par Desgraupes dont le rapport donne une liste non exhaustive des endroits où gisent des déchets radioactifs.
En fait ce problème est un enjeu industriel énorme qui concerne aussi, ce qui n'est pas évident pour le grand public, les sites miniers (stériles (?), bassins de décantation...), les futurs démantèlements des INB (centrales mais aussi usine d'enrichissement d'uranium, usine de retraitement de la Hague...) etc.
Ah ce que tout était plus simple avant que les associations de défense de l'environnement ne s'emparent de la question !
Actuellement il existe des lois, réglementations, circulaires..., tout un arsenal de textes qui disent souvent tout et le contraire et surtout qui offrent la possibilité d'aménager les règles au coup par coup par dérogation, par simple autorisation, par le simple fait du prince, en l'occurrence le SCPRI.
On se propose donc de faire une nouvelle loi. Est-ce pour faire cesser ces errements, pour essayer de réglementer des situations qui se sont créées avant les premières lois ?
Dans ces nouveaux textes dans lesquels on a déjà prévu les dérogations, on va fixer le niveau bas au-dessous duquel des matériaux ne seront plus considérés comme radioactifs (seuil d'exemption), une limite au-dessus de la quelle les déchets doivent aller en décharge pour catégorie A (Soulaine) ou en décharge au futur incertain pour les déchets contaminés alpha.
Que c'est beau la volonté de légiférer. Mais attention, pas n'importe comment. Comme l'écrit Frejacques (ancien patron de la chimie au CEA) dans le rapport du groupe de travail du CSSIN sur les déchets de faible activité " ... ce seuil doit être fixé de manière à ne pas encombrer le site de surface (C.S. Soulaine) avec les déchets miniers...).
Comme vous le voyez la logique décisionnelle est limpide:
1- fixer une limite réglementaire en fonction d'impératifs économiques
2-justifier cette limite en termes de santé publique a posteriori en tordant le cou des paramètres pour assurer la cohérence de l'ensemble.
D'où tous les discours et artefacts en matière de faibles doses, la façon de traîner les pieds pour retarder la mise en application de la CIPR 60 (et la mise en action d'un lobbying intense par l'EDF et le CEA, d'où toutes les argumentations en bootstap sur les notions d'activité volumique et d'activité totale sur site de stockage.
Pour bien comprendre, si on a une "source" de forte activité sans que la "moyenne" d'activité volumique ne soit dépassée, la solution naïve serait peut-être de l'enlever!!! A l'inverse si on a une activité moyenne/volumique dans les "normes", mais si on fixe pas l'activité totale stockable, on peut arriver à une quantité totale importante dont le comportement dans le temps (migrations, reconcentration, effet de colonne chromatographique...) peut donner de très mauvaises surprises.
Revenons à la triste réalité des choses : Le Bouchet par exemple, situé à une quarantaine de kilomètres au Sud/Sud-Est de Paris, à la jonction des communes de St Vrain, Ballancourt et Itteville, sur le territoire de cette dernière. Le CEA avait installé dans les années 50 sur un site appartenant à la SNPE (Société Nationale des Poudres et Explosifs) des laboratoires et ateliers pour préparer l'Uranium nécessaire au chargement de Zoé, le premier réacteur, la première comme on l'appelait à l'époque, construit au fort de Chatillon dans la banlieue parisienne, puis pour extraire les premiers milligrammes de Plutonium produits en France (cocorico).
Le minnerai était de l'urano-thorianite en provenance de Madagascar d'une richesse exceptionnelle. Les résidus de traitement du minerai étaient aussi d'une richesse exceptionnelle, mais cette fois fort encombrante, en Radium...
De nombreux fûts furent envoyés à la Hague où aujourd'hui ils posent problème à la fois en raison de leur contenu en émetteurs alpha qui interdit leur présence sur ce site et en raison de l'état de délabrement des fûts qui rend problématique leur reconditionnement, préalable indispensable avant tout transfert.
D'autres furent expédiés et enfouis au Bauzot, à Bessine sur le site du Brugeaud... d'autres enfin furent enfouis avec d'autres déblais et rejets sur un terrain voisin de l'usine même.
Un jour vint où le site étant démantelé (il n'est pas interdit de se poser des questions intéressantes sur le comment et sur le devenir des déblais et autres sous produits de ce démantèlement), le CEA se dit qu'il suffirait de recouvrir la décharge d'une couche de terre et que moyennant une astreinte interdisant de creuser à plus de 50 cm (fondations, plantations ... ) il pourrait fourguer le tout à un promoteur immobilier. Ah quel joli programme immobilier, la SCI de la résidence des marais radiants.... (J'ai l'air de blaguer, mais voir à ce sujet la rue du radium à Gif sur Yvette).
Il y eut un os, un gros os en la personne des écolos du coin (Verts, Amis de la Terre... ) faisant faire des prélèvements et des mesures à la CRII-RAD, le tout relayé par le Parisien Libéré (pub gratuite bien méritée). Il est bien connu qu'en France quand il y a un problème on crée une commission (chargée d'enterrer le problème). Ce fut le cas avec Préfet, élus locaux, associations, scientifiques du CEA (l'inspection générale envoyée au charbon !), scientifiques contestataires (nous le GSIEN), le tout présidé par le directeur de l'IPN d'Orsay.
