"Enfants de Tchernobyl Belarus"

(N.B. Cette rédaction a demandé un attentif travail de reconstruction des faits et des échanges téléphoniques répétés avec Galina Bandajevskaya, ce qui explique le temps mis pour vous communiquer ces informations. Wladimir Tchertkoff, 15/12/2002)



Professeur Youri Bandajevsky

9 décembre 2002
Nouvelles de prison

Youri Bandajevsky, né le 9 décembre 1957, vient d'avoir 45 ans. A l'occasion de son anniversaire la direction de la prison a accordé exceptionnellement à la famille une visite de 4 heures. Galina et sa fille Olga s'attendaient à une rencontre pénible, peut-être dramatique, à cause d'informations reçues peu de temps auparavant. Mais ce fut encore une fois une très bonne rencontre.

Depuis que le prisonnier a été transféré du grand dortoir dans la chambre à 2 lits, les autres détenus, qui avaient de la sympathie pour lui, tout en étant respectueux envers lui, sont sur leurs gardes quand ils le rencontrent. Youri sent comme un cordon sanitaire autour de lui.

Cette fois-ci la rencontre de la famille avec Youri était particulièrement surveillée et mouvementée. L'entrée a demandé beaucoup de temps. Il y avait de l'affairement autour de Galina, jamais auparavant elle n'a été fouillée avec cette minutie, après une heure et demie d'attente, dehors dans le froid, par moins 15° C, (il y avait beaucoup de familles qui entraient 2 par 2). Le fonctionnaire préposé au contrôle a vidé le sac à main de Galina sur la table, a longuement scruté, en transparence sur une lampe, la feuille de papier, qu'elle avait avec elle pour prendre des notes. Il a fouillé dans le sac des victuailles et des cadeaux.

La visite

Quand Galina, sa fille Olga (la plus jeune, Natacha, grippée, n'est pas venue) et la grand'mère ont été introduites dans le couloir, au fond duquel se trouvait la porte par où devait entrer Youri, le vice directeur de la prison, un certain Los', est entré avec elles. C'est un homme dur, que les détenus craignent et qui n'apparaît que dans des cas où la poigne de fer ou l'intimidation sont nécessaires. Youri se trouvait dehors, à l'autre bout du couloir et, en entendant leurs voix, a demandé par la porte entrouverte si c'étaient bien elles, si les filles étaient là. Galina a commencé à lui répondre et s'est fait brutalement réprimander par Los' : "Taisez-vous! Vous devez attendre qu'il vienne." — "Je ne fais rien de mal…" — "Vous transgressez le règlement. Silence!" Ils ont été introduits dans la chambre qui donnait sur le couloir. Youri leur a dit aussitôt qu'ils seraient certainement écoutés. Il était impatient et heureux de les voir. Galina lui a apporté des cadeaux : son dernier livre, qui réunit 3 monographies, finalement imprimé et relié par son frère, un cadeau acheté par les collaborateurs de Belrad, qu'il ne devait ouvrir qu'au Nouvel An, (caviar, un Père Noël en chocolat, une petite tarte et des bougies) et le journal de la CRIIRAD, "Trait d'Union", qu'elle avait caché sous ses vêtements. Une bonne conversation s'est engagée entre eux. Youri parlait sans arrêt, il déversait le trop plein de la longue attente. Au bout d'une demi heure on frappe à la porte et entre un fonctionnaire du Comité d'Exécution des Peines : "Je viens sur ordre du Ministère des affaires étrangères". Bandajevsky pâlit. "Qu'est-ce qu'il y a? Que me veut-on?". — "Je viens contrôler votre état de santé." Galina lui demande s'il est médecin. "Non." — "Alors comment pouvez-vous rendre compte de sa santé? Même si, extérieurement il pourrait vous sembler plus ou moins normal pour un détenu, moi, comme médecin, je peux vous dire qu'il va très mal. C'est un homme malade." Youri le connaissait et s'est mis à lui parler : "Je vais très mal psychiquement, je souffre vraiment. Pourquoi me faites-vous ça, pourquoi vous acharnez-vous? Vous savez que je suis innocent. Pourquoi détruire ce cerveau, qui pourrait être utile au pays? Pourquoi me punissez-vous si durement?" Il a caché son visage entre les mains pour freiner son émotion. L'homme, plutôt bienveillant : "Je vous comprends, mais que voulez-vous, nous ne sommes pas les juges, nous ne sommes pas le tribunal… Est-ce qu'on vous brime, est-ce qu'on vous offense ici?" — "Non." Il est parti faire son rapport. Quelle peut être la valeur d'un rapport sur la santé dans ces conditions?

