Dangers du nucléaire et terrorisme


 "Société nucléaire, société policière"

Ainsi, voilà qu’au travers du terrorisme on découvre subitement la fragilité des installations nucléaires si sûres d’après les promoteurs. Pourtant lorsque dans les années 70 les manifestants antinucléaires scandaient "société nucléaire, société policière" c’est bien parce que les centrales nucléaires sont apparues comme des installations particulièrement vulnérables et que le système policier qu’elles devaient engendrer nous apparaissait comme peu souhaitable et inéluctable… Depuis, le déploiement policier qui entoure chaque transport par rail des combustibles partant ou arrivant à La Hague est un fait devenu banal. La contradiction entre les désirs d’une société vivable et conviviale à laquelle nous aspirons et la réalité policière (et si besoin militaire) n’en est que plus profonde. Il est certain que les récents attentats aux Etats-Unis avec plus de 6000 morts et disparus ne vont pas faire évoluer notre société vers plus de libertés mais vers plus de contrôles avec un Vigipirate omniprésent. Doit-on pour autant minimiser le risque terroriste pour ne pas entraîner une précipitation de la militarisation de la société ? C’est la quadrature du cercle.
Le problème du terrorisme, des actes de malveillance sur des installations nucléaires n’est pas nouveau et il est pour le moins étonnant qu’il ne soit évoqué seulement que maintenant dans les médias. Il a été posé publiquement, sans aucun écho dans la presse, en janvier 1987 à Paris par Paul Leventhal directeur du Nuclear Control Institute (USA) au cours de l’Audition parlementaire sur les accidents nucléaires : protection de la population et de son environnement organisée par le Conseil de l’Europe après Tchernobyl. Son exposé avait en sous-titre, " un danger sournois : le terrorisme nucléaire ". Il disait clairement : "Les dégâts occasionnés par un attentat terroriste visant un réacteur nucléaire seraient analogues à ceux qui résulteraient d’un accident de réacteur".  Le problème a été soulevé il y a quelques années par la parution d’un article du Canard Enchaîné pointant l’insuffisance de la surveillance des centrales car des agents de la sûreté du territoire avaient facilement pu s’infiltrer à l’intérieur d’une centrale et assez près pour être à portée de bazooka de parties sensibles du réacteur. Il s’est posé avec acuité aux militants antinucléaires sur la stratégie à adopter pour leur défense judiciaire contre EDF : ils avaient pénétré sans encombre dans le périmètre de la centrale de Golfech et étaient montés s’installer pacifiquement sur une tour de refroidissement. De là-haut ils avaient pu joindre les médias et dénoncer les dangers que le nucléaire fait courir à la population en cas d’accident majeur. Les militants ont été jugés pour s’être introduits illégalement dans le périmètre de la centrale. Mais c’est le chef de la centrale de Golfech qui aurait dû être jugé et condamné car l’intrusion des militants était une preuve flagrante de l’insuffisance professionnelle des vigiles et donc de faute grave de la hiérarchie au plus haut niveau. Lors du procès, le chef de centrale n’a pas été accusé publiquement d’incompétence pour le laxisme des vigiles.
Le terrorisme existe. On l’a subi en France il n’y a pas si longtemps et il peut s’attaquer aux installations nucléaires ou à d’autres installations mortifères considérées comme hyperprotégées. Si le 11 septembre les terroristes ont détourné aux USA 4 avions de ligne Boeing dont 3 d’entre eux, utilisés comme projectiles, ont réussi à percuter des cibles de haute valeur symbolique, les 2 tours du World Trade Center de Manhattan à New York, le Pentagone à Washington, il faut remarquer que le 2ème avion a survolé sur son trajet la centrale nucléaire d’Indian Point en amont de New-York. Quant au 4ème avion détourné il s’est écrasé en Pennsylvanie entre Harrisburg et Pittsburgh, dans le comté de Somerset sur une portion désaffectée d’une mine de charbon en activité (selon Platts News). Ce crash s’est effectué dans des conditions mal élucidées. Quelle était la cible visée ? Il a été question de la Maison Blanche, de Camp David, mais ce qui est certain c’est que la véritable cible est inconnue du public. La centrale nucléaire de Three Mile Island, proche de Harrisburg et hautement symbolique car elle a connu en mars 1979 une fusion partielle du cœur, aurait pu être une cible potentielle avec pour résultat une catastrophe nucléaire.
Dès le 11 septembre l’autorité de sûreté américaine (NRC, Nuclear Regulatory Commission) recommandait "à titre de précaution, que tous les réacteurs électronucléaires, les réacteurs nucléaires non électrogènes, les installations d’élaboration de combustibles et de diffusion gazeuse soient amenés au plus haut niveau de sécurité. Les détails de ces niveaux sont classifiés [secrets]".
(Certains internautes américains proposent d’utiliser des batteries anti-aériennes pour protéger les réacteurs. Mais il faudrait les mettre assez loin pour qu’en cas de succès l’avion abattu ne tombe pas sur le site…)
En France, l’autorité de sûreté a indiqué dès le 13 septembre 2001 dans sa Note d’information sur la protection des installations nucléaires contre les chutes d’avions "les installations nucléaires sont classées points sensibles et à ce titre font l’objet de mesures de protection contre le terrorisme qui ont été renforcées dans le cadre du plan Vigipirate". On peut en déduire que cela concerne toutes les centrales nucléaires, tous les centres de recherche civils (Saclay, Grenoble) et militaires, l’usine de la Hague, les usines de fabrication de combustibles, Melox, Comhurex, Eurodif, etc.


