D'après le journal Belorusskaya Delovayazeta: "Youri Bandazhevsky est à nouveau en prison à Gomel en attendant la sentence du tribunal le 18 juin : il a été victime d'une provocation. Alors qu'il devait se rendre à Minsk par le train il s'est retrouvé à la frontière ukrainienne comme s'il tentait de fuir. Heureusement ce sont les garde-frontières qui ont procédé à son arrestation (en présence des agents de la Direction du comité chargé des organisations criminelles du ministère de l'intérieur) et lui ont permis de téléphoner à sa femme".

 

BELORUSSKAYA DELOVAYA GAZETA

(Journal biélorusse des affaires )

 

N°85 (981) 13 juin 2001

 

Un "piège" pour le professeur

selon Yuri Bandazhevsky,

il a été victime d'une provocation

Irina MAKOVETSKAYA, Gomel

La poursuite judiciaire intentée contre l'éminent scientifique biélorusse Yuri Bandazhevsky se poursuit aussi étrangement qu'elle a commencé en juillet 1999. Dimanche dernier, l'ancien recteur de l'Institut de Médecine de Gomel a été appréhendé au poste de police de Novaïa Guta au moment où il tentait soi-disant de passer en Ukraine avec un faux passeport.

Cette information a été diffusée à l'aube du 11 juin par le service de presse de la Direction de l'Intérieur du comité exécutif de la région de Gomel. Selon cette source, Yuri Bandazhevsky a été appréhendé au poste de police de Novaïa Guta en compagnie de trois citoyens ukrainiens dont l'un présenta une carte de député de la Rada Suprême. Il avait un passeport au nom d'Ivan Kriatchko, citoyen ukrainien. Les agents de la Direction du Comité chargé des organisations criminelles pour la région de Gomel auprès du Ministère de l'Intérieur du Belarus (UKOP) ont secondé les gardes-frontière dans leurs efforts pour empêcher la sortie illégale du professeur du pays. A propos, c'est précisément l'UKOP qui avait procédé en juillet 1999 à l'arrestation du professeur Bandazhevsky, accusé plus tard d'avoir été soudoyé par les parents de candidats à l'admission dans son institut, ainsi que d'abus de pouvoir. C'est toujours ce même chef de l'UKOP, Vladimir Kartsev, qui a déclaré le 11 juin dans une interview à l'ATN que Bandazhevsky voulait s'enfuir "pour échapper à la peine". Pourtant dans la séquence filmée sur les lieux on ne voit pas de Bandazhevsky.

Le 11 juin l'avocat de Bandazhevsky, Alexandre Baranov, n'a pas réussi à rencontrer son client. Comme il l'a dit au correspondant de "BDG", les gardes-frontière l'ont assuré que les avocats ne participaient pas aux affaires de caractère administratif et lui ont conseillé de s'adresser au parquet. Au parquet, on lui a dit la même chose et on lui a conseillé de s'adresser … aux gardes-frontière. On a su le même jour qu'une affaire avait été déclenchée contre Bandazhevsky pour infraction administrative en vertu de l'art. 184 du Code administratif du Belarus ("Violation des règles d'entrée en zone frontalière"). L'article prévoit comme sanction soit un avertissement, soit une contravention égale à trois salaires minimums. Néanmoins Bandazhevsky est toujours gardé à vue. Selon l'avocat, c'est illégal. Au préalable le professeur aurait été placé en garde à vue pour trois jours pour vérification d'identité. Ce prétexte est aussi ridicule qu'absurde puisque les gardes-frontière eux-mêmes ne cachent pas que ce n'est personne d'autre que le professeur Bandazhevsky qu'ils ont appréhendé.

Le 12 juin, à la reprise de l'audience de l'affaire Bandazhevsky, le tribunal militaire auprès de la Cour Suprême a pu se rendre compte lui-même que la personne qu'il avait devant lui était bien Bandazhevsky. L'audience a duré cinq minutes mais on avait passé plus d'une heure à la préparer. Près de 12 agents de la milice avaient fait irruption dans la salle. Trois d'entre eux portaient des gilets pare-balles et étaient armés de fusils-mitrailleurs. On vit aussi venir un milicien accompagné d'un berger allemand qui renifla consciencieusement tous les recoins de la salle. Le suppléant du chef de l'UKOP, Vladimir Koudriavtsev, s'y affairait aussi.