Trois quarts d'heure passent, la porte s'ouvre de nouveau, le gardien crie : "A la sortie, Bandajevsky!" — Youri, tendu : "Pourquoi si tôt? Nous avions droit à 4 heures pour la visite!" — "Vous êtes convoqué chez le directeur. Les femmes peuvent rester et vous attendre." — Troublé, Youri a demandé si Galina pouvait l'accompagner. — "Non". De nouveau angoissé, à bout de nerfs, il va chez le directeur. Il rentre au bout d'une demi heure, amusé : "Je ne comprends rien. C'était l'adjoint de Konopliov (le parlementaire qui "s'occupe" de Bandajevsky depuis juin N.d.R.), qui m'a interrogé sur nous : "Comment va votre famille? Vous n'avez aucune friction avec votre femme? Vous n'avez pas l'intention de vous séparer? De changer…?" — "Non. J'aime ma famille. J'ai de grands enfants. Je les aime. Je ne le ferai pas." — "Bien, nous en sommes heureux. …" Il semble clair maintenant que le but de ces "protecteurs" était de rompre l'union de leur couple. Voilà ce qu'ils ont essayé de faire.

Le cauchemar des 6 derniers mois

Pendant tout l'été, les "organes" [en russe, l’ensemble du système répressif du KGB] ont "travaillé" Youri, ils l'ont déstabilisé en jouant sur sa fragilité psychique et nerveuse, sur son angoisse, sur les crises de panique qui le saisissaient, qu'ils alternaient avec des espoirs et des fantasmes prometteurs. Sans parler de la très vraisemblable utilisation de substances psychotropes dont nous n'avons pas la preuve, nous avons la certitude et les preuves que Youri a été manipulé par la désinformation et par la suggestion psychologique.

En hiver 2001 déjà, parmi les nombreuses lettres de soutien qui lui arrivaient, s'est glissée une certaine Orlova. Elle avait commencé par écrire à Galina, se disant très émue par le sort de Youri et solidaire avec elle. Elle offrait de lui envoyer des colis pour le prisonnier. A Youri elle a écrit qu'elle prévoyait une proche amélioration pour lui, qu'elle avait un don de voyance et qu'elle pouvait l'aider à distance. Elle s'est mise à lui envoyer de la littérature mystique et à l'envelopper de conseils et de prédictions consolantes. S'il se comportait comme elle le lui suggérait, elle lui garantissait qu'il supporterait bien l'emprisonnement et qu'il serait bientôt libéré. Elle lui recopiait des prières et des incantations, qu'il devait apprendre par cœur… Un mélange de religion et de magie, qui s'est inséré habilement dans l'état de déréalisation psychologique et mentale dont Youri se plaignait. "Je suis en train de perdre le contact avec la réalité", écrivait-il.