Les réacteurs nucléaires et les " lacunes " de la sûreté

Cette même Note précise : "Ce qui s’est passé aux USA ne relève pas de chutes [d’avions] accidentelles mais de véritables actes de guerre qui ne sont pas pris en compte dans la construction des installations nucléaires". http://www.asn.gouv.fr/
Les promoteurs aveugles du nucléaire ont refusé de voir qu’un pays nucléarisé est un pays fragilisé, ce qu’avaient bien compris les antinucléaires des années 70. Le terrorisme, la guerre, les actes de malveillance font partie des risques "oubliés" mais inacceptables du nucléaire qui peuvent être responsables d’accidents nucléaires majeurs tout comme les autres risques "habituels" (risque de rupture de matériel et circuits importants pour la sûreté, des aciers et autres matériaux dégradés par action des rayonnement, par chocs thermiques, erreurs de conception et prise en compte insuffisante des séismes, inondations, incendies etc.)

Il est important de voir les grosses "lacunes" de nos concepteurs vis-à-vis du risque terroriste et des actes de malveillance en général. Il ne peut pas en être autrement puisque si la probabilité d’occurrence d’un événement est très faible, inférieure à un millionième, il est dit hors dimensionnement c’est à dire qu’on n’en tient pas compte dans la sûreté, tout simplement ! Il a été considéré que la probabilité de crash de tels avions de l’aviation générale était très faible. Or l’acte terroriste quand il se produit a une probabilité égale à 1 !
-Impact d’un Boeing sur une enceinte de confinement
Dans un article du Monde du 14 septembre sur les centrales nucléaires américaines, Hervé Kempf signalait que les enceintes de nos réacteurs, comme celles des réacteurs américains, ne résisteraient pas à l’impact d’un Boeing 767 ce qui pourrait conduire à un scénario de type Tchernobyl si l’enceinte, une fois enfoncée, le circuit primaire pouvait lui aussi être atteint.
L’édition publique des textes des rapports de sûreté des 900 et 1300 MW confirme les données du Monde qui indiquait que seuls les crashs d’avions à une vitesse de 360 km/h de type CESSNA et LEAR JET ont été envisagés. Le premier est caractéristique d’avions pesant moins de 1,5 tonnes, le second de 1,5 à 5,7 tonnes or le Boeing 767 pèse 150 tonnes.
On remarquera que l’édition publique pour les tranches de 900 MW date de 1982, celle des tranches de 1300 MW de 1985 et 2 types de projectiles externes sont évoqués : les avions et les projectiles susceptibles d’être émis par le groupe turboalternateur d’une tranche. Des Boeing plus lourds et plus rapides que le Lear jet n’étaient-ils pas déjà largement utilisés à l’époque dans le domaine commercial et ne pouvait-on pas anticiper l’évolution de l’aviation vers des appareils plus performants plus rapides et plus lourds ? Evidemment cela aurait plombé le développement de l’électronucléaire.
Indiquons aussi que dans ces règles de sûreté, s’il y a perte de l’étanchéité de l’enceinte de confinement par perforation, pour les 900 MW la production de projectiles secondaires n’est pas prise en compte dans le dimensionnement car il est considéré que la peau d’étanchéité ne se romprait pas. De même pour les 1300 MW on considère que les protections anti-projectiles sont suffisantes pour ne pas entraîner de projectiles secondaires.

