Les risques du nucléaire
des intérimaires parlent…uranium… leucémie…

Extraits de l’interview de Michel Leclerc et Luis Garcia par Zoé Varier
24 avril 2001. France-Inter, émission "Écoutez… Des anges passent" le vendredi de 20 h à 21 h.
[Zoé Varier et voix off : en gras  ; les interventions de M. L. et L. G. sont précédés de – ;
(…) : partie coupée ; en italique : partie résumée par Anne-Marie. Le titre est du Comité Stop-Nogent]

Ouverture :
Des souvenirs d’avoir eu une information quelconque sur les produits avec lesquels vous alliez travailler ? – Oui on me disait qu’il n’y avait pas de problèmes, que ce n’était pas dangereux. On insistait sur les problèmes électriques, mais ça on connaissait. Bon on nous disait qu’il fallait avoir des chaussures de sécurité à cause des clous. Voilà, mais ça on sait aussi (rires). Qu’il fallait avoir des ceintures de sécurité quand on montait dans les étages… Mais sur l’uranium, non, il n’y avait pas de problème, ce n’était pas dangereux...

Voix off "Le fait de soumettre une personne en abusant de sa vulnérabilité ou de sa situation de dépendance à des conditions de travail incompatibles avec la dignité humaine est puni de deux années d’emprisonnement et de cinq mille francs d’amende". [Article L225-14 du code pénal].
"Chaque année en France 20 à 30 000 travailleurs interviennent en sous-traitance dans l’industrie nucléaire. Intérimaires, travailleurs temporaires, ils effectuent des missions ponctuelles dans les centrales EDF ou dans les usines COGEMA de traitement de l’uranium. Le plus souvent ils sont affectés aux tâches de maintenance des centrales. C’est un travail peu qualifié mais indispensable pour la sûreté des réacteurs. Selon une étude de l’INSERM publiée l’année dernière (1) les travailleurs extérieurs du nucléaire reçoivent 80 % de la dose collective annuelle d’irradiation dans le parc nucléaire français. Michel Leclerc et Luis Garcia ont travaillé pendant plusieurs années dans l’usine de traitement d’uranium de la COMURHEX, une filiale de la COGEMA sur le site de Malvési à côté de Narbonne. Travailleurs intérimaires ils ont été engagés par une société de sous-traitance, la SERCI".
[La COMURHEX reçoit, en provenance des mines, l’uranium sous forme de concentré et le traite pour en faire de l’uranium métal et du fluorure d’uranium UF4 qui est une poudre. Elle traite aussi l’uranium qui vient des centrales après avoir été utilisé comme combustible].

(…). [Par l’intermédiaire d’un ami, Michel Leclerc, mécanicien-auto, est embauché comme mécanicien industriel à l’usine d’enrichissement d’uranium].

Zoé Varier s’adressant à Michel Leclerc :
Vous, vous arrivez. Vous avez quel âge à cette époque ? – C’était en 80 donc j’avais 30 ans. Donc vous arrivez, vous croisez votre ami qui vous dit " Viens je vais te faire embaucher comme mécanicien industriel " – Voilà. Et vous vous pointez le lendemain – Je me pointe le lendemain dans cette usine, donc à la SERCI. On enregistre mon nom…Alors la SERCI, c’est quoi par rapport à la COMURHEX ? – C’est une entreprise en sous-traitance qui fait de la sous-traitance pour COMURHEX c’est-à-dire dans les grandes usines la maintenance elle se fait par d’autres entreprises.
Qu’est-ce qu’on vous dit quand on vous embauche ?
– Il y a eu une séquence de 2 heures, on a travaillé un petit peu sur la sécurité. Mais elle ne s’est pas faite tout de suite, elle s’est faite environ au bout de 8 jours. Et puis surtout on a cherché, bon je l’ai réalisé un petit peu après, on a cherché à minimiser les risques de l’uranium. On nous a expliqué qu’ici on enrichissait de l’uranium, qu’il ne fallait pas tellement en avoir peur. Et la personne qui nous faisait ce cours relativement court de 2 heures, ne nous a rien expliqué sur les acides, qu’on pouvait retrouver de l’uranium sous forme liquide dilué dans les solvants [dissous dans les solvants]. Et il manipulait aisément une barre d’uranium à la main pour nous faire voir qu’il n’y avait pas de risque.
Et vous y avez cru ?
– Dans la mesure où c’est un danger qu’on ne voit pas, qu’on ne sent pas, on ne voit pas les risques… On n’a pas la même notion du danger. Ouvrier, on est formé à avoir du danger, du danger physique : par un objet qui tombe, par… Et ça, là c’est insidieux comme danger.
Donc vous ne saviez pas, vous ne pouviez pas savoir si vous vous mettiez en danger ou pas ?
– Voilà, on ne savait pas si on se mettait en danger ou pas. Et on l’avait mal expliqué, parce que je pense que la volonté c’est de ne pas faire peur aux ouvriers, pour que les ouvriers ils travaillent bien consciencieusement.

