Quelques remarques sur le communiqué de presse et le rapport des experts OMS

- L'ampleur de l'accident : l'oubli de la " démocratisation de la contamination interne " via la nourriture contaminée, un biais qui minimise les conséquences de l'accident.
Le nombre d'habitants des zones contaminées est de 5 millions dans le communiqué, or il est de plus de 7 millions dans le rapport OMS (page 145).
Cependant c'est bien plus de 2 millions de personnes qui sont négligées dans l'estimation de l'ampleur de l'accident. En effet une grosse " lacune " de l'OMS consiste à se borner aux habitants des zones contaminées aujourd'hui à plus de 1Ci/km2 en Cs137, aux personnes évacuées, aux liquidateurs. C'est oublier que la nourriture contaminée produite dans les zones contaminées a été commercialisée hors de ces zones dans toute l'URSS (par exemple le lait contaminé à des niveaux de 300 000 à plus de 1 million de Bq/l d'iode 131 en Biélorussie du sud-est et nord-ouest a été consommé, la viande contaminée en césium 137 et 134 a été vendue y compris à Moscou, il y a même eu grève des ouvriers d'une fabrique de saucisson de Léningrad rendus malades par la manutention de viande contaminée biélorusse ; le thé géorgien vendu partout (sauf à Moscou, en Ukraine, Biélorussie et la région de Bryansk en Russie) contaminé jusqu'à 18 500 Bq/kg en Cs 137 et autorisé dans les cafétérias d'entreprise jusqu'à 37 000 voire 185 000 Bq/kg. Mais en Russie même, le lait dans la région de Kalouga a atteint plus de 300 000 Bq/l en iode 131­à moins de 200 km de Moscou !
S'il est difficile à chiffrer, cet effet de contamination interne n'en est pas moins réel et est très important pour estimer la dose collective car il concerne des millions de personnes. Or c'est la dose collective et le facteur de risque par unité de dose qui permettent l'estimation des effets cancérigènes à long terme d'après les modèles officiels de la Commission internationale de Protection radiologique (CIPR) de la relation linéaire et sans seuil entre le nombre de cancers mortels radioinduits et la dose d'irradiation.

- Les doses reçues.
Remarque 1)
dans le communiqué on lit " à l'exception du personnel de la centrale et des intervenants rapprochés, la plupart des liquidateurs et les habitants des territoires contaminés ont reçu des doses d'irradiation au corps entier relativement faibles, plus faibles que les doses moyennes reçues par des habitants de certaines régions du globe où le rayonnement naturel est élevé ".
Il n'est pas évident que ces populations du globe soumises à des niveaux de rayonnement importants n'aient pas de problèmes de santé en particulier du point de vue des effets génétiques comme cela a été observé au Kérala (Inde). D'autre part la CIPR précise qu'on ne doit pas prendre le rayonnement naturel comme référence en radioprotection.
Remarque 2) " Ces habitants des territoires contaminés ont reçu " ? Cet emploi du verbe recevoir au passé laisse entendre qu'ils ne " reçoivent " plus rien actuellement. Quel prodige de prestidigitateur ! Quant aux autres habitants du globe ont-ils eu des lavages de poumons pour en extraire des particules chaudes comme certains liquidateurs qui, pourtant, n'ont pas fait partie des premières équipes de secours ? Ont-ils eu du Ruthénium106 et du Cérium144 dans le sang circulant avec variations saisonnières comme des habitants du Nord de l'Ukraine ? Les autopsiés présentent-ils des concentrations élevées en Césium 137 dans les organes vitaux comme les enfants des zones contaminées du Bélarus ainsi que l'a montré Youri Bandajevsky ?
C'est poser, dès le départ, une équation grossièrement simplificatrice et falsificatrice des problèmes sanitaires: effets de l'irradiation externe =effets de la contamination interne
Remarque 3) dans le rapport OMS sont indiquées les doses engagées sur la vie pour 4 cohortes. Celle des liquidateurs pendant les années 1986-1987 : elle est de 100 millisievert (100 mSv) par liquidateur et paraît faible alors que nombreux sont les témoignages indiquant que les dosimètres saturaient à 250 mSv en dose externe. Et celle des 135 000 évacués de la zone des 30 km, 10 mSv par évacué ? Elle ne correspond pas aux doses externes reçues avant leur évacuation figurant dans le rapport soviétique* de 370 pages à la conférence internationale de l'AIEA sur l'accident de Tchernobyl d'août 1986, qui indiquait dans l'annexe 7 consacrée aux problèmes médico-biologiques une dose collective de 1,6 x10*4 homme-sievert, soit, en moyenne 118 mSv (et ils ont quand même dû respirer et ouvrir la bouche avant d'être évacués et inhaler et ingérer des radionucléides ­dont des iodes radioactifs).
Ce qui pose encore plus problème ce sont les 50 mSv des 270 000 résidents des zones sous contrôle strict et les 7 mSv des 6 800 000 habitants des " autres zones contaminées ". C'est à se demander, si les autorités soviétiques avaient appliqué la dose-vie de 70 mSv (calculée sur 70 ans de vie) demandée par les scientifiques biélorusses ou 100 mSv par les scientifiques ukrainiens au lieu de 350 mSv recommandés par les autorités de radioprotection soviétiques, qui étaient et où figurent donc dans ce rapport le " presque 1 million de personnes " qu'il y aurait eu à évacuer, " dont des habitants de villes ", et " dans quelques agglomérations cette dose est sensiblement la moitié de la dose totale recommandée sur la vie " [soit 175 mSv...]. Parmi les signataires de la lettre à Gorbatchev qui lui donnaient cette information en septembre 1989 il y a un certain Likhtarev, scientifique éminent qui, depuis 1986 " reconstruit " les doses. Il a dû perdre les données initiales...
Dire que la dose-vie des 6 800 000 habitants des zones contaminées à plus de 1 curie/km2 est de 7 mSv c'est faire complètement table rase des doses qu'ils ont reçues juste après l'accident et les premières années qui ont suivi et supposer que depuis le début de la gestion post-Tchernobyl la dose annuelle est restée en moyenne inférieure à 0,1 mSv. Est-ce réaliste ? Rappelons que la " norme " instaurée par les autorités de radioprotection soviétique (Pr Iline) a été de 100 mSv en 1986 (50 interne, 50 externe), 30 mSv en 1987 puis 25 en 1988 et 1989.

