Speedy Blues

par Roger Belbéoch

Le ministre de l'intérieur, Monsieur Sarkozy, a été aussitôt surnommé Speedy ("le rapide"), dans les commissariats de police, ce qui fait très shérif hollywoodien. Ces shérifs on peut les classer en deux groupes, ceux très motivés par la défense de leurs administrés et qui sont harcelés par leurs supérieurs aux ordres des puissants, mais il y a aussi les shérifs corrompus que d'honnêtes hors la loi réussissent à maîtriser. Speedy n'entre probablement pas dans ces deux catégories.
Il a, c'est certain, le souci de la sûreté de la population mais il n'est pas harcelé par ses chefs. Il rêvait probablement depuis longtemps de bouleverser la tradition administrative qui, toujours, se déclare prête à faire quelque chose lorsqu'une installation industrielle tue des gens mais qui en fait se contente d'exiger des responsables politiques de verser en public quelques larmes. Rien à voir avec l'ambition de Speedy pour qui c'est : la sûreté avant tout et tolérance zéro !
Il aimerait, nous a-t-on dit, mettre en place une police nouvelle et efficace pour contrôler ces industriels qui ne s'inquiètent pas des problèmes de sûreté et qui ne pensent qu'aux bénéfices. D'après certains de ses amis il aurait été profondément perturbé par les dégâts de l'amiante, plus d'une centaine de milliers de morts à attendre dans les cinquante ans à venir, alors qu'on savait, il y a plus de trente ans déjà que l'amiante était redoutable. Cela n'a pas empêché les industriels de faire leur beurre avec ce produit dangereux et les responsables de l'Etat de les laisser faire. Il a, paraît-il, été étonné et scandalisé d'apprendre que les chimistes de TotalFina n'ont découvert les propriétés explosives du nitrate d'ammonium (surtout lorsqu'on le mélange avec des tas d'autres produits) qu'après l'explosion d'AZF à Toulouse alors que les livres de chimie classent ce nitrate parmi les explosifs.
Aussi, pour avancer dans la voie de la sûreté en priorité et de la tolérance zéro il aurait même avancé quelques pistes :
1) En cas d'accident grave dans une installation industrielle, le directeur et les ingénieurs responsables sont immédiatement mis en examen,
2) si les règles de sûreté n'ont pas été respectées par l'industriel, la procédure de flagrant délit sera utilisée,
3) si les organismes de contrôle de la sûreté ont eu connaissance de violation de règles de sûreté ils seront poursuivis en justice pour complicité,
4) si ces organismes ont alerté leurs supérieurs hiérarchiques (préfets, ministères etc.) ceux-ci seront poursuivis pour complicité avec aggravation de responsabilité compte tenu du pouvoir conféré par leur statut
5) si leurs ministres de tutelle sont intervenus pour empêcher l'application de sanctions contre les industriels coupables, ces ministres seront immédiatement exclus du gouvernement et poursuivis en justice.
6) Concernant les violations des règles de sûreté dans les installations nucléaires, les peines seront accrues car les conséquences peuvent être plus dramatiques que dans les autres activités industrielles.
7) Les responsables des contrôles de sûreté industrielle pourront se faire accompagner par des forces de police pour intervenir immédiatement en cas de violation des règles de sûreté.
8) Une refonte complète de la réglementation de la sûreté des installations industrielles (en particulier d'une façon urgente pour les installations nucléaires) doit être faite. Jusqu'à présent ce sont les industriels, les exploitants des installations qui fixent ces normes de sûreté et qui ont la responsabilité d'effectuer les mesures permettant de vérifier si les normes sont respectées. Cela est inadmissible aurait dit Speedy. Qu'en est-il de la sûreté ? Les Toulousains le savent : une explosion un peu plus forte à l'AZF de TotalFina et tout le stock de phosgène de l'installation SNPE du voisinage était libéré dans l'atmosphère en tuant une bonne partie des Toulousains et en envoyant les autres remplir les hôpitaux. Où est la sûreté pour ceux qui vont mourir de l'amiante ? Et les travailleurs du nucléaire qui finiront leur carrière avec un douloureux cancer. Toutes ces victimes des radiations dont peu pourtant osent réclamer mais que sécurité sociale et justice envoient promener en toute bonne conscience. Et les mineurs d'uranium que les syndicats ne soutiennent pas lors d'une exigence de reconnaissance en maladie professionnelle. Et ces Touaregs que Cogéma et CEA ont condamnés à une mort quasi certaine dans les mines d'uranium du Niger. On peut allonger la liste, les travailleurs des industries à risque - chimiques et autres - font partie des "dégâts du progrès" et les habitants au voisinage des usines malsaines font aussi partie des victimes.
Speedy est prudent, voulant être efficace il commence en douceur : faire la chasse à l'école buissonnière, remplir les couloirs du métro et les bus de vigiles musclés, poursuivre les SDF et les types paumés, virer les Africains (mais pas tous sinon il y aurait de graves problèmes dans certaines industries et il faut penser à tous ces "intervenants" qu'il faudra mobiliser s'il y a un désastre nucléaire, ceux-là on les expulsera après, pour qu'ils meurent tranquillement chez eux, il faut être humain !)
Ira-t-il plus loin ? Osera-t-il briser la tranquillité des industriels ? Ne plus garantir l'impunité des responsables administratifs (les préfets en particulier) qui ferment les yeux alors que la sûreté n'est manifestement pas assurée ou qui donnent sans réserves des dérogations injustifiées légalement et tout se passe bien. Pourquoi créer de l'angoisse chez les futures victimes bien avant que les maladies ne les frappent.
Speedy nous donne des indices. Il intervient dans une réunion à Bagneux en salle publique. Laquelle ? La salle Léo Ferré ! Une de ses prochaines interventions publiques se fera peut-être dans un lycée Jacques Prévert ? Est-ce un signe de son blues devant l'impossibilité qu'il a très rapidement perçue d'assurer vraiment la sûreté de la population et d'en être réduit à mettre en place des leurres ?
Ce blues supposé de Speedy n'est qu'un fantasme. Ses apparitions médiatiques montrent un individu sans soucis, sans remords. Il n'a pas compris le slogan des années 80 "société nucléaire, société policière". A cette époque cela paraissait évident, la sûreté des populations dans une société nucléarisée (et la France est en tête) impose des contrôles policiers efficaces. Sur ce plan Speedy est totalement inefficace, mais ce n'est peut-être pas de sa faute. La société dans son ensemble, angoissée par l'avenir qui l'attend, se contente de leurres.
La classification hollywoodienne des shérifs ne colle pas, il faut créer une troisième catégorie : des shérifs non corrompus et qui veulent sincèrement protéger les puissants pour le "bien" de la société, pour éviter les "turbulences sociales" quelles que soient les conséquences dramatiques pour les individus lambda même si cela concerne des milliers de personnes. Ces conséquences dramatiques il suffira de les classer parmi les bavures.
C'est nous qui avons le blues, surtout pas Speedy !