Les journalistes ne perdirent pas leur temps pendant cette longue attente: l'épouse du professeur Bandazhevsky fit une déclaration à la presse:

"Yuri Bandazhevsky avait des raisons de craindre pour sa vie. Ces derniers temps il tenait même un journal. Quand je l'ai lu, j'ai compris qu'il craignait par dessus tout de disparaître avant le procès. Pendant les dix-huit mois qu'il était en liberté surveillée, il aurait pu obtenir l'asile politique dans n'importe quel pays. Mais son but n'a jamais été de fuir. Il tenait à défendre son innocence devant le tribunal. Pourquoi se serait-il enfuit à un jour et demi de la sentence? Il ne s'agit pas d'une évasion, comme on veut nous le faire croire, mais d'une provocation".

Selon Galina Bandazhevskaya, l'accusation de corruption est cousue de fils blancs. "Un homme corrompu aurait-il combattu la corruption comme il l'a fait aussi bien dans son établissement que dans les institutions de santé publique? Ceux qui se font soudoyer restent tranquilles. Ils lèchent un endroit précis aux personnalités haut placées et essaient de ne jamais faire parler d'eux. Un homme corrompu aurait-il avancé ses propres idées scientifiques à l'encontre de tous ceux qui nient et cachent les conséquences de Tchernobyl? Bandazhevsky, lui, ameute tout le monde en affirmant que nous allons tous périr. Notez qu'aucun de ses ouvrages n'a paru au Belarus. Même si c'est un homme corrompu mais un bon scientifique, qu'est-ce qui empêche de publier ses articles? On voit que la corruption n'y est pour rien. Il faut creuser plus profond. En réalité, ils veulent nous cacher que nous sommes vraiment tous en train de périr", a déclaré Galina Bandazhevskaya.

Après la fin de l'audience, Yuri Bandazhevsky a lui-même confirmé que "samedi et dimanche, ma vie s'est réellement trouvée en danger, ainsi que celle de ma famille". Quand on lui a demandé s'il s'était vraiment trouvé au poste frontière de Novaya Huta, il n'a pas répondu. "Je dois d'abord sauver ma vie", a-t-il déclaré. Il a dit qu'il avait été victime d'une provocation.

La sentence dans "l'affaire Bandazhevsky" sera prononcée le 18 juin.


 

Un nouveau chef d'accusation était donc nécessaire?

 

Vadim DOVNAR

Dès que nous avons appris ce qui s'était passé à la frontière avec l'Ukraine, nous avons contacté l'épouse du professeur tombé en disgrâce, Galina Bandazhevskaya. Elle pleurait, elle avait du mal à parler…

- Que pouvez-vous dire sur ce qui s'est passé?

- Je peux seulement faire des suppositions. C'est un nouveau piège tendu au professeur Bandazhevsky. Dimanche j'ai compris une fois de plus à quel point mon mari était dangereux pour les autorités. C'est vraiment un scientifique exceptionnel.

Comme vous le savez, le procureur a demandé pour lui une peine de 9 ans de détention de régime sévère avec confiscation des biens. Et avec interdiction de faire des recherches scientifiques pendant 5 ans après la fin de sa peine. Mais même après, ils n'ont pas besoin de lui… Les organes de sécurité ont pensé qu'étant soutenu à l'étranger comme il l'était, le professeur allait tenter de quitter le pays pour échapper à sa peine. Mais près de deux semaines se sont écoulées après la dernière audience du tribunal et mon mari continuait à travailler: il publiait des articles dans des revues étrangères, il terminait son dernier ouvrage…

Les autorités ont dû comprendre qu'elles avaient commis une erreur impardonnable en le laissant en liberté surveillée. Alors elles ont décidé d'agir par d'autres moyens.

- S'est-il passé quelque chose ces dernier temps qui aurait pu vous servir d'avertissement?

- Jeudi il y a eu un coup de téléphone d'un étranger qui s'est présenté comme étant un agent des organes de sécurité. Il m'a priée de dire à mon mari (qui n'était pas à la maison) qu'il appelait de la part du juge d'instruction Vajkov pour convoquer mon mari à un interrogatoire. Quel interrogatoire? Le procès touchait déjà à sa fin! C'est à peine si nous avons dormi cette nuit-là. Nous sommes allés trouver notre avocat et avec lui nous avons téléphoné à Vajkov. Ce dernier a dit qu'il n'avait confié à personne de convoquer mon mari… Pendant toute la semaine notre téléphone était sur écoutes, la maison était surveillée. On ne pouvait pas faire un pas sans qu'ils le sachent.