- Les évacuations.
Il est scandaleux de dire que les évacuations tardives ont été trop nombreuses, et qu'elles n'ont pas apporté grand-chose du point de vue de la diminution des doses. Mais il aurait fallu évacuer ces habitants dès 1986 et leurs doses auraient été d'autant plus faibles ! En somme il ne faut pas appliquer de contre-mesures en cas d'accident majeur

- Les décès par cancer et leucémies déjà survenus ou à venir : environ 4 000 dans le communiqué.
Remarque
: ce nombre concerne 600 000 personnes et néglige les décès des 6 850 000 habitants dont le nombre estimé dans le rapport OMS est de 5 000 ce qui porte l'excès de morts à 9 000 en tout et non 4 000. Mais :
 ElBarradei est encore plus fort dans son discours d'ouverture du congrès. Pour lui il n' y a eu que 59 morts, il n'a certainement pas lu le rapport officiel du Forum. Il dit :
" Les nombres définitifs enregistrés dans le rapport du Forum Tchernobyl sont sérieux : les 50 travailleurs des équipes de secours qui sont décédés par syndrome d'irradiation aiguë et maladies connexes ; les 4000 enfants et adolescents qui ont été atteints de cancer de la thyroïde ­dont 9 aussi en sont morts " et il enchaîne " et les centaines de milliers d'hectares de terres cultivables, de forêts, de rivières et de centres urbains qui ont été contaminés par les retombées (...) ".

