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Chronologie des irradiations chroniques ou accidentelles de la peau et des mains depuis la découverte des rayons X

8 novembre 1895: Le Professeur de Physique Conrad Röntgen découvre les rayons X à l'Université de Würsburg. En travaillant dans une pièce obscure, il remarque qu'un morceau de carton recouvert de platinocyanure de baryum émettait une lueur verdâtre (fluorescence) lorsqu'une décharge électrique se produisait dans un tube de Crookes placé à proximité.

22 décembre 1895: Röntgen fait une conférence scientifique devant la Société Physico-Médicale de Würsburg. Il fait une démonstration publique des effets de fluorescence. Sur sa demande, l'anatomiste Von Kollikert réalise une radiophotographie de sa main qui est développée sur le champ.

Avril 1896: Daniel (USA) décrit une grave réaction cutanée survenue après une longue exposition aux rayons X.

1896: Sur les conseils d'Henri Poincaré, Becquerel entreprend en 1896 une étude méthodique du rapport entre l'émission de lumière visible et de rayons X.

Eté 1896: [...] Grubbe fabriquant aux Etats-Unis des tubes de Crookes constate sur le dos de sa main gauche, fréquemment exposée, une rougeur douloureuse accompagnée d'oedème et suivie d'une dépilation, de formation d'ampoules puis de crevasses et d'ulcères. La guérison est lente. Il devait mourir d'un cancer en 1960.

Novembre 1896: Becquerel découvre l'émission spontanée de rayonnements issus de composés uranifères.

[Thomas Edison, Telsa et Grubbe détectèrent des lésions aux yeux et sur la peau et le premier invoqua une exposition excessive aux rayons X, malheureusement, il était trop tard pour l'assistant d'Edison, Clarence Dally, qui souffrait d'une radiodermite grave entraînant l'amputation de son bras et ensuite sa mort en 1904.]

10 juillet 1897: La radiolésion des ongles est appelée «main de röntgen».
Première «excision greffe» par l'américain Allen Porter sur un jeune manipulateur radio du Massachussets - Walter Dood. De 1902 à 1916, bien qu'il ait interrompu tout travail radiologique, Dood a subi 25 opérations.
Le premier cancer digital avait nécessité l'amputation de deux annulaires.
En 1909, la chirurgie ne maîtrise plus la répétition des accidents cutanés. En 1915, il est procédé à l'amputation de la main gauche et en 1916 à l'amputation partielle de la main droite.
Le 17 décembre 1917, Dood décède. Un cancer secondaire avait envahi les deux poumons.

Cancers des rayons X.

1897: Au Congrès de Dermatologie à Moscou, les français Oudin, Barthélémy et Darver font état de 60 observations de radiodermites sévères et des premières constatations histologiques sur ces lésions.
Le Docteur Antoine Béclère, médecin des hôpitaux de Paris, spécialise son service dans l'étude de la radiologie.

Juillet 1898: Mme et Mr Curie découvrent l'élément radioactif auquel on a donné le nom de «polonium».

Décembre 1898: Les époux Curie annoncent la découverte du radium.

1898: William Rollins*, passionné par les rayons X, met en évidence la mortalité de cobayes dans les jours qui suivent leur irradiation.
Les allemands Marcuse puis Leppin, l'américain Daniel et l'anglais Stephen publient des rapports presque simultanés sur des cas de brûlures graves par rayons X.

Octobre 1900:
Walkoff signale les premières atteintes de la peau des doigts des praticiens et physiciens appelés à manipuler du radium.

1901: Röntgen est le premier physicien à recevoir le prix Nobel de physique.

1901: En travaillant avec les Curie, Becquerel remarque une rougeur de la peau au droit de la poche dans laquelle il avait mis une fiole de radium. En changeant de poche, il a la confirmation de l'induction de brûlures par les rayonnements émis par le radium. Pierre Curie exposa alors volontairement une partie d'un de ses bras à une source de rayonnement pendant dix heures. La réaction cutanée qui s'ensuivit ne guérit qu'au bout de quatre mois.

1902: Rollins en Grande Bretagne propose une première norme de tolérance pour les rayons X.

1902:
Friebens et Albers-Schoënberg** signalent à la Société Médicale de Hambourg le premier cas de cancer apparu sur une radiodermite professionnelle.
Il s'agissait d'un homme de 33 ans qui travaillait depuis quatre ans dans une fabrique d'ampoules de rayons X.
Il se servait de sa main pour la mise au point. Il en résultat une radiodermite chronique puis un cancer qui nécessita l'amputation du bras puis la désarticulation de l'épaule.

1903: Les époux Curie reçoivent avec Becquerel le prix Nobel de physique.