Zoé Varier s’adressant à Luis Garcia :
Vous avez été embauché par une entreprise sous-traitante aussi ? – Voilà. Une entreprise extérieure. Et vous étiez quoi ? Qu’est-ce que c’était votre qualification ? - Tout dépend des missions : ou j’étais chaudronnier ou j’étais tuyauteur ou j’étais soudeur. Pendant combien d’années ? – J’ai travaillé de 1980 à 87 et j’ai fait des missions qui duraient jusqu’à 3 ou 4 mois. Vous étiez intérimaire ? – J’étais intérimaire, oui.
Vous dites que dans les intérimaires il y a une hiérarchie.
— Oui il y a une hiérarchie. Au début je faisais n’importe quoi et au bout de 2 ou 3 missions le responsable m’a dit : "mais cette fois on te connaît, on va pas te faire aller à cet endroit qui est très pollué donc on enverra les nouveaux".
Vous vous êtes posé des questions au moment où on vous a dit ça ?
– Euh oui on se pose des questions, mais il y a quelque chose d’assez curieux c’est que quand on est à l’intérieur de la COMURHEX on n’a plus peur de l’uranium. Moi je sais que je n’ai jamais refusé un travail, même dans des endroits pollués.
Peut-être, bêtement, parce que si vous refusiez vous étiez virés, non ?
– Eh ! Oui. De toute façon si on avait refusé on était viré. Déjà l’agence intérimaire qui envoie quelqu’un à la COMURHEX s’il refuse d’y aller il n’a plus de boulot. Donc…
Donc vous ne pouviez pas, non plus, refuser.
– Non. Non on ne pouvait pas non plus refuser. Non.
Est-ce que vous pouvez expliquer les conditions de travail et quel type de travail vous avez pu faire ?
– M. L. On travaille à réparer, à remplacer de la tuyauterie qui souvent, par le fait qu’elle était abîmée, était bouchée. Donc elle était pleine d’uranium. Et donc quand on coupait c’était bourré d’uranium ou de liquide ou d’un tas de produits dont on ignorait souvent le nom.
Ça veut dire que vous vous êtes retrouvés, des fois, DANS l’uranium ; à travailler avec de l’uranium partout autour de vous, de la poussière d’uranium sur vous.
- -Ah ! oui, sur la tête, dans les poches, il y en avait partout. On était couvert d’uranium.
Vous dites que des tuyaux bourrés d’uranium se sont vidés sur vous.
– Oui bien sûr. C’était courant. Pratiquement à chaque fois. Pour nous c’était normal. Donc du moment que tout le monde nous voyait faire et que ça arrivait pratiquement tous les jours… en principe il n’y avait aucun problème…
Vous aviez des gants ? – Ah ! on avait des gants oui. Et un masque ? – Euh ! pas toujours, parce que, bon, un masque au bout de 10 minutes il est saturé par l’humidité, on a besoin de respirer… on l’enlève. Non, non on n’avait pas toujours de masque. Et puis souvent quand l’uranium est sous forme soluble, quand on démonte une pompe, ce sont des particules "vaporisées" [ça forme des aérosols].
Mis à part les masques, qu’est-ce que vous aviez d’autre ? Des gants ?
– On avait des gants en cuir ou des gants en caoutchouc s’il restait de l’acide. De temps en temps quand on devait intervenir dans un four, une combinaison blanche en papier, comme ils les ont, jetable donc. Enfin de toute façon ça ne protégeait pas des radiations…
Non. …Et puis comme on n’est pas conscient du danger, c’est surtout le manque d’information, il est total pour les entreprises, surtout pour les intérimaires des entreprises sous-traitantes. On arrive en bout de chaîne, on compte pour rien et puis surtout, on dilue les risques puisque le gars il va venir travailler 1 mois, 2 mois, 3 mois, 6 mois puis il va travailler ailleurs. Donc c’est un gars qui passe.

Voix off : Selon l’INSERM, de l’avis même de la direction des installations nucléaires, en cas d’incident, les industriels sont incapables de dire exactement qui sont ces salariés intérimaires et quel est le lien avec la société sous-traitante qui intervient sur le site.
Le directeur de l’usine de traitement de l’uranium de la COMURHEX dans laquelle Michel Leclerc et Luis Garcia ont travaillé, déclarait en 1996 "Il n’y a pas de radioactivité possible, à moins de manger le produit à la petite cuillère".