- 4000, un nombre magique ?
Dans le communiqué : " le chiffre de 4000 n'est pas très éloigné des estimations faites en 1986 par des scientifiques soviétiques, selon Mikhail Balonov, spécialiste des rayonnements à l'AIEA, à Vienne, qui travaillait dans l'ex-Union soviétique au moment de l'accident ".
Donc M. Balonov n'a pas eu connaissance du rapport soviétique à la conférence de Vienne d'août 1986 qui donnait les doses collectives externe et interne (Cs 134 et 137) pour 75 millions d'habitants considérés comme concernés par l'accident dans la partie européenne de l'URSS (avec une dose collective externe de 29x10*4 homme-Sievert et une dose collective interne sur 70 ans de 2,1x10*6 hSv. Le rapport indiquait pour les 70 ans à venir, un excès de décès par cancers dus au césium ne dépassant pas 0,4% des 9,5 millions de décès par cancer naturel, soit 38 500 décès, auxquels s'ajoutaient 1 500 décès par cancer de la thyroïde. Un bilan de l'ordre de 40 000 décès. (Or le facteur de risque cancérigène mortel a été multiplié par 4 en 1990).
D'où provient donc ce " 4000 " de M. Balonov ? Il est issu de quasi tractations Est-Ouest au cours de la conférence (tenue à huis clos). Pour les occidentaux, un accident nucléaire causant 40 000 morts c'était beaucoup trop élevé ; à la fin de la conférence c'était devenu 5100. Il fallait baisser la dose collective. " Les Soviétiques ont surestimé la dose collective d'irradiation de la population de la partie occidentale de l'URSS peut-être d'un facteur 10 " (Nature, 4 sept. 1986) et dès octobre 1986 la division par 10 est retenue par la commission des communautés européennes ce qui faisait descendre le nombre de morts à environ 4000. Lors de conférences internationales de 1987 et 1988 Iline et Pavlovsky corrigeront leurs évaluations initiales mais sans s'y référer et l'UNSCEAR avalisera officiellement en 1988 la dose collective due au césium 137 des habitants de l'URSS (c'est la valeur d'août 1986 divisée par 9).
Quel argument a été avancé pour justifier la réduction de la dose collective ? On ne l'a connu officiellement que bien plus tard. Hans Blix, directeur général de l'AIEA en 1986, a demandé au Groupe consultatif international de sûreté nucléaire (INSAG, International Nuclear Safety Advisory Group, 12 membres dont P. Tanguy Inspecteur général pour la sûreté et la sécurité nucléaire à EDF et 2 experts associés dont Beninson, président de la CIPR et dirigeant du nucléaire argentin) de préparer pour le Conseil des Gouverneurs de l'AIEA devant se réunir en septembre, un résumé du rapport de la délégation soviétique et des discussions ayant eu lieu lors de la conférence avec les recommandations de l'INSAG. Une réunion de l'INSAG s'est tenue une semaine après la conférence pour préparer ce résumé. Sur les 23 membres de la délégation soviétique 4 seulement ­dont Iline et Pavlovsky responsables de la radioprotection, mais pas Legassov le chef de la délégation- seront présents à la réunion avec 5 autres soviétiques et une soixantaine d'experts et cadres de l'AIEA.
L'AIEA a publié ce " Résumé du compte rendu post-accidentel de l'accident de Tchernobyl " incluant ses recommandations (Summary Report on the Post-Accident Review Meeting on the Chernobyl Accident, Safety series No 75-INSAG-1, IAEA, Vienna 1986, 105 pages).
L'estimation soviétique des doses collectives de 1986 est donnée dans le paragraphe " Long term " (p.61) pour l'irradiation externe et pour la contamination interne via l'ingestion de nourriture contaminée en césium mais il est ajouté que lors de la conférence du 25-29 août (à huis clos) beaucoup d'experts ont considéré lors des discussions que la dose interne soviétique était trop élevée avec l'argument que, d'après les retombées des essais nucléaires, la dose collective interne devait être voisine de la dose externe, celle des experts soviétiques était trop élevée, il fallait la diminuer d'un facteur voisin de 10. Une valeur plus " réaliste " conduit donc à 2x10*5 homme-sievert au lieu de 2,1x10*6 (p.62). Et c'est ainsi que les 40 000 décès par cancer estimés en 1986 ont été divisés par 10.
Remarquons que nulle part dans ce document ne sont indiquées de références justifiant cette affirmation. C'était conclure à l'avance qu'on " savait tout " sur les conséquences sanitaires de l'après-Tchernobyl en déniant à Tchernobyl d'être la première " expérimentation " en vraie grandeur d'un accident majeur sur un réacteur avec des rejets massifs durant plusieurs jours ce qui n'avait jamais été imaginé auparavant. Il ne sera plus jamais question de la partie du rapport soviétique d'août 1986 consacrée aux effets médico-biologiques (Annexe 7) comme s'il n'avait pas existé.
A signaler que les soviétiques avaient déjà l'expérience d'un accident majeur, causé en 1957 par une explosion dans un centre de stockage de déchets nucléaires ayant nécessité des évacuations qui a été révélé en occident par le biologiste dissident Jaurès Medvedev (d'abord dans New Scientist, novembre 1976, puis dans " Désastre nucléaire en Oural ", Ed. Isoete, Cherbourg, 1988.