1904: Au Congrès de Dermatologie à Berlin, les docteurs français Gaucher et Lacapère insistent sur le danger radiologique.
Le Docteur Antoine Béclère publie un article intitulé «Les moyens de protection du médecin et des malades contre l'action nocive des nouvelles radiations : rayons de röntgen et rayons du radium».

1906:
Le Docteur Lehman préconise des moyens de protection : gants et écrans plombés. Il insiste sur leur emploi tant par les ouvriers qui fabriquent les tubes à rayons X que par les médecins dont il souligne la trop fréquente inconscience.

1906: Bergonié et Tribondeau établissent une loi, en travaillant avec des rayons X, qui montre que les cellules sont d'autant plus sensibles aux radiolésions que:
- leur activité reproductrice est grande (couche basale de la peau notamment),
- leur morphologie et leur fonction sont moins définitivement fixées (tissus de l'embryon par exemple),
- leur capacité de division est conservée plus longtemps (propriété utilisée en radiothérapie).

1907: Le chirurgien Allen Porter recueille dans la littérature mondiale 10 cas de radiocarcinomes sur des mains de médecins ou de techniciens. Il y ajoute deux observations personnelles chez les médecins.

1908: Porter et White publient 24 cas recueillis en un an dans la littérature puis y ajoutent 11 cas personnels. Ils totalisent ainsi 47 observations.

1909:
Porter publie le premier article de base sur la technique de l'excision-greffe comme traitement des radiodermites chroniques. Sur 47 radiodermites opérées, il signale 76,5 % de dégénérescences.
Wohlbach décrit l'histologie des radiodégénérescences malignes.

1911: Hesse dans une étude publiée à Leipzig analyse 94 observations parmi lesquelles 54 cancérisations (25 chez des médecins et 24 chez des techniciens).

1911: Marie Curie reçoit un deuxième prix Nobel en chimie.

1916: Le radiologiste anglais Russ publie la première étude générale sur les problèmes de radioprotection. La British Röntgen Society adopte une résolution soulignant les dangers des rayons ionisants. Elle recommande un ensemble de mesures propre à les éviter.

1917: Le chirurgien français Antoine Béclère lance un cri d'alarme. Il estime que les chirurgiens utilisent de façon immodérée les rayons X pour la recherche d'éclats métalliques chez les blessés de guerre. Il décrit les irradiations chroniques qui se traduisent par une sclérose de la peau qui aboutit à l'oblitération progressive des artères nourricières du derme, puis à une ulcération douloureuse et rebelle.

1921: Wohlbach met en lumière l'action cumulative des rayons dans la pathogénèse du cancer. Il confirmera en 1925 la nocivité de la répétition et de l'accumulation des doses.

1922: R. Ledoux-Lebard publie dans Paris Médical un article intitulé «Le cancer des radiologistes» où il relève 77 cas de cancers. Il estime à plus de 100 le nombre de radiologistes déjà décédés par cancer professionnel.

1923: Leitch publie trois cas de cancers induits par le radium.

1923: Porter analyse 107 observations de radiodermites (dont 44 personnelles) des mains de chirurgiens.

1924: Willis évoque le cas d'un homme qui prépare régulièrement de l'eau radioactive par dissolution de petites quantités de radium. Dix ans après, il est procédé à l'amputation du pouce et du majeur gauche de cet homme atteints d'épithélioma.

février 1925: Cri d'alarme lancé à l'Académie de Médecine par d'Arsonval, Béclère, Broca et Mme Curie devant les risques d'irradiation dans l'industrie de la préparation de corps radioactifs.

1926: Lachapelle publie à Bordeaux une thèse sur l'étude des radionécroses tardives.

1928: Geiger et Muller mettent au point un nouveau type de compteur à gaz.

1928 : Lors du IIème Congrès International de Radiologie est formée la première Commission Internationale de Protection Radiologique.
Le röntgen est la nouvelle unité qui permettra de quantifier les rayonnements.

1929:
Mason publie un travail sur 25 cancers de la main. 30 % sont dus aux rayons X. Il confirme les travaux de Wohlbach sur l'effet cumulatif des doses.

1931: Michael tire les mêmes conclusions sur le pourcentage de radioinductions.

1931:
Haagensen rapporte 13 observations de cancers après exposition prolongée aux rayons X et au radium.
Le premier code de protection voit le jour, cependant que s'accroît de façon inquiétante le nombre de médecins atteints. La dose annuelle à ne pas dépasser est fixée à 60 röntgens.

1932: Chadwick découvre le neutron.

1934: Le 10 février la revue Nature annonce la découverte de la radioactivité artificielle par Irène et Frédéric Joliot-Curie. Ils avaient isolé le phosphore 30 obtenu par réaction (action de rayonnements alpha entraînant l'émission de neutrons) sur une feuille d'aluminium.