M. L. Il y a des fours qui s’appellent des fours COMESAC, qui sont pour le séchage du produit. Le produit c’est l’uranium [un composé d’uranium]. Et suite à une reprise [du travail] de l’usine, les fours étaient chargés et avaient commencé à travailler. Quand le four s’est bloqué nous sommes intervenus à partir de 7 heures le soir. Nous avons travaillé toute la nuit et comme le four avait été mis en route il faisait très, très chaud, situation irrespirable, cette odeur âpre de l’uranium nous prenait à la gorge, c’était…
Comment vous faisiez pour respirer ?
– …Ben il faisait très, très chaud, il devait faire 60°, 70°, c’était l’enfer donc. Alors on entrait, on travaillait 3, 4 minutes, on sortait une minute, et… Et vous rentriez ! – Oui on re-rentrait et toute la nuit comme ça.
Vous dites que vous avez travaillé en apnée par moments.
– Oui ça m’est arrivé, ça m’est arrivé une fois. On travaillait sur une tuyauterie d’acide fluorhydrique, donc il y avait des vapeurs d’acide fluorhydrique. Et il y avait un masque avec de l’oxygène et il s’était tout de suite déchiré.
Et en dessous il y avait votre bleu ?
– En dessous il y avait notre bleu, oui.
Un jour un camion —une citerne— a été trop rempli d’uranium, de poudre du produit et le camion ne pouvait plus partir parce qu’il était vraiment trop lourd. On a fait venir les intérimaires qui sont rentrés à l’intérieur de la citerne, avec des pelles, pour vider par le trou, donc, du camion. Et ils étaient simplement habillés avec la combinaison en papier.
Qui se déchirait ?
– Qui se déchirait oui. On les a fait spécialement venir pour ça. Donc ils ont travaillé un jour, quoi, c’est tout.
Moi… on était directement en contact avec le produit. Quand on démontait les fours où il y avait de l’uranium qui restait partout, donc on marchait dedans, c’était volatil. C’est une poussière assez volatile [ce composé d’uranium est une poudre fine qui vole facilement dans l’air]. Donc on était dedans quoi, on pataugeait dans le produit. Il peut y avoir 2 cm, 5 cm, ou on est couvert d’une simple pellicule de poussière, mais il y en avait partout, y en avait partout. Le bleu on était obligé de l’épousseter, il y en avait sur nous. C’est des situations quasi journalières.
Vous mangiez en bleu le midi ? – Oui, oui. C’est à dire votre bleu recouvert de poussière ? – Voilà. Casse-croûte ? – Casse-croûte oui. A la poussière d’uranium ? – A la poussière d’uranium oui. Tous les midis on mangeait sur place dans l’atelier. C’était interdit, mais enfin tout était bien organisé pour qu’on mange sur place. Comme ça on gagnait du temps.
Et puis quoi d’autre ?
– Le balayage du vendredi après-midi. Là on nettoyait l’atelier à grands coups de balai avec de la poussière partout. Pas d’extracteur de poussières. On était envahi de poussière. D’uranium oui.
Vous aviez des dosimètres, enfin des … ?
– Oui on avait un dosimètre, mais le dosimètre ne mesure pas tout. Cet uranium, il ne "tape" pas tellement, donc le dosimètre ne le prend pas. (…) Le risque principal, on risque d’ingérer de l’uranium…
Et d’inhalation ?
– … D’inhalation. Et à ce moment-là il se fixe sur les os et à partir de là il est dangereux.
– Il émet en permanence à l’intérieur du corps.
Vous dîtes aussi dans votre déposition que quand les tuyaux se vidaient sur vous, on vous disait d’essuyer votre dosimètre. – Oui. Parce que vous aviez "chargé". - Oui ils tenaient à ce que le "badge", du moins, soit propre, pour pouvoir dire qu’il n’y avait pas de problème. Le badge, c’est le dosimètre ? – Oui voilà.
[On disait aux intérimaires "d’essuyer leur dosimètre", les ouvriers y souscrivaient volontiers "parce que si le badge avait été très pollué (…) on perdait notre travail".]
Mais à la fin de chacune de vos journées de travail est-ce que l’on regardait ? Est-ce qu’il y avait des agents de sécurité qui regardaient vos dosimètres pour savoir quelle dose vous aviez pu…
–…Non, nos dosimètres étaient relevés tous les mois ; nous avions des analyses d’urine tous les 15 jours et une prise de sang tous les 6 mois.
Et ça, vous ne vous posiez pas de questions ? Vous ne vous disiez pas "ça doit quand même être dangereux pour qu’on prenne toutes ces précautions-là" ?
– Pfft ! dans le monde ouvrier, malheureusement on se pose pas tellement ces questions. Non, on avait tous besoin de travailler.
Mais il y avait quand même quand vous regardiez les fûts —je ne sais pas si c’était des fûts— mais il y avait écrit "radioactivité"