- Les cancers de la thyroïde des enfants : 4000 enfants avec un cancer de la thyroïde mais à part les 9 décès " ils sont guéris ".
Vraiment ? Ceux qui le proclament ont-ils le recul nécessaire et connaissent-ils l'ensemble des effets secondaires qu'implique pour la croissance et le développement intellectuel des enfants opérés une médication hormonale pour le restant de leurs jours ? Et les enfants qui ont eu des métastases et risquent des cancers secondaires après radiothérapie que vont-ils devenir ?
Toute la génération de ceux qui étaient enfants en 1986, ils sont plusieurs millions, risquent de développer un cancer de la thyroïde au cours de leur vie comme l'a déjà montré l'augmentation drastique du nombre de cancers chez les adolescents depuis 1997 (tous ceux qui avaient moins de 15 ans en 1986 sont passés dans cette classe d'âge). Quant aux adultes l'incidence de ce cancer ne fait qu'augmenter surtout chez les femmes.
De quelques lacunes dans les connaissances d'après le rapport OMS :
-La dose à la thyroïde dépend de la masse de l'organe, or cette masse qui varie avec l'âge est mal connue pour les enfants de l'ex-URSS.
-Quel est le rôle de la carence en iode stable dans l'alimentation de certaines régions sur la dose à la thyroïde en cas de rejets d'iodes radioactifs ? Cela ne jouerait pas pour les adultes mais " les informations sur les enfants manquent ".
-Le rôle du bloquage de la thyroïde par de l'iode stable en cas de rejets d'iodes radioactifs : toutes les mesures de la fraction d'iode 131 incorporée dans la thyroïde en fonction de l'iode stable ingéré ont été faites sur les adultes. Les informations sur les enfants manquent.
-Les doses thyroïde dues à l'iode 131 in utero : les doses à la thyroïde du ftus dépendent de l'avancement de la grossesse et augmentent à partir de la 12ème semaine mais il n'y a pas de données sur le dernier trimestre. En fait on ne sait pas si la dose augmente ou diminue dans les deux derniers mois.
Voilà qui est quand même préoccupant pour l'application des contre-mesures en cas d'accident nucléaire futur...

- Autres cancers et leucémies
Le rapport OMS recommande de surveiller l'apparition du cancer du sein chez les jeunes femmes. Et les autre cancers, tout va bien ? Alors que dans le rapport de l'académie des sciences du Bélarus de 1996 figurent les données d'Okeanov montrant une augmentation du nombre de cas de cancer tant chez les hommes (en particulier reins et vessie) que chez les femmes (thyroïde, colon, reins). C'est dans les régions de Gomel et Moguilev, les plus contaminées, que la morbidité par cancer augmente le plus.
Quant aux liquidateurs, qui étaient en meilleure santé que la population en général pour les mêmes classes d'âge, leur indice de morbidité augmente non seulement pour les cancers mais aussi pour le système endocrinien, les maladies du sang, les maladies du système digestif.

