Les nouvelles technologies, fantasmes et réalites (II)

Dans les années 70, des individus ont essayé de trouver des solutions aux problèmes générés par la domination de la nature par l'homme et de sa possible disparition en tant que partie de cette nature si la technique de l'époque continuait de développer ses ravages.
Remarquons d'abord, que l'idée d'un homme partie prenante de la nature et pouvant la détruire -et lui avec- a dû émerger à cette époque aux yeux du public. Si la possibilité de l'autodestruction de l'homme avait déjà été annoncée comme un destin probable, on ne pensait alors qu'à la seule possibilité d'une destruction par la bombe atomique. Maintenant, il était question des conséquences dramatiques des uvres techniques de l'homme -en général.
Auparavant, J. Ellul, Günther Anders, etc., n'avaient intéressé qu'un public restreint. Il a fallu attendre les années 70 et les déclarations du Club de Rome pour qu'éclate au grand jour la réalité d'un monde aux ressources naturelles limitées, aux pollutions omniprésentes, comme à Minamata au Japon,
Des réflexions, des projets sur les technologies "douces" se sont multipliés. Devant ce foisonnement d'initiatives nous pouvons parler de "mouvement". Ce mouvement s'opposait au système en vigueur. Il a recherché des solutions valables pour des petites unités décentralisées. Finalement il a échoué parce que ses expérimentations n'étaient pas généralisables à toute une société ni a fortiori à la terre entière. De plus, il avait peu réfléchi à l'avenir des villes ainsi qu'à la production en général.
Puis les ministères de l'environnement se sont rajoutés aux autres ministères dans la plupart des pays du monde et la pollution s'est généralisée à la planète entière.
Ce mouvement était dominé par le rêve d'un retour à la terre. Or, il y a en France 60 millions d'habitants sur un territoire de 550 000 km2. Si l'on fait disparaître les villes cela fait 110 habitants au km2 1,10 hab/ha. En imaginant qu'il n'est pas raisonnable d'implanter des gens sur les fleuves et rivières ni en haute montagne, ni sur une partie des terres nécessaires à la culture on peut faire l'hypothèse suivante :

 S.A.U.*

 310 000 km2

 HABITE

 27 000 km2

 FORETS

 150 000 km2

 RESTE

 63 000 km2

 total

 550 000 km2

 *S.A.U. : surface agricole utile
Le "reste" correspond aux fleuves et montagnes

Admettons que l'on conserve 50 % de la SAU et 50 % des forêts, il reste 257 000 km2 "habitable", soit 233 hab/km2, soit 2,33 hab/ha, ce qui correspond à une densité encore acceptable, sur le plan théorique, mais impossible à réaliser dans des délais "raisonnables" pour des raisons historiques, ni sans une sérieuse remise en cause du droit de la propriété, etc et autres "droits fondamentaux". Par ailleurs quid des infrastructures nécessaires et de la multiplication des chemins et autres réseaux ? Quid du patrimoine ?
Même si l'on se rappelle que la campagne française était surpeuplée jusqu'au début du XXème siècle, sans autres problèmes que le déboisement et la dureté des conditions, un tel projet semble impossible à réaliser.
Avec une campagne aussi densément peuplée, on peut aussi se demander si la nature a encore un sens, même si inversement l'occupation des campagnes devrait s'accompagner d'une "naturisation" des activités humaines dans le sens d'un plus grand respect des équilibres écologiques et d'une volonté de diminuer les pollutions.

Mais revenons aux "rêves des soixante-huitards écologistes". Aussi coupés de la réalité qu'ils ont pu l'être, ils ont lancé un débat, alerté l'opinion parfois avec prémonition. Même si l'on évoquait peu la possibilité d'une catastrophe comme argument pour s'opposer au nucléaire à cette époque, souvenons-nous que la manifestation de Creys-Malville en 1977 contre le nucléaire en général et le surgénérateur de Creys-Malville en particulier a précédé l'accident de la centrale de Three Mile Island aux Etat-Unis (1979) et la catastrophe de Tchernobyl en 1986.
Malheureusement leurs rêves étaient confinés aux campagnes, alors que les problèmes sont posés d'abord en ville, même si nos campagnes sont de plus en plus polluées.
Cette poésie d'un retour possible à la campagne a été reprise dans la propagande politique des écologistes d'aujourd'hui. Non seulement elle est impossible à réaliser, mais encore elle risque de masquer les véritables enjeux : que faire des problèmes posés par la vie dans des villes de plus en plus grandes ?
On pouvait y voir de la poésie lorsqu'il s'agissait des mouvements des années 70. Une poésie en général fait les louanges de la nature, elle peut aussi pleurer sa mort annoncée. Néanmoins cette poésie doit être mise de côté lorsqu'elle nous empêche de voir l'essentiel qui est le combat pour la survie. Elle ne pourra redevenir "utile" que lorsque nous nous trouverons dans une situation extrêmement avilissante pour l'homme à l'instar de Primo Lévi lorsqu'il était à Auschwitz Aujourd'hui les écologistes y ont recours essentiellement pour attirer l'attention des électeurs et favoriser l'élection de quelques "verts".
Or, nous ne pouvons plus penser comme dans les années 70, il n'y a plus de société idéale possible, il nous faut plutôt essayer de trouver des solutions urbaines et d'abord réduire les taux d'irréversibilité crées par le développement des technologies actuelles, à commencer par le nucléaire. On peut parler d' "irréversibilité" lorsqu'une région entière a été contaminée par la radioactivité ou la dioxine, que la survie de l'humanité dans cette zone est devenue impossible. Il s'agit de survie d'abord. Il s'agit aussi d'éviter l'avilissement totale avec la mise en place d'un régime totalitaire, qui deviendrait presque indispensable pour gérer une population victime d'un accident nucléaire par exemple. Dans ce cas le rêve d'un retour à la terre pourrait être réalisé rapidement comme au Cambodge sous la férule de Pol Pot

JL.P