1936: Borak définit des doses létales:
1 200 röntgens pour les glandes sébacées
1 600 röntgens pour les follicules pileux
2 000 röntgens pour l'épiderme
2 500 röntgens pour les glandes sudoripares et les vaisseaux.

1936: Leddy a vu 55 radiodermites sur des mains de médecins, 27% étaient dégénérées.

1936: Un simple monument est inauguré à Hambourg. Il porte l'inscription suivante: «Aux Röntgenologistes et radiologistes de tous les pays qui ont donné leur vie dans la lutte contre les maux de l'humanité». Les noms de 110 personnes y furent inscrits au début. D'autres vinrent s'y ajouter au fur et à mesure des décès.

Monument érigé à Hambourg à l'hôpital St. Georg par les soins du professeur Hans Meyer de Brême, en 1960, la liste totalise 359 noms.

1938: Sanders publie des statistiques portant sur 259 radiodermites chroniques (induites par les rayons X et le radium 226) dont 80 % aux mains. La dégénérescence ne portait que sur 25 cas (10 %).

1941: Rigos rapporte 80 cas puis 115 une autre fois. Il confirme la précédente statistique avec 26 % puis 33 % de dégénérescences.

1941: Leddy et Rigos relèvent 26 % de dégénérescences sur 80 cas.

2 décembre 1942: Le premier réacteur nucléaire diverge à l'Université de Chicago.

14 juin 1942: La revue Science (USA) annonçait que les différents éléments radioactifs fabriqués dans les réacteurs nucléaires étaient à la disposition des médecins.

16 août 1949: Le Professeur Lagrot opère à Alger un chirurgien français ; c'est la première opération qui est effectuée en Europe sur la technique expérimentée par Allen Porter en 1897. Ce n'est qu'en 1948 que l'on eut connaissance en France des travaux de ce chirurgien américain.

1950: Un travail collectif (Teloh, Mason et Wheelock) décrit cinq catégories histologiques (cinq types d'atteinte tissulaire):
- 1ère catégorie: simple réaction cutanée inflammatoire, atrophie de l'épiderme à des degrés variables.
- 2ème catégorie: apparition de kératoses (épaissement de la couche cornée) traduisant des anomalies de maturation de la couche de cellules basales.
- 3ème catégorie: images de cancer in situ.
- 4ème catégorie: cancer invasif.
- 5ème catégorie: le cadre local est dépassé et l'on observe même des métastases.

1952: Après les radiologues, les techniciens, les chirurgiens et les médecins, on découvre une autre catégorie de victimes: les dentistes.
Le radio-cancer des mains est souligné par Mohs.
Plus tard Cole en 1953, Hagel en 1962 font état de nouvelles observations concernant les dentistes.

1955: Young et Kunkel dénombrent 194 cas de dommages graves chez les dentistes. La dégénérescence cancéreuse concerne 31 % des cas. [Voir: "William David Coolidge et l'âge d'or de la radiographie dentaire"]

1956: C'est la profession de vétérinaire qui vient compléter la liste des professions avec les travaux d'Abrahams. En 1964 Hartwell et en 1967 le Professeur Lagrot font des publications sur les radiodermites professionnelles des doigts observées chez les vétérinaires.

1957: Sur 79 cas traités, dont 4 professionnels, Macomber relève 17 % de dégénérescences.

1959: Duperrat et Andrate font état dans la Presse Médicale de 52 observations personnelles dont 12 dégénérescences malignes.
Dans une communication au Xème Congrès de Dermatologie à Alger, le Professeur Lagrot dénombre 15 cancers sur 31 radiodermites opérées en 10 ans.

1960: Peskowa à Prague observe 40 % de dégénérescences pour 46 radiodermites opérées chez des médecins.

1961: Le Professeur Cuckini de Belluno crée le Syndicat Italien des Médecins Radiolésés.

1964: Hartwell et coll, relèvent 12 cancers sur 39 mains radiodermiques.

1970: Mouly et Bureau font état de 14 cancers sur 70 mains radiodermiques.

1971: Le Professeur Lagrot résume son expérience au cours d'une conférence:
- 104 personnes opérées en 21 ans,
- 179 mains opérées (480 doigts),
- 3 à 8 doigts avec une moyenne de 4,7 doigts par malade.

Mains de praticiens après avoir subi 30 opérations.

Sur 95 cas professionnels, il y a 90 médecins, 4 ingénieurs et 1 infirmière (radium).
La dégénérescence maligne apparaît dans 55,76 % des cas, ce qui est un taux élevé. Après opération, il n'y a eu que 3 récidives et un cancer métastasique du poumon.