- Les anomalies congénitales et le rapport OMS
Pas d'augmentation depuis Tchernobyl.
Ceci est bizarre. En effet les études de Lazjuk sur les malformations congénitales basées sur un registre qui fonctionne en Biélorussie depuis 1979 y compris sur les ftus issus d'avortements, montrent une augmentation des malformations congénitales à déclaration obligatoire depuis 1986. Certes Lazjuk ne trouve pas de relation entre la fréquence des malformations et les doses efficaces d'irradiation subies par les parents cependant la fréquence des malformations est plus élevée dans les régions contaminées à plus de 15 curies/km2 en Cs137 comparées aux zones moins contaminées. Ces résultats ont été publiées dans une revue tout à fait respectable " Radiation Protection Dosimetry " avec " referee ", aéropage de spécialistes qui contrôlent la qualité de l'article. Depuis, il a collaboré avec l'IRSN et tous les effets néfastes ont disparu de ses dernières publications. Etrange.
Pourtant ces malformations existent, le problème des cardiopathies congénitales est préoccupant chez les enfants vivant en zones contaminées par Tchernobyl. Le Pr Tchitchko indique et c'est à Lille que cela a été dit en mars 2000, que, pour 100 000 individus, le nombre de nouveaux cas de cardiopathies congénitales chez les moins de 14 ans est passé de 41,4 cas en 1988 à 121,5 cas en 1998, l'ensemble des malformations congénitales passant de 179,6 à 382,9.
Dans la région de Moguilev 1161 enfants ont été suivis. 76 étaient nouveaux-nés en 1999 et 43 sont morts dans l'année, 34 enfants ont été opérés à Minsk ou à l'étranger. Dans la région de Gomel, 1714 enfants ont été examinés en 1999 pour cardiopathies congénitales. Parmi eux, 95 étaient nouveaux-nés en 1999 et 39 sont morts dans l'année.
En l'an 2000 près de 6000 enfants souffraient de cardiopathies congénitales à opérer.
Pour les scientifiques occidentaux à partir du moment où l'on ne connaît pas la dose d'irradiation à laquelle les parents ont été exposés ou s'il n'y a pas de corrélation nette entre les fréquences observées et les doses calculées ces enfants malades et ces morts ne comptent pas. Ils sont dus à autre chose que le rayonnement. Il n'est jamais question du fait que les doses calculées sont peut-être fausses. Qu'il y ait plusieurs facteurs en cause c'est possible mais systématiquement il faut innocenter Tchernobyl et le le rayonnement (dont on sait pourtant qu'il est mutagène).
Tollé général ou scepticisme, lorsque Dubrova, (institut Vavilov de génétique, Moscou) a publié l'augmentation du taux des mutations " minisatellites " observée chez les enfants nés de parents vivant dans des zones fortement contaminées du Bélarus, taux plus élevé pour une contamination du sol en césium 137 plus élevée. Le même effet a été trouvé depuis en Ukraine.
Désormais cet effet est admis (Dubrova travaille aussi dans le groupe du Prix Nobel Jeffreys au Royaume Uni) mais qu'à cela ne tienne, cette augmentation des mutations ne prouve pas qu'elles aient, ou auront, un effet nocif sur la santé future des enfants dit le rapport OMS. Mais il n'est pas mentionné qu'inversement personne ne peut démontrer que ces mutations n'auront pas d'effets nocifs.

- Les opacités du cristallin : le schéma classique est obsolète.
Les cataractes étaient classées dans les effets déterministes, c'est-à-dire n'apparaissant qu'à partir d'une dose seuil estimée à environ 2 grays (soit 2 sievert si ce sont des Rayons X ou des gammas) délivrée en une seule fois, ou à partir d'une dose encore plus élevée si la dose est fractionnée. La gravité augmente avec la dose. Le rapport UNSCEAR 2000 admettait les cataractes comme cause de l'invalidité ayant touché des liquidateurs des équipes d'urgence atteints d'un syndrome d'irradiation aiguë, mais seule cette catégorie de liquidateurs était citée.
Des études épidémiologiques récentes citées par l'OMS, contredisent ces données, celle sur des personnes soumises à des examens tomographiques par rayons X montre qu'une exposition à des doses 10 fois plus faibles peut provoquer des cataractes. Or c'est le cas aussi des liquidateurs autres que ceux des équipes d'urgence et le rapport OMS admet que des cataractes (" posterior subcapsular PSC cataract ") sont apparues chez des liquidateurs pour des doses beaucoup plus faibles que celles admises autrefois. L'OMS cite des modifications du cristallin chez des enfants et adolescents (5-17 ans) résidant dans des zones contaminées proches de la zone évacuée.
Parmi les incertitudes dans les connaissances l'OMS indique qu'il faut aussi tenir compte de l'irradiation bêta qui pourrait être plus importante que celle des gammas. Une question est relative aux effets possibles sur des tissus oculaires autres que le cristallin (rétinopathies incluant la macula, altérations choroïdiennes et effets vasculaires).
Remarquons que le schéma classique ne correspondait pas à ce qui était observé par les médecins locaux depuis Tchernobyl, ils ont signalé des cas de cataractes dès 1989 chez les enfants du district de Naroditchi (Ukraine) proche de la zone évacuée en 1986. Au Bélarus Youri Bandajevsky et son équipe de l'institut médical de Gomel ont trouvé, chez les enfants de zones contaminées, une dépendance linéaire entre le nombre d'opacités du cristallin et l'activité spécifique en césium 137 (la concentration en césium 137, nombre de becquerels de Cs137 par kilo du poids corporel). La charge corporelle en Cs137 est mesurée à l'aide de spectromètres spéciaux. La dose efficace correspondant à l'activité corporelle en Cs 137 est faible, de l'ordre de 0,1-0,2 mSv.