Après nous avoir fourni un dossier débile (il aurait été refusé comme rapport de stage !), l'inspection générale recouvre progressivement la mémoire. A chaque fois qu'on leur apporte une preuve supplémentaire, d'un seul coup (mais c'est bien sûr, où avais-je donc la tête !) un éclair se fait dans leur esprit. "Des fûts enterrés, ce n'est pas possible. En calculant tout ce qui est entré et tout ce qui est sorti du site vous voyez bien qu'il ne peut pas en rester."..."on a envoyé 32 000 fûts au Bauzot". Manque de chance le rapport Desgraupes dit qu'il en est arrivé 23000. "C'est sûrement une erreur de leur part..." Le préfet ordonne de faire effectuer une tranchée avec prélèvements pour analyse contradictoire, et boum, qu'est ce qu'on trouve... des fûts en dentelle avec un contenu donnant un débit de dose de plus de 200 mRad/h. Pas triste. Les analyses donnent environ 5 millions de Bq par kilo. Si ce n'est qu'un pipi de chat ce chat-là ne doit pas être bon à caresser !
Bon d'accord des erreurs graves ont été commises au Bouchet il y a une trentaine d'années.
Le CEA, ses satellites et ses filiations ont (avaient) l'occasion de se redonner une image de marque d'organisme responsable au servie de la nation. Il lui suffisait pour cela de reconnaître ses erreurs et de repartir sur des bases saines. On retire tout ce qui n'aurait jamais dû être stocké sur ce site, on le remet en état et, à peu de frais, l'institution pouvait reprendre la place qu'elle n'aurait jamais dû perdre dans l'opinion publique.
A la place de cela que voyons nous ? Une lutte d'influence de couloir pour infléchir le législatif, des assauts de mauvaise fois, des propositions de réaménagement risibles s'il ne s'agissait de santé publique et surtout tout cet esbroufe est très dommageable car on tente de forcer la main, d'obliger à couvrir d'autres opérations dont l'indice de gravité est beaucoup plus élevé.
Au lieu de délimiter les points chauds, de les extraire, de les conditionner (quelques centaines de fûts) pour entreposer des résidus inacceptables de par leur activité alpha sur un site de surface, il est envisagé une remise en état (???) par malaxage à la pelleteuse et au bull avant épandage.
Cette idée qui est en contradiction flagrante avec les principes les plus élémentaires de préservation de l'environnement, est d'une stupidité qui n'a même pas l'excuse de la naïveté. (Mais qu'attend notre Ministre de l'environnement pour faire mettre en solution toute la m... de la décharge de Villembray et à l'aide des arroseuses de la ville de Paris, pour faire un épandage uniforme sur les rues de la capitale.)
Il nous semble bien que ce n'est qu'un précurseur, une opération pilote de ce qui est projeté à l'ancienne mine de l'Escarpière. Il est étudié d'effectuer un malaxage des déchets de l'usine des terres rares/Rhône Poulenc de La Rochelle, puis de les réinjecter dans les anciennes galeries. De même on envisage d'injecter dans les galeries des mines les boues radifères des bassins de décantation qui posent un énorme problème sur pratiquement tous les sites des mines d'uranium. On voit ainsi poindre l'utilisation des vieux bétons contaminés des centrales pour faire des granulats, l'utilisation des vieilles ferrailles activées pour être diluées dans les coulées d'acier (usine Socodei). De la même façon qu'il y a un marché des fruits, des légumes sans engrais chimiques, sans pesticides, y aura-t-il des quincailleries "bio" vendant des batteries de cuisine sans produits radioactifs ?
Afin de légitimer toutes ces dérives il est grand temps de remonter toutes les normes, les limites inférieures afin de permettre des débouchés à ces produits, pensent nos chers officiels. L'enjeu économique est énorme. C'est le seul moyen pour se défausser de l'angoissante question des démantèlements à venir. Si on devait faire les choses correctement, il est clair qu'on ne pourrait plus parler de la compétitivité du prix du kWh nucléaire.
Ce n'est pas qu'un enjeu économique, c'est aussi un enjeu politique car la classe nucléocratique y perdrait son pouvoir, LE pouvoir. Et s'il y a encore des naïfs qui ne croient pas au poids des enjeux économiques, je leur conseillerai de suivre de près le dossier du sang contaminé, connu comme étant dangereux et écoulé sur les hémophiles déjà séropositifs
De toute façon les problèmes de santé ne seront pris en compte que plus tard, trop tard, comme à Minamata pour le mercure où pour des rejets "conformes aux normes", c'est uniquement le facteur temps qui a régit l'augmentation des quantités concentrées dans l'environnement et l'apparition des effets irréversibles. Et comme on ne peut plus que constater la présence du mercure sans pouvoir y faire quoi que ce soit, il ne restera plus que les yeux pour pleurer. A ce moment-là on trouvera encore des Pellerin et autres pour nier, contester, affirme que toutes les précautions ont été prises, enfin jurer tout et n'importe quoi.
Ma seule consolation sera que "les beaux messieurs" se feront irradier au moins autant que nous. Pour une fois nous. Pour une fois nous serons égaux devant les effets des (faibles) doses alors qu'aujourd'hui c'est essentiellement réservé aux travailleurs.

La Gazette Nucléaire n°117/118, août 1992.