1972: Le Professeur Lagrot publie Les radiodermites des mains.
Il relate 109 cas de radiodermites opérées de 1948 à 1972 pour environ 300 cas examinés (34 chirurgiens, 7 orthopédistes, 27 médecins généralistes, 2 infirmières, 2 vétérinaires-chirurgiens, 4 ingénieurs radiologistes, 13 radiologues, 9 phisiologues, 11 opérés post-thérapeutiques). La période de latence des cancers qu'il observe est de 25,5 ans (minimum 6 ans en irradiation chronique, 1 cas en un an pour irradiation aiguë et un maximum de 44 ans).
Ce chiffre varie selon les auteurs entre 20 et 25 ans pour la moyenne (8 à 35 ans pour les extrêmes).
Le délai de développement du cancer est de 11,6 ans avec des minima de 1 à 2 ans et un maximum de 36 ans. Ces chiffres sont peu différents de ceux des autres auteurs.

1973: Les Docteurs Gongora et Jammet publient les données cliniques relatives à 25 cas d'irradiations partielles.
Causes de ces irradiations:
- rayonnement X:
  
3 cas pour une énergie de 20 keV (kiloélectronvolt) environ
  7 cas pour une énergie de 40 keV
  1 cas pour une énergie de 60 keV
  1 cas pour une énergie de 70 keV
- faisceau d'électrons
  
3 cas
- rayonnement gamma
  
4 cas à l'iridium-192
  2 cas au cobalt-60
- flux mixte
  
1 cas dû à une association de rayonnements gamma et de neutrons.

Septembre 1981: Lors du IIIème Congrès National de l'Association de Radioprotection Médicale à St Vincent (Italie), les Docteurs Jammet et Gongora présentent le bilan du suivi de 199 malades accidentés entre 1956 et 1981, soit une moyenne de 8 accidentés par an.
Parmi ces 199 personnes, 56 ont présenté des radiolésions aiguës.
On peut noter que:
- 58 expositions sont relatives à des travaux sous rayons X, soit environ 3 accidentés sur 10,
- 101 personnes ont subi une irradiation gamma, soit 1 accidenté sur 2.

1987: M. Rodriguez De Oliveira dresse dans la revue Radioprotection un répertoire des principaux accidents radiologiques survenus entre 1945 et 1985.
Ces 184 accidents se sont traduits par des irradiations localisées ou globales importantes. Un certain nombre d'entre elles ont nécessité une intervention chirurgicale.

J.C. Zerbib,
Ingénieur en radioprotection.

Extrait de: «Pour un réexamen des données qui fondent la protection des travailleurs contre les rayonnements ionisants»,
colloque de Montauban "Nucléaire-Santé-Sécurité",
organisé par le Conseil Général de Tarn et Garonne (21-22-23 janvier 1988).

 

 

* Un dentiste de Boston, William Rollins, fut peut-être la première et la principale personne à jouer un rôle pionnier en matière de radioprotection. Rollins, qui était diplômé de Harvard en dentisterie et en médecine, fut le premier à proposer une dose de tolérance ou d'exposition aux rayons X et aussi le premier à recommander de protéger et de colmater les tubes à rayons X. Son critère ou sa norme consistait à exposer une plaque photographique à l'extérieur du tube ; si la plaque n'était pas voilée au bout de 7 minutes, la protection était adéquate. [Le 24 février 1901, il publie un article retentissant intitulé "X light kills" (Boston Medical and Surgical Journal, 1901, n°114, p. 173).] Entre 1900- 1904, il publia plus de 200 rapports où il encourageait vivement les médecins à recourir à l'exposition la plus faible possible, et il proposa des méthodes permettant de réduire l'exposition tant du radiologue que du patient (Rollins, 1904). Rollins reconnut également le potentiel de cette technique pour l'induction de la cataracte et il mena à bien certaines expériences sur les animaux qui révélèrent, entre autres, le risque de lésions graves (tératologiques) du foetus. Il fut le premier à lancer des mises en garde contre les risques que les rayons X comportaient pour les femmes enceintes.

** On pourrait raisonnablement penser que, une fois que l'on eut découvert qu'une exposition excessive aux rayons X produisait des lésions des tissus, on ferait attention. Mais ce ne fut pas le cas - même en 1903, Albers-Schonberg (1903), qui produisit une série de règles à l'attention des radiologues afin qu'ils se protègent, suggéra que la technique régulièrement utilisée visant à tester la « dureté » du tube de rayons X en plaçant la main entre le tube et l'écran fluorescent était dangereuse. Il faut ajouter qu'à cette époque, l'absence d'une norme agréée d'exposition au rayonnement ou d'une dose constituait un problème pour ceux qui voulaient établir des critères efficaces de protection - il fallut attendre jusqu'à l'adoption du röntgen comme unité d'exposition en 1928. Cependant, malgré l'absence d'unité, la Société radiologique allemande publia la première série de règles en matière de radioprotection en 1913.

Extrait de "Rayonnement : signaux précoces, effets tardifs",
Barrie Lambert, validation de la traduction française: Scott Altmann.