- Maladies cardiovasculaires.
Les résultats récents du suivi des survivants japonais publiés en 2004 montrent un excès d'incidence de certaines maladies non cancéreuses qui augmente proportionnellement à la dose d'irradiation. Ont été trouvées radioinduites, entre autres, les maladies cardiovasculaires, hypertension, maladies chroniques du foie, hypercholestérolémies, affections thyroïdiennes, cataractes. Or toutes ces maladies sont recensées chez les habitants des zones contaminées par Tchernobyl mais elles sont apparues beaucoup plus tôt. En particulier Youri Bandajevsky et sa femme Galina ont montré que la fréquence des anomalies cardiaques relevées sur les électrocardiogrammes des enfants vivant en zone contaminée augmentait proportionnellement à l'activité spécifique en césium 137. Quand elle dépasse 20-50 Bq/kg les anomalies commencent à être préoccupantes. Au-delà de 100-150 Bq/kg une pathologie irréversible peut s'instaurer, mettant leur vie en danger.
L'OMS cite les travaux sur le suivi des survivants japonais en les attribuant à de fortes doses d'irradiation en indiquant que c'est différent du cas d'une irradiation faible chronique où les différents aspects de ce qui est appelé le stress oxydant -modifications de certaines cellules du myocarde observées au microscope électronique- peuvent être dus à d'autres causes que le rayonnement (tabac, alcool, etc.). Ensuite on se retrouve avec le couplet de UNSCEAR 2000 sur l'irradiation interne chronique par le césium 137 où l'augmentation de morbidité des populations exposées par rapport aux populations non exposées serait en partie expliquée par le suivi intensif des populations exposées [on les suit intensivement et elles ont besoin de soins élémentaires de santé d'après les recommandations du Forum ? Bizarre] par la non prise en compte de l'âge, du sexe, mais surtout le point capital : ces études ne sont pas conformes aux études épidémiologiques existantes. Pourtant elle existe cette augmentation de morbidité " augmentation des maladies des systèmes endocrinien, hématopoïétique, circulatoire, digestif et les désordres psychiques " maladies citées par UNSCEAR qui a omis le système immunitaire.
Néanmoins dans les lacunes des connaissances l'OMS indique que le rôle du rayonnement dans l'induction des maladies cardiovasculaires est mal connu surtout pour les irradiations chroniques. De plus il est recommandé de procéder à des études animales en incluant le rôle du système immunitaire et du système nerveux central. Voilà qui recoupe les études effectuées par Youri Bandajevsky et celles qu'il veut entreprendre dans le laboratoire CRIIRAD-Bandajevsky.

Conclusion

En définitive la grande leçon de Tchernobyl sur les conséquences sanitaires est peut-être que la polarisation sur les cancers est l'arbre qui cache la forêt, d'autant plus qu'à la diminution de l'espérance de vie dans les pays les plus contaminés de l'ex-URSS vont correspondre des cancers à temps de latence élevé qui n'auront pas eu le temps de " s'exprimer ". C'est la révélation de l'augmentation relativement précoce de la morbidité qui est fondamentale. La contamination chronique par des radionucléides à vie longue tels que le césium 137 et le strontium 90 a des effets différents de ceux observés après une irradiation unique externe. Elle affecte la santé des enfants par l'atteinte de tous les systèmes fonctionnels, elle change la fertilité, elle s'attaque au patrimoine génétique. Et pourtant elle correspond à des doses très faibles d'après les modèles élaborés par les experts internationaux, trop faibles a priori pour avoir un effet, disent-ils. Jamais la question n'est posée de savoir si ces modèles sont conformes à la réalité or ces effets existent objectivement même s'ils sont niés.
Les épidémiologistes n'accordent que peu d'importance aux études qui comparent l'incidence des maladies dans une région avant et après Tchernobyl, pour eux elles sont sans valeur scientifique car ils veulent une " expérience propre " avec des données quantitatives sur les doses de radiations reçues. Ceci implique de se fier aux scientifiques " reconstructeurs " de doses alors qu'ils ne tiennent guère compte des doses réelles reçues après l'accident. De plus il faut que les doses soient " pures ", sans interaction avec d'autres facteurs, et les épidémiologistes occidentaux sautent sur les autres facteurs (stress, alcool etc.) pour innocenter les rayonnements. Ne s'agit-il pas de cacher que la réalité est complexe ? On peut se demander ce qui se passerait en cas de malheur nucléaire chez nous en Rhône-Alpes ou dans la région Nord qui est durablement polluée par métaux lourds de Metaleurop ?
Toute cette industrialisation de nos sociétés a été menée sans souci des répercussions sur la santé des travailleurs et des populations. Le nucléaire a ajouté une dimension mortifère qui ne respecte pas les frontières nationales, avec couplage possible chimie-nucléaire en cas d'accident nucléaire majeur, dimension qu'il s'agit de camoufler pour que se perpétue l'inacceptable.