Dans les conditions d'étroitesse et d'isolement prolongé où il se trouve, en proie à de longs moments de vide et de panique, l'interprétation commune de la réalité s'est doublée d'une interprétation privée. En prison la familiarité concrète des choses du monde s'éloigne, cède la place à leur totale étrangeté et inconsistance. Nous, qui sommes dehors et luttons pour sa libération immédiate, qui passons d'une initiative à une autre, sommes-nous vraiment certains d'y réussir? Si Youri, qui n'a pas nos points d'appui dans la réalité de l'action, ne réussit pas à se détacher de l'attente et de l'espoir quotidiens, il est normal qu'il ait des chutes dans le vide. Il répondait à Orlova, lui posait des questions, entrait dans sa logique. Il avait besoin de réorganiser ce qui lui arrivait sur la base de quelque représentation qui donnât un sens et une issue à la part ingouvernable de l'expérience qu'il vivait. Une correspondance assez délirante s'est établie entre eux. Quand Orlova eût bien capturé son attention, elle a commencé à lui suggérer que Galina avait une influence négative sur son destin, que c'était une ambitieuse qui voulait profiter de sa gloire et qu'elle finirait par le perdre. Il devait se méfier de sa femme, dont le comportement lui était nuisible. S'il avait le courage de rompre avec elle, il sortirait bientôt. Galina l'avait su d'abord par sa belle-mère et par Youri lui-même, puis par les lettres d’Orlova, quand celle-ci s'est mise à l'attaquer directement. Youri, tout en repoussant les outrances, subissait l'influence de cette femme. "Tu travailles pour le KGB. Je ne crois pas en ton aide" dira-t-il à Galina dans un de ses moments de confusion. Fondamentalement, Orlova avait conquis sa confiance. Là-dessus s'est greffée, en juin, l'arrivée pleine de promesses et de conseils de Konopliov, qui, rationnellement persuadait Youri que les actions de Galina, qui informait l'Occident, ne l'aidaient pas dans sa volonté de le faire libérer. A partir de ce moment, aussi bien le comportement de Youri, que ses certitudes subjectives, intimes, se sont scindés et ont suivi deux directions divergentes. D'un côté il s'est efforcé de maintenir son lien et son espoir en l'aide de l'Occident, (mais avec des chutes de découragement profondes, où les raisons de ses "geôliers bienveillants" prévalaient,) de l'autre il a cultivé ce rapport avec Konopliov et il a subi le délire d’Orlova. Ce tiraillement, auquel il se soumettait, débouchait sur des crises de confusion à la limite de la dépersonnalisation : "…je suis incapable d'avoir un regard lucide sur moi-même. Je ne crois plus en ce que j'écris… ". Par phases, il a eu et il continue à avoir conscience de perdre l'équilibre réellement. Galina parle d'un dédoublement de la personnalité : deux personnalités parallèles s'expriment alternativement, l'amie et l'ennemie, la confiante et la méfiante, sur fond de dépression et d'épuisement. Cet homme passionnel et rigoureux, hypersensible, qui poursuivait et vérifiait ses intuitions de chercheur jusqu'à l'obsession, s'engouffre dans la souffrance sans doute avec la même totalité qu'il se donne à la recherche scientifique. Jusqu'au vertige. Il est à la fois fort et faible. Une expertise de psychiatres et de psychologues professionnels indépendants, suivie d'une période de convalescence et de soins, serait vraiment nécessaire pour sauver cet esprit exceptionnel.

Son tourment s'est exprimé dans ses lettres, en s'accentuant progressivement :

"Je veux me concentrer. J'ai encore des choses à dire." — juillet 2001, peu de semaines après la condamnation,.

"Pouvoir travailler me sauverait…". "Mon système nerveux ne réussit pas à s'adapter". "Je ne réussirai pas à tenir le coup ici" — Octobre 2001.

"Je travaille dans la mesure où mon cerveau me le permet, par la mémoire des connaissances dont je disposais autrefois… Je m'efforce de me tenir en mains. Il m'est très, très difficile d'être ici. Je suis en train de perdre le contact avec la réalité", Mai 2002.

"Ma position n'a pas changé : je reste fidèle à ma science… Ne vous inquiétez pas pour moi, je tiendrai le coup. Il faut supporter. Je comprends tout cela."— Juin 2002 (amélioration des conditions matérielles de détention).

"Tout m'est égal, tout m'est égal, tout m'est égal... Je ne peux pas t'expliquer ici l'énorme pression que je subis. Mon cerveau est comme un disque fêlé, qui revient toujours au même sillon. Je ne comprends pas ce qui m'arrive, je suis incapable d'avoir un regard lucide sur moi-même. Je n'écrirai plus rien. Je ne m'occuperai plus de Tchernobyl. Tu collabores avec le KGB. Je ne crois pas en ton aide " — Août 2002 (Substances psychotropes? Travail de Konopliov sur Youri… et sur sa mère? : il avait beaucoup insisté pour avoir ses coordonnées.).

Dans sa lettre de supplication à l'ONU Galina écrit en septembre :

"On voit que c'est un homme malade, victime de notre système pénitentiaire: ils sont arrivés à dédoubler sa personnalité, à lui faire douter de lui-même, à le désorienter. C'est devenu un homme incapable de résister, une sorte de pâte à modeler dont on peut faire n'importe quoi, qu'on peut diriger à sa guise. Dans ses lettres il m'écrit une chose, à mes questions il en répond une autre. J'avais devant moi un autre homme, un homme écrasé, indifférent à tout ce qui l'entourait. Ses yeux vides au regard éteint reflétaient une énorme souffrance. C'était un homme à l'identité dédoublée, au psychisme brisé."