– Ah ! oui bien sûr. Les étiquettes … Il y avait des étiquettes "radioactivité" quand on entrait dans les ateliers. Il y avait le sigle "radioactif". En entrant dans les ateliers tout nous rappelle que c’est radioactif. Mais dans la mesure où on nous l’expliquait pas, où on ne nous disait pas… Jamais on ne nous faisait remonter une information que quelqu’un, que des personnes étaient tombées malades. Il y avait bien quelques employés de l’usine qui nous disaient : "attention ! ce n’est pas du chocolat les gars, vous ne faites pas assez attention". Donc eux, les gars qui travaillent depuis 20 ans… et puis ils avaient une meilleure information. L’information des salariés de la COMURHEX n’est pas du tout la même que l’information des entreprises de sous-traitance, ça je l’ai découvert après. Ils ont des formations permanentes ; aujourd’hui j’ai les documents qui en attestent. Et puis les gars ils travaillent sur des postes de travail, c’est à dire sur des chaînes, ils avaient un pupitre, un pupitre de commande. Donc eux ils n’intervenaient pas directement sur les produits comme nous le faisions. Mais enfin ils nous disaient "là il faut pas…, il faut éviter de rester", ils nous disaient "ça tape fort là".

[C’est en 1983 que Michel Leclerc ressent les premiers symptômes de la maladie]
– En 1983 j’ai eu un gros coup de fatigue, énorme. Bon, j’étais jeune à l’époque, j’avais 32, 33 ans et donc j’avais mal dans les os, les jambes étaient sciées de fatigue, j’en pouvais plus, je me couchais le soir, je récupérais pas. Et donc en octobre 83 j’ai été consulter, j’ai été hospitalisé pendant trois jours pour faire des examens. Ils ont conclu en 83, à cette époque là, que j’avais eu une "intoxication au tabac", donc qui avait fait monter les globules blancs. Donc j’avais arrêté de fumer et les globules blancs étaient redescendus…oh ! je ne sais pas si c’est dû au repos ou autre… Mais enfin on n’avait pas du tout…moi j’avais fait un petit peu cette relation avec l’uranium mais…
Pas plus que ça …Pas plus que ça, non, ça m’avait pas… Les docteurs ne m’avaient pas tellement alarmé sur le fait. Seulement, le médecin qui a fait le rapport écrit bien : "ce patient se plaint, depuis six mois environ, de fatigue". Et donc quand j’ai, bien plus tard, quand je suis tombé malade, …j’ai appris qu’en avril 83 j’avais dépassé les normes dans les urines, mais énormément hein.
[Michel Leclerc ne fut pas informé de cet énorme dépassement des normes de contamination par l’uranium dans les urines. Il n’y eut pas d’analyses ni d’examens complémentaires comme cela aurait dû être fait dans ces cas-là. Aucun médecin ne relia sa fatigue à son métier].
Donc quand vous êtes sorti de l’hôpital, six mois après, vous avez recommencé à travailler ?
– Eh oui, j’ai recommencé à travailler sur le même site, dans les mêmes conditions et sans que ça choque le médecin qui faisait la Médecine du travail sur place, intégrée à l’usine. Médecine du travail qui n’est pas tout à fait indépendante, qui est payée par la COMURHEX.

Voix off : Michel Leclerc a continué à travailler pendant un an encore, jusqu’en 1984, dans l’usine de traitement d’uranium de la COMURHEX, comme mécanicien. En 1991, à la suite d’une opération bénigne dont il n’arrivait pas à se remettre, il apprend qu’il est atteint d’une leucémie myéloïde chronique. Le médecin qui l’a opéré lui conseille de se procurer son dossier médical du temps où il travaillait à la COMURHEX.
C’est en rencontrant le médecin de l’usine que Michel Leclerc a appris qu’en 1983 il avait dépassé les doses. Quand il a demandé à voir son dossier médical, le médecin a refusé prétextant la confidentialité. Pendant plus d’un an Michel s’est battu pour récupérer son dossier médical. Excédé par les refus successifs des autorités médicales, il l’a volé. Dans ce dossier, joint aux résultats des analyses, il y avait une note qui expliquait que ce n’était pas ses urines qui étaient contaminées mais le flacon dans lequel on les avait prélevées…C’est en lisant cela que Michel Leclerc a décidé, contre l’avis de tous, d’entamer une procédure en "faute inexcusable" de l’employeur.