Bella Belbéoch, novembre 2005


Notes et références

* " USSR State Commitee on the utilization of Atomic Energy : The accident at the Chernobyl' nuclear power plant and its consequences, Information compiles for the IAEA Experts' meeting 25-29 August 1986, Vienna" (Comité d'Etat de l'URSS pour l'utilisation de l'énergie atomique, " L'accident nucléaire survenu à la centrale nucléaire de Tchernobyl et ses conséquences ". Documentation établie pour la réunion d'experts de l'AIEA, 25-29 août 1986, Vienne)
Dossiers traitant des conséquences sanitaires dans la Gazette Nucléaire, outre ceux déjà signalés précédemment dans la Lettre de Stop Nogent, voir les numéros 96/97 juillet 1989, 157/158 mai 1997, 173/174 mai 1999 (avec un article de la généticienne biélorusse Rosa Goncharova)
http://resosol.org/Gazette/année/numéro_numéro.htm
Pour les malformations et anomalies héréditaires :
G. I. Lazjuk et al " Frequency of changes of inherited anomalies in the Republic of Belarus after the Chernobyl accident " Radiation Protection Dosimetry, vol.62, n°1/2 (1995) p. 71-74. GN 157/158 et 173/174
Alexis Tchitchko, maître de chaire de cardiologie pédiatrique de l'Institut de médecine de Minsk. Communication à la 4ème journée de conférences médicales et rencontres hospitalières sur les conséquences médicales de l'accident de Tchernobyl sur la population biélorusse, Centre Oscar Lambret, Lille, 14 mars 2000, organisée par l'association Avicenne et le soutien de la Région Nord-Pas de Calais.
Les mutations minisatellites
Yuri E. Dubrova et al " Further evidence for elevated human minisatellite mutation rate in Belarus eight years after the Chernobyl accident " Mutation Research, 381 (1997) 267-278
Anomalies héréditaires et rayonnement naturel au Kerala
V.T. Padmanabhan et al " Heritable anomalies among the inhabitants of regions of normal and high background radiation in Kerala : results of a cohort study 1988-1994", International Journal of Health Services, vol.34, Number 3, p.483-515, 2004.
Les cancers au Bélarus, données récentes:
A.E. Okeanov et al " A national cancer registry to assess trends after the Chernobyl accident", Swiss Medical Weekly, 2004; 134:645-649 . www.smw.ch
Le suivi des survivants japonais des bombes-A. Données récentes :
-Maladies autres que les cancers (Incidence).
Michiko Yamada et al, Radiation Research, 161, 622-632 (2004). Noncancer Disease Incidence in Atomic Bomb Survivors, 1958-1998.
-La mortalité par cancer et autres maladies
Dale Preston et al "Studies of mortality of Atomic Bomb survivors. Report 13:Solid Cancer and Noncancer Disease mortality 1950-1997" Radiat. Res.160, 381-407 (2003).
-La relation effet dose :
Pour les cancers solides pris dans leur ensemble la relation effet-dose la plus appropriée est linéaire et sans seuil. En réponse à ceux qui prétendent qu'il n'y a pas de preuve en dessous de 200 mSv les auteurs de l'étude, Preston et Pierce indiquent " Si des gens veulent prouver que les faibles doses sont inoffensives alors nous pensons qu'il est clair qu'ils doivent baser leur justification sur d'autres données que celles du suivi LSS de la fondation RERF ".
Donald A. Pierce, Dale D. Preston, Radiat. Environ. Biophysics (1997 36 :209-210 en réponse à W. F. Heidenreich et al idem 205-207 " No evidence for increased tumor rates below 200 mSv in the atomic bomb survivors data ". [LSS= Life span study, suivi de chaque survivant de la cohorte jusqu'à sa mort].