Orlova, qui, si elle n'est pas une collaboratrice du KGB, travaille étrangement dans la même direction, avait progressivement accentué sa pression, jusqu'à perdre la mesure. En hiver 2001, elle s'était d'abord présentée à Galina comme une Estonienne de Tallin. Elle disait avoir appris l'affaire de Youri par un article publié sur "Argumenty i Fakty". Galina est allée la rencontrer à Saint-Pétersbourg pour recevoir un colis que des médecins estoniens, disait-elle, avaient préparé pour Youri. Par la suite, Orlova envoyait directement à Youri des colis alimentaires, que l'administration de la prison faisait tranquillement passer, bien que, selon le règlement, seule la famille a le droit de le faire, à des intervalles précis. C'est une question de sécurité, car qui sait ce que des inconnus peuvent envoyer, mêlé aux produits alimentaires?… Quand Galina avait proposé à Orlova par téléphone de lui envoyer un livre de Youri, son adresse était devenue incertaine, elle lui a dit qu'elle n'y habitait pas, qu'il y avait là une amie, qu'elle avait changé de passeport… bref, Galina a laissé tomber. Elle a l'impression que Orlova n'est pas Estonienne, mais Russe de Saint-Pétersbourg.

Après avoir tenté de convaincre Galina qu'elle nuisait à son mari, Orlova s'est mise à l'insulter et à la maudire en lui écrivant qu'elle conduisait Youri à sa perte, si elle ne cessait pas de s'occuper de lui. En même temps elle continuait à flatter et à endoctriner Youri, qui disait et écrivait à Galina qu’Orlova était une femme bien. Cette manipulatrice a fini par échouer dans l'essentiel : elle a prétendu de Youri qu'il abandonne ses recherches scientifiques autour de Tchernobyl. Quand il lui a écrit qu'il ne pouvait pas renoncer à sa science, elle a lâché prise en l'insultant : "Tu n'es qu'un âne têtu. Ta science est de la merde." (sic) C'était en septembre. Depuis, elle ne lui a plus écrit. La confiance de Youri envers elle a été déjà ébranlée quand elle a commencé a lui écrire des malédictions contre Galina : au début, elle s'était présentée comme une croyante fervente, ce qui ne collait plus avec le déchaînement de ce langage haineux.

Peu de temps avant la rencontre du 9 décembre, un prêtre orthodoxe de Gomel, le père Andrei, a visité Youri en prison. Ce prêtre, que les Bandajevsky connaissent, n'est pas un homme courageux. Quand Galina s'était adressée à lui pour qu'il demande la permission de visiter le détenu, il lui a dit qu'il était très occupé et qu'il préférait ne pas avoir d'ennuis. Galina s'était alors adressée directement au Comité d'Exécution des Peines, qui a envoyé un fonctionnaire en prison (le même qui est venu s'enquérir de la santé de Youri) pour demander à Bandajevsky s'il le voulait. Ensuite, ils ont téléphoné à Galina pour avoir les coordonnées du prêtre afin de le "vérifier", comme ils se sont exprimés. A la fin l'autorisation a été accordée et le père Andrei a dû y aller à contre cœur.

Après l'entretien avec Youri, le prêtre a dit à Galina : "La vie est quand même une chose compliquée. Youri se porte bien, il est tranquille et lucide. Il m'a offert du thé avec des biscuits et du chocolat français. Il m'a dit des choses sur vous : "Galina ne croit pas en Dieu. Galina ne m'aime pas. Galina utilise mon nom. Elle veut me voler ma gloire, mon cerveau. Elle veut être la Bonner [femme de Sakharov] de Bandajevsky. Elle et d'autres veulent profiter de ma science… Je crois en Konopliov, c'est lui mon ancre et mon salut." La famille a reçu ces nouvelles de plein fouet dans le visage, de nouveau blessée, désemparée.