- Que s'est-il donc passé dimanche?

- Il restait un jour et demi jusqu'à la dernière séance du tribunal où devait être prononcée la sentence. Et le professeur ne prenait toujours pas la fuite! Alors il a bien fallu qu'ils organisent eux-mêmes cette évasion, je pense…

Voilà comment les choses se sont passées:

Dimanche mon mari a terminé la monographie à laquelle il travaillait. La cinquième depuis le début des persécutions. Elle est consacrée à l'action du radiocésium sur la fréquence des cas de malformations innées dans l'organisme. Le 10 juin il s'apprêtait effectivement à partir, pas en Ukraine mais dans la direction opposée, à Minsk, pour mettre au propre son manuscrit. Il m'a dit: "Mon frère a un ordinateur, je vais pouvoir le faire. Dans quelques jours, ils vont m'enfermer, il faut que je fasse le maximum, ce sera à toi de faire le reste après…"

Mon mari est parti à la gare. Il m'avait promis de m'appeler dès qu'il serait arrivé à Minsk. Je ne sais pas ce qui s'est passé ensuite mais il m'a appelé dimanche plus tôt que je ne pensais, à 19 h 30. Yuri m'a dit littéralement ceci: " Ne t'inquiète pas. J'ai été arrêté par les gardes-frontière qui m'ont autorisé à t'appeler. Ces gens, tu dois leur être très reconnaissante. Il le fallait. Tu comprendras plus tard." Je suis reconnaissante aux gardes-frontière qui l'ont arrêté et n'ont pas permis qu'il disparaisse comme tant de personnes connues dans notre pays.

- Pourquoi les services de sécurité avaient-ils besoin d'organiser l'évasion de Bandazhevsky selon vous?

- Le tribunal n'avait aucune preuve. J'ai assisté pendant quatre mois aux audiences. J'ai tout pris en notes et je suis sûre de ce que j'affirme. Il leur fallait un autre chef d'accusation!

 

 

 

Nous marchons depuis longtemps sur du radiocésium

mais nous n'avons pas encore goûté

aux fruits de la catastrophe de Tchernobyl à l'état pur, estime Bandazhevsky

 

Service d'information

L'ancien recteur de l'Institut de Médecine de Gomel, Yuri Bandazhevsky, est de nouveau derrière les barreaux. Peu avant il avait répondu aux questions du correspondant de "BGD". Il y a de grandes chances que ce soit sa dernière interview d'homme libre.

- Si je ne m'abuse, les maladies cardio-vasculaires représentent la première cause de mortalité dans le monde entier?

- C'est vrai. Mais regardez un peu cette photo. Ce n'est pas une route pavée, comme on pourrait le croire à première vue, c'est la structure histologique du muscle cardiaque d'un habitant de Dobrouch, décédé subitement à l'âge de 43 ans. Vous voyez cet énorme œdème? Quant à ces "trous", ils se sont formés à la place des cellules tuées par le radiocésium, quoique sa concentration n'ait pas été excessive dans ce cas précis, pas plus de 45 Bq/kg. Pourtant c'est un fait, il marchait, il est tombé et il est mort. C'est un cas parmi une multitude de cas semblables. Voilà pourquoi je ne serai jamais las de répéter que c'est un crime de fermer les yeux sur les effets chroniques de la radiation et sur l'incorporation des radionucléides dans l'organisme humain. Le cœur est un organe énergétique au travail intense qui comporte un mécanisme de contraction et de relâchement des structures cellulaires du myocarde. Ce mécanisme est extrêmement sensible à la quantité d'énergie amenée. Le césium attaque les systèmes enzymatiques responsables pour la "livraison" de cette énergie et provoque ainsi l'arrêt du cœur: la contraction commence mais le relâchement "freine".

- C'est effrayant…

- Et comment! Mais il fallait s'effrayer bien avant. En 1993 nous avions déjà mis en évidence la corrélation directe qui existe entre les troubles cardiaques chez l'enfant et la quantité de radiocésium incorporé. Ma femme, Galina Bandazhevskaya, qui est cardiologue pédiatre, s'est consacrée à l'étude de ce problème. Quand les Japonais ont découvert son article dans une revue médicale, ils sont venus exprès pour faire un film sur nos recherches. Des journalistes occidentaux ont également fait plusieurs documentaires sur les études en radiopathologie de l'Institut de médecine de Gomel. Seule la porte du Ministère de la Santé du Belarus nous est toujours restée fermée.

