Responsabilités occidentales dans les conséquences sanitaires de la catastrophe de Tchernobyl,
en Ukraine, Biélorussie et Russie

 

Ce texte présente ce qui sera développé par Bella Belbéoch lors de la réunion publique organisée par le Comité Stop Nogent qui aura lieu le 25 avril 1998.

 

Les pressions occidentales se sont exercées dès le début de la crise ouverte par l'accident de Tchernobyl afin de minimiser les prévisions de l'impact sanitaire des effets biologiques à long terme. Lors de la conférence internationale de l'Agence Internationale de l'Énergie Atomique (AIEA, Vienne, 25-29 août 1986) les 30 000 à 40 000 morts par cancers dans les décennies à venir du rapport officiel soviétique sont jugés trop élevés et inacceptables par les experts occidentaux. Selon eux les doses collectives via la contamination interne par les césiums radioactifs ont été surestimées. Pourtant ils n'ont à ce moment aucune donnée scientifique pour justifier cette position. L'Agence de Vienne bloque rapidement la diffusion du rapport soviétique. Des réévaluations en baisse sont effectuées par les responsables de la radioprotection soviétique, signataires du rapport de 1986. Ces réévaluations qui s'apparentent à une véritable autocritique ont été entérinées en 1988 par l'UNSCEAR (le Comité des Nations Unies sur les Effets des Radiations Atomiques).

Après l'évacuation de 135 000 habitants des régions proches de la centrale de Tchernobyl dans la phase d'urgence, les autorités ont édicté des zones "sous contrôle" (dont certaines sont à plus de 200 km de Tchernobyl) dans les régions les plus contaminées d'Ukraine, de Biélorussie et de la Fédération de Russie où vivent plus de 800 000 personnes. Les problèmes sanitaires qui apparaissent dans les territoires contaminés et qui affectent principalement les enfants sont attribués à la radiophobie tant par les experts soviétiques qu'occidentaux (OMS, AIEA, Croix Rouge, Croissant Rouge, etc.).

La phase du "moyen terme" de l'accident est considérée comme devant être terminée fin 1989 avec mise en place de la gestion à "long terme" au 1er janvier 1990. Ainsi en septembre 1988 les responsables de la radioprotection soviétiques élaborent le critère de "vie sûre", de résidence sans danger sur les territoires contaminés. Il s'agit de la limite de la dose-vie susceptible d'être reçue en 70 ans dans un lieu donné. La dose-vie est une dose calculée par les services officiels de radioprotection soviétique en tenant compte des doses déjà reçues. Si la dose-vie est supérieure à une certaine limite, on doit évacuer ["réimplanter"] la population car la vie ne peut être "sûre" dans ces zones. En dessous de cette limite les contrôles sont suspendus, la vie redevient "normale". De cette limite va donc dépendre le maintien sur place ou le déplacement de populations. Des plans d'évacuation sont publiés en Biélorussie. Une violente opposition des scientifiques biélorusses et ukrainiens pour imposer une limite plus basse de la dose-vie ce qui aurait conduit à un nombre plus grand d'habitants à évacuer, a contraint le pouvoir central à faire intervenir directement des délégués de l'OMS dans les discussions des Académies des Sciences en juin 1989 pour soutenir les positions officielles. Parmi eux le Pr Pellerin. Non seulement ces délégués de l'OMS dénient toute compétence aux scientifiques biélorusses, appuient les décisions du pouvoir central de non-évacuation des populations vivant sur des territoires contaminés mais ils déclarent même qu'ils auraient, eux, fixé une dose-vie 2 à 3 fois plus élevée. Les responsables de la radioprotection soviétique en réfèrent au président M. Gorbatchev et indiquent que l'adoption de la dose-vie préconisée par les Biélorusses et les Ukrainiens conduirait à déplacer des centaines de milliers, jusqu'à un million de personnes.

En mai 1991 l'AIEA rend les conclusions d'une étude : " le projet international Tchernobyl " : Tchernobyl n'a eu aucune conséquence sanitaire mis à part les troubles psychologiques dus à des contre-mesures non justifiées prises par le pouvoir soviétique. En somme Tchernobyl est un non-accident. Il n'aurait pas fallu évacuer tant de gens ni prendre des mesures jugées excessives pour le contrôle de la contamination de la nourriture.

La dégradation de la santé des habitants des zones contaminées et sa relation à Tchernobyl a été niée par les responsables sanitaires tant soviétiques qu'occidentaux. Il faudra l'aval de quelques médecins de l'OMS en 1992 pour que soit enfin reconnue l'énorme augmentation de cancers de la thyroïde des enfants observée par les médecins biélorusses.

Ces problèmes thyroïdiens sont un bio-indicateur de contamination. Les populations ont reçu des doses d'iodes radioactifs plus élevées que prévu. Mais avec ces iodes ils ont incorporé le cocktail de radioéléments du nuage radioactif, ils ont vécu et vivent encore sur des zones contaminées. Le plus dur reste à venir, l'accroissement de la morbidité, les cancers à long terme dus à l'exposition par irradiation externe et par contamination interne, les effets génétiques.

L'accession des Républiques de l'ex-URSS à l'indépendance a compliqué davantage, faute de moyens financiers, les plans de réimplantation des populations hors des zones contaminées.

Les occidentaux qui, dans l'indifférence générale, ont soutenu le pouvoir central soviétique doivent partager avec lui la responsabilité des dégâts sanitaires dus à des contre-mesures insuffisantes, insuffisances qui ne se justifient que par des critères économiques. Nos experts ont tiré la leçon de Tchernobyl. L'introduction de critères strictement économiques pour la gestion des crises futures sera redoutable pour les accidents nucléaires dont on ne peut pas exclure la possibilité chez nous.

Bella Belbéoch

 

Ce résumé correspond à l'article Western responsibility regarding the health consequences of the Chernobyl catastrophe in Belarus, the Ukraine and Russia qui doit être publié dans les Actes de la 2e conférence scientifique internationale sur la catastrophe de Tchernobyl Santé et information : des incertitudes aux interventions dans les régions contaminées de Tchernobyl qui s'est tenue à Genève les 13 et 14 novembre 1997. Une version en français figure dans La Gazette Nucléaire 163/164, janvier 1998.