Au cours de la visite du 9 décembre, Galina a répété ces phrases à son mari. Youri lui a répondu qu'il ne les a jamais prononcées, qu'il ne pouvait pas les prononcer, que le prêtre mentait, que c'était monstrueux ce qu'on leur faisait. Il était sincère. Sa fille Olga, qui est venue prévenue et en colère ("Ne joue plus au chat et à la souris avec nous", a-t- elle dit à son père, prête à rompre avec lui), est sûre elle aussi qu'il disait la vérité. En sortant, elles se sont dit qu'elles ont eu devant elles le Youri de toujours, mari et père aimant. Quand Galina a appelé sa mère dans son village près de Grodno, celle-ci lui a dit avoir eu Olga au téléphone, qui lui a raconté cette rencontre d'une voix heureuse et pleine d'allégresse. Ce prêtre est sans doute un autre cas tragique du système soviétique, machine à détruire les âmes.

Il a fallu à Galina déployer une force et un équilibre incroyables pour résister à ce tremblement de terre, pour ne pas tomber dans le piège ignoble qu'on lui tend depuis des mois. Si les filles, jeunes et intransigeantes comme le sont les jeunes, se sont révoltées contre le père, puis se sont reprises, Galina, elle, a le rôle difficile de l'ancre qui tient. Nous sommes quelques uns à avoir vu ce que cela lui a coûté, lui coûte et lui coûtera peut-être encore. Son attitude rappelle irrésistiblement un vieux mythe : la célèbre image d'Ulysse, qui, attaché au mât de son bateau, résiste au chant des sirènes en traversant le détroit de Messine. Galina s'attend à tout, tant que Youri n'est pas en liberté.

Les entendant parler amoureusement, les flics de Loukachenko ont dû faire contre mauvaise fortune bon cœur : "Comment va votre famille? Vous n'avez aucune friction avec votre femme? Vous n'avez pas l'intention de vous séparer? De changer…?" — "Non!". — "Nous en sommes heureux". Ils espéraient qu'elle explose, qu'elle coupe les amarres, qu'une rupture de la famille Bandajevsky puisse être diffusée dans le monde, farcie d'insinuations et de calomnies.

Observations sur la santé de Youri Bandajevsky

L'état général est le même que lors de la visite du 7 novembre. Galina lui avait demandé alors : "Que veux-tu transmettre à tes amis étrangers?" - "Qu'ils obtiennent une expertise médicale indépendante de mon état de santé. Je suis médecin, je connais notre monde, les nôtres ne diront que ce qu'on leur dira de dire."

Lors de la précédente visite l'aspect de Youri était amaigri, sec, cette fois-ci il avait le visage bouffi, pâle, la peau molle. Galina dit qu'il se remplit de médicaments (Validol) pour le cœur. La direction de la prison lui a permis de les avoir dans la chambre, parce qu'il est médecin. Douleurs fréquentes au cœur avec des élancements dans le bras. Douleurs à l'ulcère, renvois. Il mange peu ce qu'il arrive à digérer.

La présence du compagnon de cellule criminel pèse, il se sent constamment surveillé.

Instabilité psychique. Il parle de façon décousue, fébrile avec des tics nerveux, des appels répétés - "Ecoute-moi. Tu comprends? Écoute-moi…", avec des sauts du coq à l'âne. Il a pleuré devant le fonctionnaire du Comité d'Exécution des Peines, qui est venu s'enquérir sur son état de santé. : "Combien peut-on encore bafouer ainsi un homme?!". — "Nous comprenons tout…" - a répondu l'autre avec compassion.

Galina confirme que tout le monde comprend, dans le pays et parmi les gardiens de son mari, qu'une injustice énorme a été commise. Mais la situation reste ce qu'elle est. La décision est et sera politique: Loukachenko. Faut-il attendre que le dictateur tombe politiquement, ou l'Occident libre sera capable de lui arracher cette victime, avant qu'il ne soit trop tard?

A propos de Loukachenko, le politiquement naïf Bandajevsky respecte son chef de l'Etat. Il pense que le Président est mal entouré et qu'il est désinformé. Il n'a pas tout à fait tort. Ce paysan, ex-directeur de kolkhoze devenu dictateur, ne connaît rien à la physique nucléaire ni à la médecine. Mais aussi bien Chirac, Poutine, Bush, Schröder, Blair… n'en savent pas nécessairement davantage. Tous ces hommes d'Etat, dont dépend en grande partie l'avenir de l'humanité, sont informés dans ce domaine par le lobby nucléaire, qui a infiltré les institutions mondiales compétentes.