On peut d’ailleurs se demander si les calculs et les modélisations ont grand sens. Même au cas où le circuit primaire ne serait pas directement atteint, peut-on nous garantir que l’onde de choc résultante ne puisse conduire à la rupture d’éléments fragilisés par défauts et fissurations pré-existants ? Les équipements, les matériaux, sont toujours considérés comme parfaits dans les calculs (peut-on faire autrement ?) qu’il s’agisse des soudures de la cuve sous revêtement, des tuyauteries du circuit primaire, des tubes de générateurs de vapeur, des volutes des pompes primaires, des lignes de vapeur principales du secondaire dont la rupture guillotine peut engendrer la rupture des GV, etc.
Quant aux enceintes de confinement en béton armé et réputées sûres, plusieurs d’entre elles ont dû être "réparées" car elles ne répondaient pas aux normes, avec des parties fuyardes quand elles sont mises sous pression interne (comme ce serait le cas en situation accidentelle). Même l’enceinte d’une tranche récente de Civaux n’est pas conforme aux critères de sûreté ! Ces enceintes sont probablement moins résistantes à l’impact externe d’un avion-projectile (y compris hors de l’impact direct : cisaillement possible au niveau du radier et du sas matériel).
-Il n’y a pas que le bâtiment réacteur, un impact sur le bâtiment auxiliaire ou sur le bâtiment combustible et les incendies ne seraient pas sans conséquences graves.

L’usine de retraitement de La Hague

"Un avion sur la Hague créerait un Tchernobyl, selon une étude pour l’Europe " tel a été le titre d’un article d’Hervé Kempf du Monde du 16 septembre, reprenant les conclusions d’une étude à paraître de Wise-Paris dont un des thèmes porte sur les accidents majeurs pouvant affecter l’usine. Le principal risque provient des piscines de refroidissement où sont stockés actuellement 7500 tonnes de combustibles usés pour être refroidis pendant plusieurs années avant retraitement. Rien qu’en césium 137 (Cs137) il y aurait 287 fois la quantité de Cs 137 relâché lors de l’accident de Tchernobyl dans l’ensemble des piscines. Si une seule piscine est touchée par l’impact d’un avion conduisant à la perte de l’eau de refroidissement et par voie de conséquence à la rupture des gaines de combustible, il serait relâché 66,7 fois le relâchement total de Cs 137 de Tchernobyl ce qui pourrait provoquer sur le long terme "jusqu’à 1,5 million de cancers mortels". [Cela me paraît une valeur basse].
Alors on continue le retraitement ? Rappelons que même si on l’arrête (c’est à dire si on arrête l’extraction du plutonium du combustible usé) il faudra continuer à refroidir les combustibles usés, non seulement ceux qui sont déjà dans les piscines mais aussi ceux qui sont actuellement dans les cœurs des 58 réacteurs PWR en fonctionnement (sans compter Phénix et les réacteurs de recherche). Donc le danger continue. Arrogante imbécillité des décideurs et inconscience des citoyens qui ont laissé faire, tellement confiants dans la Science.
Ajoutons que le nucléaire peut continuer sans retraitement, c’est le choix fait au départ par la quasi-totalité des pays nucléarisés.

