Nogent 2 transformé en réacteur expérimental ?

Des dégradations importantes du gainage des crayons combustibles sont apparues depuis 2 ans sur 3 des réacteurs de Cattenom et la tranche de Nogent 2. Les premiers défauts semblaient imputables à un manque de rigueur dans le contrôle de fabrication des gaines (affaire Césus, gaines non vérifiées par le fabricant), mais l'analyse d'incidents plus récents dus au "fretting", usure vibratoire des gaines dans la partie inférieure des crayons, nous laisse supposer que les importantes modifications du régime d'exploitation sont responsables de ces nouvelles dégradations.
En premier lieu, l'enrichissement du combustible à 4% d'uranium 235 fissile (au lieu de 3,1%) a permis à l'exploitant d'espacer les arrêts de tranches pour recharge en combustible en faisant fonctionner les réacteurs en continu pendant 18 mois au lieu d'un an. Les différents composants sont ainsi soumis à une fatigue et une fragilisation accrues pour lesquelles ils n'étaient pas conçus.
Dès 1995, j'avais demandé des explications sur les tentatives d'augmentation en puissance de la tranche 1 de Nogent et l'on m'avait répondu par la négative ; jusqu'aux antinucléaires qui considéraient alors mes propos comme quelque peu délirants. Actuellement, le fait est reconnu, Nogent 2 fonctionne à puissance nominale à 1330 MWé nets, alors qu'il est conçu pour 1270 MWé. L'augmentation de puissance nécessite aussi l'augmentation du débit d'eau dans le circuit primaire pour exporter cette chaleur supplémentaire vers les générateurs de vapeur. Il en résulte une augmentation des turbulences hydrauliques qui provoque des vibrations dans toute la structure primaire entraînant fatigue, fissures, fuites, ce qui augmente le risque d'accident et à terme le vieillissement de l'installation ainsi que les coûts de maintenance, ceci pour un modeste gain de production d'à peine 5% à puissance nominale, mais qui cumulé sur l'ensemble du parc P4 et P'4 de 1300 MWé crée virtuellement un vingt et unième réacteur, voire presque un vingt deuxième en comptant le gain de 6 mois entre deux arrêts de tranche. Mais ces gains ne compensent cependant pas le médiocre coefficient de production (kp, rapport de l'énergie produite sur l'énergie qui serait produite en théorie en fonctionnant 24 heures par jour et 365 jours par an) du parc nucléaire d'EDF dû au suréquipement et au suivi de réseau (variation de puissance en fonction de la consommation). Avec un "kp" de 70%, EDF fait triste figure, ne serait-ce que face à la Belgique avec son kp nucléaire à plus de 90%. On mesure là l'irresponsabilité des dirigeants, du gouvernement à EDF en passant par l'autorité de sûreté ; avec leur politique de gestion à court terme, lorsque les gros problèmes surviendront, ces " responsables " auront été remplacés. Où donc même la course aux profits, et cela pour étendre l'empire EDF par des prises de participations douteuses sur les marchés internationaux en y ingurgitant jusqu'aux provisions réalisées pour le démantèlement des installations dans le futur.
Aujourd'hui, ce problème de "fretting" des gaines de combustible, engendré par une durée d'exposition plus longue et une augmentation du régime hydraulique entraînant la mise en vibration des crayons, n'est plus limité à Cattenom 3 (92 gaines de combustible non étanches) et Nogent 2 (37 crayons dont 3 avec rupture de gaine) mais à l'ensemble du parc 1300 MWé avec des effets moindre pour le moment.
Des gaines fissurées, c'est la première barrière de défense en profondeur qui est enfoncée. Mais pour les responsables, pas question de revenir au stade précédent avec un combustible moins enrichi et une baisse de puissance ; on persiste dans l'erreur en expérimentant sur Cattenom 3 des gaines renforcées et un nouvel alliage de gaine "M5" non testé industriellement sur Nogent 2 ; Le M5 serait connu pour une meilleure résistance à la corrosion, mais pas forcément aux vibrations. On déclare même espérer une augmentation à venir du taux de combustion (moins de combustibles irradiés).
Le 10 juillet dernier, l'autorité de sûreté à pris simplement une décision de contrôle de radioactivité du circuit primaire dont la radioactivité provient essentiellement de la fissuration des gaines de combustible. Elle fixe 3 niveaux : celui à partir duquel un réacteur est officiellement considéré comme atteint de problème d'étanchéité des gaines de combustible, celui plus élevé pour lequel la tranche est autorisée à maintenir son fonctionnement sous l'astreinte d'un contrôle renforcé et de l'abandon du suivi de réseau, enfin celui à partir duquel l'arrêt de tranche devient nécessaire. Ainsi l'ASN admet qu'un certain niveau de contamination est acceptable et peut être dépassé pendant 8 jours ; que cette première barrière de confinement peut fuir sans que cela ne les inquiête.L'ASNne semble pas plus s'intéresser au cas des personnels de maintenance qui seront exposés à des doses de rayonnements plus élevées du fait d'une forte contamination des circuits, et ne fait peu de cas de l'augmentation des rejets radioactifs dans l'environnement, voire éventuellement d'émetteurs "alpha" comme le plutonium et les actinides mineurs.
Aux USA, à South Texas, deux réacteurs identiques de même puissance, de même conception Westinghouse (pour la France Framatome n'étant que le fabricant sous licence de Westinghouse), de même âge que ceux de Nogent, viennent de connaître des avaries au niveau des piquages d'instrumentations de fonds de cuve. Des fuites significatives ont été décelées sur ces tuyauteries qui permettent l'introduction de sondes de mesures dans le réacteur, au niveau du raccordement avec la cuve. Le problème semble insoluble, car il est impossible de vider le réacteur de l'eau pour procéder aux réparations. Ce qui est grave, c'est qu'une fuite d'eau importante du primaire comme une rupture d'un piquage d'instrumentation en fond de cuve, peut conduire à la dépressurisation du circuit, à la crise d'ébullition, au dénoyage du coeur et à l'accident.
Pour le parc EDF des 1300 MW, des problèmes identiques apparaîtront probablement sur l'ensemble du circuit primaire, de la cuve aux générateurs de vapeur en passant par les pompes primaires et l'ensemble des tuyauteries. Le circuit secondaire et son " tronçon protégé " les turbines, les condenseurs et même les pompes de prise d'eau de refroidissement et de recirculation ne seraient pas plus épargnés.

Claude Boyer