- Vous espérez qu'ils vous ouvrent maintenant, la veille du jour où sera prononcée la sentence?

- Pensez-vous! Je n'ai même pas l'intention de perdre mon temps à critiquer le Ministère de la Santé, cette occupation étant absolument vaine. Je voudrais simplement demander à ces messieurs: "Que faites-vous donc?" D'ailleurs, je peux très bien répondre à leur place: "Vous faites tout pour que les gens ne soient pas en bonne santé".

- Mais ces déclarations ne servent qu'à les taquiner… A quoi bon?

- Pour moi, il n'y a pas de plus grande valeur que la vérité. Le rôle de la radiation dans l'étiologie de divers cancers est aujourd'hui évident pour de nombreux médecins. Mais ils se taisent en justifiant leur silence par l'absence de preuves. Eh bien, trouvez-les! Mais au lieu de les chercher, on prescrit des poudres contre la migraine sans essayer d'en déceler les causes, on "traite" la tuberculose à l'aide de rayons X. N'allez pas imaginer que c'est le désespoir d'un "coupable innocent" qui parle en moi, bien qu'il y ait des preuves qu'ils veulent ma peau, pour appeler les choses par leur nom. Je souffre de voir que ce dont j'avais mis en garde il y a 10 ans est en train de se réaliser aujourd'hui. Le nombre de malformations innées chez les enfants augmente. Et il ne cessera d'augmenter pendant plusieurs générations car nous n'avons pas encore goûté aux fruits de la catastrophe de Tchernobyl à l'état pur. Ce que nous observons aujourd'hui, c'est le résultat des essais d'armes nucléaires dans lesquelles l'humanité s'est lancée dans les années 50. Il y a déjà pas mal de temps que nous marchons sur du radiocésium.

- La médecine officielle ne semble pas approuver ce point de vue.

- Bien entendu! Aujourd'hui la région relativement peu touchée de Vitebsk leur sert de référence. Ils regardent le taux de morbidité dans cette région et s'exclament: "Oh, là, là, pour certaines maladies le taux de morbidité est plus élevé que dans la région de Gomel! Alors ne nous rabattez par les oreilles avec votre radiocésium". Il s'agit soit d'une impardonnable ignorance, soit du plus pur cynisme. Il y a 30 ans les scientifiques soviétiques avaient découvert dans les pays Baltes un taux de radiocésium particulièrement élevé dans le lait et avaient expliqué ce phénomène par les retombées radioactives dues aux explosions nucléaires. Se peut-il que les pays Baltes aient souffert mais non la région de Vitebsk qui leur est limitrophe? Toute personne sensée vous dira que cette affirmation est absurde. Le radiocésium était présent dans la région de Vitebsk bien avant Tchernobyl, ce qui explique le taux élevé de morbidité. J'espère que le Forum de l'OMS de juin pourra faire quelque chose de réel pour protéger l'humanité de l'agression nucléaire contrairement à la conférence hypocrite de l'AIEA qui s'est tenue également à Kiev en avril.

- Pourquoi en voulez-vous donc tant à la Conférence de l'AIEA?

- Mais c'est un "cheval de Troie", ils tentent de cacher leur total mépris pour la santé des gens en jouant la sollicitude. Tu parles : ils ont reconnu la présence d'une "crise démographique durable" au Belarus, en Ukraine et en Russie! Et ils se sont même plaints du financement insuffisant des mesures visant à liquider les conséquences de la catastrophe de Tchernobyl! Qu'y a-t-il de positif dans tout cela, surtout quand on lit dans la même résolution qu'avant la catastrophe, les territoires contaminés n'avaient été sujets qu'aux " effets de divers éléments non radioactifs"? L'AIEA cache volontairement le fait que l'Union Soviétique, comme les autres pays nucléaires, procédait régulièrement à des essais d'armes de destruction massive. Car il suffit de reconnaître que les retombées de radiocésium constituent un problème pour devoir reconnaître également qu'elles ruinent la santé des populations de nombreux pays du globe.

- Ce que vous dites est assez désespérant… Il se peut qu'on vous comprenne à Kiev, ou même qu'on vous entende quelque part en Nouvelle Guinée, mais surtout pas au Belarus.

- Dieu et mon sort auront donc voulu qu'il en soit ainsi. Mais vous savez, je suis sûr que si on ne m'entend pas aujourd'hui, on m'entendra demain. Les graines du bon sens finiront bien par germer. L'essentiel est de les semer.