On vous a fait une greffe. Quand est-ce qu’on vous a fait une greffe de la moelle osseuse ?
– On m’a fait une greffe de la moelle osseuse en novembre 1993 qui s’est relativement bien passée, mais enfin c’est très lourd comme traitement. C’est deux mois de chambre stérile, c’est une radiothérapie de préparation, une irradiation corporelle (j’ai reçu 12 grays pour ça), ça abîme tout. Enfin…je fais partie des 50 % de personnes qui s’en sortent. Donc ça m’aide à continuer mon combat.
Il n’y a pas que le dépassement dans les urines qu’ils m’ont caché. Quand j’ai découvert mon dossier médical, il y a une analyse de sang qui manque au dossier. Après avril 83 il n’y a plus eu d’analyses de sang… Oh ! je ne me souviens pas si on les a faites, si on les a pas faites. Mais enfin les résultats ne sont pas au dossier. Alors, ou on n’a pas pratiqué les analyses, ou bien alors on les a enlevées... Elles ne sont pas au dossier donc c’est une faute parce que dans le suivi médical il est marqué comme quoi on doit avoir les analyses d’urine tous les 15 jours, des prises de sang tous les 6 mois. Du moment qu’elles ne sont pas au dossier, moi je considère que c’est une faute.

[Michel Leclerc a déposé une plainte pour "faute inexcusable" auprès du Tribunal de la sécurité sociale contre son employeur la SERCI en mettant aussi en cause la COMURHEX "en tiers". Ce tribunal a reconnu que la COMURHEX a commis des fautes graves et lourdes mais ne peut statuer —et donc indemniser M. Leclerc - car la "faute inexcusable" doit être imputable à l’employeur, c’est à dire la SERCI et pas à un tiers, la COMURHEX….
Cette fois l’affaire est renvoyée devant le Tribunal civil, seul habilité, avec plainte contre la COMURHEX.
Sa maladie professionnelle a été reconnue par la sécurité sociale en 1992 mais dix ans après il n’est toujours pas indemnisé par la SERCI. La sécurité sociale a estimé le préjudice et les séquelles à 62 %. Aujourd’hui il ne peut plus travailler et reçoit 5400 francs mensuels de rente en attendant le jugement].
[M. L. et L. G. Des collègues ont des problèmes de santé mais ils doivent continuer à travailler. (…). Le risque est nié : "La COMURHEX en sous-traitant les risques se déresponsabilisait des risques".
Michel Leclerc, malgré la fatigue et la tristesse inhérentes à son état se bat pour qu’on lui rende au moins justice.] :
–M.L. C’est nous prendre pour pas grand chose, oui. Des hommes sans valeur, des hommes qui sont là pour servir, et puis quand on ne peut plus rien tirer d’eux, eh bien on les remplace.
Maintenant je pense qu’on est moins importants que des machines, parce que les machines, elles, étaient préservées ou de la chaleur ou de l’humidité. Les ordinateurs étaient placés dans des pièces spéciales avec air conditionné, alors que les intérimaires n’ont rien du tout. (…)

A la question finale de Z. Varier "Vous n’êtes pas en colère hein ?" Il répond "Non non, ça m’a passé ; ça m’a passé parce que la colère c’est un moment. Et le combat il ne doit pas se faire dans la colère, il doit se poursuivre ; ça fait dix ans…donc il faut agir dans le temps.
Dix ans que vous vous battez -Dix ans que je me bats donc… pour faire reconnaître la maladie professionnelle - …faute inexcusable de l’employeur. Voilà. Donc ce n’est pas un sentiment de colère, c’est un sentiment plutôt d’indignation. Et ce sentiment d’indignation, la meilleure façon c’est de continuer jusqu’au bout.

Voix off : Si vous souhaitez en savoir plus vous pouvez contacter l’association MANES, c’est une petite association de malades et accidentés de l’industrie nucléaire et chimique. Ils sont à Pierrelatte, dans le sud. Leur numéro de téléphone 0475041161. Merci à Michel Leclerc et à Luis Garcia, merci à Henri Pèzerat et Annie Thébaud-Mony.

[En date du 15 janvier 2002 le cas de Michel Leclerc n’est toujours pas réglé…]
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Annie Thébaud-Mony L’industrie nucléaire. Sous-traitance et servitude. Ed. Inserm, 2000, (collection Questions en Santé publique).