Slavoutych [ou Slavoutitch] la ville des travailleurs de Tchernobyl


La ville de Slavoutych est construite sur une "tache de césium radioactif", pour cette raison la plupart des personnels disposant d'instruments de contrôle dosimétriques refusent d'y habiter.

Les anciens employés de la Zone se sont regroupés au sein d'une association, les Vétérans. Celle-ci, après quelques déclarations offensives, s'est faite très discrète. Elle ne dispose d'aucune statistique, et ses membres, qui n'acceptent pas d'être cités, redoutent, s'ils font des vagues, d'être placés en fin de liste pour les soins ou la greffe de moelle osseuse dont leur vie pourrait dépendre.

En 1988, la fronde a gagné les ingénieurs de la Zone. Déjà, certains avaient protesté contre l'incurie du système Askro (système informatisé de mesures dosimétriques), d'autres contre l'interdiction qui leur était faite d'assister à un meeting écologiste. Mais ils s'insurgèrent ouvertement, et frôlèrent la grève lorsqu'on leur demanda d'abandonner leur logement de Kiev pour emménager à Slavoutych. Pour la première fois, les travailleurs des autres centrales nucléaires du pays manifestèrent leur soutien.

« Nous voulions construire la ville du XXIe siècle », explique le rédacteur de Tchernobyl, le reportage. Il fallait bien, en effet, trouver à loger durablement les cinq mille employés, cadres et scientifiques de Tchernobyl. Des experts furent donc commis pour étudier le site retenu, en pleine forêt et à plus de quarante kilomètres de la Zone, un appel fut lancé à toutes les républiques de l'Union. On y répondit, semble-t-il, avec entrain. Ce serait une belle ville. Immeubles de neuf étages au centre, de cinq étages ensuite, et villas individuelles pour finir. Chaque république apporterait sa touche architecturale traditionnelle. Le projet était bien avancé lorsque les experts rendirent un avis négatif. Les forêts alentour étaient contaminées. On passa outre.

Les ingénieurs n'obtinrent pas gain de cause. Cent trente d'entre eux démissionnèrent ou furent licenciés. 70 % du personnel employé au contrôle dosimétrique fut renouvelé. Les remplaçants - moins de volontaires désormais, et davantage de gens attirés par le double salaire de la Zone - acceptèrent d'habiter Slavoutych. A l'aller comme au retour, ils changent de train et de vêtements en cours de route. Les crèches de la ville sont régulièrement inspectées. Il est risqué, bien sûr, d'aller se promener. « Nous sommes obligés de défendre la ville contre la contamination, admet Nikolaï Arkhipov, spécialiste des mutations et ancien de Cheliabinsk. Mais chacun peut vérifier si ce qu'il a ramassé est "propre" ou non, et on est en train de mettre en place un espace correct de cinq kilometres autour de la ville. » « On s'habitue », disent les autres.

Alexandre Majovski, lui, a choisi de ne pas s'habituer, et il a démissionné, avant de rallier les Verts. Le chapeau mou incliné, le cheveux long et l'allure messianique, cet ex-ingénieur écume les réunions. « J'ai demandé à ce qu'on installe un système de contrôle à Slavoutych. On m'a répondu: "Ils n'ont pas besoin de savoir où ils habitent." Les effets ici, chacun peut les voir de sa fenêtre, mais on ne trouve rien dans les journaux. » Le livre de Tchernobyl n'évoque pas la polémique née autour de Slavoutych. Il précise seulement que la ville est prévue pour accueillir vingt mille habitants, et s'enthousiasme: « Trente républiques ont collaboré ! Le rêve va peut être se réaliser... »

Extrait de "Pripiat le rêve irradié" Dominique Conil,
L'Autre Journal n°1, mai 1990.