Le sabotage

Il n’en est pas question dans les rapports de sûreté rendus publics. Pourtant les actes de malveillance existent et cela inquiète les autorités de sûreté. On peut s’en apercevoir quand par hasard on a accès au "bon" dossier.
Un exemple ancien mais significatif : le CEA voulait lancer pour le chauffage urbain, par l’intermédiaire de sa filiale Technicatome, un petit réacteur nucléaire dénommé Thermos dans la gamme de 50-100 MW. Il se trouve que les  Options générales de sûreté  concernant ce réacteur ont "fui" et qu’une analyse en a été faite par le "Groupe information Thermos de la région de Saclay" dans une brochure publiée en mars 1978 par Ecologie-hebdo. Ce qui s’est écrit il y a plus de 23 ans est toujours valable aujourd’hui quelle que soit l’installation nucléaire.
Dans le chapitre consacré au sabotage, la brochure cite des passages de ces options générales de sûreté que nous donnons ci-après en italique "Seuls peuvent être énoncés quelques principes généraux concernant ce mode commun que l’on prendra en compte dans la mesure du possible. Il est impossible de dimensionner un composant ou sa protection contre un acte de malveillance d’autant plus que celui-ci peut être le fait d’une personne avertie" [souligné par le groupe information Thermos). Plus loin on peut lire "La complicité de l’équipe de quart rend possible toutes les hypothèses : mise hors service des sécurités sur la chute des barres, explosion d’une bombe dans la salle des mécanismes, réacteur en marche etc". La brochure ajoutait :"La complicité possible des hommes de quart pose un problème insoluble. Le bon fonctionnement de l’installation demanderait d’avoir un personnel hautement qualifié et connaissant parfaitement l’installation ce qui, en cas de sabotage, rendrait leur complicité avec des saboteurs particulièrement efficace. La tentation serait grande de recruter ce personnel sur des critères d’incompétence et de méconnaissance totale de l’installation, mais alors que de risques pour le fonctionnement du réacteur et le danger, là, peut être suffisamment grand pour que les Options générales de sûreté fassent une mise en garde : Les deux principes que nous proposons ici sont les suivants : le personnel d’exploitation aura suivi une formation appropriée et connaîtra parfaitement l’installation. Il est exclu de se contenter d’un personnel presse-bouton (…). On ne tirera pas non plus argument des risques que peut faire encourir une équipe de quart compétente dans le cas où elle deviendrait complice d’agressions dirigées contre l’installation elle-même".
Finalement le projet Thermos a capoté mais tout ce qui est dit sur le sabotage est valable pour les PWR et toute autre installation nucléaire. Pour les auteurs de la brochure, il y a 23 ans… "(…) Les conséquences très graves du sabotage d’un réacteur rendent inéluctables et quasi nécessaires le renforcement des contrôles policiers de la Société".

En conclusion

D’après Nuclear News Flashes du 20 septembre 2001 "un rapport sur la sécurité des réacteurs nucléaires allemands a été commandité par le ministre de l’environnement allemand Juegen Tritten après les attaques terroristes aux USA. Les réacteurs nucléaires sont conçus pour résister au crash d’un avion de chasse militaire mais pas à celui d’un avion de ligne moderne analogue à ceux qui ont frappé le World Trade Center et le Pentagone". Les nôtres non plus.
C’est bien pour éviter de se trouver dans une configuration pouvant conduire à une catastrophe avec d’énormes rejets radioactifs qu’on doit arrêter le nucléaire civil (et militaire).

Il faut sortir rapidement du piège nucléaire avec les moyens dont on dispose actuellement. Rappelons encore une fois qu’on dispose encore en France d’un parc de centrales thermiques classiques, à charbon, fioul et gaz, qui est sous-utilisé et qu’EDF projette de démanteler suffisamment pour rendre le nucléaire irréversible.

B. Belbéoch,
20 septembre 2001